Nous présentons ce texte qui a suscité des débats importants dans le monde anglo-saxon. Il veut se situer entre post-modernisme et marxisme en offrant une dimension critique du féminisme. Créativité, ironie, dépassement sont pour l’auteur les moyens de bouleverser le cadre des débats théoriques du moment.
Une autre approche est possible, toujours dans l’hypothèse de la portée critique des réflexions féministes. Un numéro spécial de [Futur Antérieur->rub334 sera consacré à ces questions à la rentrée prochaine. Il reviendra sur quelques grandes références théoriques mobilisées dans les discours sur la différence des sexes pour tenter de situer leur sens, leur utilisation et leurs effets dans ces discours, qui permettent aussi de situer ceux-ci en retour.
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Rêve ironique d’un langage commun pour les femmes dans “le circuit intégré”.
Cet essai[[Cet essai a été publié dans Socialist Review et en version élargie dans Donna Haraway, Simians, Cyborgs and Women : The Reinvention of Nature, Routledge, New York, 1991. s’efforcera de construire un mythe politique et ironique fidèle au féminisme, au socialisme et au matérialisme, peut-être plus fidèle, au sens où le blasphème est fidèle qu’au sens de la vénération et de l’identification. Le blasphème a toujours semblé demander à prendre les choses très au sérieux. Je ne connais pas de meilleure position à prendre par rapport au cœur des traditions séculières religieuses et évangéliques de la politique aux États-Unis (politique du féminisme socialiste incluse). Le blasphème nous protège de la majorité morale qui est à l’intérieur, tout en insistant encore sur le besoin de communauté. Le blasphème n’est pas l’apostasie. L’ironie concerne les contradictions qui ne la réduisent pas à des “touts” plus importants, même de façon dialectique, elle concerne la tension à faire tenir des choses incompatibles ensemble parce que deux d’entre elles ou toutes sont nécessaires et vraies. L’ironie concerne l’humour et le jeu sérieux. Elle est aussi une stratégie de rhétorique et une méthode politique que j’aimerais voir plus à l’honneur au sein du féminisme socialiste. Au centre de ma foi ironique, de mon blasphème, il y a l’image du cyborg.
Un cyborg est un organisme cybernétique, un hybride de machine et d’organisme, une créature de la réalité sociale aussi bien qu’une créature de l’imaginaire. La réalité sociale, ce sont les relations sociales vécues, notre construction politique la plus importante, une fiction qui change le monde. Les mouvements internationaux des femmes ont construit “l’expérience des femmes” aussi bien qu’elles ont découvert cet objet collectif de la plus haute importance. Cette expérience, qui mêle l’imaginaire et le réel, appartient à une espèce politique des plus cruciales. La libération repose sur la construction de la conscience, l’appréhension imaginaire de l’oppression et donc de la possibilité. Le cyborg est un problème de fiction et d’expérience vécue qui change ce qui compte en tant qu’expérience des femmes à la fin du XXe siècle. C’est une lutte contre la vie et la mort, mais la frontière entre la science-fiction et la réalité sociale est une illusion d’optique. La science fiction contemporaine est remplie de cyborgs (des créatures à la fois animales et mécaniques qui peuplent les univers). La médecine moderne est elle aussi remplie de cyborgs, d’associations d’organismes et de machines, chacune conçue comme un appareil codé dans l’intimité et avec un pouvoir non engendré dans l’histoire de la sexualité. La reproduction cyborg est détachée de la reproduction organique. La production moderne semble pareille au rêve du travail de colonisation cyborg, un rêve qui rend le cauchemar du taylorisme idyllique. Une guerre moderne est une orgie cyborg codée C3I (commande-contrôle, communication-intelligence), soit 84 milliards de dollars dans le budget de la défense américaine en 1984. Je suis en train de faire une démonstration du cyborg en tant que fiction dressant la carte de notre réalité sociale et corporelle, et en tant que ressource imaginaire qui suggère quelques accouplements très féconds. La biopolitique de Michel Foucault est une prémonition flasque de la politique cyborg, un terrain grand ouvert.
A la fin du XXe siècle, notre époque, une époque mythique, nous sommes tous des chimères, des hybrides de machines et d’organismes pensés et fabriqués. En un mot, nous sommes des cyborgs. Le cyborg est notre ontologie, il nous donne notre politique. Le cyborg est une image condensée de l’imagination et de la réalité matérielle, les deux centres reliés l’un à l’autre qui structurent toute possibilité de transformation historique. Dans les traditions scientifiques et politiques occidentales (la tradition du capitalisme raciste et à dominante “mâle”, la tradition du progrès, la tradition de l’appropriation de la nature comme ressource pour les productions de culture ; la tradition de la reproduction du moi qui provient des images reflétées par l’autre), la relation entre l’organisme et la machine est devenue une guerre de frontière. Dans cette guerre de frontière les jalons utilisés ont été les territoires de production, de reproduction et d’imagination. Cet essai s’efforce de contribuer à la culture et à la théorie socialiste-féministe dans une mode post-moderniste et anti-naturaliste et dans une tradition utopique qui consiste à imaginer un monde excluant le genre, ce qui est sans doute un monde sans genèse mais aussi certainement un monde sans fin. L’incarnation cyborg est en dehors de l’histoire du salut.
Le cyborg est une créature dans un monde sans genre ; il n’a rien à voir avec la bi-sexualité, la symbiose pré-oedipienne ou l’inaliénation du travail. Dans un sens, l’histoire du cyborg n’a pas d’origine au sens occidental du terme, pas d’ultime ironie puisque le cyborg est aussi l’horrible telos apocalyptique, résultat des dominations occidentales de l’individuation abstraite détachée enfin de toute dépendance, un homme dans l’espace. Une origine historique au sens occidental, au sens humaniste du terme dépend du mythe de l’unité originelle, la félicité et la terreur, représentées par la mère phallique de qui tous les humains doivent se séparer, la tâche du développement individuel et de l’histoire, les mythes puissants des jumeaux inscrits très fortement pour nous dans la psychanalyse et dans le marxisme. Hilary Klein a déclaré que le marxisme et la psychanalyse dans leurs concepts de travail et d’individuation dépendent de l’unité originelle en dehors de laquelle la différence doit être engagée dans le drame de la domination qui monte en flèche de la femme/nature. Le cyborg saute le pas de l’unité originelle de l’identification avec la nature au sens occidental. C’est sa promesse illégitime qui devrait conduire à la subversion de sa téléologie comme les guerres des étoiles.
Le cyborg est résolument engagé dans la voie de la partialité, de l’ironie, de l’intimité et de la perversité. Il est opposant, utopique et totalement dénué d’innocence. N’étant plus structuré par la polarité du public et du privé, le cyborg définit une polis technologique partiellement basée sur une révolution des relations sociales dans le oikos, le foyer. Nature et culture sont retravaillées ; l’une n’a plus la possibilité d’être une ressaisie d’appropriation ou d’incorporation par l’autre. Les relations consistant à former des “touts” à partir de “parties” (celles de la polarité et de la domination hiérarchique comprises) existent dans le monde cyborg. Contrairement aux espoirs du monstre de Frankenstein, le cyborg n’attend pas que son père le sauve par une restauration du jardin, c’est-à-dire par la fabrication d’une race hétérosexuelle, par son achèvement dans un ensemble fini, une ville et le cosmos. Le cyborg ne rêve pas de communauté sur le modèle de la famille organique, cette fois en dehors du projet oedipien. Le cyborg ne reconnaît pas le jardin d’Eden, il n’est pas constitué de boue et ne peut pas rêver de retourner à l’état de poussière. Les cyborgs ne sont pas respectueux ; ils ne se rappellent pas le cosmos. Ils se méfient de l’holisme mais sont nécessaires à la convection – ils semblent sentir naturellement les fronts politiques unis ; le principal inconvénient avec les cyborgs, c’est que naturellement ils sont les enfants illégitimes du militarisme et du capitalisme patriarcal (ne pas mentionner le socialisme étatique). Mais les enfants illégitimes sont souvent extrêmement infidèles à leurs origines. Leurs pères, après tout, sont accessoires.
Je reviendrai sur la science-fiction des cyborgs à la fin de cet essai, mais je veux maintenant signaler l’existence de trois ruptures de frontières critiques qui rendent cette analyse politico-fictive (politico-scientifique) possible. A la fin du XXe siècle dans la culture scientifique américaine, la frontière qui sépare l’homme de l’animal est complètement vidée. Les dernières têtes de pont de l’unicité ont été contaminées si ce n’est transformées en parcs d’attractions : le langage, l’utilisation de l’outil, le comportement social, rien qui marque avec conviction la séparation de l’homme et de l’animal. Et bien des personnes ne ressentent plus le besoin d’une telle séparation ; en effet, le lien qui rattache l’homme aux autres créatures vivantes plaît à de nombreuses branches de la culture féministe. Les mouvements pour les droits des animaux ne sont pas des rejets irrationnels de l’unicité de l’homme. Ils sont une reconnaissance lucide du lien qui va au-delà de la violation discréditée de la nature et de la culture. Ces deux derniers siècles, la biologie et la théorie évolutionniste ont simultanément changé les organismes modernes en objets du savoir et réduit la ligne qui sépare les hommes des animaux à une faible trace regravée en lutte idéologique (ou disputes professionnelles) entre la vie et la science sociale. A l’intérieur de ce schéma, enseigner les lois de la création chrétienne moderne devrait être combattu comme une forme de mauvais traitements infligés aux enfants.
L’idéologie biologico-déterministe est la seule position ouverte en culture scientifique exprimant les différents sens de l’animalité humaine. On laisse plus de place aux personnes, aux opinions politiques d’extrême-gauche pour contester les différents sens de la frontière violée[[Pour des écrits utiles sur les mouvements et les théories de la science radicale féministe et de gauche, et sur les thèmes biologiques et biotechniques, voir Bleier (1984, 1986), et Keller (1985). Voir également les revues, Radical Science Journal (qui s’appelle depuis 1987 Science as Culture) et Science for the People.. Le cyborg apparaît dans le mythe précisément là où la frontière entre l’homme et l’animal est violée. Le cyborg signale avec inquiétude et avec plaisir l’accouplement étroit entre les gens et les autres êtres vivants. La bestialité a un nouveau statut dans le cycle de l’échange par le mariage.
Le deuxième point distinguera l’animal-humain (organisme) de la machine. Les machines pré-cybernétiques pouvaient être hantées ; il y a toujours eu le spectre du fantôme dans la machine. Ce dualisme a structuré le dialogue entre matérialisme et idéalisme qui fut mis en place par une progéniture dialectique appelée esprit ou histoire, selon les goûts. Mais à la base les machines n’étaient pas autonomes, elles ne bougeaient ni ne se fabriquaient toutes seules. Elles ne pouvaient pas réaliser le rêve de l’homme, mais seulement le ridiculiser. Elles n’étaient pas homme mais seulement une caricature du rêve masculin reproducteur. Et il était paranoïde de penser qu’elles étaient autre chose. Aujourd’hui nous n’en sommes pas si sûrs. Les machines de cette fin de siècle ont rendu la différence entre le naturel et l’artificiel, l’esprit et le corps et bien d’autres distinctions qu’on avait l’habitude de coller aux organismes et aux machines tout à fait ambiguës. Nos machines sont d’une vivacité dérangeante et nous-mêmes sommes d’une inertie effrayante.
La détermination technologique n’est qu’un espace idéologique ouvert par les re-conceptions de la machine et de l’organisme comme des textes codés par lesquels on s’engage dans le jeu d’écrire et de lire le monde[[Pour les approches de gauche et/ou féministes de la technologie et de la politique, voir Cowan (1983), et Rothschild (1983). Voir également Global Electronics Newsletter 867 West Dana St., San Francisco, CA, 94041, USA ; ISIS, Women’s International Information and Communication Service, PO Box 50 (Cornavin), 1211 Genève 2, Suisse, et Via Santa Maria Dell’Anima 30, 00186 Rome, Italie. Pour les approches fondamentales des études sociales de la science qui ne perpétuent pas la mystification libérale selon laquelle tout a commencé avec Thomas Kuhn, voir Knorr-Cetina (1981), et Young (1979).. Les marxistes et les féministes-socialistes condamnent la “textualisation” systématique dans la théorie post-structuraliste et post-moderniste pour son indifférence utopique concernant les relations vécues de domination qui fondent le “jeu” de la lecture arbitraire[[Un argument provocateur et compréhensif de la politique et de la théorie de la post-modernité est soutenu par Frederic Jameson (1984). Il maintient que le post-modernisme n’est pas une option, un style parmi d’autres, mais une dominante culturel qui requiert la réinvention radicale d’une politique de gauche ; il n’y a plus de lieu qui donne de sens à la fiction réconfortante de la distance critique. Jameson souligne aussi qu’il n’est pas possible d’être pour ou contre le post-modernisme (qui serait une décision essentiellement moraliste). Ma position est que les féministes (et les autres) ont besoin d’une réinvention historique – seulement un cyborg peut réaliser une telle tâche. Les vieilles formes de domination du patriarcat blanc capitaliste paraissent relativement innocentes maintenant ; elles normalisent l’hétérogénéité, par exemple, dans l’homme et la femme, le Blanc et le Noir. “Le capitalisme avancé” et le postmodemisme déclenchent l’hétérogénéité sans la norme, et nous sommes aplatis, sans la subjectivité (qui a besoin de profondeur, même d’une profondeur qui nous noie). Il est l’heure d’écrire La mort de la clinique. Dans les méthodes de la clinique il s’agit des corps et des travaux ; nous avons des textes et des surfaces. Nos formes de domination ne fonctionnent plus à travers la médicalisation et la normalisation ; elles fonctionnent à travers le “networking”, la reformulation des communications, et le maniement du stress. La normalisation est déplacée par l’automation, la redondance complète. Les textes de Michel Foucault, La naissance de la clinique (1963), Surveillir et punir (1975), et L’histoire de la sexualité (1976), nomment le pouvoir jusqu’au moment de son implosion. Le discours de la biopolitique est déplacé par le techno-babillage, le langage des substantifs épicés – les corporations multinationales ne laissent aucun nom entier. Dans un numéro de la revue Science figurent les noms Tech-Knowledge, Genentech, Allergen, Hybritech, Compupro, Genen-cor, Syntex, Allelix, Agrigenetics Corp., Syntro, Codon, Repligen, MicroAngelo de Scion Corp., Percom Data, Inter Systems, Cyborg Corp., Statcom Corp., et Intertec. Si nous sommes emprisonnés par le langage, pour nous en sortir il faut des poètes, une espèce d’enzyme culturelle pour briser le code. L’ “heteroglossia” cyborg est une forme de la politique culturelle radicale. Pour la poésie cyborg, voir Perloff (1984) et Fraser (1984). Pour l’écriture féministe “cyborg” (moderniste et post-moderniste), voir HOW(ever), 871 Corbett Ave, San Francisco, CA 94131, USA.. Il est certainement vrai que les stratégies post-modernes, comme mon mythe cyborg, renversent d’innombrables ensembles organiques (par exemple, le poème, la culture primitive, l’organisme biologique). En un mot, la certitude de ce qui compte en tant que nature est ébranlée, probablement condamnée. On a perdu l’autorisation transcendant l’autorisation et, avec elle, l’ontologie qui fonde l’épistémologie occidentale. Mais l’alternative n’est pas le cynisme ou la perfidie, c’est-à-dire la version d’une existence abstraite, comme ou ce qui explique le déterminisme technologique détruisant “l’homme” par “la machine” ou “une action politique positive” par “le texte”. Qui les cyborgs seront-ils ? est une question fondamentale et la réponse un problème de suivie. Ainsi les chimpanzés et les objets fabriqués ont une politique, alors pourquoi pas nous (de Waal, 1982 ; Winner, 1980) ?
La troisième distinction est un sous-ensemble de la seconde la frontière qui sépare le physique du non-physique nous paraît très imprécise. Les livres de physique vulgarisés traitant des conséquences de la théorie des quanta ont la même valeur scientifique et populaire que les romans à l’eau de rose de la collection Harlequin en tant que marqueur d’un changement fondamental de l’hétérosexualité blanche aux États-Unis. Ils n’ont rien compris mais ils traitent le bon sujet. Les machines modernes sont des appareils de la micro-électronique quintessenciée : elles sont partout et elles sont invisibles. La machinerie moderne est un dieu irrévérencieux et parvenu qui ridiculise l’ubiquité et la spiritualité du Père. La puce électronique est une surface pour écrire, gravée à l’échelle moléculaire et qui n’est dérangée que par le bruit atomique, l’ultime interférence pour les scories nucléaires. L’écriture, le pouvoir et la technologie sont des vieux partenaires dans les histoires occidentales de l’origine de la civilisation, mais la miniaturisation a changé notre expérience du mécanisme. Il s’est avéré que la miniaturisation est de plus en plus concernée par le pouvoir ; ce qui est petit n’est pas si beau et parfaitement dangereux, comme la croisade des missiles. Comparez les postes de télévision des années 50 ou les grosses caméras des années 70 avec les montres-télévisions-bracelets ou les caméscopes dont on fait aujourd’hui la publicité. C’est la lumière du soleil qui compose nos meilleures machines ; elles sont légères et propres parce qu’elles ne sont rien d’autre que des signaux, des vagues électro-magnétiques et ces machines sont parfaitement portables et mobiles – une immense douceur humaine en jeu à Detroit et à Singapour. Les gens, à la fois matériels et opaques, sont loin de la fluidité de ces produits. Les cyborgs sont éther, quintessence.
L’ubiquité et l’invisibilité des cyborgs sont précisément les raisons pour lesquelles ces machines sont si meurtrières. Elles sont aussi difficiles à voir politiquement que matériellement. Il s’agit de la conscience ou de sa simulation[[Voir Baudrillard, Simulations. Frederic Jameson (1984, p. 66) explique que, selon la définition platonicienne, le simulacre est la copie pour laquelle il n’y a pas d’original, c’est-à-dire, le monde du capitalisme avancé, de l’échange pur. Voir le numéro spécial sur la technologie (la cybernétique, l’écologie, et l’imagination post-moderne) de Discours, (Printemps/ Été, 1987).. Ce sont des signifiants flottants qui se déplacent dans des camions à travers l’Europe, et qui sont bloqués avec plus d’efficacité par les femmes qui se sont déplacées avec leurs tricots à Greenham et qui savent si bien lire le tissu cyborg du pouvoir, que par les militants ouvriers aux positions politiques masculines. Enfin, la science la plus “ardue” touche le domaine de la confusion des frontières la plus immense, le domaine du nombre pur, de l’esprit pur, du C3I, de la cryptographie et de la préservation de puissants secrets – les nouvelles machines sont si propres et si légères. Leurs ingénieurs vénèrent le soleil et médiatisent une nouvelle révolution scientifique associée au rêve noir de la société post-industrielle. Les maladies que ces machines propres évoquent ne sont rien d’autre que des chargements de code minuscules d’un antigène du système immunisé, rien d’autre que l’expérience du stress. Les doigts agiles des femmes “orientales”, l’ancienne fascination des petites filles anglaises de l’ère victorienne par leurs maisons de poupée, l’attention portée à tout ce qui est petit prend de bien nouvelles dimensions dans le monde. Il pourrait y avoir une Alice Cyborg qui tiendrait compte des nouvelles dimensions. Ironiquement, il pourrait y avoir les femmes cyborgs qui font des puces en Asie et des danses spiroïdales à la prison de Santa Rita dont les unités construites mèneront à des stratégies d’opposition efficaces.
Donc mon mythe cyborg concerne les frontières violées, les fusions puissantes, et les possibilités dangereuses que les progressistes pourraient explorer en tant que partie d’un travail politique nécessaire. Parmi mes prémisses, il y a le fait que la plupart des socialistes et des féministes américaines voient les dualismes profonds du corps et de l’esprit, de l’animal et de la machine, de l’idéalisme et du matérialisme dans les pratiques sociales, voient les formulations symboliques et les objets physiques fabriqués associés à la “haute-technologie” et à la culture scientifique. De L’homme unidimensionnel (Marcuse, 1964) à La mort de la Nature (Merchant, 1980), les ressources analytiques qu’ont développées les progressistes ont insisté sur la domination nécessaire des techniques et nous ont rappelé à un corps organique imaginé pour intégrer notre résistance. Mon autre prémisse est que le besoin d’unité des peuples qui tentent de résister à l’intensification mondiale de la domination n’a jamais été plus prononcé.
Dans une certaine perspective, le monde cyborg porte sur la parution ultime d’un réseau de contrôle sur la planète, il porte sur l’abstraction ultime incarnée dans l’apocalypse de la Guerre des Étoiles menée au nom de la défense et il touche l’appropriation ultime du corps des femmes dans: guerre-orgie masculine (Sofia, 1984). Dans une autre perspective, un monde cyborg pourrait porter sur les réalités sociales et corporelles dans lesquelles nul n’a peur de sa parenté commune avec les animaux et les machines, nul n’a peur des identités où la partialité est permanente, ni des points de vue contradictoires. Il faut considérer les deux perspectives à la fois dans la lutte politique parce que chacune d’elles dénonce les dominations et les possibilités inimaginables qu’une position avantageuse peut avoir. Les unités cyborg sont monstrueuses et illégitimes. Face aux circonstances politiques actuelles, on ne pourrait guère espérer des mythes plus puissants pour résister et se reproduire. J’aime à imaginer l’AGL (Action du Groupe Livermore) en tant que société cyborg, dévouée à convertir les laboratoires qui pour la plupart incarnent férocement les outils de l’apocalypse technologique et amenée à construire une forme politique qui tenterait de faire tenir ensemble les sorcières, les ingénieurs, les aînés, les pervers, les chrétiens, les mères et les léninistes assez longtemps pour désarmer le pays. Fission Impossible, c’est le nom du groupe d’affinité qui se trouve dans ma ville (Affinité : en relation, non par le sang mais par le choix, l’attrait d’un groupe nucléaire pour un autre, l’avidité).
Les identités fracturées
Il est devenu difficile de nommer le féminisme à l’aide d’un seul adjectif (ou même d’insister sur ce nom en toute circonstance). Quand on nomme quelque chose, la conscience de l’exclusion est très prononcée. Les identités semblent être en contradiction, partiale, et stratégique. À cause de la reconnaissance durement gagnée de leur constitution sociale et historique, le genre, la race et les classes ne peuvent pas nous fournir la base d’une croyance de l’unité “fondamentale”. Ce n’est pas le fait d’être des “femelles” qui ligote naturellement les femmes. Mieux, l’état d'”être” une femelle n’existe pas, il est lui-même une catégorie très complexe construite dans des discours scientifiques sexuels contestés et dans d’autres pratiques sociales. La conscience du genre, de la race, des classes et une réussite que la terrible expérience historique des réalités sociales contradictoires (comme le patriarcat, le colonialisme et le capitalisme) nous a imposées. Et qui dans mon discours fait partie du “nous” ? Quelles sont les identités disponibles pour fonder un tel mythe (politique et puissant) appelé “nous” ? Et qu’est-ce qui pourrait motiver l’engagement dans cette collectivité ? Une fragmentation pénible parmi les féministes (ne pas dire parmi les femmes) a rendu le concept “femme” insaisissable. Pour moi (et pour beaucoup qui partagent la même situation, à savoir femme blanche, appartenant à la classe moyenne d’extrême-gauche américaine, la légion regroupe les sources d’une crise d’identité politique. L’histoire récente pour une bonne partie de la gauche et du féminisme américains a été de répondre à ce type de crise par des divisions sans fin et par la recherche d’une nouvelle unité essentielle. Mais par la coalition, il y a aussi eu la reconnaissance d’une autre réponse (affinité et non identité)[[Des développements puissants d’une politique de coalition émergent des auteurs du Tiers Monde : “Nous habitons sur la troisième planète du soleil.” Voir Sun Poem par l’écrivain jamaïcain, Edward Kamau Braithwaite, et le conte rendu par Mackey (1984). Les auteurs des contributions au Home Girls : A Black Feminist Anthology, présenté par Barbara Smith, subvertissent ironiquement les identités naturalisées en même temps qu’elles construisent un lieu qui leur est propre. Voir particulièrement la contribution de Reagan dans cette collection..
Chela Sandoval, qui a d’abord considéré les moments historiques et spécifiques dans la formation d’une nouvelle voie politique, a donné sa théorie construite sur un modèle d’identité politique rempli d’espoir appelé la “conscience en opposition”, né des aptitudes de ceux qui refusent une adhésion stable aux catégories sociales (de race, sexe ou classe) à lire les tissus du pouvoir. “Les femmes de couleur”, une appellation contestée à son origine par les concernées et une conscience historique qui marque l’effondrement systématique de tous les signes de l’Homme appartenant aux traditions occidentales, construit une sorte d’identité post-moderniste à partir de la différence et de la spécificité. Cette identité post-moderniste est totalement politique, quoi qu’on dise au sujet d’autres post-modernismes possibles. La conscience en opposition de Sandoval touche les situations contradictoires et non les relativismes et les pluralismes.
Sandoval insiste sur le manque de critère essentiel pour identifier qui est une femme de couleur. Elle remarque que la définition du groupe s’est faite en fonction d’une appropriation délibérée de la négation. Par exemple, une femme mexicaine ou une femme noire américaine n’a pas eu la possibilité de s’exprimer en tant que femme ou en tant que noire ou mexicaine. Par conséquent, elle se trouvait en bas d’un torrent d’identités négatives, en dehors des catégories opprimées mais privilégiées appelées “les Femmes et les Noirs”, qui prétendaient faire d’importantes révolutions. La catégorie “femme” a nié l’existence de toutes les femmes qui ne sont pas blanches. La catégorie “Noir” a nié l’existence de tous ceux qui ne sont pas noirs ainsi que toutes les femmes noires. Il n’y a eu aucun “elle”, aucune singularité, par contre une montagne de différences parmi les femmes américaines qui ont su s’affirmer en tant que femmes de couleur dans l’histoire de leur identité. Cette identité met en relief un espace construit consciemment qui ne peut affirmer la capacité d’agir sur la base de l’identification naturelle mais seulement sur les bases d’une coalition consciente, d’une affinité, et d’une parenté politique[[Hooks (1981, 1984). Bambara (1981) a écrit un roman extraordinaire dans lequel un groupe de théâtre de femmes de couleur, “The seven Sisters”, construit une forme d’unité.. A la différence de “la Femme” des mouvements féminins blancs américains, il n’y a aucune naturalisation de la matrice, du moins les arguments de Sandoval ne sont-ils valables que par rapport au pouvoir de la “conscience en opposition”.
L’argument de Sandoval doit être considéré comme la seule formulation puissante pour les féministes, en dehors du développement mondial du discours anti-colonialiste, c’est-à-dire qui dissout “l’Ouest” et le plus important de ses fruits – celui qui n’est pas animal, barbare ou femme, donc homme, l’auteur d’un cosmos appelé histoire. Au fur et à mesure que l’on détruit l’orientalisme politiquement et les identités de l’Occident, se déstabilisent celles des féministes[[Sur l’orientalisme dans le féminisme et ailleurs, voir Edward Said, L’orientalisme, Mohanty (1984), et le numéro spécial de feminist Studies (1984) Many Voices, One Chant : Black Feminist Perspectives.. Selon Sandoval, les femmes de couleur ont une occasion de construire une unité efficace qui ne soit pas une réplique des sujets révolutionnaires des Marxisme et Féminisme précédents qui n’avaient pas fait face aux conséquences de la polyphonie émergeant de la décolonisation.
Katie King a mis en relief les limites de l’identification et la mécanique politico/poétique de l’identification “encastrée” dans la lecture du “poème”, ce noyau génératif du féminisme culturel. King critique la tendance persistante qu’ont les féministes contemporaines venant de “moments” ou de “conversations” différentes, de taxinomiser le mouvement des femmes pour faire en sorte que leurs propres tendances politiques apparaissent comme le telos de l’ensemble. Ces taxinomies ont tendance à refaire l’histoire féministe de façon qu’elle apparaisse comme une lutte idéologique parmi des types cohérents qui subsisteraient avec le temps, particulièrement ces unités typiques qu’on appelle d’extrême gauche, libérale et féminisme-socialiste. Littéralement, on a soit fusionné soit marginalisé tous les autres féminismes en construisant généralement une ontologie explicite et une épistémologie[[Katie King (1986) a développé une théorie subtile des taxinomies féministes comme des généalogies de pouvoir dans l’idéologie et les polémiques féministes.. Les taxinomies du féminisme produisent des épistémologies pour contrôler la déviation qui viendrait de l’expérience officielle des femmes. Et bien sûr, “la culture des femmes”, comme les femmes de valeurs est consciemment créée par les mécanismes qui incitent à l’affinité. Les rituels poétiques, musicaux et certaines formes de pratique académique ont été prééminents. Les politiques raciale et culturelle des mouvements des femmes américaines sont infiniment entremêlées. La réussite commune de King et Sandoval réside dans l’apprentissage de la mise en place d’une unité poético/politique sans compter sur une logique d’appropriation, de fusion et d’identification taxinomique.
La lutte théorique et pratique contre l’unité-par-la-domination ou l’unité-par-la-fusion ironiquement n’ébranle pas seulement les justifications en faveur du patriarcat, du colonialisme, de l’humanisme, du positivisme, de l’essentialisme, du scientisme et d’autres -ismes, mais tous revendiquent un point de vue naturel et organique. Je crois que les extrémistes de gauche et les féministes socialo-marxistes ont aussi ébranlé leurs/nos propres stratégies épistémologiques et que c’est un pas d’une valeur importante pour imaginer des unités possibles. Il reste à voir si toutes les “épistémologies”, comme les politiciens occidentaux les ont connues, nous trompent dans notre devoir de construire des affinités efficaces.
Il est important-de remarquer que construire des points de vue révolutionnaires, des épistémologies en tant que victoire du peuple amené à changer le monde, fait partie du processus montrant les limites de l’identification. Les outils acides de la théorie post-moderniste et les outils constructeurs du discours ontologique qui touchent aux sujets révolutionnaires pourraient être vus comme des alliés futiles dans la dissolution du moi occidental dans l’intérêt : Survivre. Nous sommes atrocement conscients de ce que veut dire avoir un corps constitué historiquement. Mais à cause de l’innocence perdue dès nos origines, il n’y a pas non plus d’expulsion du jardin. Notre politique perd l’indulgence du sentiment de culpabilité avec la naïveté de l’innocence. Mais à quoi ressemblerait un autre mythe politique, pour le féminisme-socialiste ? Quel type de politique pourrait à la fois embrasser les interprétations partiales, contradictoires, ouvertes en permanence d’un moi individuel et collectif tout en restant fidèle, efficace et ironiquement socialo-féministe ?
Je ne connais aucune autre période de l’histoire qui demande un plus grand besoin d’unité politique pour faire face efficacement aux dominations de la “race”, du “genre”, de la “sexualité” et des “classes”. Je ne connais pas non plus d’autre période où il aurait pu être possible de construire cette sorte d’unité. Nul d’entre nous n’a gardé la capacité matérielle ou symbolique de dicter la forme de la réalité à l’un d’entre “eux”. Ou du moins, à partir du moment où l’on pratique de telles dominations, “nous” ne pouvons revendiquer l’innocence. Les femmes blanches, féministes-socialistes incluses, ont découvert (en fait, furent forcées de remarquer) la non-innocence de la catégorie “femme”. Cette conscience ne change pas la géographie de toutes les catégories précédentes ; elle les dénature de la même manière que la chaleur dénature les protéines. Les féministes cyborgs doivent dire que “nous” ne voulons plus de la matrice naturelle de l’unité et que ne pas construire forme avec elle un tout. L’innocence a fait assez de dégâts. Mais le sujet révolutionnaire construit doit faire aussi fixer les gens vivant à la fin de ce siècle. Par rapport à l’effilochement des identités et aux stratégies réfléchies pour les construire, la possibilité s’ouvre pour tisser quelque chose d’autre que le linceul du lendemain de l’apocalypse qui finit avec une telle prophétie l’histoire du salut.
Le féminisme socialo-marxiste et le féminisme de gauche ont simultanément naturalisé et dénaturé la catégorie “femme” et la conscience des vies sociales des “femmes”. Peut-être qu’une caricature schématique peut mettre en lumière ces deux types de mouvements. Le socialisme marxiste prend racine dans l’analyse de la masse laborieuse qui relève la structure des classes. La conséquence d’une relation salariale est l’aliénation systématique, dans la mesure où l’ouvrier est dissocié de son produit. L’abstraction et l’illusion gouvernent le domaine de la connaissance, la domination gouverne dans la pratique. Le travail est la catégorie prééminemment privilégiée permettant aux Marxistes de surmonter l’illusion et de trouver le point de vue nécessaire pour changer le monde ; le travail est l’activité humanisante qui fabrique l’homme ; le travail est une catégorie ontologique qui permet la connaissance d’un sujet et donc la connaissance de la subjugation et de l’aliénation.
Fidèle à une filiation, le féminisme-socialiste a progressé en s’alliant avec les stratégies analytiques de base du Marxisme. La principale victoire des féministes marxistes et des féministes socialistes fut de développer la catégorie du travail pour adapter ce que firent des femmes, même au moment où la relation salariale était soumise à une vision du travail plus compréhensive sans le patriarcat capitaliste. En particulier, le travail des femmes dans leur foyer et leurs activités en tant que mères en général (c’est-à-dire la reproduction au sens socialiste-féministe) a pénétré la théorie sur l’autorité de l’analogie avec le concept marxiste du travail. L’unité des femmes repose ici sur une épistémologie basée sur la structure ontologique du “travail”. Le féminisme marxiste/ socialiste ne “naturalise” pas l’unité ; c’est une victoire possible basée sur un point de vue possible enraciné dans les relations sociales. Le mouvement qui “essentialise” est, dans la structure ontologique du travail ou de son analogue, l’activité des femmes[[Le rôle central de la théorie psychanalytique de “object relations” et d’autres stratégies universalisantes dans la discussion de la reproduction, du travail affectif et le travail maternel de plusieurs approches à l’épistémologie souligne le fait que ces auteurs résistent à ce que j’appelle le post-modernisme. Pour moi, les stratégies universalisantes et ces versions de la psychanalyse rendent plus difficile l’analyse de “la position des femmes dans le circuit intégré” et amènent à des difficultés systématiques dans l’investigation de la construction de genre de la vie sociale. L’argument pour un point de vue féministe (feminist standpoint) est développé par Harding (1986), Hartsock (1983), et Smith (1974). Pour les révisions des théories du matérialisme féministe et des points de vue féministes qui répondent aux critiques, voir Harding (1986, pp. 163-96) et Hartsock (1987).. L’héritage de l’humanisme marxiste avec son moi occidental prééminent me pose un problème. Ces formulations ont contribué à mettre l’accent sur la responsabilité journalière des femmes réelles de construire des unités, plutôt que de les naturaliser.
La version du féminisme de gauche de Catherine MacKinnon (1982-1987) est elle-même une caricature des tendances à l’appropriation, l’incorporation et la totalisation des théories occidentales de l’identité qui fonde l’action. Il est factuellement et pratiquement faux d’assimiler tous les “moments” ou “conversations” de la politique récente des femmes appelée féminisme de gauche à la version de MacKinnon. Mais la logique téléologique de sa théorie montre combien une épistémologie et une ontologie – leurs négations incluses – efface toute différence. La théorie de MacKinnon a eu pour seul effet la réécriture de l’histoire du domaine polymorphe appelé féminisme de gauche. Son effet majeur a produit une théorie de l’expérience, de l’identité féminine, c’est-à-dire une sorte d’apocalypse pour tous les points de vue révolutionnaires. C’est-à-dire que la totalisation conçue dans le conte du féminisme de gauche parvient à ses fins (l’unité des femmes) en appliquant l’expérience du non-être absolu. Tandis que pour les féministes socialo-marxistes, la conscience est un acquis, pas un fait naturel. Et la théorie de MacKinnon élimine quelques-unes des difficultés construites à l’intérieur de sujets humanistes révolutionnaires, mais au prix d’un réductionnisme absolu.
MacKinnon déclare que le féminisme a nécessairement adopté une stratégie analytique différente du marxisme, en regardant en premier non pas la structure des classes mais la structure du sexe/genre et sa relation générative. La constitution des hommes et l’appropriation des femmes sexuellement. Il est ironique que l’ “ontologie” de MacKinnon construise un non-sujet, un non-être. Le désir de l’autre, non le travail du moi, est l’origine de la “femme”. Elle développe par conséquent une théorie de la conscience qui renforce ce qui peut compter en tant qu’expérience des “femmes” – quel que soit le nom donné à la violation sexuelle, en fait, le sexe lui-même en ce qui concerne les “femmes”. La pratique féministe est la construction de cette forme de conscience, c’est-à-dire l’auto-connaissance d’un moi-qui-n’est-pas. Il est pervers que l’appropriation sexuelle dans cette sorte de féminisme garde le statut épistémologique de travail ; c’est-à-dire que le point de départ d’une analyse qui permet de contribuer à changer le monde doit jaillir. Mais l’objectivation sexuelle, non l’aliénation, est la conséquence de la structure sexe/genre. Au royaume de la connaissance, l’illusion et l’abstraction sont les résultats de l’objectivation sexuelle. Une femme n’est absolument pas aliénée de son produit, mais au sens profond, elle n’existe pas en tant que sujet ou même sujet potentiel puisqu’elle doit son existence en tant que femme à l’appropriation sexuelle. Être constituée par le désir d’un autre n’est pas la même chose que l’aliénation qui sépare violemment l’ouvrier de son produit.
La théorie de l’expérience de MacKinnon est totalisante à l’extrême ; elle ne marginalise pas tant qu’elle oblitère l’autorité de tout autre discours ou action politique des femmes. C’est une totalisation qui produit ce que le patriarcat occidental lui-même n’a jamais réussi à engendrer- la conscience des féministes de la non-existence des femmes, excepté en tant que produits du désir des hommes. Je crois que MacKinnon a donné un argument correct concernant le fait qu’il n’y a aucune version marxiste de l’identité qui puisse avec fermeté mettre sur pied l’unité des femmes. Mais en résolvant le problème des contradictions de tout sujet révolutionnaire occidental à buts féministes, elle développe une doctrine de l’expérience encore plus autoritaire. Si je me plains des points de vue socialo-marxistes pour leur effacement involontaire de la différence polyvocale, inassimilable et fondamentale, que le discours et la pratique anti-coloniaux rendent manifestes, l’effacement délibéré de MacKinnon de toute différence moyennant la non-existence “essentielle” des femmes n’est pas rassurant.
Dans ma taxinomie, qui comme toute autre taxinomie est une -inscription de l’histoire, le féminisme de gauche a les moyens de considérer toutes les activités des femmes auxquelles les féministes socialistes donnent un nom, comme des formes de travail, seulement si l’activité en question peut être d’une certaine façon sexualisée. La reproduction avait des sens différents pour chacune des deux tendances, l’une par rapport au travail, l’autre par rapport au sexe, toutes deux appelant les conséquences de la domination et de l’ignorance de la réalité sociale et personnelle “la fausse conscience”.
Au-dessus, soit des difficultés, soit des contributions apportées par l’un ou l’autre auteur, ni le point de vue marxiste, ni le point de vue féministe d’extrême-gauche n’ont eu tendance à embrasser le statut d’une explication partiale ; on a considéré ces deux points de vue comme des totalités. L’explication occidentale a fait tout autant ; comment l’auteur “Occident” pouvait-il incorporer autrement ses autres ? Chacun a essayé d’annexer d’autres formes de domination en développant ses catégories de base par analogie, simple listage ou addition. Parmi les féministes d’extrême-gauche et les féministes socialistes blanches, un silence embarrassant au sujet de la race eut une conséquence politique dévastatrice. L’histoire et la polyvocalité disparaissent pour devenir des taxinomies politiques essayant d’établir des généalogies. Il n’y a pas eu de place pour que la race (ou bien d’autres choses), théoriquement parlant, revendique la volonté de révéler la construction de la catégorie femme ainsi que du groupe social des femmes comme un tout unifié et totalisable. Voici à quoi ressemble la structure de ma caricature :
féminisme-socialiste – structure des classes //masse laborieuse //aliénation travail, par analogie reproduction, par extension sexe, par addition race féminisme de gauche – structure des genres appropriation sexuelle//objectivation//sexe, par analogie travail, par extension reproduction, par addition race.
Dans un autre contexte, la théoricienne française Julia Kristeva a déclaré que les femmes sont apparues en tant que groupe historique après la Seconde Guerre mondiale, avec le groupe des “jeunes” par exemple. Ses dates sont incertaines mais aujourd’hui nous avons pour habitude de nous rappeler qu’en tant qu’objets du savoir et en tant qu’acteurs de l’histoire “la race” n’a pas toujours existé, “les classes” ont une genèse historique et les “homosexuels” sont bien des cadets. Ce n’est pas par hasard si le système symbolique de la famille de l’homme, et donc l’essence de la femme, se détériore au moment même où les réseaux de la convection entre les peuples de la planète sont d’une multiplicité, d’une fécondité et d’une complexité sans précédent. “Le capitalisme avancé” n’est pas en mesure de transmettre la structure de ce moment historique. Au sens occidental, la fin de l’homme est en jeu. Ce n’est pas par hasard si la femme ne se disloque pas en femmes de notre époque. Peut-être que les féministes socialistes n’étaient pas vraiment coupables d’avoir mis en place une théorie de l’essentialisme qui a supprimé la particularité et les intérêts contradictoires des femmes. Je crois que nous l’avons été, du moins en participant à la logique, aux langages, aux pratiques de l’humanisme des Blancs et en recherchant un seul terrain de domination pour préserver notre voix révolutionnaire. Aujourd’hui, nous avons moins d’excuses. Mais conscientes de nos échecs, nous risquons d’être exagérément différenciées et d’abandonner notre devoir, à savoir mettre en place une convection partiale et réelle. L’ “Épistémologie” touche à la connaissance de cette différence.
L’informatique de domination
Par rapport à la position épistémologique et politique que je m’efforce de prendre, j’aimerais faire l’esquisse d’un dessin reflétant une unité possible, un dessin redevable aux principes d’étude socialistes et féministes. L’étendue et l’importance des réaménagements des relations sociales mondiales, rattachés à la science et à la technologie, établissent le cadre de mon croquis. J’ai parlé en faveur d’une politique fondée sur les revendications touchant aux changements fondamentaux de la nature des classes, des races et des genres dans un système naissant de l’ordre mondial analogue dans sa nouveauté et dans sa portée à celui créé par le capitalisme industriel. Nous sommes passés d’une société organique industrielle à un système d’information polymorphe (de tout travail à un amusement), un jeu mortel. A la fois matérielles et idéologiques, les dichotomies peuvent être expliquées dans le tableau suivant qui décrit les transitions séparant les vieilles dominations hiérarchiques confortables des nouveaux réseaux angoissants que j’ai appelés l’informatique de domination.
|Représentation |Simulation |
|Roman bourgeois, réalisme |Science fiction, post-modernisme |
|Organisme |Constituant biotique |
|Profondeur, intégrité |Surface, limite |
|Chaleur |Bruit |
|Biologie en tant que pratique clinique |La biologie en tant qu’inscription |
|Physiologie |Communication d’équipement |
|Petit groupe |Sous-système |
|Perfection |Optimisation |
|Eugénisme |Contrôle de population |
|Décadence, “Montagne magique” |Obsolescence, choc futur |
|Hygiène |Stress de la gestion |
|Microbiologie, tuberculose |Immunologie, SIDA |
|Division organique du travail |Ergonomie, cybernétique du travail |
|Spécialisation fonctionnelle |Construction modulaire |
|Reproduction |Réplique |
|Spécialisation du rôle sexuel organique |Stratégies génétiques optimales |
|Déterminisme biologique |Inertie évolutionniste, contraintes |
|Communauté écologique |Écosystème |
|Chaîne raciale des êtres vivants |Néo-impérialisme, humanisme des Nations-Unies |
|Gestion scientifique du foyer/ de l’entreprise |Entreprise mondiale/petite firme d’électronique |
|Famille/Marché/Usine |Femmes dans le circuit intégré |
|Salaire familial |Valeur comparable |
|Public/Privé |Citoyenneté cyborg |
|Nature/Culture |Domaines de la Différence |
|Coopération |Majoration des communications |
|Freud |Lacan |
|Sexe |Manipulation génétique |
|Travail |Robotique |
|Esprit |Intelligence artificielle |
|Seconde Guerre Mondiale |Guerre des Étoiles |
|Patriarcat capitaliste blanc. |Informatique de domination |
Cette liste suggère plusieurs choses intéressantes. Tout d’abord, ce qui se trouve dans la colonne de droite ne peut pas être codé comme “naturel”, une réalisation qui bouleverserait aussi le codage naturaliste de la colonne de gauche. On ne peut pas revenir en arrière ni idéologiquement ni matériellement. Ce n’est pas simplement le fait que Dieu soit mort; la “déesse” l’est aussi. Ou bien c’est que les deux sont revivifiés dans des mondes remplis d’une politique micro-électronique et bio-technologique. Par rapport à des sujets comme les composants biotiques, on peut penser non en terme de propriétés essentielles mais en termes d’études, de contraintes de frontière, de pourcentage des flux, de systèmes logiques, des coûts des contraintes humiliantes. La reproduction sexuelle est une sorte de stratégie de reproduction parmi d’autres, avec les coûts et les bénéfices comme une fonction du système d’environnement. Les idéologies concernant la reproduction sexuelle ne peuvent plus être raisonnablement rattachées aux notions du sexe et du rôle du sexe comme aspects organiques dans des objets naturels (organismes et familles par exemple). On démasquera un tel raisonnement en le qualifiant d’irrationnel et ironiquement les cadres appartenant à une corporation qui lit Play-Boy et les féministes de gauche qui sont contre la pornographie formeront de drôles associations en démasquant conjointement cette irrationalisme.
Pour la race également, on doit formuler les idéologies sur la diversité humaine en termes de fréquences des paramètres comme le groupe sanguin ou le Quotient Intellectuel. Il est “irrationnel” d’évoquer les concepts du primitif et civilisé. Selon les libéraux et les extrémistes, la recherche de systèmes sociaux intégrés donne lieu à une nouvelle pratique appelée “ethnographie expérimentale” dans laquelle un objet organique gaspille son attention au jeu de l’écriture. Au niveau idéologique, nous constatons que le racisme et le colonialisme se traduisent dans le langage en termes de développement et sous-développement, pourcentages et contraintes de la modernisation. Tout objet ou tout individu peut être pensé en termes de désassemblage et de réassemblage ; nulle architecture “naturelle” ne peut empêcher le système du projet. Dans toutes les villes du monde, tant les quartiers financiers que le traitement de l’exportation et les zones de libre-échange proclament ce fait élémentaire du “capitalisme récent”. L’univers entier des objets que l’on peut connaître scientifiquement doit être formulé en tant que problèmes dans la communication d’équipement (pour ceux qui gèrent) ou en tant que théories du texte (pour ceux qui résisteraient). Les deux propositions sont des sémiologies cyborg.
On devrait s’attendre à des stratégies de contrôle pour se concentrer sur les conditions des frontières et les interfaces, sur les pourcentages des flux de l’autre côté des frontières (et non sur l’intégrité des objets naturels). L’ “intégrité” ou la “sincérité” du moi occidental donne lieu à des procédures de décision et à des systèmes d’expert. Par exemple, les stratégies de contrôle qu’on applique aux capacités des femmes à mettre au monde de nouveaux êtres humains seront développées dans les langages du contrôle de la population et de la maximisation de la réussite de l’objectif pour les décideurs individuels. Les stratégies de contrôle seront formulées en termes de pourcentages, coûts des contraintes, degrés de liberté. Les êtres humains, comme tout autre élément ou sous-système, doivent être localisés dans une architecture du système dont les modes d’opération de base sont probabilistes et statistiques. Nul objet, espace ou corps n’est sacré en lui-même. N’importe quel élément peut être connecté avec n’importe quel autre à condition que la norme et le code à proprement parler puissent être construits pour transformer des signaux en un langage commun. Dans ce monde, l’échange transcende le transfert universel que les marchés capitalistes si bien analysés par Marx opèrent. La pathologie privilégiée qui affecte toutes sortes d’éléments dans cet univers est le stress-effondrement des communications (Hogness, 1983). Le cyborg n’est pas sujet à la biopolitique de Foucault; le cyborg simule la politique, un terrain d’opérations bien plus puissant.
Le type d’analyse des objets du savoir, scientifiques et culturels, qui sont apparus historiquement depuis la Seconde Guerre mondiale, nous prépare à remarquer quelques insuffisances importantes dans l’analyse féministe qui s’est poursuivie, comme si les dualismes organiques et hiérarchiques qui règlent le discours à “l’Ouest” depuis l’ère aristotélicienne régnaient encore. On les a démontés pour en réutiliser les “pièces” ou, comme Zoe Sofia (Sofoulis) pourrait l’écrire, on les a “techno-digérés”. Les dichotomies qui séparent l’esprit du corps, l’animal de l’humain, l’organisme de la machine, le public du privé, la nature de la culture, les hommes des femmes, le primitif du civilisé sont toutes en question idéologiquement. La situation actuelle des femmes est leur intégration/exploitation dans un système mondial de production/reproduction et de communication appelé l’informatique de domination. Le foyer, le lieu de travail, le marché, l’arène publique, le corps lui-même, on peut développer tout cela de façon presque infinie, polymorphe et le connecter avec les conséquences importantes pour les femmes et les autres, conséquences qui elles-mêmes sont très différentes pour des gens différents et qui rendent les puissants mouvements d’opposition internationaux difficiles à imaginer et essentiels pour survivre. La théorie et la pratique s’adressant aux relations sociales de la science et de la technologie (où il est crucial d’inclure les systèmes du mythe et des sens qui structurent notre imagination) sont une des voies à prendre pour reconstruire la politique socialiste-féministe. Le cyborg est une sorte de moi personnel et collectif post-moderne, désassemblé et réassemblé. C’est le moi que les féministes doivent coder. Les technologies de communication et les biotechnologies sont les outils cruciaux qui refont nos corps. Ces outils incarnent et mettent en vigueur de nouvelles relations sociales pour les femmes dans le monde. On peut en partie comprendre les technologies et les discours scientifiques comme des formalisations, c’est-à-dire comme des moments gelés, des interactions sociales fluides les constituant, mais on pourrait aussi les voir comme des instruments pour mettre en vigueur les sens. La frontière qui sépare l’outil du mythe, l’instrument du concept, les systèmes historiques des relations sociales des anatomies historiques de corps possibles, les objets du savoir inclus, est perméable. En effet, le mythe et l’outil se désignent mutuellement.
De plus, les sciences des communications et les biologies modernes sont construites par un mouvement commun – La traduction du monde en un problème de codage la quête d’un langage commun dans lequel toute résistance au contrôle des instruments disparaît et où toute hétérogénéité peut être soumise au désassemblage, au réassemblage, à l’investissement et à l’échange.
Dans les sciences de communications, on peut illustrer cette traduction du monde en un problème de codage, en regardant les théories des systèmes cybernétiques qui sont appliquées à la technologie du téléphone, à la création d’ordinateurs, au déploiement des armes ou à la construction et à la maintenance de bases de données. Dans chaque cas, la solution aux questions-clé repose sur une théorie du langage et du contrôle ; l’opération-clé détermine les pourcentages, directions et probabilités du déroulement d’une série appelée informations. Des frontières d’une perméabilité différentielle aux informations sous-divisent le monde. L’information n’est que cette sorte d’élément quantifiable (la base de l’unité) qui permet le transfert universel et donc un pouvoir instrumental sans encombre (appelé la communication efficace). Ce qui menace le plus un tel pouvoir est l’interruption de la communication. Tout effondrement du système est une fonction du stress. On peut condenser les principes essentiels de cette technique par l’image du C3I, Commande-Contrôle-Communication-Intelligence, le symbole militaire pour ses opérations théoriques.
En biologie moderne, on peut illustrer cette traduction du monde en un problème de codage par la génétique moléculaire, l’écologie, la théorie évolutionniste socio-biologique, et l’immunobiologie. On a traduit l’organisme en problèmes de codage génétique et d’affichage. La biologie, une technologie écrite informent généralement la recherche[[Pour des analyses et des pratiques autour des débats six la biotechnique, voir GeneWatch, a Bulletin of the Committee for Responsible Genetics, 5 Doane St., 4th floor, Boston MA 02109, USA, et Genetic Screening Study Group, Cambridge, MA, USA.. Dans un sens, les organismes ont cessé d’exister en tant qu’objets du savoir, donnant lieu à des composants biotiques, i.e. certains types de moyens informatiques. On pourrait examiner les mouvements analogues de l’écologie en sondant l’histoire et l’utilité du concept de l’écosystème. L’immunobiologie et les pratiques médicales qu’on lui associe sont pour nous des exemples qui révèlent le privilège du codage et les systèmes de reconnaissance en tant qu’objets du savoir, et en tant que constructions d’une réalité physique. La biologie est ici une sorte de cryptographie. La recherche est nécessairement un type d’activité du domaine de l’information. Les ironies abondent. Un système tendu va de travers ; ses processus de communication s’effondrent ; il n’arrive pas à faire la différence entre le moi et autrui. Les bébés humains avec leurs cœurs de babouin suscitent un embarras moral national. (Chez ceux qui défendent les droits des animaux autant que chez les gardiens de la pureté humaine). Aux États-Unis, les homosexuels et les consommateurs de drogue par voie intraveineuse sont les victimes “privilégiées” d’une horrible maladie du système immunitaire qui marque (inscrit sur le corps), la confusion des frontières et la pollution morale… (Treichler, 1987). Mais ce genre de digressions dans les sciences des communications et dans la biologie s’est raréfié ; une réalité de ce monde, surtout économique, est là pour soutenir mes déclarations à savoir que pour nous ces sciences et ces technologies indiquent des transformations fondamentales dans la structure du monde. Les technologies de communication dépendent de l’électronique. Les états modernes, les firmes multinationales, les processus politiques, le pouvoir militaire, les apparats de l’État providence, les systèmes de satellite, la fabrication de nos imaginations, les systèmes de contrôle du travail, les constructions médicales de nos corps, la pornographie commerciale, la division internationale du travail et l’évangélisme religieux dépendent étroitement de l’électronique. La micro-électronique est la base technique des simulaires, donc, des copies sans les originaux.
J’ai utilisé l’image de Rachel Grossman (1980) des femmes dans le circuit intégré pour donner un nom à la situation des femmes dans un monde si étroitement restructuré par les relations sociales de la science et de la technologie[[Pour l’idée des “femmes dans le circuit intégré”, voir d’Onofrio-Flores et Pfafflin (1982), et Fuentes et Ehrenreich (1983).. J’ai employé l’étrange circonlocution “les relations sociales de la science et de la technologie”pour montrer que nous n’avons pas affaire à un déterminisme technologique mais à un système historique qui dépend des relations structurées parmi les gens. Mais la phrase devrait aussi montrer que la science et la technologie pourvoient de sources fraîches de pouvoir, que nous avons besoin de sources fraîches d’analyse et d’action politique(Latour, 1984). Certains des nouveaux arrangements concernant les races, sexes et classes fondés sur les relations sociales que la haute technologie facilite peuvent rendre le féminisme socialiste plus applicable à une politique progressiste efficace.
L’économie du travail fait à la maison – “Homework Economy” – en dehors de la maison
La “Nouvelle Révolution Industrielle” produit une nouvelle classe ouvrière à l’échelle mondiale, tout comme elle produit de nouvelles sexualités et de nouvelles ethnicités. L’extrême mobilité du capital et une division internationale du travail en plein essor sont mêlées à l’émergence de nouvelles collectivités et à l’affaiblissement de groupements familiaux. Les développements ne sont neutres ni au niveau du genre, ni au niveau de la race. Les hommes blancs appartenant aux sociétés industrielles avancées sont devenus (et c’est nouveau) vulnérables à des pertes d’emploi. Ce n’est pas simplement parce que les femmes des pays du Tiers Monde représentent une force de travail que les multinationales préfèrent, particulièrement dans le secteur de l’électronique. Le tableau, plus méthodique, concerne la reproduction, la sexualité, la culture, la consommation et la production. Si l’on prend le prototype de la Silicon Valley, la vie de nombreuses femmes s’est structurée autour de leur emploi dépendant de l’électronique et leurs réalités intimes montrent une monogamie hétérosexuelle en série, la garde des enfants à négocier, une distance par rapport à une famille agrandie ou par rapport à la plupart des autres communautés traditionnelles, une forte probabilité de solitude et une extrême vulnérabilité sur le plan économique au fur et à mesure qu’elles vieillissent. La diversité ethnique et raciale des femmes de Silicon Valley constitue un microcosme de différences conflictuelles au niveau culturel, religieux, familial, éducatif ainsi qu’au niveau du langage.
Richard Gordon a qualifié cette nouvelle situation d’ “Homework Economy”[[Pour les analyses de “l’économie domestique hors de la maison”, voir Gordon (1983), et Stallard (1983) qui fournit des indications bibliographiques utiles.. Même si pour lui le phénomène de devoirs “domestiques” est en relation avec l’assemblage électronique, Gordon entend par “Homework Economy” une restructuration du travail qui a surtout les caractéristiques anciennement attribuées aux métiers féminins, des métiers effectués par des femmes exclusivement. Le travail est redéfini comme à la fois féminin et féminisé, qu’il soit effectué par des hommes ou par des femmes. Être féminisé veut dire être rendu vulnérable à l’extrême, être désassemblé, réassemblé, exploité comme une réserve de la force laborieuse. Être considéré plus comme un serviteur que comme un travailleur. Être sujet à des modifications d’horaires en plus ou en moins de l’horaire hebdomadaire, qui bafouent la limitation de la durée du travail journalier, menant à une existence qui avoisine sans cesse l’état d’obscénité, complètement extérieure et réductible au sexe. La déqualification est une vieille stratégie récemment applicable aux travailleurs qui avaient autrefois des privilèges. De toutes façons, l'”Homework Economy” ne se réfère pas seulement à la déqualification à grande échelle, et ne nie pas non plus que de nouvelles régions à très haute qualification sont en plein essor, même pour les femmes et les hommes exclus auparavant d’un emploi qualifié. Le concept cherche plutôt à indiquer que l’entreprise, le foyer, le marché sont intégrés dans une échelle nouvelle et que les places des femmes sont cruciales – et ont besoin d’être analysées par rapport aux différences qui existent parmi elles. Ce sont les nouvelles technologies qui rendent possible (et non pas qui causent) l'”Homework Economy” en tant que structure organisationnelle capitaliste mondiale. Le succès de l’attaque contre les métiers des hommes syndiqués, relativement privilégiés, blancs pour la plupart, est rattaché au pouvoir des nouvelles technologies de communication d’intégrer et de contrôler le travail malgré une dispersion étendue et malgré la décentralisation. Les conséquences de ces nouvelles technologies se font ressentir chez les femmes par la perte des allocations familiales (si jamais elles avaient accès à ce privilège de Blanc) et par la nature de leurs propres métiers qui deviennent à forte intensité de capital; par exemple, le travail de bureau et les infirmières.
Les nouveaux arrangements économiques et technologiques sont aussi en relation avec l’effondrement du système de sécurité sociale, par conséquent on demande de plus en plus aux femmes de supporter la vie de tous les jours pour elles-mêmes aussi bien que pour les hommes, les enfants et les personnes âgées. La féminisation de la pauvreté – engendrée par le démantèlement de la sécurité sociale et par l'”Homework Economy” dans laquelle les emplois stables se raréfient – est devenue un problème urgent. Les motifs des différentes femmes à la tête de leur foyer dépendent de la race, la classe ou la sexualité que les femmes assument régulièrement. La vie quotidienne, en partie en tant que fonction infligée par leur statut obligatoire de mère, n’est guère nouvelle. Le type d’intégration à l’économie capitaliste de bout en bout, basée de plus en plus sur la guerre, est nouveau. En particulier la contrainte exercée sur les femmes noires, qui ont réussi à fuir les travaux d’employés de maison et qui aujourd’hui ont un travail d’employé similaire, a de nombreuses répercussions sur la pauvreté noire imposée et maintenue avec l’emploi. Les jeunes femmes des régions industrialisées du Tiers Monde se retrouvent de plus en plus être la seule (du moins la majeure) source de revenus familiaux. Ces évolutions doivent avoir d’importantes conséquences sur la psychodynamique et la politique des genres et des races.
Dans le cadre des trois étapes principales du capitalisme (commercial/pré-industriel, monopoliste, multinational) – attachées aux nationalisme, impérialisme et au multinationalisme et en relation avec les trois périodes esthétiques dominantes : réalisme, modernisme, et post-modernisme – j’aimerais signaler que certaines structures familiales touchent dialectiquement aux structures du capital et à ses corrélations politiques et culturelles. Bien qu’elles soient vécues problématiquement et inégalement, les structures idéales de ces familles pourraient se schématiser ainsi : 1) la famille nucléaire patriarcale, structurée par la dichotomie qui pare le public du privé et accompagnée par l’idéologie blanche bourgeoise des sphères séparées et le féminisme bourgeois anglo-américain du XIXe siècle ; 2) la famille moderne mise en oeuvre par la sécurité sociale et des institutions comme les allocations familiales, en plus d’une floraison d’idéologies féministes hétérosexuelles, leurs versions gauchisées représentées par le Greenwich Village dans les années 1914. 3) la “famille” de l'”Homework Economy” et sa structure contradictoire avec des femmes à la tête du foyer et son explosion de féminismes, l’intensification paradoxale et l’érosion du genre lui-même. Ceci est le contexte dans lequel les prévisions du chômage structurel dans le monde qui découle des nouvelles technologies s’intègrent au schéma de l'”Homework Economy”. Comme la robotique et les technologies qu’on lui associe sont les facteurs de pertes d’emplois chez les hommes des pays “développés” et qu’elles ne font qu’amplifier l’insuccès à créer des emplois masculins dans le “développement” du Tiers Monde, et comme l’automatisation est la règle, même dans les pays où la main-d’œuvre est en surplus, la féminisation du travail s’intensifie. Les femmes noires aux États-Unis ont su longtemps à quoi cela ressemble d’être confronté au sous-emploi structurel (“féminisation”) des hommes noirs, ainsi qu’à leur position très vulnérable dans l’économie des salaires. Le fait que la sexualité, la reproduction, la famille, et la vie communautaire soient mêlées à la structure économique, à plusieurs niveaux qui ont aussi fait la différence entre la situation des femmes blanches et celle des femmes noires, n’est plus un secret.
Les nouvelles technologies ont aussi un effet profond sur la faim et sur la production de nourriture utile à la subsistance du monde. Rae Lessor Blumberg (1983) estime que les femmes produisent environ 50% de la nourriture de base mondiale[[Le lien entre les relations sociales de la Révolution Verte et les biotechnologies, comme les techniques génétiques appliquées aux plantes, rendent les pressions sur la terre dans le Tiers Monde de plus en plus intenses. Selon les estimations de l’agence agricultural AID (New York Times, 14 octobre 1984), en Afrique les femmes produisent près de 90% des produits agricoles, entre 60 et 80% en Asie, et près de 40% dans le Moyen-Orient et en Amérique Latine. Blumberg soutient que la politique agricole des organismes mondiaux, aussi bien que celle des multinationales et des gouvernements nationaux du Tiers Monde, ignore, en général, le problème de la division sexuelle du travail. La suprématie masculine peut être une cause aussi importante que le capitalisme, le colonialisme, et la sécheresse, de la tragédie actuelle des femmes en Afrique. Ou mieux, le capitalisme et le racisme sont d’habitude dominés par les hommes dans leurs structures. Voir Blumberg (1981).. Les technologies de la Révolution Verte dialoguent avec la production industrielle à haute technologie pour modifier les divisions du travail selon le sexe. La reformulation des projets, de la culture, du travail et la reproduction de la force de travail scientifique et technique représentent un autre aspect critique des relations sociales des nouvelles technologies. Le danger social et politique majeur réside dans la formation d’une structure sociale très forte réunissant des masses de femmes et d’hommes de tous groupes ethniques confondus, mais surtout des gens de couleur, réduits à une “Homework Economy”, à l’analphabétisme à des degrés divers, au licenciement et à l’impuissance contrôlés par les dispositifs technologiques répressifs allant du divertissement à la surveillance et la disparition. Une politique féministe-socialiste adéquate devrait s’adresser aux femmes appartenant surtout aux catégories professionnelles privilégiées, aux domaines scientifiques et technologiques qui construisent les discours scientifico-techniques, les méthodes et les objets[[Pour penser les implications politiques, culturelles et raciales de l’histoire des femmes de science, voir Haas et Perucci (1984), et Rossiter (1982)..
Le sujet n’est qu’un seul aspect dans les recherches sur la possibilité d’une science féministe, mais il est important. Quelle sorte de rôle constitutif dans la production du savoir, de l’imagination et de la pratique, les nouveaux groupes qui font de la science ont-ils ? Quel type de responsabilité politique peut-on construire pour souder les femmes ensemble à travers les hiérarchies scientifico-techniques qui nous séparent ? Pourrait-il y avoir des moyens de développer une politique féministe scientifico-technologique en alliance avec une science antimilitariste ouverte à des groupes d’action et de transformation ?
Un grand nombre de scientifiques et de techniciens de la Silicon Valley, les “cow-boys” de la haute technologie inclus, ne veulent pas travailler sur la science militaire. Est-ce que ces préférences personnelles et ces tendances culturelles peuvent être soudées en une politique progressiste au sein de cette classe professionnelle moyenne dans laquelle les femmes, et les femmes de couleur, finissent par être très nombreuses ?
Les femmes dans le circuit intégré
Laissez-moi résumer la situation des femmes historiques dans les sociétés industrielles avancées, comment ces positions ont été restructurées en partie par l’intermédiaire des relations sociales de la science et de la technologie. Si un jour il a été possible de caractériser idéologiquement la vie des femmes par la distinction des domaines privé et public – qu’on nous suggère par les images de la division de la vie de la classe ouvrière entre l’entreprise et la maison, de la vie bourgeoise entre le marché et la maison et l’existence du genre entre les domaines politiques et personnels -, c’est aujourd’hui une idéologie totalement trompeuse, même de montrer comment les deux termes de cette dichotomie se construisent dans la pratique et la théorie. Je préfère l’image d’un réseau idéologique, qui suggère la profusion des espaces et des identités et la perméabilité des frontières dans les corps individuels et dans les corps politiques. “La gestion de réseau” est à la fois une pratique féministe et une stratégie collective multinationale – le tissage sert aux cyborgs en opposition. C’est une question de dispersion. La tâche consiste à survivre dans la diaspora.
Pour caractériser l’informatique de domination, il faut le décrire comme une intensification massive de l’insécurité et de l’appauvrissement culturel, avec un échec commun des réseaux de subsistance pour les plus vulnérables. Puisqu’une bonne partie de ce tableau se mêle avec les relations sociales de la science et de la technologie, l’urgence d’une politique socialo-féministe s’attaquant à la science et à la technologie est évidente. Une grande partie se réalise aujourd’hui et les terrains utiles à un travail politique sont importants. Par exemple, les efforts pour développer des formes de lutte collective chez les femmes qui ont un travail rémunéré, comme le district 925 de la SEIU, devraient être une grande priorité pour chacune d’entre nous. Ces efforts sont profondément attachés à une restructuration technique des méthodes de travail et à des réformes du prolétariat. Ils fournissent aussi un accord sur un type d’organisation du travail plus complet, incluant les problèmes de la communauté, de la sexualité, de la famille qui n’ont jamais de privilèges dans les grands syndicats industriels des hommes blancs.
Les nouveaux arrangements structurels liés aux relations sociales de la science et de la technologie évoquent une forte ambivalence. Mais il n’est pas nécessaire finalement d’être découragé par l’implication de la relation des femmes de la fin de ce siècle, dans les notions de travail, culture, production de connaissances, sexualité et reproduction. Pour d’excellentes raisons, la plupart des marxistes voient mieux la domination et ont du mal à comprendre ce qui ne peut ressembler qu’à la fausse conscience ainsi qu’à la complicité des gens dans leur propre domination du capitalisme d’aujourd’hui. Il est crucial de bien se rappeler que ce qui est perdu, peut-être surtout du point de vue des femmes, ressemble à des formes virulentes d’oppression, de la naturalisation nostalgique dans le visage de la violation courante. L’ambivalence qui touche les unités dérangées (dont la culture de haute technologie se fait le médiateur) ne demande pas à classer la conscience par catégories comme “la critique lucide fondant une épistémologie politique solide” contre “la fausse conscience manipulée”, mais une compréhension subtile des plaisirs grandissants, des expériences et des pouvoirs dotés d’un sérieux potentiel pour changer les règles du jeu.
Il y a des raisons de mettre son espoir dans les bases naissantes de nouvelles sortes d’unités à travers la race, le genre, et la classe tandis que ces unités élémentaires de l’analyse socialiste-féministe elles-mêmes supportent des transformations inconstantes. Les accélérations de la pauvreté subie dans le monde en liaison avec les relations sociales de la science et la technologie sont sévères. Mais ce que les gens subissent n’est pas d’une clarté parfaite, et nous manquons de liaisons suffisamment subtiles pour construire collectivement des théories de l’expérience efficaces. Les efforts actuels – marxistes, psycho-analytiques, féministes, anthropologiques – pour clarifier même “notre” expérience sont rudimentaires.
Je suis consciente que ma position historique apporte une perspective bizarre – on a pu réaliser en biologie un PhD sur une jeune fille catholique irlandaise grâce à l’impact du spartnik sur la politique scientifique et de l’éducation nationale. J’ai un corps et un esprit construits aussi bien par la race et la guerre froide d’après la Seconde Guerre mondiale, que par les mouvements des femmes. Il y a plus de raisons d’espérer se concentrer sur les effets contradictoires de la politique conçue pour fabriquer de loyaux technocrates américains, ce qui fabrique aussi un grand nombre de dissidents, que de se concentrer sur les défaites actuelles.
La partialité permanente des points de vue féministes a des conséquences sur ce que nous attendons des formes d’organisation politique et de participation. Nous n’avons pas besoin d’une totalité pour bien travailler. Le rêve féministe d’un langage commun (comme tous les rêves en faveur d’un langage d’une vérité parfaite), de donner un nom d’une fidélité parfaite à l’expérience, est un rêve totalisant et impérialiste. Dans ce sens, la dialectique est aussi un rêve du langage, de résoudre la contradiction. Ironiquement peut-être il nous est possible d’apprendre à partir de nos fusions avec les animaux et les machines comment ne pas être homme, l’incarnation des logos occidentaux. Du point de vue du plaisir de ces fusions puissantes et taboues, que les relations sociales de la science et de la technologie rendent inévitables, il pourrait en effet y avoir une science féministe.
Cyborgs : un mythe de l’identité politique
J’aimerais conclure sur un mythe de l’identité et des frontières qui pourrait informer les imaginations politiques de cette fin du XXe siècle. Dans cette histoire, je suis redevable à des écrivains comme Joanna Russ, Samuel R. Delany, John Varley, James Tiptree Jr, Octavia Butler, Monique Wittig et Vonda Mc Intyre[[Voir King (1984). Pour la science-fiction féministe voir Octavia Butler, Wild Seed, Mind of My Mind, Kindred, Survivor ; Suzy McKee Charnas, Motherliness ; Anne McCaffery, The Ship Who Sang, Dinosaur Plante ; Vonda Mclntyre, Superluminal, Dreamsnake ; John Varley, Titan, Wizard, Demon.. Ce sont les conteurs qui explorent ce que signifie être concrétisé dans les mondes de la haute technologie. Ce sont les théoriciens pour cyborgs. Les féministes françaises comme Luce Irigaray ou Monique Wittig, avec tout ce qui les sépare, savent comment écrire le corps, comment tisser l’érotisme, la cosmologie et la politique à partir de l’image de la concrétisation, et surtout pour Wittig, à partir de l’image de la fragmentation et de la reconstitution des corps[[Les féministes françaises contribuent à la “heteroglossia” cyborg. Voir en particulier les écrits de Luce Irigaray et de Monique Wittig.. Les féministes américaines de gauche comme Susan Griffin, Andrée Lorde, Adrienne Rich ont profondément modifié nos imaginations politiques – et peut-être un peu trop restreint ce que nous tolérons comme corps ami et langage politique[[Toutes ces poétesses sont très complexes, particulièrement dans leurs façons de traiter les mensonges et les identités décentrées personnelles et collectives. Voir Lorde (1984), et Rich (1978).. Elles insistent sur le côté organique, en l’opposant au technologique. Mais leurs systèmes symboliques et les positions de l’éco-féminisme et du paganisme féministe remplies d’organicismes peuvent être seulement compris dans les termes de Sandoval comme des idéologies justes dans cette fin de siècle. Elles dérouteraient complètement quiconque ne serait pas préoccupé par les machines et la conscience du capitalisme d’aujourd’hui. Dans ce sens-là, elles font partie du monde cyborg. Mais on a aussi les énormes richesses pour les féministes, qui embrassent explicitement les possibilités inhérentes à l’effondrement des distinctions claires entre l’organisme et la machine et les distinctions similaires qui structurent le moi occidental. C’est la simultanéité des effondrements qui casse les matrices de la domination et qui ouvre les possibilités géométriques. Qu’est-ce qu’on pourrait apprendre de la pollution “technologique” personnelle et politique ? Je jette un rapide coup d’œil sur deux textes qui s’imbriquent l’un dans l’autre pour leur idée de la construction d’un mythe cyborg d’une aide potentielles : constructions de femmes de couleur et du moi monstrueux dans la science-fiction féministe.
J’ai suggéré auparavant qu’on pourrait comprendre les “femmes de couleur” comme une identité cyborg, une subjectivité puissante synthétisée à partir des fusions des identités étrangères et dans les couches complexes de sa “biomythographie” Zami (Lorde, 1982 ; King 1987a, 1987b). Il y a les grilles matérielles et culturelles qui font la carte de ce potentiel: Andrée Lorde (1984) a su prendre le ton dans le titre de sa “Sister Outsider”. La Sœur Outsider est la femme des mers que les ouvrières américaines, femelles et féminisées, sont supposées regarder comme l’ennemi qui les empêche de se solidariser, qui menace leur sécurité. A terre, à l’intérieur de la frontière américaine, la sueur Outsider est potentiel au milieu des races et des identités ethniques des femmes manœuvrant en faveur de la division, de la compétition, et de l’exploitation dans les mêmes industries. “Les femmes de couleur” représentent la main-d’œuvre préférée des industries basées sur la science, les femmes réelles pour qui le marché sexuel mondial, le marché du travail et la politique de reproduction se “kaléidoscopent” dans la vie quotidienne. Les jeunes femmes coréennes employées dans l’industrie du sexe et dans l’assemblage électronique sont recrutées dans les hautes écoles ; elles ont une instruction pour le circuit intégré. Le degré ‘alphabétisation distingue la main-d’œuvre féminine “bon marché” qui attire tant les multinationales.
Contrairement aux stéréotypes de l”‘oral primitif”, l’alphabétisation est une marque des femmes de couleur, que les femmes noires américaines et les hommes ont acquise à travers l’histoire du temps où l’on risquait sa vie pour apprendre et enseigner à lire et à écrire. Pour tous les groupes colonisés, l’écriture a une signification spéciale. Elle a été décisive pour les mythes occidentaux dans la distinction des cultures orales et écrites, pour les mentalités primitives et civilisées et, plus récemment, pour l’érosion de cette distinction dans les théories post-modernistes attaquant le phallocentrisme de l’Ouest et son culte du travail monothéiste, phallique, et autoritaire, le nom unique et parfait[[Voir Jacques Derrida, De la grammalogie (en particulier partie 2), et Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques.. Les contestations concernant les sens de l’écriture représentent la forme majeure de la lutte politique contemporaine. Libérer le jeu de l’écriture est terriblement sérieux. La poésie et les histoires des femmes de couleur américaines touchent sans cesse à l’écriture, à l’accès au pouvoir de signifier mais cette fois ce pouvoir ne doit être ni phallique, ni innocent. L’écriture cyborg ne doit pas être confondue avec la chute, l’imagination d’un il-était-une-fois-un tout existait avant le langage, avant l’écriture, avant l’Homme. L’Écriture cyborg concerne le pouvoir de survivre, non sur la base de l’innocence originelle mais sur la base permettant de saisir les outils pour marquer le monde qui les a marqués comme autres.
Les instruments sont souvent des histoires, des histoires racontées à nouveau, des versions qui inversent et déplacent les dualismes hiérarchiques des identités naturalisées. En racontant à nouveau les histoires d’origine, les auteurs cyborgs bouleversent les mythes du centre de l’origine de la culture occidentale. Nous avons tous été colonisés par ces mythes d’origine et leur désir que l’apocalypse se réalise. Les histoires d’origine phallocentrique les plus décisives pour les féministes cyborgs sont construites dans les technologies réelles – les technologies qui écrivent le monde, la biotechnologie et la micro-électronique – qui ont récemment textualisé nos corps comme s’ils étaient des problèmes de code sur la grille C3I. Les histoires féministes cyborgs ont pour tâche de recoder la communication et l’intelligence pour renverser la commande et le contrôle.
Aux sens propre et figuré, la politique du langage s’infiltre dans les luttes des femmes de couleur; les histoires sur le langage ont un pouvoir spécial dans les riches écrits contemporains des femmes de couleur américaines. Par exemple, l’histoire qu’on nous a racontée à nouveau de la femme indigène Malinche, mère de la race “bâtarde” métisse du nouveau monde, maître des langages et maîtresse de Cortès, porte un sens particulier dans la construction de l’identité mexicaine (des Chicanos). Dans l’Amour pendant la guerre (1983), Cherrée Moraga explore les thèmes de l’identité pour quelqu’un qui n’a jamais possédé la langue originelle, à qui personne n’a raconté l’histoire originelle, quelqu’un qui n’a jamais vécu dans l’harmonie d’une hétérosexualité légitime dans le jardin de la culture et donc, qui ne peut fonder l’identité sur un mythe ou sur la chute de l’innocence aux noms naturels, du père ou de la mère[[Pour les analyses de l’écriture des femmes de couleur, voir Evans (1984), Christian (1985).. L’écriture de Moraga, sous une forme poétique, nous apparaît comme le même type de violation que pour Malinche qui maîtrise une langue de la conquête – une violation, une production illégitime qui permet de survivre. Le langage de Moraga ne forme pas un “tout” ; il est consciemment épicé, c’est une chimère d’anglais et d’espagnol, les deux langues de la conquête. Mais c’est ce monstre chimérique qui, sans revendiquer un langage originel avant la violation, conçoit les identités érotiques, compétentes et puissantes des femmes de couleur. La sueur Outsider fait allusion à la possibilité de la survie du monde non pas à cause de son innocence mais à cause de son habileté à vivre sur les frontières, d’écrire sans fonder le mythe de l’unité originelle et de l’apocalypse à laquelle on n’échappe pas, c’est-à-dire le retour final à l’unité de la mort que l’Homme a imaginée être, la Mère, puissante et innocente, libérée à la fin de l’autre spirale de l’appropriation par son fils. L’écriture marque le corps de Moraga, l’affirme comme le corps d’une femme de couleur, et l’affirme contre un éventuel passage dans la catégorie sans marque du père anglo-américain ou dans le mythe orientaliste de “l’analphabétisme originel” d’une mère qu’il n’a jamais. Malinche était alors mère, et non Ève avant de manger le fruit défendu. L’écriture soutient la sœur Outsider et non la Femme avant la chute dans l’écriture, nécessaire à la famille phallocentrique de l’Homme.
L’Écriture est avant tout la technologie des cyborgs, les surfaces gravées de cette fin de siècle. La politique cyborg est la lutte pour le langage et la lutte contre la communication parfaite, contre le code unique qui traduit parfaitement chaque sens, le dogme du phallocentrisme. C’est pourquoi la politique cyborg insiste sur le bruit et préconise la pollution, jouissance des fusions illégitimes de l’homme et de la machine. Celles-ci sont les associations qui rendent l’Homme et la Femme si problématiques, bouleversant la structure du désir, la force imaginée pour engendrer le langage et le genre et donc bouleversant la structure et les modes de reproduction de l’identité “occidentale”, de la nature et culture , du miroir et de l’œil, de l’esclave et du maître, du corps et de l’esprit. “Nous” n’avons pas choisi à l’origine d’être cyborgs mais ce choix fonde les principes d’une politique libérale et d’une épistémologie qui imaginent la reproduction des individus avant de plus importantes reproductions des “textes”.
A partir de la perspective des cyborgs, libérés du besoin de fonder une politique dans “notre” position privilégiée de l’oppression contenant toutes les autres dominations, on constate de puissantes possibilités. Les féminismes et les marxismes se sont échoués sur les impératifs épistémologiques occidentaux pour construire un sujet révolutionnaire à partir du contexte d’une hiérarchie d’oppressions et/ou une position latente de supériorité morale, d’innocence et un plus grand contact avec la nature. Sans aucun rêve originel disponible d’un langage commun ou de symbiose originelle promettant de protéger d’une séparation “masculine” hostile, mais inscrit dans le jeu d’un texte qui finalementa privilégié la lecture ou l’histoire du salut, “se” reconnaître comme totalement impliquée dans le monde nous libère du besoin de fonder une politique sur l’identification, les parties d’avant-garde, la pureté et le maternage. Dépouillée de toute identité, la race bâtarde nous enseigne le pouvoir des marges et l’importance d’une mère comme Malinche. Les femmes de couleur l’ont faite passer de la mère de la peur de la masculinité à la mère instruite qui apprend à survivre.
Ce n’est pas seulement la déconstruction originelle mais aussi la transformation liminale. Chaque histoire commençant par l’innocence originelle et les privilèges du retour à un tout imagine que le drame de la vie est l’individuation, la séparation, la naissance du moi, la tragédie de l’autonomie, la chute dans l’écriture, l’aliénation, c’est-à-dire une guerre, tempérée pour un sursis imaginaire dans les entrailles d’autrui. Ces histoires sont réglées par une politique reproductive – la renaissance sans défaut, la perfection, l’abstraction. Dans cette affaire on imagine les femmes soit meilleures, soit pires, mais tout le monde s’accorde sur le fait qu’elles ont moins d’individualité, une plus faible individuation, plus de fusion vers l’oral, la mère, ayant moins d’enjeux dans l’autonomie masculine, une voie qui ne passe pas par la femme, la primitive, le stade zéro, l’étape du miroir et son imaginaire mais par les femmes et, autre temps du présent, les cyborgs illégitimes, non pas engendrés par les femmes, qui refusent les ressources idéologiques des représailles pour avoir une vie réelle. Ces cyborgs sont les gens qui refusent de disparaître au signal, peu importe combien de fois un commentateur remarque le triste passage d’un autre primitif, d’un autre groupe organique, supprimé par la technologie occidentale, par l’écriture. Ces cyborgs de la vie réelle (par exemple, le village d’Asie du Sud-Est, les ouvrières des firmes électroniques décrites par Aihwa Ong) réécrivent activement les textes de leurs corps et de leurs sociétés. Dans ce jeu, survivre représente l’enjeu. Laissez-moi conclure par une lecture très partiale de la logique des monstres cyborgs de mon second groupe de textes, la science-fiction féministe.
Les cyborgs qui peuplent la science fiction féministe rendent les statuts de l’homme ou de la femme, de l’humain, de l’objet fabriqué, du membre d’une race, de l’entité individuelle, ou du corps très problématiques. Katie King met au clair pourquoi le plaisir de lire ces fictions ne se base pas autant sur l’identification. Les étudiants qui se retrouvent face à Joanna Russ pour la première fois, des étudiants qui ont appris à lire des écrivains comme James Joyce ou Virginia Wolf sans broncher, ne savent pas quoi faire d’œuvres comme l’Homme femelle ou Les Aventures d’Alyx dans lesquelles les personnages refusent que le lecteur soit en quête d’un “tout” innocent tout en reconnaissant qu’on puisse vouloir être en quête de l’héroïsme, de l’érotisme exubérant et d’une politique sérieuse. L Homme femelle est l’histoire de quatre versions d’un seul génotype ; toutes se rencontrent, mais, même prises ensemble, elles ne forment pas un tout, ne résolvant pas les dilemmes de l’action morale et violente ou ne supprimant le scandale en plein essor du genre. La science-fiction féministe de Samuel R. Delany, surtout les Contes de Nevérÿon, ridiculise les histoires de l’origine en refaisant la révolution néolithique, en rejouant les mouvements basés sur la civilisation occidentale pour renverser leur plausibilité. James Tiptree Jr, un auteur dont les oeuvres ont été considérées comme particulièrement “mâles” jusqu’à ce que son “vrai” sexe ait été révélé, raconte les histoires de la reproduction basée sur des technologies non-mammifères comme l’alternation (voir fin p. 161). John Verley construit le cyborg suprême dans la découverte féministe de l’existence de Gaea, une folle déesse-planète-vieille femme-moyen technologique, surface sur laquelle une assemblée extraordinaire de symbioses post-cyborgs se multiplie. Dans une de ses oeuvres, Octavia Butter décrit une sorcière africaine qui mesure ses pouvoirs de transformation aux manipulations génétiques de sa rivale (La Graine Sauvage), décrit l’époque pervertie qui transporte la femme noire américaine moderne dans l’esclavage, là où ses actions qui ont un lien avec l’ancêtre-maître blanc déterminent la possibilité de sa propre naissance (kindred), et enfin, sont décrites les idées illégitimes de l’identité et de la communauté d’un enfant, adopté, produit d’espèces croisées qui en vient à se connaître comme son propre ennemi – (Survivor).
Le Superluminal de Vonda Mclntyre, parce qu’il est particulièrement riche de références aux violations des frontières, peut fermer ce catalogue truffé de monstres prometteurs et dangereux qui aident à redéfinir les plaisirs, la politique d’incarnation et l’écriture féministe. Dans un roman où nul personnage n’est “absolument” humain, le statut de l’homme est très problématique. Orca, une plongeuse changée génétiquement, peut communiquer avec les chausseurs de baleines et survit au fond des océans, mais elle a envie d’explorer l’espace comme un pilote, ce qui nécessite des implants bioniques mettant en cause sa parenté avec les cétacés. Les transformations sont effectuées par des vecteurs de virus qui transportent un nouveau code de développement, par la greffe chirurgicale, par des implants d’appareils micro-électroniques, par des doubles analogues… Laenea devient pilote en acceptant une greffe du cœur et toute une série d’opérations lui permettant de survivre en transit à une vitesse dépassant celle de la lumière. Tous ces personnages explorent les limites du langage, le rêve de l’expérience de communication et le besoin de limitation, de partialité et d’intimité, même dans ce monde de transformation constante et de connection.
Dans l’imagination occidentale, les monstres ont toujours défini les limites de la communauté. Les Centaures et les Amazones de la Grèce antique ont établi les limites de polis au centre du mâle grec humain en interrompant le mariage et les pollutions de la frontière du guerrier avec l’animalité et la femme. Les frères siamois et les hermaphrodites en France fondèrent le discours sur le naturel et le surnaturel, le médical et le légal, les prodiges et les maladies – tous importants pour établir une identité moderne[[Voir Dubois (1982). Le nom “monstre” est lié par son étymologie au verbe “démontrer”.. Les sciences de l’évolution et du comportement des singes et des gorilles ont marqué les multiples frontières des identités industrielles de cette fin de siècle. Les monstres cyborgs dans la science-fiction féministe définissent des possibilités politiques et des limites bien différentes de celles proposées par la fiction banale de l’Homme et de la Femme.
Prendre au sérieux l’image des cyborgs et les considérer autrement que comme nos ennemis a d’autres conséquences. Nos corps, nous-mêmes ; les corps sont les cartes du pouvoir et de l’identité. Ces cyborgs ne sont pas des exceptions. Un corps cyborg n’est pas innocent ; il n’est pas né dans le jardin ; il ne cherche pas l’identité unitaire et donc ne génère pas des dualismes antagonistes illimités (ou jusqu’à la fin du monde) ; pour lui, l’ironie va de soi. Un est trop peu, et deux n’est qu’une possibilité. Le plaisir intense dans la technique, la machine, cesse d’être un péché, mais il devient un aspect de l’incarnation. La machine n’est pas ce qu’on doit animer, vénérer et dominer. La machine est “nous”, nos processus, un aspect de notre incarnation. On peut être responsables de machines ; elles ne nous dominent pas, elles ne nous menacent pas. Nous sommes responsables des frontières, nous sommes elles. Jusqu’à maintenant l’incarnation des femelles a paru donnée, organique, nécessaire, et elle a semblé signifier l’habileté à materner et toutes les métaphores qui en découlent. Les cyborgs pourraient considérer l’aspect du sexe et de l’incarnation sexuelle fluide, partiale, plus sérieusement. Après tout, il se pourrait que le genre ne représente pas l’identité globale, même s’il est ancré profondément dans l’histoire.
On peut approcher la question idéologique de ce qui compte en tant qu’activité quotidienne et expérience en exploitant l’image du cyborg. Les féministes ont récemment déclaré que les femmes sont soumises à la quotidienneté, que les femmes plus que les hommes assument la vie quotidienne et donc ont une position épistémologique privilégiée, potentiellement pourtant. Mais il y a un aspect irrésistible à cette revendication, un aspect qui met en lumière l’activité féminine sous-évaluée et qui porte le nom de fondement de la vie. Le fondement ? Que peut-on dire de l’ignorance des femmes, de toutes les exclusions, de tous les échecs de la connaissance et de l’apprentissage? Que peut-on dire des hommes qui ont accès à la capacité quotidienne d’apprendre comment construire les choses, les différencier, jouer ? Et les autres incarnations ? Le genre cyborg est une possibilité locale qui prend une vengeance globale. La race, le genre et le capital réclament une théorie cyborg des touts et des parties. On ne peut pas conduire les cyborgs à produire une théorie totale mais on a l’expérience intime des frontières, leur construction et déconstruction. On a un système de mythe qui attend de devenir un langage politique pour fonder une seule manière de regarder la science et la technologie et de se confronter à l’informatique de domination – de façon à agir avec force.
Une dernière image : les organismes et l’organisme et la politique holistique dépendant des métaphores de la Renaissance et appellent invariablement aux ressources du sexe reproductif. Je suggérerais que les cyborgs ont plus affaire avec la régénération et se méfient de la matrice reproductive et de la plupart des naissances. Pour les salamandres, la régénération après une blessure, par exemple la perte d’un membre, implique une croissance nouvelle de la structure et la fonction se remet en marche, avec la possibilité constante de jumeler d’autres produits topographiques bizarres à l’endroit de l’ancienne blessure. Mais la croissance d’un membre peut être monstrueuse, double, puissante. Nous avons toutes été blessées, profondément. Nous demandons la régénération, pas la renaissance et, dans notre reconstruction possible, il y a le rêve utopique rempli d’espoir d’un monde monstrueux qui exclut le genre.
Dans cet essai, l’image du cyborg a permis d’exprimer deux arguments très importants : d’abord, la production d’une théorie universelle, totalisante est une erreur majeure qui passe en grande partie à côté de la réalité, probablement toujours certainement aujourd’hui. Deuxièmement, prendre ses responsabilités pour les relations sociales de la Science et de la technologie veut dire refuser une métaphysique anti-science, une démonologie de la technologie et donc embrasser la tâche habile qui consiste à reconstruire les frontières de la vie quotidienne, en connexion partiale avec les autres, en communiquant avec toutes nos parties. Ce n’est pas Seulement que la Science et la technologie Sont les moyens possibles de Satisfaire les humains, ce n’est pas non plus la matrice de dominations complexes. L’image cyborg peut Suggérer une sortie en dehors du labyrinthe de dualismes dans lequel nous avons expliqué nos corps et nos instruments à nous-mêmes. Ceci est le rêve non pas d’un langage commun mais d’une “heteroglossia” puissante et infidèle. C’est l’imagination d’une féministe qui a le don de S’exprimer dans des langues inconnues pour jeter la peur dans les circuits des “super-sauveurs” de la nouvelle droite. Ce qui Signifie à la fois la destruction et la construction de machines, d’identités, de catégories, de relations, d’histoires spatiales. Bien que les deux soient attachés dans la donnée spiroïdale, j’aimerais mieux être un cyborg qu’une déesse.
(Traduit par Anne Djoshkoukian)
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