L’application StopCovid m’irrite et m’inquiète. D’un point de vue rationnel, pourtant, il n’y a pas de quoi. Lancée de façon un peu ridicule par le gouvernement français le 2 juin alors que la pandémie décroissait très vite, elle ne récolte pas les données de géolocalisation des utilisateurs consentants, comme le faisait à l’inverse sa petite sœur norvégienne Smittestopp (« stop aux infections »), suspendue après deux mois de service à la mi-juin, car jugée trop intrusive. Non, elle n’utilise que le système de communication à courte distance entre appareils numériques Bluetooth. Par ailleurs, StopCovid, censée ne garder les données recueillies et en théorie « anonymisées » que deux semaines, a obtenu un avis favorable de la CNIL (Commission nationale informatique et libertés). Enfin, son usage n’est pas obligatoire, contrairement au Alipay Health Code chinois, qui a organisé la remontée et le traitement des données pour pouvoir assigner à chaque citoyen une couleur de risque (vert, rouge, etc.), et permettre à tous, en proximité, d’en être informé. En termes de surveillance de masse, nous n’en sommes pas là. Alors pourquoi suis-je si troublée ?

Après tout, il y a des tas de personnes qui n’ont pas de smartphone connecté en 3G ou en 4G, et personne n’est contraint à télécharger la chose. D’ailleurs, à la mi-juin, elle n’avait convaincu en France que 1,5 million de personnes, alors qu’une étude de l’université d’Oxford a montré que, pour être efficace dans la lutte contre le virus, ce type d’appli d’information et de repérage des personnes atteintes ou non dans son environnement proche devrait être utilisée par plus de 60 % de la population d’un pays.

Ce qui me dérange, à la réflexion, tient à l’inutilité et au symbole de cet outil. Au-delà de son caractère centralisé, support idéal d’un potentiel dispositif de contrôle étatique, StopCovid induit la défiance des unes vis-à-vis des autres. Il pose comme préalable le principe que l’autre, à côté de moi, se contrefoutrait de mon sort. Et c’est pourquoi il séduit les gens d’ores et déjà plutôt parano qui seraient, avant ou sans application, d’une terrible prudence. L’outil lui-même, qu’en soi j’ignore sans souci alors que je porte un masque dès qu’il y a du monde, induit une société du repli sur soi. Et c’est cette société qui m’inquiète.

[voir Masques, Virus]