Ce texte est inclus dans la première partie d’Ouvriers et Capital intitulée “Premières hypothèses”, dont il constitue le premier chapitre.
La première édition d’Operai e capitale a été publiée en 1966 aux éditions Einaudi.
La traduction française, réalisée par Yann Moulier, avec la collaboration de G. Bezza, a été publiée en 1977 chez Christian Bourgois.« Il nous est aussi impossible de ne pas accepter les thèses fondamentales du marxisme, aujourd’hui, qu’à un physicien sérieux de ne pas être newtonien ; avec la différence notable que, dans le domaine de la sociologie, il faudra bien plus de générations pour qu’apparaisse un Einstein. Cela ne se produira pas avant que l’œuvre de Marx n’ait donné tous ses fruits historiques. » C’est à cette conclusion qu’en arrive Rudolf Schlesinger, après avoir parcouru l’ensemble de la pensée de Marx et toute la période historique qui en a reçu l’empreinte.
Partons de ces conclusions pour avancer, dans un premier temps, quelques considérations disparates – des hypothèses de travail à approfondir et à vérifier.
Et, avant tout, une prémisse : une recherche qui veut reprendre la question de la validité actuelle de certaines thèses fondamentales du marxisme doit confronter Marx non pas à son époque, mais à la nôtre. Il faut juger le Capital en fonction du capitalisme actuel. C’est ainsi que l’on fera justice une fois pour toutes à la banalité ridicule et petite-bourgeoise selon laquelle l’œuvre de Marx est à la fois un produit et une explication d’une société de petits producteurs de marchandises.
C’est une thèse fondamentale de Marx que – sur la base sociale du capitalisme – le processus historique lui-même opère toujours un procès d’abstraction logique ; il dépouille l’objet de tous ses aspects adventices, occasionnels et qui se donnent d’emblée dans sa présence contingente, pour en découvrir et en valoriser les côtés permanents et nécessaires qui le marquent comme un produit spécifique d’une réalité historiquement déterminée et en étendent ainsi la validité à toute l’extension que possède cette réalité. C’est le processus de développement historique du capitalisme qui se charge “lui-même de simplifier sa propre histoire, en purifie de plus en plus la nature spécifique en la dépouillant de toutes ses contradictions inessentielles. Pour découvrir cette contradiction fondamentale qui, dans le même temps, en constitue la révélation et la condamnation. En ce sens le développement capitaliste est la vérité du capitalisme lui-même, car seul le développement capitaliste met à nu le secret du capitalisme.
Ce secret, exprimé du point de vue bourgeois, devient la mystification idéologique majeure du capitalisme pour tous, à la portée de tout le monde, c’est-à-dire la confirmation du capitalisme lui-même, et par conséquent le moyen idéologique pour lui de rétablir sans cesse son équilibre. Ce même secret, considéré cette fois-ci du point de vue ouvrier, se change en compréhension scientifique la plus profonde de la nature réelle du capitalisme à partir de l’analyse des données les plus récentes fournies par son histoire ; il devient la découverte de la contradiction majeure du capitalisme et par conséquent le moyen théorique de le renverser dans un avenir proche. S’il est exact que c’est sur la base sociale du capitalisme le plus développé que doit se produire l’affrontement décisif entre classe ouvrière et capital, alors il faut dire en même temps que c’est sur ce même terrain que la lutte de classe entre la théorie ouvrière et l’idéologie bourgeoise doit se manifester aujourd’hui.
Une autre thèse fondamentale de Marx aussi : c’est le stade le plus développé qui explique le stade le plus arriéré et non l’inverse ; le capital explique la rente foncière, et non le contraire. Ainsi on vérifie une pensée non pas sur le terrain social qui l’a apparemment produite mais sur celui qui l’a dépassée depuis lors car c’est précisément ce dernier qui l’a produite en fait. C’est ainsi que Marx confrontait Hegel non pas à la situation arriérée d’une Allemagne semi-féodale, mais à l’Europe capitaliste dans ce qu’elle comptait de plus développé ; et il contraignait Ricardo à apporter une réponse urgente aux problèmes que lui posait sa propre époque. Alors le Marx d’aujourd’hui ne peut pas continuer éternellement à régler son compte à sa vieille conscience philosophique, il lui faut plutôt se mesurer avec la réalité la plus moderne du capitalisme actuel et l’affronter activement: pour le comprendre et le détruire. Car telle est bien la pierre de touche, telle est bien l’exigence ouvrière qui s’impose. Aujourd’hui que la pensée bourgeoise construit des romans existentiels sur l’ « aliénation de l’essence humaine » et s’extasie béatement devant quelques phrases malheureuses des Manuscrits d’Économie politique et de philosophie de 1844, ce n’est pas un hasard si la pensée ouvrière retourne au Capital comme au modèle classique d’une analyse scientifique du présent qui réponde aux exigences de la lutte révolutionnaire.
D’une lutte révolutionnaire qui veut supprimer et dépasser ce présent.
Dans une page pénétrante de son livre, Michaud a le courage d’exprimer une idée que je crois très répandue, même quand elle n’est qu’un vague sentiment: « la réapparition à notre époque d’une situation idéologiquement pré-marxiste par certains de ses aspects ». Mais peut-on dire cela ? Et en quel sens ?
La réponse à ces questions pourra jeter de la lumière sur bien des zones obscures.
La pensée de Marx – comme toute pensée authentiquement révolutionnaire – vise à détruire ce qui existe déjà pour le remplacer par quelque chose qui n’existe pas encore. Les deux parties qui composent cette pensée sont donc distinctes l’une de l’autre et organiquement liées. L’une est « la critique impitoyable de tout ce qui existe» : chez Marx, elle se manifeste par la découverte du développement mystifié de la pensée bourgeoise et donc par une démystification théorique de l’idéologie capitaliste. L’autre est « l’analyse positive du présent » qui, grâce à une compréhension scientifique poussée à son plus haut degré, fait jaillir du présent l’alternative future. L’une est la critique de l’idéologie bourgeoise, l’autre l’analyse scientifique du capitalisme. Chez Marx, on peut saisir ces deux moments logiquement distincts et chronologiquement successifs de la Critique de « la Philosophie du Droit» de Hegel au Capital. Ce qui ne veut pas dire, en fait, qu’ils doivent se répéter toujours selon cette division et dans cet ordre. Quand il examinait l’économie politique classique et reparcourait le chemin qui l’avait amené dans son analyse à découvrir certaines relations abstraites et générales, Marx lui-même savait parfaitement qu’il n’était pas nécessaire de refaire ce chemin; mais qu’il fallait plutôt partir de ces abstractions simples -la division du travail, l’argent, la valeur – pour en arriver de nouveau à « l’ensemble vivant » : la population, la nation, l’État et le marché mondial. De la même façon, maintenant que nous avons le point d’arrivée de l’œuvre de Marx – le Capital – il faut en faire notre point de départ; une fois arrivés à l’analyse du capitalisme, c’est de là qu’il nous faut repartir. C’est pourquoi un travail de recherche sur quelques abstractions déterminées – le travail aliéné, les modifications intervenues dans la composition organique du capital, la valeur dans le capitalisme d’oligopoles – doit nous servir de point de départ pour en arriver au nouvel « ensemble vivant » : le peuple, la démocratie, l’État politique néo-capitaliste, la lutte de classe internationale. Ce n’est pas un hasard si l’itinéraire suivi par Lénine part du Développement du capitalisme en Russie pour arriver à l’État et la Révolution. Ce n’est pas un hasard non plus si toute la sociologie bourgeoise et toutes les idéologies réformistes du mouvement ouvrier suivent le chemin inverse.
Mais tout cela ne suffit pas; car bien que l’on saisisse le caractère spécifique que doit revêtir aujourd’hui l’analyse du capitalisme, il faut en même temps appréhender le caractère spécifique que doit assumer la critique de l’idéologie. Et là il faut partir d’un présupposé précis, opérant une de ces distorsions tendancieuses qui sont une caractéristique positive de la science de Marx, qui constituent le ferment d’idées neuves et un adjuvant actif dans la pratique de la lutte. Voici quel est le présupposé: L’idéologie est toujours bourgeoise; car elle est toujours le reflet mystifié de la lutte de classe sur le terrain du capitalisme.
Le marxisme a été conçu comme « l’idéologie» du mouvement ouvrier. Et c’est là une erreur fondamentale. Car son point de départ, son acte de naissance ont été véritablement la destruction de toute idéologie, à travers la critique destructrice de toutes les idéologies bourgeoises. De fait, le processus de mystification idéologique n’est possible que sur la base de la société bourgeoise moderne : il est et il reste le point de vue bourgeois sur la société bourgeoise. Et quiconque a ouvert, ne serait-ce qu’une fois, les premières pages du Capital, a pu constater que ce n’est pas là un processus de la pensée pure que la bourgeoisie choisirait délibérément pour masquer le fait de l’exploitation mais bien le processus lui-même, réel et objectif de l’exploitation, c’est-à-dire le mécanisme de développement du capitalisme dans toutes ses phases.
Voilà pourquoi la classe ouvrière n’a pas besoin d’avoir sa propre « idéologie ». Son existence en tant que classe, c’est-à-dire sa présence comme réalité antagoniste à tout le système capitaliste, son organisation en classe révolutionnaire, ne la lient pas au mécanisme de ce développement : ils l’en affranchissent et l’y opposent. Au contraire, plus le développement capitaliste progresse, plus la classe ouvrière peut devenir autonome par rapport au capitalisme ; plus le système se perfectionne plus la classe ouvrière doit devenir la contradiction majeure interne au système, au point d’en rendre impossible la survie et de rendre possible et donc nécessaire la rupture révolutionnaire qui le liquide et le dépasse.
Marx n’est pas l’idéologie du mouvement ouvrier; il en est la théorie révolutionnaire. Théorie qui est née comme critique de l’idéologie bourgeoise, et qui doit vivre quotidiennement de cette critique – continuer d’être la « critique impitoyable de tout ce qui existe ». Théorie qui est parvenue à se constituer comme analyse scientifique du capitalisme qui doit se nourrir à tous moments de cette analyse et parfois s’identifier à elle, lorsqu’il s’agit de reconquérir le terrain perdu et de colmater la brèche, la faille qui s’est produite entre le cours des choses et la mise à jour, la vérification de la recherche et de ses instruments. Théorie qui ne vit qu’en fonction de la pratique révolutionnaire de la classe ouvrière, qui fournit des armes à sa lutte, qui forge des instruments qui lui permettent de connaître, qui renforce et fait ressortir les objectifs de son action. Marx a été et demeure le point de vue ouvrier sur la société bourgeoise.
Mais alors, si la pensée de Marx est la théorie révolutionnaire de la classe ouvrière, si Marx constitue la science du prolétariat pourquoi et comment une partie au moins du marxisme a-t-elle pu devenir une idéologie populiste, un arsenal de lieux communs banals qui servent à justifier tous les compromis possibles et imaginables qui se produisent dans la lutte de classe ? Et là, la tâche de l’historien devient énorme. Pourtant un fait très simple doit sauter aux yeux : si l’idéologie est une partie, une articulation spécifique et historiquement déterminée, du mécanisme capitaliste lui-même, accepter cette dimension « idéologique » – construire l’idéologie de la classe ouvrière -, cela ne fait que traduire le fait que le mouvement ouvrier lui-même est devenu – en tant que tel – partie et articulation passive du développement capitaliste ; il a subi un processus d’intégration à l’intérieur du système, qui peut présenter des phases et des niveaux divers, mais qui a toujours un résultat identique : provoquer diverses phases et divers niveaux – c’est-à-dire des formes différentes – de cette pratique réformiste qui semble aujourd’hui être contenue apparemment de façon implicite dans le concept même de classe ouvrière. Si l’idéologie en général est toujours bourgeoise, une idéologie de la classe ouvrière est toujours réformiste; c’est-à-dire qu’elle est le mode mystifié à travers lequel sa fonction révolutionnaire s’exprime et en même temps se renverse en son contraire.
Si ceci s’avère vrai, il s’ensuit que le processus de démystification doit passer aujourd’hui à l’intérieur même du marxisme, et doit aussi prendre la forme d’une désidéologisation du marxisme. Je parle ici du marxisme et non pas de l’œuvre de Marx : car, sur cette question, le problème à résoudre est sensiblement différent. Il s’agit évidemment d’un travail de critique interne à l’œuvre de Marx elle-même, qui puisse démêler et sélectionner les grandes lignes de force qui coexistent en celle-ci. Il faut recueillir et mettre en valeur les points qui comportent la charge maximum de généralisation scientifique, et où, par conséquent, l’analyse du capitalisme acquiert tout le sens et tout le poids d’une compréhension dynamique du système, capable de reconnaître et d’évaluer les tendances fondamentales qui le modifient sans cesse et le révolutionnent de l’intérieur. Il faut d’autre part isoler et rejeter les éléments où l’on ne peut procéder à ce type de généralisation d’une portée scientifique, et où par conséquent ce sont des données particulières que l’on généralise d’emblée, et avec elles un stade particulier du développement capitaliste, qui finit par passer pour les habits et les traits allégoriques du capitalisme en son entier. Mais cette critique interne – qui représente en un certain sens l’autocritique de Marx – diffère du travail de démystification de certaines théories marxiennes. Celui-ci n’a pas pour. objet l’œuvre de Marx, mais une certaine partie du marxisme.
Nous avons coutume aujourd’hui de parler ironiquement et de façon méprisante du marxisme vulgaire : cela aussi nous l’avons appris de Marx. On connaît la différence de jugement et d’attitude adoptée par Marx à l’égard de l’économie politique classique et à l’égard de ce que lui-même appelait: l’économie vulgaire. Le mérite de l’économie classique est qu’elle s’efforce de ramener, à travers l’analyse, les diverses formes de richesse à leur unité intrinsèque, en les débarrassant des traits où elles coexistent indépendamment : elle cherche à comprendre la connexion intime des faits, et les libérer de la multiplicité des formes phénoménales. Ce faisant, et même si elle opère un processus de mystification qui lui est propre, elle réussit à marcher de pair avec le développement réel des antagonismes sociaux, et donc avec le niveau objectif de la lutte de classe contenu implicitement dans la production capitaliste. Mais à l’intérieur de l’économie politique existe – ou plutôt apparaît à un certain degré de son développement – un élément qui représente, en elle, « la simple reproduction du phénomène » en tant qu’elle n’est que la simple représentation de celui-ci : et c’est cela l’élément vulgaire qui finit par se séparer et s’isoler du reste pour apparaître comme l’exposition particulière de l’économie en général. A mesure que progressent les contradictions réelles, que leur reproduction par la pensée devient plus complexe, que l’analyse scientifique en devient pénible et ardue, cet élément vulgaire devient un obstacle de plus en plus important à ce travail ; il en apparaît comme un élément autonome, susceptible de s’y substituer « pour trouver enfin son expression achevée dans une docte compilation syncrétiste et classique dépourvue de tout caractère» ; l’économie vulgaire devient alors de plus en plus apologétique et « cherche à éliminer par les bavardages» toutes les pensées contradictoires en qui s’expriment les contradictions réelles. Lorsqu’on lit ces pages de Marx et que l’on pense au marxisme vulgaire, on a envie de dire : tout a été dit là-dessus…
Néanmoins il faut ajouter quelque chose d’essentiel. Si la mystification a véritablement atteint aujourd’hui les fondements du marxisme et qu’en existent des raisons objectives qui ont guidé et qui guident encore ce processus de vulgarisation, alors la tâche la plus urgente consiste à isoler ces raisons objectives à en déterminer les causes matérielles prédominantes ; et cela non seulement pour les connaître, mais aussi pour les combattre. Il faut être clair là-dessus. Il ne s’agit pas d’une lutte au niveau de la pure et simple théorie. Non plus que d’opposer une néo-scolastique des marxistes purs à la vieille académie des marxistes vulgaires. Il faut porter le combat sur le terrain de la réalité : concevoir cette tâche théorique comme constituant elle-même un moment de la lutte de classe. Une fois posée la nécessité de cette purification marxienne du marxisme, dirions-nous, une fois reconquis un niveau scientifique d’analyse du capitalisme, que l’on doit appliquer aux phénomènes internationaux dans toute leur complexité, une fois récupérée et de nouveau vérifiée cette unité scientifique de la pensée de Marx qui se manifeste dans l’unité organique de l’économie et de la sociologie, de la théorie politique et de la pratique de la lutte, arrivé à ce stade, il faut encore repartir; bien plus il faut faire un saut : trouver les forces réelles qui auront la charge de guider ce processus, les causes objectives qui le produiront nécessairement, les raisons matérielles qui referont de la théorie elle-même une force matérielle.
Aujourd’hui plus que jamais la thèse léniniste apparaît dans toute sa vérité : qu’il ne peut exister de mouvement révolutionnaire sans théorie révolutionnaire. Quand on voit s’exprimer chez tous l’exigence d’avoir et de posséder pleinement une vue stratégique de la révolution, d’aller au-delà de cette tactique aveugle au jour le jour qui recueille tout ce que le système capitaliste compte de forces s’opposant à lui, pour les briser en un point décisif et contribuer ainsi à les maintenir séparées, on comprend l’importance actuelle de ce besoin de théorie. Pourtant, aujourd’hui plus que jamais, la thèse inverse est vraie, elle aussi : la théorie révolutionnaire n’est pas possible sans mouvement révolutionnaire. Voilà pourquoi le théoricien lui-même doit prêter main-forte à tout un travail pratique de redécouverte et de réorganisation des seules forces authentiquement subversives qui existent à l’intérieur du capitalisme ; il doit reprendre conscience de leur existence et contribuer à doter de formes organisées matériellement à l’instance révolutionnaire qui s’exprime objectivement en cette existence. A la limite, le processus de démystification du marxisme n’est pas possible sans pouvoir ouvrier. Bien plus, le pouvoir ouvrier – l’organisation autonome de la classe ouvrière – constitue le processus réel de la démystification, puisqu’il est base matérielle de la révolution.
En ce sens, la cible polémique principale du Marx d’aujourd’hui ne peut plus être la Vulgärökonomie, même pas dans sa forme actuelle de marxisme vulgaire. Car le marxisme vulgaire a pour présupposé et pour résultat, à la fois, ce fait bien actuel qu’est la Vulgärpolitik du mouvement ouvrier. C’est contre cette politique vulgaire qu’il nous faut lutter. Mais nous choisirons soigneusement les modalités de cette lutte qui ne doivent pas cependant épuiser la tâche des marxistes d’aujourd’hui. Il existe un principe évident, même s’il a été souvent mal interprété ; que la critique du mouvement ouvrier de l’intérieur doit toujours se manifester comme une lutte extérieure contre l’ennemi de classe ; et que par conséquent, la critique du marxisme de l’intérieur doit s’exprimer avant tout dans une lutte contre la pensée bourgeoise. Ainsi aujourd’hui, c’est la critique destructrice de toutes les idéologies néo-capitalistes qui doit constituer le point de départ indispensable, si l’on veut en arriver, de nouveau, à la critique de toute idéologie, y compris de toutes les idéologies réformistes du mouvement ouvrier. Mais nous avons vu comment l’analyse du capitalisme doit aujourd’hui précéder la critique de l’idéologie, en ce sens que celle-là doit fonder celle-ci. De telle sorte que nous pouvons dire qu’aujourd’hui l’analyse positive du présent – c’est-à-dire l’élaboration théorique d’une perspective fondamentale pour la pratique de la lutte, et la découverte et la réorganisation des forces matérielles qui doivent en être les vecteurs -, doit nécessairement précéder et fonder la destruction qui anéantira toutes les mystifications idéologiques et politiques.
On peut alors dresser la conclusion suivante : la situation idéologique actuelle est peut-être bien pré-marxiste, mais avec cette différence que la situation théorique est sans doute pré-léniniste. Je veux dire qu’il ne s’agit pas de reprendre le chemin tel qu’il se trouvait avant Marx, ou après Lénine. Il s’agit peut-être – et je dis cela de façon délibérément provocatrice de refaire le saut de Marx à Lénine. Partir de l’analyse du capitalisme actuel, pour parvenir à élaborer la théorie de la révolution prolétarienne dans le capitalisme moderne. La révolution ouvrière et tous les instruments qu’elle exige doivent redevenir concrètement le programme minimum du mouvement ouvrier. Une fois déjà, la classe ouvrière a retrouvé Marx à travers Lénine : il en est sorti la révolution d’Octobre. Quand cela se reproduira, c’est pour le capitalisme mondial que sonnera le glas – dirait Marx.