Il est devenu banal dans la philosophie contemporaine de dire que, éthiquement et politiquement, l’événement nous appelle à devenir son égal. Personnifier et individualiser ne sont pas à la hauteur d’un événement qui démontre avec tant de force notre interdépendance. Il n’y a rien de tel que de fermer une économie pour faire comprendre à quel point nos vies sont suspendues dans un filet de mutualité. Jamais auparavant l’épicier du quartier ou le livreur ne se sont sentis aussi intégrés à l’existence sociale. L’origine même du virus est liée à un réseau écologique : une voie de transmission multi-espèces, conditionnée par la destruction des habitats et le réchauffement climatique contre lesquels les scientifiques nous ont longtemps mis en garde. Il ne suffit pas d’un village, pour retourner le dictum de Hillary Clinton, il faut une planète. Le virus requiert de prendre soin les uns des autres, en accord avec un soin envers la planète. Il faut, non pas une personnification, mais une embrassade de notre imbrication intégrale les unes avec les autres dans un monde plus qu’humain.

Au lieu de transférer le négationnisme du changement climatique au Covid 19, nous avons la possibilité de transférer l’élan collectif qui s’était créé dans le mouvement d’urgence climatique à l’aide mutuelle et aux célébrations de la vie dans cette crise, en regardant déjà au-delà pour continuer la lutte contre cette crise plus large dont elle est sans doute un affluent. Il s’agit notamment de prendre dès maintenant des mesures en faveur d’un type d’économie qui ne nous demandera jamais – à nous, à nos voisins, à notre planète – de nous coucher pour accepter la mort. C’est ce qui doit être chanté sur les balcons : le post-capitalisme, à haute voix. Et je ne parle pas de l’imitation s’appelant « socialisme démocratique ». Ceci est plutôt une tentative de capitalisme « à visage humain ». C’est bien mieux que les alternatives proposées. Mais nous avons vu où les « visages » nous mènent.

Imbrication mutuelle les unes avec les autres : essayons quelque chose de transindividuel cette fois. Un monde plus qu’humain : rendons-le multi-espèces !

[voir Visages de l’ennemi]