80. Multitudes 80. Automne 2020
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Revenu universel

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Un revenu sans travail obligatoire. Rêve revenu à plusieurs reprises après de multiples tours de piste. On l’avait rêvé, Covid 19 l’a fait et avec lui la crème du capitalisme bosseur, même si c’est à l’insu de son plein gré, avec tout plein d’arrières pensées.

Quand l’économie s’est presque arrêtée ce printemps 2020, la vie a continué et des centaines de millions de gens qui avaient la chance d’être salariés ou retraités ont continué à percevoir une grosse partie de leur revenu quand ailleurs, aux États-Unis en particulier, ils étaient jetés au chômage. Ce n’était jamais arrivé à ce point. Il y avait eu le chômage partiel, la Cassa Integrazione dans l’Italie des années 1970-1980, les indemnités de chômage à 110 % du salaire en cas de chômage économique sous Chirac en 1976. Et puis tous ces minima sociaux, le minimum vieillesse. Des petits pas tranquilles vers une garantie de revenu qui se généralise tout doucement. Même s’il se trouve toujours de vaillants défenseurs de la fierté des travailleurs pour juger honteux ces petits arrangements sans emploi réel. Mais cette fois-ci ça concernait les adultes, les travailleurs dans la fleur de l’âge de l’industrie et des bureaux.

Petit retour en arrière. En 1795, après l’incendie de la puissante banque d’Angleterre par des femmes révoltées contre la famine, les membres du Parlement britannique réunis dans une petite ville, Speenhamland votèrent une réforme totale des lois sur les Pauvres. Quelques années tard, plus de 3 % du PIB de la première puissance industrielle d’Europe étaient consacrés au premier dispositif qui dépassait la charité publique. Les pauvres ne s’y trompèrent pas ; ils appelèrent l’allocation de Speenhamland « le droit à la vie » tout simplement ! L’ancêtre de toutes les allocations de chômage, de l’État Providence était né.

La garantie massive de revenu pour les personnes renvoyées chez elles lors du grand confinement Covid 19 est un petit pas en avant et un grand bond pour l’humanité. Un adieu magistral et un marqueur absolu de civilisation. Adieu, à l’adage féroce « qui ne travaille pas, ne mange pas… », que Lénine et le socialisme avaient repris en disant : À chacun selon son travail.

Car qui travaille ? Pour qui ? Pour quoi ? Si les « travailleurs patentés », en travaillant comme des brutes pour le Roi de Prusse (l’actionnaire), produisent en fait des catastrophes en série, et si ceux qui prennent soin des humains, des vivants sont payés au lance-pierre, il faut changer de fable et lire celle des abeilles butineuses dont l’activité marchande (fabriquer du miel et de la cire) ne vaut plus grand-chose au regard de la pollinisation générale.

Il n’y a pas que les salariées patentées qui travaillent. Les moitiés de salariées, les semi-indépendantes, les premières de corvée familiale, les invisibles, les lanceuses d’alertes produisent elles aussi le vivant. Elles sont carrément plus productives et utiles à l’humanité.

Le salaire garanti aux salariées à temps plein doit devenir un revenu garanti à toutes les occasionnelles, à toute la matière noire invisible ou sombre de la production de la population et du vivant. C’est cette transformation qualitative qui est en train de se produire dans le corps de l’État Providence.

Comme toujours, il y a de l’auberge espagnole dans ce revenu universel. Chacune y vend sa camelote et voit midi à porte. Nous en sommes pourtant au temps du passage au tamis. Pour transformer l’essai, et isoler les pépites susceptibles d’arriver à l’étape de la socialisation complète de l’activité dans toute son ampleur, voici mon petit manuel de tri. Il tient à 7 clefs :

1° Ce fameux revenu d’existence, de base, est-il vraiment universel ? Est-il versé à tout le monde ou bien soumis à une condition de revenu ?

2° Concerne-t-il tout le monde dans un pays, dans l’Union européenne ? C’est-à-dire les résidentes et pas seulement les nationales.

3° Couvre-t-il toutes nos vies de la naissance à la mort ? Est-il vraiment irrévocable ? Pas de radiation possible ?

4° Est-il individuel ? C’est-à-dire attaché à chaque personne et pas au ménage, au mari, au foyer ?

5° Est-il inconditionnel c’est-à-dire cumulable avec l’exercice d’une activité salariée ou indépendante ?

6° Se substitue-t-il pour solde de tout compte au système de protection sociale attaché à l’exercice d’une activité marchande salariée ou indépendante ?

7° Ce revenu d’existence permet-il vraiment de vivre correctement ? Est-il la nouvelle forme de protection sociale généralisée ?

Il faut prendre bien garde aux sept conditions en bloc. Se garder à droite contre le détricotage de l’État social mais aussi se garder à gauche de ceux qui veulent réserver le revenu de base aux seuls ménages pauvres.

Comme le dit l’ami Van Parijs qui anime le beau site du BIEN (Basic Income Earth Network) le montant du revenu d’existence ou de base doit être le plus élevé possible dans chaque pays en fonction de sa richesse. Et je suggère de se servir du niveau du SMIC net en France soit 300 euros de plus que l’allocation vieillesse de 900 euros.

J’en déduis alors le petit calcul suivant. Fin janvier 2020, la population française (donc présente sur le sol ou recensée à l’étranger) se montait à 67 millions de personnes environ. Les moins de 18 ans étaient 12 millions. Un revenu d’existence servant de mesure de protection de la totalité de la population adulte (y compris les salariés) de 1 200 nets par mois (soit 1 500 avec les cotisations sociales) font 18 000 annuels. Pour les moins de 18 ans comptons une échelle de consommation de moitié et calculons sur la base de la moitié de ce qui est versé à un adulte, soit 9 000 par an. Mon tout, mais je ne suis pas très forte en calcul, correspond à une dépense 130 milliards d’euros pour les moins de 18 ans, et à 938 milliards d’euros pour les adultes. Montant de l’addition : 1 068 milliards d’euros.

Cette somme représente 42 % du PIB de la France. Ce revenu devrait provoquer un choc positif de pouvoir d’achat, de résorption de la pauvreté, de dynamique de l’appareil productif devenu pleinement pollinisateur et capable de résister aux énormes restructurations écologiques et numériques des industries. La création du système de protection sociale à la Libération a été un choc analogue. Reste le financement de cet effort social sans précédent. Avec notre système fiscal aménagé à la marge (rétablissement de l’ISF, un impôt beaucoup plus progressif sur le revenu, une TVA déjà très élevée, etc.) Le compte n’y est pas. Allez à l’entrée Taxe Pollen dans cet abécédaire.

[voir Bio puissance / Bio pouvoir, Taxe Pollen]