Dans Aurora, roman publié aux États-Unis en 2015 puis en France quatre ans plus tard, l’écrivain de science-fiction Kim Stanley Robinson raconte l’échec d’un rêve : l’envoi dans une immense arche spatiale d’êtres humains vers le système de Tau Ceti, où les enfants ou petits-enfants de l’équipage de départ devaient trouver une planète habitable pour l’humanité. Lors d’une conférence autour de l’année 2900, l’un des voyageurs, revenus sur Terre et désormais très âgé, résume ce qui semble être le message de Kim Stanley Robinson lui-même, après qu’il ait étudié pendant trente ans, avec une inconcevable minutie, les tenants et les aboutissants des rêves d’exploration et de colonisation de l’espace, et après en avoir tiré une œuvre colossale et cohérente :
« Vos vaisseaux interstellaires échoueront. Vous vous accrochez à une idée qui ne tient pas compte des réalités biologiques de ces voyages. Nous qui sommes allés jusqu’au système de Tau Ceti, nous le savons mieux que quiconque. Vous allez vous retrouver confrontés à des difficultés insolubles d’ordre écologique, biologique, sociologique et psychologique. Les problèmes physiques de la propulsion ont accaparé votre imagination, et vous les avez résolus, sans doute. Mais c’était le plus simple. Vous ne trouverez pas de solution aux problèmes biologiques. Et même si vous faites comme s’ils n’existaient pas, ils existeront pour les gens que vous enverrez dans les étoiles à bord de ces engins.
« Pour faire court, les biomes capables de traverser l’espace à cette vitesse seront forcément trop petits pour contenir des écosystèmes viables. Les distances qui nous séparent des planètes réellement habitables sont trop grandes, tout comme le seront aussi les différences entre ces autres mondes et la Terre. Les planètes sont soit inertes, soit vivantes. Celles qui sont vivantes hébergent une vie indigène, comme leur nom l’indique, et les planètes inertes ne pourront être terraformées assez vite pour permettre la survie d’un groupe de colons le temps que ce processus arrive à son terme. Il faudrait trouver une vraie jumelle de la Terre sur laquelle aucune vie ne serait apparue. Ces jumelles existent peut-être quelque part dans notre galaxie, mais la distance qui nous en sépare est trop grande. Les planètes viables, si elles existent, sont trop éloignées, tout simplement ! […]
« Voilà pourquoi personne ne nous a jamais contactés. Voilà pourquoi le grand silence persiste. Il y a forcément d’autres intelligences dans l’univers, mais elles non plus ne peuvent quitter leur planète d’origine. La vie est une manifestation planétaire qui ne peut survivre que sur son monde d’origine1. »
1 Kim Stanley Robinson, Aurora (2015), Éditions Bragelonne, 2019, p. 436-437. Extrait repris de Ariel Kyrou, Dans les imaginaires du futur, ActuSF, 2020, p. 322-324.
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