80. Multitudes 80. Automne 2020
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Poulets décapités

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En suspendant soudainement la plupart des activités professionnelles de beaucoup d’entre nous (pas toutes !), la réaction politico-sanitaire au Covid 19 a produit un syndrome bizarre, qui a littéralement fait « époque ». L’épochè est justement une sorte de suspension, un moment où les règles habituelles cessent de valoir, où ce qui était familier devient étranger, où un regard nouveau peut se poser sur les vieilles choses auxquelles on s’était accoutumé.

Ce syndrome se décrit au mieux par le détour de l’expression anglophone running like a headless chicken : courir comme un « canard sans tête ». L’expression désigne une agitation irréfléchie où l’on se sent accaparée par des tâches trop nombreuses, qui nous font courir à droite et à gauche sans qu’on ne sache vraiment pourquoi ni après quoi on court. La mécanique de notre corps, individuel et social, continue à nous affairer, mais ces va-et-vient ont perdu leur sens.

L’époque du confinement a largement produit ce syndrome du poulet décapité. Nous avons été amenées à regarder avec incompréhension les mouvements qui nous agitaient avant le confinement, ou qui continuaient à nous agiter pendant le confinement, à l’occasion des tâches de réorganisation imposées par le télétravail, qui continuait à faire courir nos yeux sur nos écrans et nos doigts sur nos claviers – prolongeant le déni du réel.

Nul doute que se multiplieront les électrochocs, sous forme de plans de relance et de menaces de chômage, pour faire redémarrer la machine comme avant. On agitera la concurrence économique (chinoise) pour nous effrayer et nous faire rentrer dans le rang. Espérons que notre tête entendra cette « con-currence » pour ce qu’elle est : une « course d’idiots », dont la tyrannie nous agite en vain et nous épuise.

Ne nous laissons pas traiter comme des poulets ! Devenons plutôt végétariennes !

[voir Asymptomatique, Saturations, Zoonose]