87. Multitudes 87. Eté 2022
Mineure 87. D. Malaquais : pratiques artistiques d’insoumission

L’impossible pratique curatoriale des arts vivants

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La performance de Mamela Nyamza, qui a marqué son statut de Jeune Artiste de Danse de la Standard Bank au National Arts Festival de 2011, a été présentée dans une salle comportant une scène rectangulaire encadrée par des rideaux noirs, des tapis de danse noirs, des sièges surélevés, ainsi qu’un son et des lumières contrôlés depuis l’arrière de l’immense auditorium1. Un cadre idéal pour voir la danse. Ou pas. Car, à ce moment-là, Nyamza n’exécutait pas de la danse au sens conventionnel du terme, ou comme le permettait la configuration typique de la scène. L’œuvre – intense et impeccablement réalisée – était gestuelle et minimale dans sa physicalité. Intitulée Amafongkong (un mot d’argot isiXhosa désignant de fausses marchandises importées de Chine), la performance occupait cet espace provocateur entre la danse radicale et la collaboration artistique en direct (avec l’Adugna Dance Company, une compagnie d’interprètes éthiopiens accueillant des personnes aux capacités diverses, généralement considérées comme « handicapées »). Par le biais d’une satire acerbe, Amafongkong a évoqué un continent constamment assiégé par une économie mondiale vorace, critiquant la persistance de la pauvreté, du chômage et de la crise économique sous le couvert du « développement » par l’investissement global. Dépourvue du genre de virtuosité technique narcissique qui caractérise la plupart des danses conventionnelles, cette œuvre tranchante exigeait un public critique et contemplatif. Le public devait s’asseoir beaucoup plus près que ce qui est généralement exigé pour les spectacles de danse et que ce qui était permis par l’espace de l’auditorium.

En raison de ce point aveugle dans la communication et dans les hypothèses ayant sous-tendu la monstration de l’œuvre, le chaos s’est installé dans la période précédant la première. En quelques heures, les sièges du public, le contrôle technique et la gestion de la scène ont dû être déplacés et recalibrés. Le public devait maintenant être placé sur la scène et la très grande zone de sièges surélevés a été recouverte de plastique noir, ressemblant à une morgue, avec des effets significatifs : l’œuvre a mis fin aux attentes de voir un danseur et chorégraphe primé. Lorsque certains membres du public sont sortis – une réaction prévisible à une œuvre qui bouleverse plusieurs notions de la danse – ils ne pouvaient plus s’éclipser discrètement. Dans cette nouvelle configuration intimiste, ils ont dû traverser la scène pour rejoindre les sorties, puis marcher « en coulisses », où les membres de la distribution, baguettes dans les cheveux, mangeaient des plats chinois à emporter – un commentaire de Nyamza sur les nouveaux impérialismes en Afrique.

À ce moment-là, avec tout le chaos qui l’accompagne, une approche radicalement différente de la performance (et un nouveau défi pour l’acte curatorial) a plané dans cet espace étouffant et agité. L’inconfort a semblé favoriser plutôt qu’entraver la naissance de cette œuvre complexe. L’horizon de contrôle constitutif de l’activité curatoriale – insister pour que l’œuvre se déroule dans le format initialement prévu – aurait pu ruiner l’œuvre, en la rendant clinique, représentative et réductrice, fermant ainsi les possibilités d’une vision curatoriale plus ambitieuse. En l’occurrence, le public a évolué au même rythme que les idées. Ce fut une expérience épuisante pour toutes les personnes impliquées dans la production, mais elle est emblématique d’une évolution dans la pratique curatoriale de l’art vivant. Alors que les frontières et les disciplines s’estompent dans l’approche curatoriale autour des performances en Afrique du Sud, sa vision, ses défis et ses points aveugles impliquent un projet beaucoup plus vaste que « prendre soin de l’œuvre ».

La pratique curatoriale comme médiation en temps de crise

Jusqu’à très récemment, le curateur de spectacles vivants était considéré comme un individu, souvent le producteur d’un festival, qui travaille dans certaines limites de budget, de durée et de lieux pour développer un programme de travail. La pratique curatoriale, empruntée aux arts visuels, implique en fait bien davantage que ce rôle de « programmation », bien que les termes soient parfois confondus sans que l’on prête attention au contenu nécessaire que l’activité curatoriale implique. En Afrique du Sud, la programmation d’œuvres soucieuses d’accueillir les diversités impliquait traditionnellement l’utilisation de « normes » de performance héritées des cadres coloniaux, qui déterminaient les intentions de sélection, de production et de diffusion des œuvres. Il était donc possible pour un programmateur de travailler de façon acritique dans le cadre de paradigmes eurocentriques et de présenter ces paradigmes comme universels, et ce type de programmation a dominé la performance.

Par contraste, la pratique curatoriale telle que je l’envisage ici offre des espaces pour que soit mis en débat le raisonnement qui sous-tend une sélection d’œuvres, parfois en entrelaçant délibérément une narration globale qui émerge à travers les œuvres présentées avec des conférences, des discussions de groupe et des conversations post-production entre le public et les artistes. Cet élargissement du cadre est crucial en Afrique du Sud, alors que nous nous engageons dans un vaste processus de décolonisation et que les hypothèses héritées de ce qui constitue une « bonne norme » sont fortement contestées. La démystification de la programmation et la médiation des idées, inhérentes aux meilleures pratiques curatoriales, sont des outils puissants dans ce processus. Bien sûr, le danger inhérent à cette démarche est que le curateur devienne un autre arbitre d’idées hermétiques. […]

Cette rupture avec les régimes bien rodés de l’expérience artistique tend à rendre l’œuvre instable et sans gouvernail – mais c’est là une matrice sur laquelle l’art vivant prospère. Le degré d’imprévisibilité et la capacité de l’artiste à offrir des moments de rencontre unique sont souvent le baromètre, quelque peu problématique, du succès d’une œuvre d’art vivant. Malgré ses dangers, et bien que l’idée d’une action totalement unique soit absurde dans notre époque contemporaine sursaturée, ce moment dans la relation entre l’artiste, l’espace et le public est plein de potentiel pour l’émergence de sensations et de significations inattendues. Or, au sein d’un tel scénario, l’idée de créer une série de cadres thématiques pour contenir l’œuvre, comme le suppose l’acte curatorial, devient de plus en plus plombée et inappropriée.

La relation entre les niveaux d’imprévisibilité, de fluidité et de transformation est particulièrement résonnante dans les sociétés en crise. Le manque persistant de transformation économique – parmi d’autres domaines critiques de réparation autour des questions de race, de classe et de genre en Afrique du Sud – a suscité, au moment où je rédige cet article, de nouveaux niveaux de méfiance violente envers les perspectives et les promesses singulières. Cette turbulence impose des exigences particulières aux artistes. Il n’est pas étonnant que le théâtre et la danse sud-africaines, dans leurs modalités respectueuses des conventions d’usage, luttent pour rester pertinentes. Les artistes vivants relèvent le défi de répondre aux crises de notre époque par des formes multivalentes, collaboratives et consultatives qui invitent l’instabilité au sein même de leur travail. En résistant à la marchandisation, de nombreux artistes montrent une relation directe et sans compromis avec les contextes de crise qui ont généré leur travail. […]

Les appels lancés au curateur pour qu’il navigue dans cet espace complexe et prenne soin de l’œuvre et de son public sont stimulants et même parfois irréalisables. Cette anarchie et cette volatilité essentielles dans la création de nouvelles formes résonnent profondément avec le projet de décolonisation, dans la mesure où l’on est conscient que les performances sont parfois vues et conservées selon des modèles hérités, qui sont idéologiquement tendancieux et qui ne correspondent pas à l’œuvre. Une pratique curatoriale autour de l’anarchie ou de la crise est une contradiction dans les termes, emportée dans une lutte constante contre la marchandisation, l’appropriation et la gentrification. Dans le contexte global du moment, l’approche curatoriale se trouve flirter avec la reconstitution des régimes de tournée et d’exposition de corps noirs issus d’un passé pas si lointain. Prendre soin des corps se voit imbriqué dans un libéralisme maladif. La sous-représentation des minorités de race et de genre dans les organes directeurs des institutions artistiques ne fait qu’exacerber ces tensions.

Peut-être le terme de curating, ou l’acte curatorial lui-même, ont-ils fait leur temps. Il faut toutefois à l’évidence faire face à la nécessité de prendre soin des espaces de vulnérabilité et de fragilité, qui sont autant de marques de vie dans le sillage des tentatives d’invisibilisation de toute présence perturbatrice. Dans de tels espaces, la pratique curatoriale des arts vivants incite, au minimum, à la proposition de nouvelles grammaires d’action. […]

L’appel aux transformations est expansif, les débordements imprévisibles. Les performeurs semblent demander qu’on les laisse tranquilles ou, du moins, qu’on ne s’occupe pas d’eux dans des cadres conventionnels et selon les anciennes règles. La meilleure façon de « prendre soin de » leur travail pourrait alors être de laisser tomber la tendance au contrôle et les cadres de référence constitutifs des dispositifs curatoriaux traditionnels, et d’élargir plutôt la plate-forme qui donne naissance à une œuvre d’art vivant, en créant un programme ouvert ainsi qu’un espace conceptuel fluide. Pour ce faire, il est également nécessaire de trouver des mécanismes pour diversifier le langage et la vision de la pratique curatoriale. En lieu et place d’une telle vision, mais en espérant qu’elle s’en rapproche, je propose cinq éléments (terminologies, spatialités, rythme, opacité et public) comme points de départ pour la création de nouvelles grammaires des pratiques curatoriales.

Terminologies

Dans le cadre du Live Arts Festival de 2017, Albert Khoza a travaillé avec des rituels africains de purification en se confrontant à la modernité, à la crise et aux excès de la douleur et de la dislocation. Dans son utilisation de la forme, son œuvre Take in Take out (to live is to be sick, to die is to live) a rappelé aux spectateurs que ce que nous appelons « arts vivants » existe sur le continent africain depuis des siècles. En outre, la rencontre avec la modernité, exprimée par l’utilisation de textes en anglais et de projections vidéo, a fourni plusieurs occasions d’autoréflexion. Khoza passait de façon parfaitement fluide du geste de brûler rituellement de l’impepho (encens utilisé dans les cérémonies et les rituels ancestraux) au geste de répondre à un téléphone rouge pour communiquer avec ses ancêtres. Des bribes sporadiques de cette interaction entre les pratiques rituelles anciennes et la modernité apparaissent avec beaucoup de détails et de nuances dans les performances contemporaines, ce qui soulève la question suivante : comment l’organisation des arts vivants sur ce continent, et plus particulièrement en Afrique du Sud, transcende-t-elle les frontières et les attentes établies par la terminologie propre aux pratiques occidentales contemporaines ? Bien que la pratique rituelle ancienne soit prévalente dans le travail de nombreux artistes africains contemporains, le travail de Khoza en 2017 a signalé un besoin urgent d’interroger la terminologie inadéquate imposée à des œuvres dont les significations excèdent les contextes temporels et conceptuels définis par les normes occidentales.

Spatialités

Lors du Live Art Festival de 2014, une collection d’œuvres conservées sous le thème Periphery as Threshold (« la périphérie comme seuil) a travaillé avec l’espace comme outil curatorial et avec la notion d’outsider dans le cadre de la démocratie émergeant en Afrique du Sud. Le performeur camerounais Christian Etongo a exploré l’immigration illégale dans son œuvre Quartier Sud, qui était présentée en plein air. Rough Musick, qui a fait reconnaître l’artiste queer ashen d’origine européenne Gavin Krastin comme primitif et ethniquement différent, commençait dans un petit espace fermé pour se terminer dans le Company’s Garden. Le Cabaret Crawl de Brian Lobel et Season Butler, « une nuit progressive de boisson, de légèreté, de danse et d’art » dans les clubs et bars queer du Cap, était une recherche rauque et ironique de la performativité en dehors des espaces théâtraux traditionnels2. Ces œuvres ont exploré comment, lorsque des couches de la culture dominante sont épluchées, déplacées et repositionnées, d’autres sont révélées et réinscrites. La périphérie et le centre peuvent ne pas être très éloignés l’un de l’autre, se remplaçant mutuellement dans des échanges turbulents.

L’itération de The Future White Woman of Azania d’Athi-Patra Ruga au festival de 2012 a eu lieu dans une devanture de magasin baignée de néons. L’œuvre de Dean Hutton à Live Art 2017, qui devait être présentée sur une place publique, a dû être reprogrammée à la hâte en raison des violentes menaces de mort proférées à son encontre pour son œuvre #fuckwhitepeople. La solution que nous avons imaginée a consisté pour Hutton à se produire à distance devant une caméra qui alimentait en direct la projection de l’œuvre sur une statue coloniale sur la place publique en question. Le discours sur la blancheur et les privilèges, transmis à travers des espaces physiques disparates, a été un triomphe particulier pour une forme malléable qui refuse de se plier à des contextes difficiles, voire violents.

Les œuvres d’art vivant tordent l’espace, qu’il s’agisse de désavouer le cube blanc, de confondre l’arc de proscenium ou de se répandre dans la rue ou dans le cyberespace. La pratique curatoriale implique de savoir si l’espace sert de toile suffisamment malléable pour les questions posées par l’artiste. Cela offre d’immenses possibilités de rencontres avec des publics très divers.

Rythmes

Au festival Spielart 2017 de Munich, j’ai présidé un panel d’artistes de la série Crossing Oceans qui s’est penché sur la notion d’universalité. Le caractère fallacieux des notions de rythme universel dans l’art vivant était un thème dominant. Le rythme, techniquement les intervalles entre un accent ou un non-accent, essentiellement dérivé du rythme cardiaque, détermine le flux et la perturbation, l’engagement et le désengagement dans l’expérience d’une performance. Dans un monde insulaire, il peut être facile d’isoler un rythme régulier ; le grand récit perpétué par les formes coloniales est fondé sur l’idée qu’il n’existe qu’un seul rythme ou flux. Le rythme est aussi crucial pour la pratique curatoriale que pour la performance elle-même – appelant à écouter les battements de cœur dans et entre les œuvres. L’imprévisibilité, marque de fabrique du post-structuralisme, peut rapidement devenir normalisée et contenue au sein d’une communauté insulaire à mesure que la société s’adapte. De même, l’expérimental peut devenir mainstream, perpétuant ainsi le mythe d’un rythme universel, même dans les œuvres expérimentales. La possibilité de faire l’expérience d’un éventail de contextes engendre une interrogation sur les rythmes imprévisibles qui découlent de visions du monde variées. Le panel de Crossing Oceans s’est notamment penché sur certaines questions centrales de la pratique curatoriale : comment se défaire, dans des contextes postcoloniaux, du rythme imprégné par l’héritage omniprésent des normes coloniales ? Dans le processus d’adhésion au projet décolonial, dans quelle mesure devons-nous être spéculatifs, patients et courageux pour envisager ces nouveaux rythmes ?

Opacité

L’universalité des formations culturelles, artistiques et linguistiques était un mécanisme permettant aux machinations économiques et au pillage du projet colonial de fonctionner sous l’apparence des normes de toute formation culturelle civilisée. Cela s’est imposé non seulement dans la langue, mais aussi dans tous les aspects de l’activité humaine, de la loi à la culture, en passant par le désir et la sexualité, les questions d’étiquette, le ton de la voix et la beauté, jusqu’à la façon de concevoir l’espace et les subjectivités du temps – la topographie et les calendriers de la colonialité étant tous réfractés à travers une lentille coloniale.

La notion d’universalité dans un monde post-structurel et postcolonial a été diversement remise en question au cours des décennies, et la reconnaissance de l’opacité, qui interroge la spécificité du contexte, nous aide à relever les défis soulevés par les arts vivants. Mais il y a, en même temps, des développements technologiques qui rétrécissent les espaces via les voyages, le mouvement accéléré des humains et le développement rapide de communautés hybrides dans le monde entier – où, à nouveau, l’idée d’universalité refait surface. Cette tension entre les contextes locaux et l’appropriation et la cooptation de ceux-ci dans des contextes globalisés offrent de riches possibilités de rencontre avec de nouvelles visions du monde.

La pratique curatoriale permet une relation sur mesure entre l’artiste et le public. En Afrique du Sud, la possibilité pour l’opacité obstinée d’inspirer des formes actives d’observation se vit comme une incitation à développer de nouvelles façons de regarder et à élargir ce que cette relation sur mesure peut inclure et exclure.

Public

Les quatre festivals d’art vivant accueillis par l’Institute for Creative Arts ont chacun inclus des débats, des discussions et la participation du public. Cela a permis de dépasser le clivage artiste/spectateur et a encouragé une recherche plus collaborative de la sémiotique parfois insaisissable des arts vivants. Les artistes ont également offert au public un large éventail de modes de participation – depuis la prière rituelle dans Gadat de Hasan et Husain Essop jusqu’à la diffusion en direct de la Dancewalk de Foofwa d’Imobilité du centre du Cap à Gugulethu, en passant par la discussion performative de Performing Visibility d’iQhiya.

En explorant de nouvelles grammaires des pratiques curatoriales dans les contextes décrits ci-dessus, la responsabilité de naviguer dans le sens et dans l’imprévisibilité pourrait être partagée par le curateur et par le public. Partager cette responsabilité revient à placer le public dans une dynamique de pouvoir différente de celle de l’artiste, de l’œuvre, du curateur et de l’institution dans laquelle l’œuvre est hébergée. En tant que pourvoyeur actif de sens et d’expérience, le public contribue à générer la liberté nécessaire à l’enracinement de nouvelles idées et sensations. Il est donc possible qu’une grammaire émerge, capable d’articuler cet échange dans de nouvelles formes de relation du curateur avec le public.

La mort du curateur

Les cinq éléments identifiés ci-dessus sont posés comme points de départ pour considérer les moments contemporains de crise dans les pratiques curatoriales, et pour embrasser celles-ci comme étant davantage que l’exécution de plans et de conceptions préconçues. Ces éléments sont également posés dans un effort pour reconnaître, en temps de turbulence, une invitation à l’inconnu, caractérisée par la tâche paradoxale de se faire curateur d’anarchie.

En considérant le développement des arts vivants dans les contextes que j’ai décrits – depuis l’élaboration d’œuvres singulières dans les expositions d’art jusqu’aux collections d’œuvres et jusqu’aux festivals dans leur ensemble – le rôle du curateur est devenu de plus en plus proéminent. Pourtant, si l’on prend acte des disruptions et des crises en cours, il semblerait que le rôle de l’activité curatoriale devrait, en fait, être moins visible, car ce sont les œuvres elles-mêmes et les relations avec les publics qui devraient primer. Il ne s’agit pas seulement de déplacer les œuvres hors des galeries et des théâtres vers les espaces publics pour accroître l’accès aux œuvres et perturber les restrictions conceptuelles héritées des normes occidentales. La visibilité et l’autonomie de l’œuvre d’art en tant qu’œuvre d’art doivent être davantage interrogées dans les espaces de crise. Cela apparaît de plus en plus lorsque les artistes s’engagent dans des actions transgressives, visant à brouiller les frontières artistiques dans le but de communiquer avec un public plus large que celui qui fréquente habituellement les galeries d’art.

Même s’il y aura toujours un espace pour la vision et les conseils d’un curateur dans la création de plateformes pour les arts vivants, la pratique curatoriale guidée par l’ego, qui menace d’étouffer au sein des cadres établis, doit se dissoudre. Il s’ensuit, je crois, que la pratique curatoriale des arts vivants a besoin d’un autre vocabulaire – qui se détache des stratégies et des intérêts commerciaux de (certains) travaux centrés sur l’objet-œuvre – afin de comprendre ses propres impératifs et objectifs. Pour l’immédiat, la conceptualisation de la pratique curatoriale comme création (modeste) d’une plateforme a été utile dans ma propre pratique : elle se définit alors comme la mise en place d’une plateforme capable de faciliter le travail, sans forcer les connexions et les interprétations.

En guise de conclusion, j’aimerais pousser encore plus loin l’idée de l’invisibilité croissante du curateur destinée à favoriser le soin pris des arts vivants. Il s’agirait d’envisager, en termes plus durs, que le curateur pourrait être voué à mourir dans le processus curatorial lui-même, comme une façon de concevoir celui-ci en temps de crise. Cesser de vivre (et d’interférer) dans la création de la présence, disparaître complètement, pourrait bien être la stratégie la plus productive. S’esquisse ainsi une approche curatoriale qui affine et redéfinit les limites de l’implication et du désengagement, en quête d’un équilibre délicat entre ces deux positions afin de donner vie à de nouvelles œuvres qui soient probantes et provocantes, tout en restant spéculatives et inconnaissables.

Traduit de l’anglais
par Julie Peghini & Yves Citton

1 Mamela Nyamza était l’artiste mis en exergue par le National Arts Festival News, le 8 janvier 2018 (www.nationalartsfestival.co.za/news/ mamela-nyamza-2018-featured-artist).

2 GIPCA, Live Art Festival 2014, Programme, p. 13.