LE MONDE | 15.01.05Figure de la gauche révolutionnaire italienne des années 1970, accusé d’être
l’instigateur de la “révolte” des années de plomb, réfugié en France de 1983 à 1997
pour échapper à la prison, avant de franchir à nouveau les Alpes pour y purger sa
peine, le philosophe Toni Negri a retrouvé depuis peu le chemin des amphithéâtres
parisiens, ce qui ne va pas sans provoquer quelques soubresauts.
Depuis octobre, il intervient une fois par mois au Collège international de
philosophie dans le cadre d’un séminaire consacré au concept politique d'”Empire
postmoderne”. Par ailleurs, il copilote, avec le laboratoire d’économie du CNRS
Matisse, un autre séminaire intitulé “Transformations du travail et crise de
l’économie politique” à l’université de Paris-I.
Parallèlement, l’ex-dirigeant d’Autonomie ouvrière, devenu la référence
intellectuelle d’une partie du mouvement altermondialiste italien, devait intervenir
samedi 15 janvier dans le cadre d’un débat sur la démocratie organisé par le conseil
scientifique d’Attac.
“Paris est la ville dans laquelle j’ai le plus vécue avec Padoue. J’y ai beaucoup
d’amis. J’y ai passé plus de temps qu’à Milan, Rome, Venise”, explique
l’intellectuel.
Pourtant, le personnage et sa pensée théorique continuent de susciter d’âpres
controverses, voire de mini-incidents. A deux reprises, ses séances au Collège
international de philosophie ont été interrompues par de petits groupes autonomes.
Sans lien avec les précédents, le site Internet altermondialiste Bellaciao a mis en
ligne une petite brochure qualifiant le négrisme de “contre-révolution de gauche”.
Bref, la polémique fait rage. Ce qui ne déplaît pas tant que cela à l’ex-professeur
de Padoue.
Toni Negri estime en effet que les nouveaux mouvements révolutionnaires doivent
accompagner les métamorphoses du monde et formule une critique du néolibéralisme qui,
d’une certaine manière, plaide pour son épanouissement. “Il faut combattre sur le
terrain qui nous est imposé. Ce n’est pas de ma faute si la gauche a perdu ses
batailles. C’est le monde qui est comme cela”, répond-il quand on l’interroge sur ce
paradoxe.
Il ajoute à titre d’exemple : “Le marché du travail s’est modifié avec la flexibilité
et la mobilité” avant d’affirmer que “les gens désirent cela”. Il y voit une
évolution qui, poussée à son terme, sera le moyen de mettre un terme au lien de
subordination du salariat. Et moque au passage “un certain conservatisme” de
l’extrême gauche française, avec laquelle le débat est désormais féroce. Car une
nouvelle fracture vient de s’ajouter aux précédentes : l’intellectuel italien s’est
prononcé pour le traité constitutionnel européen au nom d’un nouveau fédéralisme et du dépassement de l’Etat-nation.