Trump n’avait pas été réélu en novembre 2020. Il a laissé planer le doute sur son départ le 16 janvier, jusqu’au bout. Si 47 % des électeurs républicains ne croient pas que les élections ont été truquées, 48 %, une très courte majorité, donc pas loin de 35 millions d’électeurs, le croient eux, dur comme fer.
Coup d’État pour un selfie généralisé
La sidérante journée du 6 janvier 2021 restera dans les annales : une foule de partisans de Trump, précipité composite de conspirationnistes du Qanon, de Bad Boys, de caricatures de « petits blancs », d’évangélistes et d’électeurs des classes moyennes rurales, force l’entrée du Capitole. Cette foule émeutière, a priori festive, était bien décidée à menacer les Démocrates, particulièrement Nancy Pelosi, leader de la majorité à la Chambre des Représentants, un membre du Congrès « musulman », mais aussi, le vice-président Mike Pence qui, en tant que président du Sénat, avait annoncé qu’il avaliserait l’élection de Joe Biden. Mike Pence avait quitté avec sa famille la Maison Blanche pour le Capitole pour se soustraire à la pression menaçante de Trump ; dans le Capitole, il dut être soustrait à une foule où l’on parlait de le pendre.
Trump qui avait encouragé les émeutiers à passer par les terrasses est du Capitole, faciles à escalader, se désolidarisa piteusement dans la soirée de toute violence et appela ses « troupes » à quitter les lieux.
Un débat eut lieu pour avoir si la manifestation avait débordé les intentions de ses organisateurs et celle du Président encore en exercice. Ou si au contraire, les débordements étaient bel et bien prévus et avaient bénéficié de diverses complicités parmi les forces de l’ordre.
Rétrospectivement, les membres des deux Chambres et pas simplement les Démocrates, se mirent à parler d’insurrection. Il suffit de les voir terrés à plat ventre dans les travées des Assemblées pour se rendre compte que l’intrusion était tout sauf du Grand Guignol car de nombreux « figurants » étaient armés. Ce fut l’origine de l’acte d’accusation rédigé puis voté par la Chambre des Représentants trois jours après le départ de Trump pour le traduire devant le Sénat dans une deuxième procédure d’impeachment en deux ans.
Émeute, insurrection ? Émeute certainement ! Insurrection capable de renverser l’État ? Non, il n’y avait pas de commandement unifié, plutôt des preneurs de selfies dans une foule à demi éberluée d’être parvenue à rentrer dans le Saint des Saints ! Les bons apôtres « radicaux » de la critique sans concession du Grand capital, nous ont expliqué que le capitalisme avait davantage besoin de Biden que de Trump, que l’armée, pièce indispensable d’un coup d’État, avait fait savoir, par une déclaration remarquée de hauts gradés, son hostilité à une application éventuelle de la loi martiale. Je me suis fait insulter dans Facebook pour avoir posté que s’était bien jouée une tentative de coup d’État, après avoir analysé entre les lignes un article du New York Times, « presse pourrie » au service des puissants !
La vérité arrive à la fin. Et je maintiens que Trump a bel et bien tenté un coup d’État de l’exécutif contre le pouvoir législatif et le résultat des élections. Réussir une tentative de coup d’État, ne signifie pas un coup d’État réussi. Mais si Mike Pence, en but à une pression très insistante de son Président, avait cédé et refusé de ratifier le vote de novembre, nous serions bel et bien rentrés dans une situation insurrectionnelle, où la loi martiale devenait une possibilité. Pour mémoire, les partisans de Trump avaient envisagé sérieusement une répétition du 6 janvier dans les 50 Capitoles des États de l’Union pour le 16 janvier. Et la Garde nationale a été mobilisée partout. Il n’y a pas que le policier noir Eugene Goodman qui a résisté à la foule. Il y a surtout Mike Pence, qui a constitué le grain de sable dans le sale coup tenté par son patron, dont le mépris pour l’État « profond » et ses institutions est aussi populaire que les séries comme À la Maison Blanche (West Wing).
Essai de coup d’État donc, mou, sans l’armée, sans Malaparte. Moderne avec selfie et Twitter. Le genre d’entreprise qui tente de circonvenir la démocratie à l’usure, au brouillage des limites entre fiction et réalité. Souriez ! Vous êtes dans Games of Thrones. Trump n’est pas mort ! Pas comique répétition d’Hitler dans la brasserie de Munich en 1923. Un coup d’État dont l’issue se jouerait exclusivement sur les réseaux sociaux. Une Gilet-jaunisation de l’État de la plus grande puissance mondiale. Les héros de ceux qui voulaient décapiter Macron il y a deux ans, et qui ont enfoncé les portes d’un Ministère avec un bulldozer, ont dû jubiler devant leur écran.
À l’heure où nous bouclons cet article, les pièces qui seront dévoilées lors de la ratification ou non de la procédure d’impeachment ne sont pas encore connues mais gageons qu’elles apporteront des détails sur l’affrontement au sommet de l’exécutif qui a fait capoter la dernière pièce montée de Donald Ubu Trump. Mais le témoignage, le 2 février d’Alexandria Ocasio-Cortez, la plus jeune représentante du Congrès, était clair : les envahisseurs du Capitole la cherchaient pour la tuer et la sensation qu’elle a eu le soir du 6 janvier était comparable à celle qu’elle avait éprouvée après le viol dont elle avait été victime et qu’elle n’avait jamais révélé. La boucle est bouclée.
Page tournée pour un nouveau New Deal ?
Dans les deux semaines de son intronisation à la Maison Blanche, Joe R. Biden a signé 45 décrets présidentiels, plus que Trump en un mois lors du tonitruant début de son mandat en janvier 2017.
Il ne s’agit pas de peccadilles pour la com : arrêt immédiat des travaux de construction du mur à la frontière avec le Mexique, rétablissement des droits pour les centaines de milliers d’enfants d’immigrants en situation irrégulière, droit à être recensé donc à voter, droit au séjour temporaire, à la régularisation et à la naturalisation. Fin de l’interdiction d’entrée pour des ressortissants de certains pays musulmans.
Dans les dernières heures de son mandat, Trump avait multiplié les exécutions capitales dans les prisons fédérales. Biden a annoncé qu’il voulait supprimer la peine de mort au niveau fédéral et persuader les États qui l’appliquent encore d’y renoncer. Guantanamo sera fermé. Il mettra fin aux concessions au privé des prisons fédérales. D’autres engagements pour lutter contre la discrimination raciale ont été annoncés même s’ils ont déjà été jugés insuffisants.
Sur le plan écologique, les décrets présidentiels sont encore plus nets : réintégration immédiate des États-Unis dans les accords de Paris sur le climat. Réduction des émissions de méthane, efficacité énergétique des véhicules. Annulation de la réduction de la superficie de trois parcs naturels. Fin de tout permis d’exploration pétrolière ou de charbon sur le territoire fédéral. Arrêt de la construction de l’oléoduc Keystone, raccordant les gisements de sables bitumineux canadiens au golfe du Mexique. Le port du masque a été rendu obligatoire dans les édifices fédéraux. La lutte contre la pandémie de Covid 19 est devenue la priorité. Les États-Unis réintègrent l’OMS et le docteur Fauci, écarté par Trump, est appelé comme conseiller aux questions sanitaires.
Trois autres domaines vont faire l’objet de lois qui doivent être approuvées par la Chambre des Représentants et le Sénat : 1) une loi sur l’immigration (ce qui veut dire la régularisation de 11 millions de sans-papiers) ; 2) Un plan massif prévoyant 1 900 milliards d’aide à l’économie et aux ménages les plus frappés par la crise, en particulier, le passage général du salaire minimum de 7,5 à 15 dollars de l’heure et l’interdiction d’inclure le montant des pourboires dans ce minimum ; 3) La consolidation de l’Obamacare attaqué par Trump.
Sur le plan international comme au plan interne, la rupture n’est pas discutable. Poutine s’est vu rappeler le sort de Navalny dès la première prise de contact téléphonique. Les oreilles de Xi Jinping ont dû tintinnabuler quand la nouvelle Maison Blanche a soulevé le lièvre de la représentation diplomatique de Taïwan. La démocratie a prévalu, comme le candidat élu démocrate s’est contenté de le dire sobrement. Prévalu par onze millions de voix de plus que celles qui sont allées au Président sortant. La participation de près de 67 % des électeurs est l’une des plus élevées de l’histoire américaine.
Contrairement à Barack Obama, Joe Biden bénéficie de la majorité dans les deux Chambres grâce à l’élection très symbolique de deux sénateurs démocrates en Géorgie : Raphael Warnock un pasteur noir dans la ville de Martin Luther King et Jon Ossoff, le benjamin du nouveau Sénat, et à la voix prépondérante de la vice-présidente Kamala Harris qui préside la Chambre haute.
Évidemment la question qui agite la gauche américaine est celle de l’ampleur du changement : retour à la case Obama ou bien un nouveau New Deal ? La seconde branche de l’alternative serait plus réjouissante, car elle consoliderait le confinement puis l’étouffement de la démocratie illibérale.
Résistible chute de Trump
Pour se débarrasser de Trump dans le paysage politique, il fallait que l’impeachment rétrospectif soit voté à la majorité des deux tiers du Sénat, donc 67 voix dont 17 transfuges chez les Républicains. Cette condamnation ouvrait alors à un vote à la majorité simple (51 voix) de déchéance civique, lui interdisant à l’avenir d’être candidat à n’importe quelle élection ou charge publique.
Mais les mesures radicales de Joe Biden dans ses quinze premiers jours de présidence ont ressoudé contre lui les Républicains. Le chef de ces derniers au Sénat, Mitch McConnell, a décidé, à deux semaines de l’ouverture du procès de Trump pour impeachment, qu’il était contraire à la Constitution d’empêcher un Président qui avait quitté ses fonctions. Kevin Mac Carthy, qui avait fait partie des cinq députés républicains ayant voté la mise en accusation de Trump, s’est rendu chez ce dernier à Mar-a-Lago pour rentrer en grâce. Comme le soulignait cruellement Paul Krugman, « Si l’insurrection du Capitole incitée par Trump n’a pas fait recouvrer aux Républicains leur santé mentale – et ce ne l’a pas fait – rien ne pourra les guérir » (New York Times du 30-31 janvier 2021).
Le Parti de l’éléphant n’a pas choisi de tirer un trait sur Trump car il craint une scission du parti, ce qui porterait un coup fatal au bipartisme sur lequel reposent fortement les institutions américaines. Cela ne va pas faciliter les négociations que Joe Biden sera contraint d’entamer sur les réformes qui réclament plus que la majorité simple. Si Trump se sort de son deuxième impeachment – ce qui est vraisemblable –, cette casserole de plus au train de son équipage lui fera plutôt de la publicité. Il risque de devenir le sparadrap collant à toutes les investitures électorales, à commencer par celles à mi-mandat en 2022.
Mais à l’échelle mondiale, dans les démocraties illibérales, que signifiera la défaite de Trump ? Nous parions pour une éclipse du phénomène, y compris aux États-Unis.
Le souverainisme identitaire partout
en recul dans les démocraties
Le « populisme » (le mot de néo-fascisme conviendrait mieux) a déjà subi en Europe de sérieux revers, des Pays-Bas à la France, de l’Italie à l’Autriche ou l’Allemagne. Bien avant la défaite de Trump.
Trois raisons principales à cela : 1) le caractère fantasmatique des principales idées du souverainisme et de l’identitarisme, du complexe du « mâle blanc assiégé » ; 2) le caractère d’arrière-garde du souverainisme en Europe, à l’heure du multilatéralisme mondial plus nécessaire que jamais face à l’échéance climatique ; 3) le choc de plus en plus frontal avec le multiculturalisme transculturel et trans-communautaire des nouvelles générations nées dans les années 1970-1990.
Le mâle blanc assiégé
Selon la vulgate en cours en Europe comme aux États-Unis, la méfiance à l’égard des élites, la désaffection à l’égard des élections et des institutions démocratiques, que l’on retrouve partout dans le monde, seraient d’autant plus fortes aux États-Unis que la montée démographique, politique et culturelle des minorités de couleur, noires, amérindiennes, métisses, des féminismes et des communautés LGBT, des nouveaux immigrants latinos ou asiatiques, serait en passe de transformer les mâles blancs pauvres et discriminés à leur tour, en véritables opprimés en mal d’identité, dépossédés de leur pays, de leur Amérique. Il serait temps de tenir compte de ce « peuple réel » face aux fictions trompeuses d’une cancel culture (culture de la table rase), qui déboulonne les statues ou cherche à débaptiser les écoles militaires américaines qui portent le nom de généraux confédérés partisans de l’esclavage. Il serait temps, pour les plus extrémistes, de combattre le racisme « anti-blanc », de créer un front de libération des hommes violentés par les femmes, de protéger les familles face à l’avortement, à la PMA, GPA, et au mariage pour tous.
Le « petit blanc américain » descendant des colons européens s’est forgé l’idée qu’il était en voie de devenir une minorité démographique et ethnique. Le « Make America Great Again » de Trump a voulu dire « Make Wasp, real wasp, dominant again ».
Il ne faut pas aller chercher bien loin en Europe pour retrouver la même rengaine dans les groupes confidentiels d’extrême droite d’Asselineau, de Philippot ou de Génération Identitaire. La population « de souche » chrétienne serait submergée par des vagues migratoires continuelles. Le « grand remplacement » par l’Islam aurait déjà bien avancé. De Vox en Espagne, à la Ligue italienne jusqu’à Alternative für Deutschland, le rejet de l’immigration déjà installée, des nouvelles vagues de réfugiés, de tout fédéralisme européen au nom de l’Europe des nations, s’est déjà bien exprimé avant que Trump ne construise son mur.
En France, le livre de Sylvie Laurent, Pauvre petit blanc (2020) a fait justice de ces fantasmes. Les Blancs sont toujours dominants par rapport aux minorités de diverses couleurs et les mâles blancs ne sont pas menacés par une domination féministe ou queer. C’est l’inverse que montre l’interminable série des violences policières contre les Noirs et les Latinos aux États-Unis, contre les Maghrébins et les Noirs en Europe. Les mouvements Me-too dénonçant les violences faites aux femmes, aux enfants dans les situations de travail, au sein de la famille, en attestent des deux côtés de l’Atlantique. En termes purement démographiques, le sociologue Richard Alba a démoli l’idée qu’aux États-Unis, les Blancs deviendraient bientôt minoritaires (The Great Demographic Illusion, Princeton University Press, 2020).
Une arrière-garde sur la défensive
En 2021, la situation diffère d’avec les vieilles lamentations du « petit blanc » ou des « identités nationales ». Longtemps, on se contentait de nier tranquillement la réalité pour conserver l’ordre dominant. Aujourd’hui, ce corpus est carrément réactionnaire. On se bat pour défendre un ordre qui recule partout. Les progrès de la parité sont impressionnants, même dans le village gaulois. Le monde du sport professionnel, qui correspond aujourd’hui dans la société à ce qu’était le shop-floor (la base) dans un mouvement ouvrier majoritaire il y a un demi-siècle, atteste que le « racisme » spontané » des stades, le harcèlement des femmes, l’homophobie, ne sont plus de mise. Les féminicides ont reculé de 40 % en France à partir du moment où les politiques s’y sont vraiment intéressés.
Le caractère réactionnaire du souverainisme est tout aussi frappant au niveau institutionnel. Du temps de Jean-Marie Le Pen, avant les traités de Maastricht, Nice et Amsterdam, le souverainisme comme projet d’exit généralisé et de retour à l’Europe des Nations, constituait un vrai danger. Mais après la crise grecque, la sortie des Nations ne mène nulle part. Dead end ! Et l’exception anglaise (ne disons pas britannique, ni londonienne), au lieu d’amorcer la mèche, a servi d’antidote aux tentations de repli « national » et de premier catalyseur d’une unité déjà fédérale. Le coup de grâce porté au retour à l’Europe des Nations, c’est évidemment la pandémie de Covid 19. Les gouvernements des pays membres peuvent s’endetter, les critères de Maastricht volent en éclats et au printemps 2020, l’Allemagne se convertit à un fédéralisme budgétaire avec des emprunts finançant le soutien de l’économie levés en commun. La décision de la Cour de Justice rejetant celle de Karlsruhe est décisive. L’Europe fédérale est née, les 27 États membres de l’Union y compris la Hongrie et la Pologne demeurent unis face aux sirènes du Brexit. L’effet de cliquet contre tout retour en arrière est considérable. L’Europe va se doter d’une Agence de la recherche sanitaire, question qui s’ajoute maintenant aux compétences de la Commission. Revenir au statu quo ante après cette « révolution » fait des souverainistes de simples réactionnaires. Le néolibéralisme qui avait débuté par Reagan et Thatcher est mort, même aux yeux de la finance de marché qui s’oriente maintenant vers la transition écologique et numérique. Les injections massives d’argent « quoiqu’il en coûte », d’abord pour suspendre l’économie, ensuite pour l’aménager durablement face à des vagues de pandémie (télétravail, indemnisation de chômage, chômage partiel, moratoire des loyers, suspension indéfinie du remboursement de la dette), facilitent une véritable Nouvelle Donne sociale qui devient faisable.
Nouvelles générations intersectionnelles et transnationales
Le souverainisme-à-la-recherche-de-l’identité-perdue n’est pas simplement à contre-courant. Il est devenu hors courant tout court, en particulier face à la montée de nouvelles générations qui sont d’emblée écologiques, transnationales, trans-européennes, transculturelles, trans-races, trans-identitaires.
Aux États-Unis, nous avions déjà souligné1 la différence de la mobilisation autour de la mort de George Floyd à Minneapolis d’avec celles des précédentes affaires de crimes racistes dénoncés inlassablement par le mouvement Black Lives Matter (La vie des Noirs compte). Dans les manifestations impressionnantes qui se produisirent alors aux États-Unis, la protestation ne rassembla pas une écrasante majorité de Noirs et quelques « libéraux » blancs comme d’habitude. La foule était jeune, mixte et très mélangée. Dans certains États comme l’Oregon où il y a très peu de Noirs, la mobilisation fut considérable. La mobilisation des dreamers surtout latinos dans des États comme l’Arizona et le Texas a joué, elle aussi, un rôle considérable dans leur inscription et celle de leurs parents sur des listes électorales, ce qui a modifié le taux de participation. DREAM (Development, Relief, and Education for Immigrant Minors Act), est un programme lancé par l’administration Obama qui attribue de façon temporaire le droit de résidence et de travail à des migrants en situation irrégulière entrés sur le sol américain quand ils étaient mineurs et leur permet à terme, s’ils ont acquis une qualification, de devenir des résidents permanents. Cette mobilisation comme celles des Noirs qui votent à plus de 80 % pour les Démocrates fut d’autant plus forte que l’administration Trump avait cherché à les exclure du vote.
La réaction au meurtre de George Floyd et à la menace d’une réélection de Trump a été l’une des premières formes de mobilisation inter-sectionnelle des jeunes générations. Certains se sont demandé pourquoi les jeunes blancs se mobilisaient sur des causes morales, comme l’anti-racisme, le port d’arme après les carnages dans les lycées américains, les questions climatiques. Pourquoi les jeunes femmes des classes moyennes des périphéries des grands centres urbains ont été exaspérées par le machisme grossier de Trump. Le déclin de la religion protestante majoritaire reporterait les exigences morales sur la sphère publique. On avait imputé aux églises évangélistes un rôle crucial dans la montée de Trump, de Bolsonaro.
Cette exigence morale vis à vis de la politique se retrouve dans la mobilisation très forte dans les pays d’Europe du Nord puis dans le reste de l’Europe autour de la cause écologique : Extinction Rébellion, l’Affaire du Siècle, les poursuites judiciaires des citoyens à l’encontre des États pour action insuffisante contre le dérèglement climatique. Cette politisation dessine un arc d’objectifs qui déborde la lutte de classe traditionnelle et crée une nouvelle culture politique : du décolonial, aux nouvelles formes de féminisme, en passant par l’anti-racisme, la défense des migrants, des minorités sexuelles, de l’environnement, de la bio-diversité. Bref, la défense de la puissance du vivant malmené par l’extractivisme et la course aux profits. Le vivant n’est plus au pouvoir dans son espace, dans son alimentation, la biosphère devient une minorité qui réclame sa place. C’est le nouveau Tiers État.
Quand cette composition des mouvements se double des exigences de libertés élémentaires démocratiques, le mélange devient très contagieux. Même les autocraties sont sur la défensive. Après l’Ukraine, la Biélorussie d’Alexandre Loukachenko, et maintenant la Russie de Poutine sont sur la sellette. Nous verrons ce que l’avenir réservera à la Chine.