Stédile – Un gouvt populaire, comme celui de Lula, a besoin que le peuple
s’organise, sinon il restera prisonnier des banquiers, des constructeurs, du
capital étranger, des maîtres des moyens de communication. Et plus encore :
des parlementaires conservateurs qui représentent l’élite brésilienne. Le
chemin sans retour que nous voulons construire, pour accepter sa
provocation, est celui du changement de modèle économique. Maintenir
l’actuelle politique économique et le modèle économique neoliberal que nous
avons hérité des “tucanos” (parti de FHC) est bien le chemin vers l’abîme.
Pourquoi accepter la tragédie, celle de l’Argentine, ici ?
Les mouvements sociaux au Brésil sont unis, comme jamais auparavant dans
l’histoire du Brésil, et vont lancer entre le 8 et le 13 septembre les
“journées pour une alliance populaire”.Un ensemble de mouvements sociaux qui
rassemblent la CUT, la UNE (union nationale des étudiants), le MST, des
mouvements populaires des périphéries urbaines, des églises, des communautés
pastorales sociales.
Stedile, un des organisateurs de ce mouvement, et d’autres (qui ont
“agité” les parlementaires, les ministres, les gouverneurs et d’autres
segments de la société la semaine passée), ont annoncé que les pauvres
brésiliens sont mobilisés. ” Nous ne cherchons plus à avoir les rations
minimum de survie (cestas basicas) ni quelqu’autre palliatif à la faim
endémique, nous cherchons du travail et de la dignité”.
Dans son ITW au Jornal do Brasil, l’économiste, figure centrale du
MST, en a profité pour faire passer un message au Ministre de l’Agriculture
Roberto Rodrigues : “je ne suis pas un ennemi des grands propriétaires qui
se modernisent et rendent leurs terres productives. Ceux-ci occupent des
propriétés de maximum 1000 hectares. Ceux qui sont dans le colimateur du
MST, ce sont les latifundiaires qui, à eux seuls, occupent 178 millions
d’hectares. Je n’admets pas qu’une seule société soit propriétaire de 2
millions d’hectares”.
Stedile accuse certains secteurs de la presse Gaucha (Rio grande do
Sul) de manipuler l’information de manière à créer un état d’instabilité
politique dans le pays. Stedile pense aussi qu’il est trop tôt pour évaluer
le gouvernement Lula, espérant que commence la réforme agraire dans tout le
pays à partir du semestre prochain. Bien que, d’après lui, ni le président,
ni le PT, ni quelqu’autre force politique dans le pays, ne seront capables
d’empêcher la détermination des mouvements sociaux de conquerir ce qu’ils
considèrent comme étant leurs droits, que ce soit en milieu urbain ou en
milieu rural.
ITW :
Jornal do Brasil – Qu’avez-vous dit exactement lors de votre réunion
avec les gens du MST et que vous considérez comme avoir été interprété par
les médias Gauchos ?
João Pedro Stédile – J’ai fait un long exposé de 40 minutes dans
lequel j’expliquais l’origine du Latifundio au Brésil. J’ai expliqué les
opportunités historiques de faire la réforme agraire dans le passé, que le
Brésil a laissé passer. Comme p.ex lors de l’abolition de l’esclavage et de
la libération des esclaves en 1888, ou en 1934 et en 1964. Toutes les
sociétés modernes et industrialisées ont atteint ce stade parce qu’elles ont
démocratisé la propriéte de la terre. Et j’ai poursuivi en disant que,
malheureusement, cet héritage pervers de 500 ans avait produit une société
inégalitaire et contradictoire. Maintenant nous avons d’un côté, un pourcent
de grands propriétaires de 26 mille latifundios qui possèdent 178 millions
d’hectares et de l’autre côté nous avons 23 millions de pauvres qui vivent
en milieu rural. L’inégalité sociale qui a été produite est tellement grande
et injuste qu’actuellement nous vivons une conjoncture nouvelle et favorable
et qu’est apparue une corrélation de forces qui expose cette immense
différence sociale.
J’ai déclaré qu’il était pourtant facile de faire la réforme agraire
puisqu’on pourrait installer dans chaque latifundio mille personnes, qui
sont plus fortes et plus importantes qu’une seule personne. Et que de plus,
nous avons maintenant un gouvernement populaire qui s’est engagé à faire la
R.A. La presse a décidé que c’était une déclaration de guerre. Du point de
vue journalistique ceci est un absolu manque d’éthique professionnelle et
une manipulation des faits, coutumière de la presse du RGS.
Jornal do Brasil – A votre avis, est-ce une manoeuvre délibérée de la
part de certains secteurs dans les médias pour causer une instabilité
sociale dans le pays ?
Stédile – Dans le cas spécifique du Rio Grande do Sul, nous sommes
confrontés à un véritable monopole des moyens de communication et à la
pratique d’une entreprise qui attaque constamment les travailleurs et la
gauche brésilienne. Ce monopole s’est transformée en un véritable parti de
la droite Gaucha. Il a rendue infernale la vie du gouvernement de Olivio
Dutra (ex-gouverneur du Rio Grande do Sul) et a manipulé même les sondages
électoraux de la dernière élection. Dans le cas de ce qu’on appelle la
grande presse brésilienne, il est évident qu’on parle d’une presse
bourgeoise qui défend uniquement les intérêts de la classe dominante. Ils
feignent de se faire concurrence mais en vérité ils forment un véritable
monopole. Il y a du “latifundio” aussi dans les moyens de communication
brésiliens. Cette presse a un comportement clair, actuellement sous le
gouvernement Lula. Elle tente, constamment, de créer de faux climats de
tension sociale pour maintenir la peur du changement dans le gouvernement
Lula.
JB – Et comment ?
Stédile – Les médias criminalisent systématiquement tous les
mouvements sociaux qui luttent pour leurs droits. Ils cachent la gravité de
la crise sociale qui est la conséquence du modèle neolibéral qu’ils ont
soutenu avec enthousiasme en tant que pensée unique durant 8 ans. Ils ont
créé des factoïdes (faux) sur base de déclarations. Les lecteurs du Jornal
do Brasil se rappellent très certainement le climat qu’ils ont créé durant
le dernier carnaval, exigeant l’intervention de l’armée. Ce qui n’a rien
arrangé quant à la violence à Rio. Ensuite, une déclaration de Lula
concernant le judiciaire a été transformée en crise institutionnelle. Et
tout dernièrement, l’assassinat d’un photographe à Sao Paulo a été mis sur
le dos des Sans-Toit. Voilà, c’est dans ce contexte que ce que j’ai dit lors
de cette réunion a été manipulé.
JB – Comment voyez-vous la position du MST dans le cadre politique
national ?
Stédile – Nous avons hérité de 12 ans de gouvernements qui ont
appliqué le modèle neolibéral qui n’a fait qu’augmenter la pauvreté, les
inégalités sociales et le chômage. La crise est si grande qu’il y a une
baisse des mouvements de masse au Brésil. En fait, la déroute politique de
la classe des travailleurs a été si grande que les personnes, afin de
survivre, ont tenté de trouver des solutions individuelles. Mais ce qui est
grave c’est qu’elles ne les ont pas trouvées.
JB – Et maintenant ?
Stédile – Nous sommes dans une situation très difficile. La classe
dominante, qui a accumulé beaucoup d’argent durant toutes ces années, sait
que les différences sociales ont augmenté. C’est pourquoi elle a vraiment
peur d’une nouvelle ascension des mouvements de masse. Elle sait que si ces
mouvements de masse se mettent en marche, le gouvernement Lula virera plus
vers la gauche et changera le modèle. Voilà pourquoi ils tentent de
criminaliser ces mouvements dans la presse et qu’ils usent de tout leur
pouvoir idéologique pour éviter qu’il y ait des mobilisations sociales. Ce
n’est qu’ainsi qu’ils pourront perpétuer leurs privilèges et simplement
recycler le modèle neolibéral.
JB – Alors, comment s’insèrent les mouvements sociaux dans ce
contexte?
Stédile – Partout, au sein des mouvements et dans les milieux
intellectuels, on sait que les mouvements sociaux ont un rôle civilisateur,
parce qu’ils organisent le peuple et qu’ils donnent une conscience à la
lutte sociale. Là où le peuple ne parvient pas à organiser des mouvements
sociaux il y aura la barbarie, car la violence individuelle prendra le
dessus, où alors on cherchera des portes de sortie dans la religion, les
miracles, qui n’existent pas. Ce qui manque dans notre pays, c’est la
démocratisation des moyens de communication de masse et en même temps un
grand débat dans la société brésilienne sur ” quel projet pour sortir de
cette crise imposée par le modèle économique et cette crise sociale qui
s’approfondit chaque jour”.
JB – Craignez-vous un affrontement entre le gouvernement et le MST à
cause des “occupations” que vous avez effectuées dans le pays ?
Stédile – Au contraire, nous sommes optimistes sur la question de la
réforme agraire pour différentes raisons. Premièrement, le gouvernement sait
que l’agriculture et la R.A sont une des rares “sorties” (solutions) que
nous avons, ainsi que les travaux publics, qui peuvent générer de l’emploi
pour les pauvres, en peu de temps, pas trop onéreux et pour des millions de
personnes. Par exemple, lorsque nous “installons” un million de famille sur
des terres, nous générons plus de 3,5 millions d’emplois directs et sans
doutes 2 autres millions d’emplois indirects dans le commerce et
l’industrie. Deuxièmement, il existe un compromis historique entre la
gauche, le gouvernement et Lula lui-même sur la nécessité de la R.A. Et il y
a aussi un fort soutien de toute la société brésilienne pour la
désapropriation du Latifundio.
JB – Quel est le programme du MST dans ce contexte ?
Stédile – Le programme du MST est justement d’organiser les pauvres.
Conscientiser les pauvres que sortir de la pauvreté doit être fait de
manière organisée, civilisée. Sans le MST ils finiront tous dans les villes,
les favellas et par millions
JB – J’aimerais que vous définissiez, le plus précisément possible, ce
qu’est le Latifundio et principalement le Latifundio improductif.
Stédile – Le mot Latifundio vient du latin. Il signifie une grande
étendue de terres appartenant à une seule personne. Plus tard, dans le
“Statut de la Terre”, on a créé une définition juridique qui dit que le
Latifundio serait toutes les propriétés qui produisent en deça de leur
potentiel et qui ne génèrent pas de progrès pour la société. Dans la
nouvelle Constitution (1988) et la Loi Agraire de 1993, on a introduit le
concept de grande propriété improductive et on a établi à partir de là, des
modules moyens de mesure des propriétés. En général, les grandes propriétés
au Brésil sont celles de plus de mille hectares. Improductives seraient
celles qui ne remplissent pas leur fonction sociale, ce qui est une chose
mesurable en fonction de: leur basse productivité, leur non respect des lois
travaillistes et leur non respect de l’environnement, ainsi que celles qui
sont exploitées à des fins illicites comme le travail esclave, la plantation
de drogues, la contrebande etc…
JB – Que défend le MST ?
Stédile – Nous voulons que le gouvernement désaproprie les grands
Latifundios, ces fazendas de plus de 2 mille hectares qui ont des terres
fertiles et qui se trouvent proches des marchés, afin d’intégrer les
travailleurs dans la société. Personne, en conscience, ne peut admettre
qu’une seule personne soit maître de 5, 10, 50 mille hectares. Personne ne
peut admettre que des entreprises étrangères soient propriétaires de plus de
30 millions d’hectares alors que tant de brésiliens n’ont aucune terre.
Personne ne peut admettre qu’une entreprise canadienne d’aluminium possède
25 mille hectares des meilleures terres de l’etat de Sao Paulo. Et encore
moins accepter que le constructeur CR Almeida possède plus de 2 millions
d’hectares.
JB – Frei Betto (ami de Lula) a déclaré au JB que nous devons garder
le pessimisme pour des jours meilleurs. Mais comme il voit la tension
sociale augmenter, les invasions des Sans Toit, l’augmentation du
chômage….., le MST ne serait-il pas en train de pousser le PT, le
gouvernement, vers un abîme sans fond ?
Stédile – Les mobilisations sociales sont le résultat d’une
contradiction qui existe dans notre société. D’une part une société riche et
d’autre part des millions de pauvres. Comment les pauvres doivent-ils
résoudre l’accès aux services publics et aux droits fondamentaux ? En
s’organisant et en luttant. Au Brésil, des millions de pauvres luttent pour
leurs droits républicains : avoir du travail, de la terre pour travailler,
un logement et l’enseignement. C’est tout. Les pauvres ne veulent plus des
“rations de survie” (cesta basica). Ils veulent du travail, et les élites du
Brésil ne leur en laissent pas la possibilité. Donc, chaque fois que les
pauvres s’organisent et luttent pour ces droits, c’est un geste
civilisateur, républicain si vous préférez.
JB – Que doit faire le gouvernement dans cette histoire ?
Stédile – Un gouvt populaire, comme celui de Lula, a besoin que le
peuple s’organise, sinon il restera prisonnier des banquiers, des
constructeurs, du capital étranger, des maîtres des moyens de communication.
Et plus encore : des parlementaires conservateurs qui représentent l’élite
brésilienne. Le chemin sans retour que nous voulons construire, pour
accepter sa provocation, est celui du changement de modèle économique.
Maintenir l’actuelle politique économique et le modèle économique neoliberal
que nous avons hérité des “tucanos” (parti de FHC) est bien le chemin vers
l’abîme. Pourquoi accepter la tragédie, celle de l’Argentine, ici ?
JB – La lutte des Sans-Terre, des Sans-Toit, est bien antérieure au
gouvernement PT. De nombreux petistes ont été formés dans ce moule.
Pensez-vous que le PT pourrait laisser tomber ces mouvements à cause de la
pression financière et politique nationale et internationale ?
Stédile – Cela ne dépend pas de la volonté des dirigeants, ou du parti
comme un tout. Les changements, à la limite, ne dépendent pas de Lula. Les
changements sociaux dans ce pays dépendent de la capacité du peuple à
s’organiser. Si le peuple s’organise, se mobilise pour ses droits qui
datent, je l’ai déjà dit, de l’époque de la révolution française, nous
aurons un gouvernement progressiste et un PT du côté des pauvres. Si le
peuple ne se mobilise pas durant ces 4 années, nous aurons un cadre très
pessimiste.
JB – Pensez-vous que le pdt Lula est suffisemment fort pour affronter
ces obstacles ?
Stédile – C’est précisément pour cela qu’il a besoin que le peuple
soit conscient des problèmes et des véritables alternatives. Le gouvt a
besoin que le peuple se mobilise et lutte. C’est de ce processus de large
mobilisation sociale que viendra la force du gouvt pour affronter les
puissants intérêts de ceux qui ne veulent pas perdre leurs privilèges. Il
n’y a que cette force de millions de brésiliens, avec une conscience
politique, mobilisés, qui pourra aider le gouvt à affronter ces intérêts et
changer le modèle économique actuel. Nous avons de l’espoir. Le peuple
brésilien a de l’énergie, beaucoup d’expérience en organisation. Pour le
moment, il n’y a qu’une diminution des mouvements de masse.
JB – Mais ces mouvements de masse sont organisés ?
Stédile – Nous construisons actuellement une énorme alliance
populaire, “l’Articulation des Mouvements Sociaux” qui rassemblent la CUT,
l’UNE, le MST et les mouvements populaires des périphéries urbaines, les
églises et les communautés pastorales sociales et allons réaliser une grande
marche du 8 au 13 septembre en défense de notre souveraineté nationale, pour
un nouveau projet de développement, pour le travail et la distribution des
revenus.
JB – Quels ou qui sont les énnemis du MST ?
Stédile – Les ennemis du MST sont les mêmes qui sont aussi ennemis du
peuple brésilien et des pauvres. Nos ennemis sont le capital étranger et
spéculatif, qui ne vient ici que pour nous exploiter. Ce sont les banquiers,
qui n’ont jamais gagné autant d’argent que durant ces 8 dernières années de
l’ère FHC. Notre ennemi est le plan stratégique des multinationales
américaines qui tentent de contôler notre économie et notre Amazonie, nos
richesses, à travers l’ALCA.
JB – Encore quelqu’un d’autre sur la liste ?
Stédile – Les grandes propriétés improductives, ceux qui possèdent des
propriétes de plus de 2 mille hectares et qui en général se dédient à
l’élevage extensif où gardent la terre comme réserve (de valeur). J’en
profite pour lancer un appel au Ministre Roberto Rodriguez, qui est un bon
agronome, mais qui ne comprend rien aux classes sociales : “ne vous en
faites pas, vous n’êts pas notre ennemi. Nous savons que vous représentez la
fraction de la bourgeoisie agraire qui a modernisé ses fazendas, qui sont
productives et qui en général, possède des propriétés de 100 à 1000
hectares. Ce que vous devez faire, c’est convaincre votre base sociale que
la solution pour l’agriculture brésilienne ce ne sont pas les exportations,
mais bien le marché intérieur. Le plus grand marché potentiel d’aliments au
monde ce sont les 110 millions de brésiliens qui se nourrissent mal. Qu’ils
arrêtent de s’illusionner en exportant du soja et du sucre, les deux seules
cultures qui ont augmenté leur surface de plantation ces 10 dernieres
années. Ces cultures ont diminué l’agriculture au Brésil. Aidez-nous à
développer notre souveraineté alimentaire, le marché intérieur et
l’agriculture familiale”.
JB – Quelles sont les actions que le MST plannifie pour le second
semestre?
Stédile – Aucun mouvement social ne plannifie des actions. Le MST,
ainsi que n’importe quel autre mouvement social, effectue un travail
permanent, incessant à travers sa militance sociale, qui est d’organiser les
pauvres, d’élever le niveau de conscience. Dans chaque région, les
travailleurs décident ce qu’ils doivent faire pour résoudre leurs problèmes.
Dans le fond, la R.A elle-même n’est qu’un moyen de garantir un travail,sur
une terre, aux pauvres en milieu rural. Et aussi, nous apportons notre
contribution à la campagne nationale contre l’ALCA, pour rassembler des
signatures et les envoyer au Congrès, afin que soit garanti le droit du
peuple brésilien a décider de l’entrée ou non du Brésil dans ce pacte.
JB – Les Sans-Terre veulent la terre ou la révolution socialiste au
Brésil ?
Stédile – De fait, il y a une grande confusion parmi les analystes et
les sociologues sur la nature actuelle des mouvements sociaux au Brésil. Que
se passe t’il ? Il se fait que traditionnellement la gauche mondiale, et
même la sociologie classique interprétaient les mouvements sociaux d’après
les manuels : les rassemblements par groupes sociaux, par secteurs. En
général, ces groupes sociaux avaient des intérêts plutôt corporatistes,
uniquement de leur groupe, et étaient dirigés idéologiquement par les
partis, soit de gauche, soit de droite, soit par l’église.
Avec ce qui se passe maintenant, le capitalisme contrôlé par le capital
financier et sans investissements dans l’industrie, les classes et groupes
sociaux subalternes se mélangent, ont perdu leur configuration claire
d’intérêts particuliers. Vu autrement, le capitalisme a également aidé à la
politisation.
Regardez, à Sao Bernardo, les sans-maison ont décidé d’occuper un terrain
abandonné par une multinationale allemande….
D’autre part, la manière classique des partis et des eglises de contrôler
idéologiquement les mouvements est aussi en crise.
Donc, s’est développé un nouveau type de mouvement social, comme le MST et
tant d’autres, au Brésil et dans le monde, mouvements sociaux qui ne sont
plus seulement corporatifs mais ont une conscience sociale plus grande. Ils
ont une manière plus large de s’organiser. Ils incluent dans le débat le
projet de société. C’est ce modèle économique qui génère la pauvreté et
l’exclusion, et cela ça politise. Ainsi, les mouvements ne sont plus les
courroies de transmission des partis et des églises. Maintenant ils sont
autonomes. Et cela incommode parce que ce n’est écrit dans aucun manuel que
les pauvres pourraient avoir une autonomie idéologique.
Dans le cas brésilien, les élites acceptent que le pauvre lutte pour sa
ration de survie (cesta basica) mais n’accepte pas qu’il ait des idées. Le
peuple comprend comment fonctionnent les mouvements sociaux. Ce sont eux qui
les ont créés, par leur pratique. Ceux qui ne comprennent pas ce sont les
intellectuels académiques qui sont bien éloignés du peuple et se contentent
de lire Habermas. Même chose pour la presse bourgeoise qui, pour alimenter
son blabla, les transforme en idiots, sans droits, sans intérêt pour la
recherche.
JB – Mais, et le socialisme ?
Stédile – N’importe quel dirigent politique, n’importe quel chercheur,
toute personne du peuple sait qu’au Brésil ne se pose pas la question du
socialisme. Et cela ne dépend pas de la volonté des gens. Ce que tous les
mouvements sociaux veulent c’est un nouveau projet économique et social qui
garantisse les droits fondamentaux à la terre, au travail, au logement, à
l’éducation et à la culture. Ce que nous voulons construire c’est une
société basée sur la tradition des valeurs humaines d’égalité, de solidarité
et de justice. Ca c’est notre projet. Un projet populaire pour le Brésil.
JB – Le gouvernement Lula a maintenant 6 mois. Quel est votre
évaluation de ce premier semestre ?
Stédile – C’est difficile de faire la balance après seulement 6 mois.
Nous ne pouvons encore juger ce gouvt. Nous ne pouvons qu’analyser ces 6
mois. Au sein du PT et de la gauche on trouve au moins 5 évaluations
différentes du gouvt. Dans le cas de la réforme agraire, jusqu’à présent
rien n’est fait. Dans le cas du crédit, un peu, mais on remet encore de
l’ordre. J’espère que lors du second semestre nous pourrons vraiment
conclure le Plan National de la R.A afin que nous puissions installer un
million de familles ou plus durant les quatre années à venir. J’espère que
l’INCRA (institut national de la R.A) sera fortifié et organisé en un grand
organisme public de R.A.
Du point de vue général, le gouvt doit changer le modèle économique. S’il ne
change pas la politique économique, le gouvt, Lula et la gauche seront
brisés. Et les pauvres iront vers une tragédie sociale. Notre effort, comme
mouvement , avec l’aide des autres mouvements sociaux, est justement de
mobiliser le peuple pour aider le gouvt à changer le modèle économique.
Voilà pourquoi nous poussons (nous nous battons avec) le gouvernement à
adopter des politiques économiques et sociales qui aident à améliorer les
conditions de vie de notre peuple.
Fonte: Gilberto de Souza, Jornal do Brasil (3/8/03).
Publicado em: 5/8/2003 – 8:54