Ce volume réunit une vingtaine de contributions présentées lors du colloque « Sexe et genre » organisé, en 1989 à Paris, pour valoriser les résultats de l’un des thèmes du programme incitatif du C.N.R.S. « Recherches sur les femmes et recherches féministes ». Mis en place en 1983 sur l’initiative de l’anthropologue Maurice Godelier, ce programme, qui dura quatre ans, est le premier acte de reconnaissance institutionnelle en France d’un domaine jusque-là ignoré et tenu à l’écart alors qu’il a connu de larges développements dans de nombreux pays étrangers. Les deux annuaires des recherches menées, chacun d’entre eux correspondant à un appel d’offres, et le présent volume constituent la seule contribution du C.N.R.S. à la publication des résultats obtenus dont une partie a été éditée de part et d’autre à l’initiative des auteurs et la totalité déposée sous sa forme première à la Bibliothèque Marguerite Durand.
A propos donc du thème « Analyse critique de la conceptualisation des sexes » s’expriment des chercheuses de diverses disciplines relevant non seulement des sciences sociales mais aussi des sciences de la vie. Pour leur présentation, les contributions ont été regroupées en trois grandes parties, l’ensemble du volume ainsi que chacune des parties étant précédés d’une introduction spécifique. Ce parti pris, déjà présent dans les Annuaires, a un aspect quelque peu arbitraire, mais son caractère didactique, tout en masquant quelque peu la richesse et la variété des contributions, a l’avantage de faciliter l’abord de l’ouvrage à un public non spécialisé ainsi qu’aux étudiants.
La première partie, la seule des trois à présenter une incontestable homogénéité, offre un panorama critique du débat en cours sur les notions de sexe et de genre, les malentendus et les dérives dont elles font ou peuvent faire l’objet, la tendance actuelle à constituer le genre en catégorie acritique opérant ici et là de manière quasiment magique. C. Delphy dénonce le présupposé implicite de l’antécédence du sexe sur le genre et en analyse les effets, qui masquent la nécessité du concept de genre pour penser le sexe.
La plupart des textes de la seconde partie apporte différents éléments permettant une approche plus concrète de la façon dont se manifestent et sont construites les catégories de sexe et de genre. Ici, l’éventail disciplinaire se fait très large, allant de la philosophie à l’histoire des sciences, pour montrer dans des exemples ponctuels la prégnance de la bicatégorisation et du lien privilégié établi entre femme et nature dans les différentes représentations.
La dernière partie veut opposer résolument, selon son titre, « Traditions et modernités ». Du côté de la tradition, des textes qui intéressent des sociétés africaines montrent, d’une part comment s’élabore l’identité de genre par la manipulation sociale de la sexualité, d’autre part comment la polygamie est un moyen parmi d’autres d’optimiser la reproduction. Puis, à l’articulation des deux sous-parties, P Tabet analyse l’échange économico-sexuel à l’œuvre partout dans les rapports sexuels. Enfin, les « nouvelles techniques de la reproduction », aujourd’hui dénommées « procréation médicalement assistée », illustrent la modernité en dépit de leur caractère socialement peu novateur bien mis en évidence dans le texte d’H. Rouch à propos notamment de la confusion entre stérilité et infécondité.
Dans sa quasi-totalité, le livre se situe contre les interprétations biologisantes des rapports sociaux de sexe et bat en brèche les vieilles idéologies de la différence affirmant une spécificité du féminin. A l’aube des années 1990, où tant d’acquis sont remis en cause, il fait ainsi figure d’ouvrage de référence du mouvement d’idées accompagnant les luttes des femmes.