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Majeure 93. Communs négatifs

Des communs positifs aux communs négatifs
Repenser les communs à l’ère de l’Anthropocène, par

Des communs positifs aux communs négatifs
Repenser les communs à l’ère de l’Anthropocène
La notion de Communs s’est dans une grande mesure diffusée dans la littérature académique en France à partir des travaux de l’économiste Elinor Ostrom autour des Commons Pool Resources. Dans cette conception, les Communs sont toujours des éléments intrinsèquement marqués positivement, en tant qu’ils constituent des biens pourvus d’utilités venant satisfaire des besoins humains (réserves en eau, bois, ressources halieutiques, etc.). Cette vision a permis un temps une meilleure prise en compte des questions écologiques dans le champ de l’économie, en mettant en lumière des pratiques de gestion partagée pouvant contribuer, dans certaines conditions, à la durabilité des ressources. Mais elle est aussi fortement marquée par une perspective « environnementaliste » et « développementiste » peu adaptée à la situation ouverte par l’Anthropocène et les défis qui la caractérisent. Dans un monde marqué par l’urgence climatique, il importe sans doute de rompre avec l’approche « bucolique » des communs positifs pour envisager en tant que Communs négatifs non plus les choses suscitant un désir d’appropriation, mais celles que plus personne au contraire ne souhaite posséder (déchets, ruines industrielles). Penser les Communs au-delà de la ressource et de l’usage permet aussi de penser comme Communs négatifs des éléments dont l’abandon ou la limitation devient critique (énergies fossiles, plastique, viande, trafic aérien, etc.).

From Positive Commons to Negative Commons
Rethinking the Commons in the Context of the Anthropocene
The notion of the Commons has been widely disseminated in academic literature in France since the work of economist Elinor Ostrom on Commons Pool Resources. In this conception, Commons are always intrinsically positively marked elements, insofar as they constitute goods with utilities that satisfy human needs (water reserves, wood, fishing resources, etc.). For a time, this vision allowed ecological issues to be better considered in the field of economics, by highlighting shared management practices that could contribute, under certain conditions, to the sustainability of resources. But it is also strongly marked by an “environmentalist” and “developmentalist” perspective, which questions its adaptation to the situation opened up by the Anthropocene and the challenges that characterize it. In a world marked by the urgency of climate change, it is undoubtedly important to break with the “bucolic” approach to the positive commons and consider as negative commons not those things that arouse a desire for appropriation, but those that no-one wishes to possess (waste, industrial ruins). Thinking of the Commons beyond resources and use also enables us to consider as negative Commons elements whose abandonment or limitation is becoming critical (fossil fuels, plastics, meat, air traffic, etc.).

La patrimonialisation de la mine de Loos‑en‑Gohelle
Du deuil d’un ancien modèle à la gestion active d’un territoire en commun, par
et

La patrimonialisation de la mine de Loos‑en‑Gohelle
Du deuil d’un ancien modèle à la gestion active d’un territoire en commun
Comment le processus de patrimonialisation a-t-il permis qu’une commune minière, Loos-en-Gohelle, héritière d’un monde en « ruine », se relève et passe « du noir au vert » ? Si cette commune a réussi à reconnaître, gérer et animer les communs de son territoire, c’est parce qu’elle a sû se transformer en interne pour porter et piloter ce changement de trajectoire ; assumer des arbitrages politiques forts ; créer des espaces de révélation des attachements et de délibération ; et faire alliance avec les habitants et le tissu associatif et économique, sans tomber dans les écueils de la muséification ou du marketing territorial.

Heritage in Loos-en-Gohelle
From Mourning the Loss of an Old Model to Active Management of a Shared Territory
How has the heritage process enabled Loos-en-Gohelle, a mining commune and heir to a world in “ruins”, to get back on its feet and move “from black to green”? If this municipality has succeeded in recognising, managing and animating the commons of its territory, it is because it has been able to transform itself internally to support and steer this change of trajectory; to assume strong political arbitrations; to create spaces for the revelation of attachments and deliberation; and to make an alliance with the inhabitants and the associative and economic fabric, without falling into the pitfalls of museification or territorial marketing.

Un village face à une entreprise minière
L’extractivisme dans le projet démocratique de constitution chilienne, par

L’archipel énergétique contre le monument électrique continu, par et

L’archipel énergétique contre le monument électrique continu
La structuration du service public de l’électricité a intégré une forte dimension imaginaire, la promesse des services collectifs pour le plus grand nombre. La figure du réseau est restée dans l’imaginaire collectif, celle de la solidarité territoriale et de la péréquation tarifaire : où que l’on aille, qu’importe les capacités productives de la région ou de la localité desservie, il y a de l’électricité au même coût. C’est la pensée d’un commun qui s’est matérialisée dans une structure réseau qui reflète des choix technologiques et politiques : un modèle centralisé à outrance et qui a misé sur le nucléaire. Le renouvelable est en train de complètement s’intégrer à ce qu’on a appelé la mégamachine. Il y a peut-être une transition énergétique mais il n’y a pas de transition infrastructurelle. Depuis une vingtaine d’années, la carte de l’interconnexion s’est considérablement densifiée, et l’ensemble des paysages mutent – paysages énergétiques dans lesquels la production électrique joue un rôle central car c’est elle qui donne « l’élasticité » économique aux territoires. De nouvelles figures réticulaires, de restructuration du réseau électrique à partir de micro-réseaux, peuvent donner lieu à des régimes socio-techniques différents.

The Energy Archipelago versus the Continuous Electric Monument
The structuring of the public electricity service has included a strong imaginary dimension: the promise of collective services for the greatest number. In the collective imagination, the figure of the network has remained, that of territorial solidarity and fare equalisation: wherever you go, whatever the productive capacity of the region or locality served, there is electricity at the same cost. This is the thinking of a common good that has materialised in a network structure that reflects technological and political choices: a model that is excessively centralised and that relies on nuclear power. The renewables are in the process of being fully integrated into what has been called the megamachine. There may be an energy transition, but there is no infrastructure transition. Over the last twenty years or so, the interconnection map has become considerably denser, and all landscapes are changing – energy landscapes in which electricity production plays a central role, because it is electricity production that gives territories their economic “elasticity”. New reticular figures, restructuring the electricity network on the basis of micro-grids, may give rise to different socio-technical regimes.

Désaffecter les communs négatifs
Dialogue autour d’une politique éducative de l’amour, par
et

Désaffecter les communs négatifs
Dialogue autour d’une politique éducative de l’amour
Cet article en forme de dialogue, clin d’œil à Bruno Latour, interroge le travail éducatif appelé par l’Anthropocène. La connaissance de la contradiction entre les conditions d’habitabilité de la planète et certains de nos attachements ne peut suffire à porter la redirection écologique. Renoncer aux activités nuisibles à la planète implique dans le même mouvement d’en aimer de nouvelles, compatibles avec la biosphère, tout en étant sources de contentement durable, d’accomplissement et de créativité pour tout un chacun. Si l’enfance est une période déterminante pour la formation des « goûts et des couleurs », alors il importerait d’enquêter dès l’école primaire sur ces activités du « bon infini » et les manières de les cultiver et partager.

Disinvesting the Negative Commons
A Dialogue on the Educational Politics of Love
This article, in the form of a dialogue with a nod to Bruno Latour, questions the educational work called for by the Anthropocene. Knowledge of the contradiction between the planet’s habitability and some of our attachments is not enough to carry out ecological redirection. Renouncing activities that are harmful to the planet implies at the same time loving new ones that are compatible with the biosphere, while being sources of lasting contentment, fulfillment, and creativity for everyone. If childhood is a decisive period for the formation of “tastes and colors”, then it would be important to investigate, from elementary school onwards, these activities of “good infinity” and the ways of cultivating and sharing them.

Lyme et le déni de certitude
Combattre les microbes par l’enquête, par

Lyme et le déni de certitude
Combattre les microbes par l’enquête
Zoonose la plus importante en Europe, mais aussi première épidémie de l’Anthropocène, la maladie de Lyme aux symptômes persistants – ou Lyme long, ne fait encore l’objet d’aucune reconnaissance médicale en France. Les outils diagnostiques, les thérapeutiques, les recherches, font défaut. Observer les espaces sociaux en ligne où les malades, aux symptômes aussi bien légers que gravissimes, partagent leurs prises, questions et bouts d’enquêtes, renseigne sur les effets collatéraux du commun négatif que constitue, au-delà de la pandémie elle-même, le déni de certitude qui l’affecte. Si le coût financier, pour la collectivité, de cette errance médicale et de ses conséquences en termes d’arrêts de travail, d’invalidité et autres, est estimé à plus de 12 milliards d’euros par an, on documente ici ce que signifie, en termes d’empowerment forcé, l’enquête indéfinie nécessaire pour survivre ou aller mieux, et son style plus guerrier que diplomatique de rapport aux pathogènes microbiens.

Lyme Disease and the Denial of Certainty
Fighting Microbes through Inquiry
Leading zoonosis in Europe, and also the first epidemic of the Anthropocene, Lyme disease with persistent symptoms − or long Lyme − is not yet medically recognized in France. Diagnostic tools, therapeutics and research are all lacking. Observing the online social spaces where sufferers, with symptoms ranging from mild to severe, share their intakes, questions and bits of investigation, provides information on the collateral effects of the negative commons that constitutes, beyond the pandemic itself, the denial of certainty. If the financial cost to the community of this medical wandering and its consequences in terms of sick leaves, invalidity, etc., is estimated at over 12 billion euros a year, here we document what forced empowerment means, with its indefinite investigation on how to survive or get better, and its more warlike than diplomatic style of dealing with microbial pathogens.

Soigner les communs négatifs en temps de pandémie, par

Soigner les communs négatifs en temps de pandémie
Cet article revient sur la pandémie de Covid et, s’inspirant de textes et concepts inscrits dans la mouvance de l’auto-défense sanitaire, défend l’assimilation de la perspective des communs négatifs avec un communisme du désastre ou du soin. La pandémie interroge selon nous l’exposition des travailleur-euses à un risque léthal du fait de la contrainte de subsister en travaillant pour des organisations. À l’instar du propos d’Yves Citton dans ce même numéro, cet état de fait invite à imaginer d’autres modèles de protection sociales adaptés à une économie du soin des communs négatif. Revenant sur la pandémie, à partir du concept de « diagonalisme » proposé par William Callison et Quinn Slobodian, il apparaît que c’est le défaut d’une telle économie qui contribua à pousser des foules de free-lances à se radicaliser sur YouTube ou Twitter, sur un mode conspiritualistes, alors que les cadres pouvaient télétravailler via Zoom ou Teams. Une économie de l’incurie s’est ainsi substitué à une économie du soin.

The Economics of Care in Pandemic Times
This article looks back at the Covid pandemic and, drawing on texts and concepts from the health self-defense movement, defends the assimilation of the negative commons perspective with a communism of disaster or care. In our view, the pandemic raises the question of workers’ exposure to a lethal risk as a result of the constraint of subsisting by working for organizations. As Yves Citton points out in this issue, this state of affairs invites us to imagine other models of social protection adapted to an economy of care for the negative commons. Looking back at the pandemic, using the concept of “diagonalism” proposed by William Callison and Quinn Slobodian, we see that it was the shortcomings of such an economy that helped drive crowds of freelancers to radicalize themselves on YouTube or Twitter, in a conspiritualist mode, while executives could telework via Zoom or Teams. An economy of neglect has thus replaced an economy of care.

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