En pointant que mon opinion (affirmée avec prudence toutefois, puisque le but affiché de son affirmation était précisément de la soumettre au débat) reproduit ” la thèse officielle répandue par les média ” vous me placez dans une situation à la fois avantageuse et embarrassante.
Avantageuse parce que je me vois au fond dispensé de fournir mes sources (mon courriel précédent en citait quelques unes pourtant) : ce sont celles de tout le monde, que tout un chacun a pu lire dans la majorité des journaux, entendre en écoutant les radios, voir en regardant les télévisions.
Embarrassante parce que stigmatisante : reprendre une thèse ” officielle ” quand par ailleurs on cherche -dans la limite de ses modestes facultés- à penser et à agir le monde en s’affranchissant -autant qu’il est possible- des explications idéologiques/hégémoniques qui n’ont pour vocation que d’en naturaliser/éterniser les conditions et le fonctionnement, cela paraît faire la preuve d’un singulier manque d’esprit critique et augurer d’un échec certain dans la réalisation du but proclamé.
Ecrire l’histoire du présent n’est pas facile.
Nous sommes face à une agression militaire dont les opérations guerrières viennent à peine de se terminer sur le territoire irakien. L’action américaine se poursuit et elle est loin, très loin d’avoir produit tous ses effets. Les sources dont nous disposons pour décrire les évènements de ce dernier mois sont vastes (beaucoup de reporters sur le terrain) mais impossibles à articuler d’une manière sûre. La majorité des documents qui seront décisifs pour écrire l’histoire nous sont encore inconnus : sources militaires notamment, témoignages des acteurs et leur recoupement, documents administratifs, statistiques médicales, etc. En outre, les passions et les engagements des uns et des autres sont encore trop vifs : l’objectivité des témoignages en est altérée, la sérénité des reconstructions sujette à caution.
Le temps fera son ?oeuvre.
Mais ce point de détail demeure : ” héroïque résistance militaire ” du ” peuple ” irakien ou attitude de retrait ?
On peut dessiner grossièrement les contours des systèmes idéologiques qui appellent l’un, une héroïque résistance, l’autre, une attitude de retrait.
Plus précisément, ces deux options factuelles peuvent faire l’objet d’une instrumentalisation dans le cadre d’un travail idéologique de légitimation ou de délégitimation de la guerre.
Le pacifique, le pacifiste, l’onusien, le partisan du respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, l’homme de loi soucieux de la légalité internationnale, l’anti-américain, tous les Thomas Diafoirus léninistes et autres scrutateurs de selles populaires, les pan-arabes et les crypto-musulmans, les anti-sionistes et les machistes, auront intérêt, peu ou prou, à disposer dans leur musette argumentative de cet élément factuel : ” et puis le peuple irakien a résisté, oui, Monsieur, il a résisté ! Il a dit non à la guerre contre laquelle nous avons protesté, il a dit non au prétendu libérateur américain, il a défendu son pays, sa religion, ses m?urs et sa liberté d’être serf ! Oui , Monsieur !”.
L’américain -c’est à peu près le seul- dira : ” et puis le peuple irakien s’est tenu en retrait des combats, certes, il n’a pas jeté des fleurs sur nos soldats, il ne nous a pas acueilli en entonnant des airs à la fois guillerets et larmoyants à la gloire de l’Amérique bonne et généreuse, mais il ne nous a pas combattu, non, non, Monsieur, pas combattu, c’est bien la preuve que notre intervention contre ses dirigeants iniques était juste ! “.
C’était il y a longtemps ou tout récemment, je ne sais plus.
C’était dans un ghetto urbain abandonné à la déréliction post industrielle ou bien dans les sables du désert arabo-persique ou bien dans une oasis verdoyante du bas euphrate, je ne sais plus.
Ce que je sais, c’est qu’il y avait deux bandes rivales, deux bandes de brigands sanguinaires sans foi ni loi. On les appelait, je crois, les Yankee et les Baas.
Les Baas tyrannisaient une population bigarrée sur un territoire assez vaste, plutôt riche en ressources naturelles, bien situé dans une région clé. Les Yankee ont attaqué les Baas pour prendre le territoire.
On dit que les Baas tenaient en joue la population pour qu’elle se batte avec eux, pour qu’elle les protège, eux, ces bandits ! On dit même que les chefs Baas -les brigands les plus méprisables et les plus assoiffés de sang qui furent onc sur cette terre- se servaient de leur population comme bouclier humain pour attendrir une autre bande -les Onusiens- qui observaient tout çà de loin ! En fait, les chefs Baas cherchaient à gagner du temps pour foutre le camp, oui, foutre le camp !
Quant à la population, elle cherchait à se défiler, évidemment : défendre ses maîtres, mais à quoi pensez vous donc? Dans quel monde vivez-vous ?
Comme les Yankee étaient très forts, ils l’ont emporté haut la main.
Et bien figurez-vous, il s’est trouvé des observateurs extérieurs pour s’étonner que la population opprimée par les Baas se tienne à l’écart de cette guerre des gangs ! On dit même que certains de ces observateurs extérieurs étaient pacifistes ou pacifiques, je ne sais plus. Et ils -ces pacifistes ou pacifiques je ne sais plus- ne pouvaient pas admettre que cette population fut restée neutre et
Enfin, c’est triste, quand même : la population a changé de maître.
Oui, bien sûr. Les Yankee vont moderniser l’oppression. On peut compter sur eux. Vont pas manquer l’occasion, les bougres ! Mais en modernisant l’oppression, ne vont-ils pas libérer la population de certains archaïsmes encombrants? Ces musulmans tout de même, avec leur fanatisme religieux, leur mépris des femmes, leurs appartenances claniques ne sont pas très fréquentables. Certes, certes, mais je vous vois venir. En modernisant l’oppression, les Yankee travaillent à leur perte. Eh oui ! Ils vont fabriquer un peuple moderne capable de comprendre enfin que ses intérêts sont au fond les mêmes que ceux des peuples non musulmans, européens, américains Vous alors ! toujours prêt à fourguer votre eschatologie de contrebande.
Ah, si c’était si simple !
Cordialement,