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Le copyleft et la théorie de la propriété, par

La propriété des biens immatériels, c’est-à-dire le droit pour les auteurs et leurs producteurs d’exclure les autres de leur usage au moins temporaire, semble avoir triomphé. Mais les créateurs et les utilisateurs de logiciels libres bousculent ce paysage. Si les créateurs de free software restent propriétaires de leurs produits et libres de légiférer sur leur utilisation, les utilisateurs ne sont pas libres d’exclure les suivants. Il se forme de ce fait un réseau de propriétaires-utilisateurs différencié, un commun, garanti par les différentes formes de licence Creative commons. L’auteur se fait hacker, membre d’une communauté quasi-artiste par laquelle il fait reconnaître ses élégances de programmation. Le propre et le commun ne sont plus antinomiques, et les propriétés deviennent plurielles et inclusives.

Copyleft and the theory of property

The principle of property, i.e. the (temporary) right for authors and producers to exclude others from the use of their product, seems to have succeeded in imposing itself on immaterial goods. However, creators and users of free software challenge this apparent success: while creators remain free to regulate the use of their creations, users are not in a position to exclude other users. Thus appears a multi-layered network of owners-users, a common territory, maintained through licences modulated by Creative Commons. The author is turned into a hacker, a member of a quasi-artistic community admiring the elegance of his programs. The privately owned and the common are no longer antinomic, as properties become plural and inclusive.

Guattari et l’anthropologie : aborigènes et territoires existentiels, par

Les machines désirantes de Félix Guattari, par

Lacan a manqué l’occasion de relier le concept d’objet « a » aux analyses marxistes de la production, de la reproduction et de la consommation dans l’économie politique, et scotomisé ainsi les formes possibles de l’« énonciation sociale » qui seraient susceptibles d’agir comme vecteurs de l’action politique, tout particulièrement dans les périodes de bouleversement technologique. Le capitalisme industriel, une fois mis en marche, génère des sujets déterritorialisés, et à travers une alternative constante entre déqualification et requalification professionnelle, engendre de nouvelles formes machiniques (en principe universelles) de subjectivité. Lacan avait découvert le mécanisme mais il n’avait pas su déployer ses conditions historiques et ses implications politiques. Guattari suggère que l’orientation générale des institutions sociales s’est radicalement transformée avec l’expropriation capitaliste des bénéfices de la révolution industrielle.

Lacan himself ends up missing the opportunity to relate his notion of the objet petit a to Marxist ideas about production, reproduction and consumption in political economy, and therefore scotomises the possible forms of « social enunciation » that could act as vehicles for political agency precisely during periods of technological revolution. Industrial capitalism, once set in motion, generates deterritorialised subjects, and through the very process of constant de-skilling and re-skilling, engenders new, in principle universal, machinic forms of subjectivity. Lacan had discovered the mechanism, but had not yet unfolded its historical conditions and political implications. Guattari suggests that the entire direction of social institutions has been radically transformed as a result of the capitalist expropriation of the results of the industrial revolution.

Le monstre politique – Vie nue et puissance, par et

Propos sur le Camp : les « Tribus criminelles » Inde ( ), par et

L’ancrage du camp dans l’épistémique moderne se trouve dans une certaine nécessité et difficulté qu’ont rencontré les métropoles européennes à partir du XIXe siècle à gérer des populations qu’elles conçoivent comme un surplus inutile et potentiellement dangereux. Faire une place à l’inutile allait poser inévitablement le problème conjoint de l’élimination ou de la mise à l’écart radicale qui parcourra également tout le XXe siècle. C’est en ces termes que vont notamment se formuler les difficultés rencontrées par le colonisateur britannique en Inde dans l’appréhension de certaines castes et tribus nomades perçues comme criminelles mais, surtout, à l’aune du système social des castes, comme criminelles de naissance et en cela irréformables. Le dispositif réflexif mis en place aboutit alors à une synthèse originale entre le système autochtone et la criminologie métropolitaine en instituant une nouvelle catégorie de délits et de criminels : la criminalité de naissance. La criminalité de naissance allait ainsi trouver sa forme répressive dans la création d’une loi concernant les « tribus criminelles », et l’instauration de Settlements, véritable camp où des générations de groupes ainsi qualifiés allaient se perpétuer.

If European metropolises witnessed the development, throughout the 19th century, of various forms of concentrationary assistance and radical isolation through penal colonies, colonial space was the site of an even more explicit formulation and experimentation with the creation and the exclusion of of an undesirable human surplus, notably in South Asia, where the social system of castes could provide powerful ideological foundations for the colonial thinking on exclusion. This article seeks to illustrate this by examining the creation of the category of « criminal tribes » in India, during the last third of the 19th century.

Finance, instabilité et gouvernabilité des externalités, par

Après une mise en perspective historique du processus de financiarisation, l’article prête plus particulièrement attention au rôle de la finance dans le gouvernement des externalités, et cela à un double niveau. (1) Le premier a trait à la revanche des externalités négatives. La surexploitation de la planète résultant de deux siècles d’une croissance hyper-productiviste fait désormais peser sur l’économie mondiale une incertitude structurelle, qui pèse tant sur les prix des ressources non renouvelables que, plus fondamentalement, « sur le prix de l’avenir tout court ». Or c’est la finance qui, faute de mieux, va être « sollicitée pour donner un prix au futur ». Ce constat est d’autant plus fort que le développement des activités visant à solder les externalités négatives est destiné à jouer nécessairement un rôle majeur dans la dynamique du capitalisme. Après la convention boursière Internet et celle immobilière, il est ainsi fort probable que la prochaine convention boursière porte sur les énérgies alternatives et les activités liées à la réparation des dégâts de la croissance. (2) Le deuxième niveau concerne le rôle croissant des externalités positives liées au processus de production et de circulation des connaissances. Plus précisément, la révolution des technologies de l’information et de la communication (TIC) et la montée de l’immatériel se traduisent par deux effets convergents et éminemment contradictoires, auxquelles la finance apporte une réponse. D’une part, les TIC permettent la numérisation et la codification de tout ce qui est répétitif dans l’activité mentale en dépréciant la valeur marchande de l’information. Or, et nous avons là une première contradiction, ces connaissances codifiées et numérisées (dites de niveau 1) présentent un problème majeur d’appropriation privative. Leur coût de production initial est certain. En revanche, leurs coûts marginaux sont très faibles ou nuls, ce qui rend de plus en plus difficile l’exécution des droits de propriété intellectuelle. D’autre part, ce même processus d’automatisation des activités mentales répétitives et de codification de la connaissance déplace le cœur de l’activité créatrice de valeur vers les connaissances tacites, difficilement codifiables : les connaissances dites de type 2, constituées par le triptyque créativité/intelligence/innovation. C’est le modèle paradigmatique du travail immatériel reposant « sur la coopération entre cerveaux travaillant sur ordinateur et reliés par le réseau (Internet)… » Or l’assujettissement de cette forme de la coopération productive en réseau ne peut être qu’indirecte et formelle. Dans ce cadre, la finance est alors destinée à remplir toujours davantage deux fonctions structurelles. Elle seule permet de subsumer le travail immatériel, tout en actualisant l’évaluation à la juste valeur (fair value) des actifs immatériels, dans un contexte d’incertitude structurelle où la « valeur des biens connaissances oscille de rien à des valeurs incommensurables et à des prix de monopole qui sont des prix politiques ».

After putting the process of the financialization of capital into historical perspective, this essay focuses attention on the role of finance capital in the governance of externalities on two levels : (1) the first has to do with the revenge of negative externalities. The overexploitation of the planet resulting from two centuries of super-productivist growth has henceforth introduced a structural uncertainty into the global economy that weighs as much upon the price of non-renewable resources as, more fundamentally, the « price of the future as a whole ». For better or for worse, it is now finance capital that is going to be « asked to put a price on the future ». This state of affairs is all the more marked given that the development of activities designed to counter negative externalities is necessarily destined to play a major role in the dynamic of capitalism. Following the stock exchange protocols realized around dot.coms and then housing, it is extremely likely that the next stock exchange protocol will be directed at alternative energy sources and activities related to growth-related damage control. (2) The second level concerns the growing role of positive externalities linked to the process of production and the circulation of knowledge. More precisely, the revolution in information and communication technologies (ICT) and the rise of the immaterial translate into two convergent and eminently contradictory effects, to which finance capital brings a particular response. On the one hand, ICTs allow for the digitalization and codification of all that is repetitive in mental activity by depreciating the market value of information. However – and this is where we find our first contradiction – these codified and (re-) digitalized knowledges present a major problem to private appropriation. Although the cost of their initial production is definite, their marginal costs are by contrast very slight or even non-existent – a fact that makes the execution of intellectual property rights that much more difficult. On the other hand, this same automation of repetitive mental activities and the concomitant codification of knowledge displaces the heart of value-creative activity towards implicit knowledge that is codifiable only with difficulty : this is knowledge of the so-called second type, constituted by the triptych of creativity/intelligence/innovation. This is the paradigmatic model of immaterial labor that relies « upon the cooperation between minds working on computer and connected by the net (internet) ». The subjection of this form of productive network cooperation can only be indirect and formal. Within this framework, finance capital is thus forever destined to fulfill two structural functions. Only finance capital is capable of allowing the subsumption of immaterial labor while realizing the evaluation at fair value of immaterial assets, in a context of structural uncertainty where the « value of knowledge goods oscillates between nothing and incommensurable values and the price of monopoly, which is ultimately political ».

La démocratie contre la rente, par

Aujourd’hui, la démocratie ne se trouve plus seulement devant (et contre) la rente absolue, terrienne (foncière et immobilière) : elle doit surtout affronter la rente financière, le capital que l’argent mobilise de manière globale comme instrument fondamental de la governance des multitudes. La financiarisation est la forme actuelle du commandement capitaliste. Bien évidemment, celle-ci est encore liée à la rente, et elle en répète l’intentionnalité violente – tout comme elle reprend les ambiguïtés et les contradictions de n’importe quelle figure de l’exploitation capitaliste. Il serait donc stupide de penser que le capital financier ne représente pas en lui-même un moment antagoniste – car il comprend toujours en son sein cet élément nécessaire qu’est la force de travail, et qui est à la fois un producteur de capital et une menace pour celui-ci.

Today democracy is no longer faced with absolute, land-based rent (ground and real estate) ; it must above all confront financial rent, capital, which money mobilizes globally as a fundamental instrument in the control of the multitudes. « Financialization » is the present form of capitalist governance. Obviously, this is still tied to rent, and it repeats the latter’s violent intentionality – just as it takes over the ambiguities and contradictions of any figure of capitalist exploitation. It would thus be stupid to think that financial capital does not represent in itself an antagonistic moment, for it always includes within itself labor-force as a necessary elements, which is both a producer of capital and a threat to it.

La figure du pirate ou la désobéissance civile, par et

À travers les questions « Qu’est-ce que l’individu du point de vue de la domination ? », « Qu’est-ce que l’individu du point de vue de la résistance, de la lutte et de la subversion ? », nous analyserons le rapport entre le groupe militant Women on Waves et certaines pratiques artistiques contemporaines. Cette association, par un brouillage nécessaire et efficace des frontières et des limites d’actions autant territoriales que politiques, sociales, juridiques ou encore artistiques, nous semble poser aujourd’hui frontalement au champ de l’art contemporain la question de l’engagement et surtout la possibilité d’une action éthique forte. Le principe même des Women on Waves repose sur l’idée que la responsabilité justifie la désobéissance ; nous verrons dans quelle mesure cette désobéissance civile parvient à nouer des relations singulières entre action artistique et groupe associatif.

By focusing on the questions « what is the individual from the standpoint of domination? » and « what is the individual from the standpoint of resistance, struggle and subversion ? », we will analyze the relation between the militant group Women on Waves and certain contemporary artistic practices. In its necessary and efficient perturbation of borders and limits to actions (territorial, political, social, legal or artistic), this association seems to us to frontally pose contemporary art the question of commitment and especially the possibility of robust ethical action. The very principle of the Women on Waves is the idea that responsibility justifies disobedience. We will see in what way this civil disobedience is able to create singular relations between artistic action and associative groups.

La géopolitique do-it-yourself, ou la carte du monde à l’envers, par

L’enthousiasme, ou le cinéma à venir, par

Enthusiasm, projet des artistes Neil Cummings et Marysia Lewandowksa initié en 2002, recense des centaines de films réalisés par des cinéastes amateurs polonais entre les années 1950 et la fin des années 1980. À partir de ces archives filmiques inédites, les deux artistes élaborent un réseau, ou une stratification, de récits : un certain mode collectif de production et de diffusion cinématographique, une visualisation du socialisme vécue du dedans, ainsi que la transmission (nécessairement indirecte) d’un enthousiasme historico-politique. Cet article tente de mettre en évidence le lien – sensible dans les expositions d’Enthusiasm en Europe et en Amérique – entre un tel enthousiasme et une conception du cinéma comme vestige historique en perpétuel devenir, depuis l’avant-garde russe des années 1920 jusqu’à certaines productions artistiques récentes (celles de Lewandowska/Cummings, mais aussi de Pierre Huyghe et Douglas Gordon) en passant par les Å“uvres de Jean-Luc Godard et Chris Marker.

Enthusiasm, a project launched in 2002 by the artists Neil Cummings and Marysia Lewandowska, inventories hundreds of films created by amateur filmmakers in Poland from the 1960s to the late 1980s. On the basis of this previously unavailable film archive, the two artists have elaborated a network or stratification of narratives – concerning a certain mode of collective film production and distribution, a visualization of socialism as lived from within, and a (necessarily indirect) transmission of historical-political enthusiasm. This essay attempts to highlight the link – palpable in the exhibitions of the project both in Europe and America – between such an enthusiasm and a conception of cinema as a historical vestige in a process of perpetual becoming, from the Russian avant-garde of the 1920s all the way to certain recent artistic productions by Lewandowska/Cummings as well as Pierre Huyghe or Douglas Gordon, via the filmic works of Jean-Luc Godard and Chris Marker.

Multitudes