Article paru d’abord dans Georges Labica et Gérard Bensussan, ed. Dictionnaire critique du marxisme, pp. 49-56. Paris: Presses Universitaires de France, 1982.
Voyez la [trad. espagnole->1422 et la [trad. anglaise->1948
Mouvement théorique et politique italien, l’operaismo est essentiellement actif dans les années 60 et au début des années 7o. A une époque où le mouvement ouvrier, en crise, est pris dans des débats extrêmement « idéologiques », l’opéraïsme se caractérise essentiellement par un « retour à la classe ouvrière ». On en retiendra :
1/ Une méthode.
« Nous avons considéré, nous aussi, le développement capitaliste tout d’abord, et après seulement les luttes ouvrières. C’est une erreur. Il faut renverser le problème, en changer le signe, et repartir du commencement : et le commencement, c’est la lutte de la classe ouvrière » (M. Tronti, p. 105). Non seulement, donc, la lutte de classes est le moteur de l’histoire, mais surtout le rapport est asymétrique. Ce sont les mouvements, pas toujours visibles, de la classe ouvrière qui expliquent ceux du Capital et de la société capitaliste, et non l’inverse.
Cette idée abstraite prend son sens avec l’introduction du concept de composition de classe. La classe ouvrière n’est pas une notion mythologique, mais un ensemble historiquement composé. Composition technique : analyse du procès de travail, de la technologie, non pas en termes sociologiques, mais comme sanction d’un rapport de force entre les classes. Exemple : fordisme et taylorisme ont d’abord pour but de briser la résistance des ouvriers de métier et de leurs syndicats en imposant un nouveau type de procès de travail. Il convient donc d’analyser en détail les procès de travail, leurs changements, pour comprendre ce que signifie « lutte de classes » : « évidence » marxiste qui ne l’était plus. Composition politique : au sein de la classe ouvrière, certaines fractions jouent un rôle politique moteur. La classe ouvrière ne se contente pas de réagir à la domination du Capital, elle est en perpétuelle recomposition politique, et le Capital est contraint de réagir par une restructuration continuelle du procès de travail. Il convient donc d’analyser cette recomposition politique, la circulation des luttes.
2/ Un point de vue global.
Dès les premiers textes de Raniero Panzieri, l’attention est portée sur la planification. Le Capital n’est plus essentiellement propriété privée; c’est d’abord un pouvoir social visant à contrôler les mouvements de classe. D’où une vision nouvelle de l’État : non plus simple garant, mais organisateur de l’exploitation, agissant directement dans la production. La forme de l’État est une conséquence de la composition de classe. Antonio Negri peut ainsi montrer que l’État « keynésien » et, plus généralement, ce qu’il nomme « État-plan » n’est autre chose que l’inscription, au cœur du développement capitaliste, de la Révolution d’Octobre : le pouvoir ouvrier est reconnu comme variable indépendante.
3/ Un mouvement politique.
Si la classe ouvrière est le moteur du développement capitaliste, elle peut également être, et elle est, une force de rupture. Dans une période de reflux apparent, où l’on parle volontiers d’intégration de la classe ouvrière, les opéraïstes prédisent, et cherchent à organiser l’émergence de nouvelles luttes impulsées par une figure nouvelle : l’« ouvrier masse », ouvrier non qualifié des grandes usines. Luttes salariales égalitaristes, non comme revendications corporatistes, mais comme force de rupture politique susceptible de bloquer le système et d’accroître le pouvoir ouvrier. Le mouvement de 68 sera perçu comme une confirmation de ces thèses. Il y a possibilité de rupture, et donc de construction du communisme (contre le socialisme, forme nouvelle de développement) ; mais l’État peut également imposer sa restructuration, les luttes ouvrières devenant une fois de plus simple moteur du développement.
4/ Un mouvement dans l’Histoire.
La volonté d’organiser des mouvements souvent en conflit ouvert avec le mouvement ouvrier traditionnel provoque une rupture au sein de la revue originaire, Quaderni Rossi, dirigée par Panzieri : en 1964, naît le journal Classe operaia, animé entre autres par Mario Tronti, Romano Alquati et Antonio Negri, qui éclatera en 1966, une partie du groupe, Tronti en tête, finissant un peu plus tard par adhérer au PCI. Après 1968, le groupe Potere Operaio sera en quelque sorte l’héritier de l’autre tendance ; son autodissolution en 1973 sonnera l’heure de l’ « autonomie ouvrière ». Negri élaborera en particulier la théorie de l’ « ouvrier social » comme figure nouvelle de la classe ouvrière, non plus cantonnée dans les grandes usines, mais diffuse sur l’ensemble du territoire, le concept de travail productif prenant une extension beaucoup plus grande, l’État devenant toujours davantage l’ennemi direct. Mais il s’agit déjà d’une autre histoire.
• BIBLIOGRAPHIE.
Revues :
Quaderni Rossi, 1961-1965, rééd., Rome, Nuove edizioni operaie, 1976-1978; Classe operaia, 1964-1967, rééd., Milan, Machina Libri, 1979; Contro-piano, Florence, La Nuova Italia.
Livres (en général recueils d’articles, réunis parfois beaucoup plus tard) :
Romano Alquati, Sulla Fiat, Milan, Feltrinelli, 1975; Antonio Negri, La Forma-Stato, Milan, Feltrinelli, 1977; Id., Crisi della Stato-piano, Milan, Feltrinelli, 1974; Id., Proletari e Stato, Milan, Feltrinelli, 1976; Raniero Panzieri, La crisi del movimento operaio, Milan, Lampugnani Nigri, I973; Id., La ripresa del marxismo-leninismo in Iialia, Milan, Sapere Edizioni, 1973; Alberto Asor Rosa, Intellettuali e classe operaia, Florence, La Nuova Italia, 1973; Mario Tronti, Operai e Capitale, Turin, Einaudi, 1966.
Recueils collectifs :
Operai e Stato, Milan, Feltrinelli, 1972; Crisi e organizzazione operaia, Milan, Feltrinelli, 1974; L’operaio multinationale in Europa, Milan, Feltrinelli, 1974; Imperialismo e classe operaia multinationale, Milan, Feltrinelli, I976.
Disponibles en français :
A. Negri, La classe ouvrière contre l’État, Paris, Galilée, 1978; R. Panzieri, Plus-value et planification, in Luttes ouvrières et capitalisme aujourd’hui, Paris, Maspero, 1968; M. Tronti, Ouvriers et Capital, Paris, C. Bourgois, 1977.