Critique des technologies

L’ouverture du pôle Minatec cristallise la critique des nanotechnologies

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LE MONDE | 02.06.06 | Un millier de manifestants, pour la plupart très jeunes, baggys-dreadlocks majoritaires. Quelques foulards-cagoules aussi, venus pour en découdre. Face à eux, des cordons de gendarmes mobiles, renforcés de policiers en civil…

Jeudi 1er juin, à la veille de son ouverture officielle, le pôle de micro et nanotechnologies Minatec de Grenoble s’est offert un tour de chauffe contestataire sous bonne garde policière. Pendant deux heures, les “anti-nanos”, venus de toute la France, avec le soutien du réseau “Sortir du nucléaire”, ont défilé dans la cité alpine aux cris de “Fermez les labos !” et de “Recherche militaire, recherche policière !”. Avant d’être sèchement dispersés, à l’approche du site de Minatec, par les forces de l’ordre, qui les ont ensuite pourchassés dans le centre-ville. Une jeune fille a été blessée au visage lors d’un tir de grenade lacrymogène. Le nouveau pôle d’innovation, entouré d’un périmètre de sécurité comme un camp retranché, devait être inauguré vendredi 2 juin, sans Dominique de Villepin, dont la venue avait pourtant été annoncée.

Cette contre-manifestation constituait le point d’orgue de trois journées de débats et d’actions, orchestrées par l’Opposition grenobloise aux nécrotechnologies. Un mouvement au sein duquel se retrouvent, peu ou prou, les militants de Pièces et main-d’oeuvre (PMO), des activistes rompus à l’agit-prop qui, depuis 2001, dénoncent sans relâche “le techno-totalitarisme, l’artificialisation du monde et la croissance destructrice”. Autant de maux dont Minatec représente à leurs yeux le concentré.

Les chercheurs et les élus grenoblois, qu’ils prennent volontiers pour cibles, n’aiment guère ces détracteurs, auxquels ils reprochent d’agir sous le couvert de l’anonymat et de recourir à l’intimidation. Mais, dans une ville dont les élites et les édiles partagent la même culture scientifique et technique – à commencer par le député maire (PS) de Grenoble, Michel Destot, ancien ingénieur au CEA -, force est de reconnaître que les électrons libres de PMO sont les seuls à porter le débat sur les nanotechnologies. Si PMO est en France le groupe le plus actif dans la mise en cause des nanotechnologies, il n’est pas isolé. Dans tous les pays développés, un mouvement de contestation de ces technologies s’est constitué depuis plusieurs années. Cela alors même qu’aucun nano-objet n’est encore sorti des laboratoires.

La critique est partie du Canada où, dès 1999, le groupe écologiste Action Group on Erosion, Technology and Concentration (ETC) – connu pour ses actions sur les OGM – s’est inquiété des problèmes posés par les nanotechnologies et a appelé, en 2002, à un moratoire sur leur développement. Bien connu dans le réseau alternatif mondial, ETC diffuse ses interrogations dans le monde entier.

Le débat a été amplifié par une intervention d’une origine toute différente, la publication fin 2002 de The Prey (“La Proie”, éd. Robert Laffont, 385 pages, 22 ¤), du romancier Michael Crichton, mettant en scène une catastrophe provoquée par un nuage de nanoparticules capables de se reproduire et d’échapper à tout contrôle.

Sans aller aussi loin, la Royal Society britannique s’est interrogée sur le sujet et a publié en 2004 un rapport recommandant que “les produits sous forme de nanoparticules subissent un examen complet d’innocuité avant que leur commercialisation soit autorisée”. La même année, la compagnie suisse de réassurance Swiss Re a elle aussi souligné les risques des nanotechnologies, en les comparant à ceux de l’amiante.

Si plusieurs pays ouvrent le dialogue, en France, les officiels ne présentent que le côté positif des choses. En fait, comme le note Dorothée Benoit-Browaeys, présidente de l’association VivAgora, “nous sommes en train de reproduire le désastre démocratique des biotechnologies, développées sans anticipation en matière d’information, de concertation et de participation citoyenne”.

Le débat n’en aura pas moins lieu. Friends of the Earth (les Amis de la Terre) a lancé, en mai, une campagne contre la présence de nanoparticules dans les cosmétiques. Et 38 associations écologistes ont signé le 19 mai, à Berkeley, en Californie, une “lettre ouverte” dans laquelle ces mouvements, parmi lesquels ETC (Canada), Genewatch (Royaume-Uni), Greenpeace, les Amis de la Terre, la Fondation sciences citoyennes (France) ou RSSTE (Inde), appellent la communauté scientifique à entrer dans un “processus ouvert de discussion sur ces nouvelles technologies”.
Hervé Kempf et Pierre Le Hir