« Collectif initié en 2013 par deux artistes basés à Kinshasa, nous traversons le vertige des mondes1 ». Ainsi se présentent les Kongo Astronauts. L’équipe est fluctuante, compte entre deux et sept membres selon les besoins et les envies des uns et des autres. Aux commandes : Eléonore Hellio et Michel Ekeba. D’elle-même, Hellio écrit qu’elle « élargit les champs d’action de KA au moyen d’improbables branchements. Communications inter-espaces et espèces, phénomènes paranormaux, cybernétique dilettante, dissidence cognitive forgent sa pratique de la vidéo ». Ekeba, dit-elle, « incarne KA via une action qui procède d’états modifiés de conscience, de dérives urbaines, de télescopages. Il fabrique des combinaisons spatiales avec de vieux circuits électroniques chargés de cobalt, de cuivre et de coltan, les met en action, traversant la ville, ses rues, ses rond-points ». À la présence d’Hellio et d’Ekeba s’articule celle de Bebson Elemba, dit Bebson de la Rue, « compositeur, inventeur d’instruments, performeur, incitateur », et celle de Danniel Toya, constructeur de robots. « Armé d’un attirail rétro-futuriste, Toya fait irruption dans les films de KA, y injecte une esthétique baroque low-tech, chevauchement de temporalités et de positionnements ». Bebson, lui, élabore des cabines de télé-transport et des environnements interstellaires. À l’occasion, ces deux « co-pilotes » sont rejoints par des « passagers » – Amourabinto Lukoji, Kalej, Cedrick Tamasala, Céline Banza, Rachel Nyangombe.
Et Hellio de poursuivre :
« KA est une expérience visuelle, sonore, textuelle et spatio-temporelle. Aux troubles et syncopes du cyborg contemporain, le collectif réplique par des actions et des écritures performatives, tentatives de résistance aux ghettos psychiques nés de la condition (post) coloniale. Il se manifeste dans les interzones de la globalisation digitale où le passé, le futur et le présent s’entrechoquent. Joueuses dans la post-discipline, ses apparitions cosmiques et ses fictions polysémiques questionnent les conditions de production, de création et de diffusion d’œuvres parfois difficilement classifiables, refusent (ou du moins se défient de) l’objet fini ».
Les apparitions en question sont celles d’Ekeba. Ses performances-dérives dans les rues de Kinshasa ont ceci de particulier qu’elles n’offrent aucune clarification quant à ce qu’elles sont ou se veulent être. Rarement annoncées, elles produisent la surprise parmi ceux – badauds, passagers de moto-taxis, marchands ambulants – qui en sont témoins. Vêtu d’une combinaison or ou argent, d’un casque et de bottes assortis, Ekeba déambule d’un quartier à un autre de la mégalopole kinoise, apparaît dans des bars, aide parfois un passant à traverser la rue, à changer un pneu, mais jamais ne s’explique. Sa combinaison est bardée d’antennes, de cartes-mères et autres entrailles d’ordinateur, de téléphones mobiles désossés, références aux métaux précieux grâce auxquels fonctionnent nos iPhone et iMac, et qui sont extraits dans un contexte d’abjecte violence à l’Est du Congo. Cette symbolique, néanmoins, Ekeba ne la partage pas avec ses spectateurs ; à eux de déduire ce qu’ils veulent de son accoutrement, de spéculer sur ses intentions.
Les films de KA ne sont guère moins cryptiques. À ce jour, il en existe quatre, tous des court-métrages tournés par Hellio. Leurs titres, Postcolonial Dilemna Track 2, 3 et 4 (2013-2019) et Prédic(a)tion (2018), s’ils annoncent un certain point de vue, un regard décalé ou critique, ne se veulent en rien explicatifs. Pas de narration non plus, mais une étonnante atmosphère, tout à la fois anxiogène et lyrique. Parfois Ekeba l’astronaute est présent (Postcolonial Dilemna Track 3 lui est consacré) ; souvent il ne l’est pas. Ce qui est présent, ce sont ses thématiques et, surtout, son monde intérieur. Au visionnage des travaux vidéo de KA, on a l’impression d’embarquer pour – ou, mieux, dans – un univers parallèle vu à travers les yeux de l’astronaute. Ou alors que l’on est toujours à Kinshasa, mais que ce qu’on en voit est ce que perçoit un être venu d’un astre lointain, qui ne reconnaît que peu ce à quoi il est confronté. En cela, les films d’Hellio sont tout à fait particuliers : ce qu’ils mettent en scène est moins l’avatar de KA que sa psyché.
Ainsi de Postcolonial Dilemna Track 4. Remixé plusieurs fois – de ses films et de KA plus largement Hellio dit qu’ils sont « remixables à l’infini » – il n’a pas de protagoniste. D’inquiétantes figures se succèdent à l’écran : un personnage au casque tout droit sorti de Star Wars qui semble comme pris de panique (il frappe encore et encore du poing une paroi en tôle, comme s’il voulait s’en extraire telle d’une camisole de force) ; un guerrier armé d’une kalashnikov-lance flammes ; une femme qui fait tournoyer un miroir au cœur d’un essaim de mouches… Mi-Hitchcock, mi-pluie de fractals, une volée d’oiseaux noirs traverse notre champ de vision, en brouillant les contours ; notre appréhension de la perspective s’en trouve curieusement altérée. Soudain, illuminé comme de l’intérieur – on le croirait incandescent – apparaît un homme dont la douceur des mouvements rompt avec la dureté de ce que le film montre par ailleurs. Tout se passe comme si nos yeux étaient ceux de l’astronaute en déambulation dans la ville de Kinshasa, rendue radicalement autre par l’altérité de son regard. Mais de l’astronaute lui-même, aucun signe. Il s’est éclipsé et en son absence nous sommes devenus sa pensée.
Dans Postcolonial Dilemna Track 3, on l’a dit, il est présent. L’atmosphère est ici pleinement onirique. À la ville se substitue un paysage de forêt et de chutes et au staccato visuel de Postcolonial Dilemna Track 4 une lenteur qui confine à la flânerie. Mais tout n’est pas paix. Le film ouvre sur une série de plans rapprochés et de flashs qui se chevauchent – une invasion de termites ; un singe (Lolita, celui d’Hellio) éclairé dans un close-up rouge sang ; une curieuse roue qui suggère tout à la fois un mécanisme quantique et un intestin robotique2. Une musique électronique et d’étranges grincements s’enchaînent. On se sent happé. Le calme qui suit cette entrée en matière semble hanté ; la brutalité des premières images résonne dans le silence, puis dans la musique douce, presque féerique, qui accompagnent l’astronaute dans sa promenade3.
Postcolonial Dilemna Track 2, remixé aussi, met en scène les matières précieuses qui préoccupent l’astronaute. Une barge charriant du minerai avance lentement, puis est prise comme de hoquets. À nouveau, rien qui explique ce dont il s’agit, aucune narration visant à guider le spectateur, mais une très nette sensation de violence – violence contre des corps mis à mal par des forces simultanément obscures (en off, des voix que déforme le grésillement d’une mauvaise connexion Skype parlent d’envoûtement) et puissamment tangibles (un torrent d’eau, de toute évidence glacial, se déversant sur une femme qui, du coup, parvient à peine à respirer).
Cette double sensation qui s’empare du spectateur – sensation de capture, ou encore de subjugation, et d’asphyxie – renvoie aux performances d’Ekeba. Celui-ci décrit ses sorties en habit de cosmonaute comme de véritables épreuves. À l’intérieur du costume, confectionné de matériaux épais, lourds, il fait épouvantablement chaud. Aller, vêtu de la sorte dans le climat tropical de Kinshasa est éreintant. Le performeur pousse à ses confins sa capacité à résister, se fait violence. L’expérience, explique-t-il, distille celle de vivre dans la capitale congolaise : lorsqu’on n’a pas les moyens de s’isoler, de se protéger – lorsqu’on y vit comme la majorité des Kinois – on étouffe. Cet étouffement, poursuit-il, n’est pas que physique. Psychique aussi, il pousse à des rêves d’exil. Partir loin devient une obsession. L’ailleurs rêvé, s’il ne peut être atteint pour de vrai, est recherché autrement, via des substances qui altèrent la perception, ou encore à travers des états de transe. Pour d’aucuns, la religion – en particulier les églises dites du réveil – ouvre la voie à ces états ; Ekeba y accède via ses performances.
La performance est aussi, pour Ekeba, un moyen d’échapper à sa propre colère. Colère face à un « premier monde » qui pille les ressources du Congo pour assouvir sa faim d’électronique, puis, sous forme d’e-déchets, déverse cette même électronique sur l’Afrique car l’export (illégal) en est moins onéreux que le recyclage. Vendus et revendus sur place, ces rebuts finissent dans des décharges sauvages, empoisonnant terres et rivières. Vêtu de son costume constellé d’e-déchets, l’astronaute incarne la violence ainsi faite. Colère aussi face à des régimes prédateurs successifs, coloniaux et postcoloniaux, qui, dit-il, ont balayé les repères de la société congolaise. Incompréhensibles pour de nombreux spectateurs, touchant parfois à l’absurde, les errances urbaines de l’astronaute figurent cette perte de repères. Elles sont, aussi, « une manière d’exister ». Endosser le personnage de l’astronaute permet à Ekeba de se rendre visible dans une société dont il soutient qu’elle n’a que faire de la majorité de ceux qui la constituent. Cela revient, pour lui, à respirer.
En conversation avec Ekeba, la notion de respiration revient souvent. Ainsi, d’une performance intitulée Liberté, faite en 2018 dans le quartier de Lingwala, il explique qu’elle déploie un « exo-astro-squelette » qui permet à celui qui le porte d’échapper à l’étouffement. Ce dispositif – bardé, lui aussi, d’e-déchets (morceaux de claviers, souris d’ordinateurs, cartes-mères à nouveau) et qui le transforme en cyborg, mi-homme, mi-machine – ne vise pas à « fuir l’asphyxie, mais à la maîtriser et à décupler ses forces pour devenir invincible face à la crise économique et aux guerres4 ».
À la focale d’Ekeba sur la violence faite à la société congolaise et sur la brutalité qui en résulte Hellio, dans ses films, articule un intérêt pour la violence de la période coloniale en particulier. Un clip qu’elle a tourné en 2015 pour accompagner une chanson de Rachel Nyangombe est parlant à cet égard. La chanson est une reprise d’un air célèbre de Harry Belafonte, Day O. Il y est question de dockers qui ont passé la nuit à décharger une cargaison de bananes dans la Jamaïque britannique des années 1950. Dans le clip, Hellio met en scène l’astronaute dans une plantation à Lusanga (dans la province du Kwilu), ex-fief de la multinationale Unilever, puissante et cruelle actrice de la période coloniale belge. Elle entrecoupe des vues de l’astronaute marchant comme en apesanteur dans la plantation avec des scènes filmées en colonie, montrant des hommes – des travailleurs forcés – affairés à cueillir, puis à porter d’immenses régimes de bananes, et des images de Josephine Baker exécutant sa fameuse danse de la banane. Si l’humour n’est pas loin (une banane, elle aussi en apesanteur, croise le chemin de l’astronaute), c’est un humour très nettement grinçant. Du même tournage provient un diptyque photo qui montre l’astronaute prenant possession de la plantation – perché, triomphal et tel un super-héros dans les hauteurs d’un arbre gigantesque, puis à la Rocky Balboa, en haut d’une volée de marches, les bras levés, devant l’église de ce qui fut la Leverville coloniale.
Dans Postcolonial Dilemna Track 1, tourné avant sa rencontre avec Ekeba, déjà Hellio explorait des sujets connexes. Ici, l’atmosphère est conradienne : on se croirait dans un des cauchemars de Kurtz, à cette exception près que la dystopie évoquée est bien contemporaine. Assis à une table, un homme – on l’imaginerait bien en gérant de plantation – exige paiement. La présence, dans une autre scène, de zombies (Hellio en incarne un, sa seule apparition à ce jour dans un de ses films) semble poser la question de ce qu’il entend obtenir – de l’argent ou des âmes. Pour qui connaît la réalisatrice et les travaux ultérieurs des Kongo Astronauts, la référence implicite au capitalisme extractif, source de tant de maux pour le Congo dans le passé et au présent, semble évidente. Comme chez les Astronauts, néanmoins, il convient de se garder de lectures trop tranchées. Simultanément, on peut voir dans le film la représentation d’un rite visant à se protéger de la violence – mieux, à l’exorciser.
De cette époque pré-KA (nous sommes en 2009, Hellio codirigeait alors un collectif nommé Mowoso) date un film intitulé Ground Overground Underground. Une scène montre une foule de figurants massée autour d’un rocher marquant la ligne de l’Équateur. En boucle, la foule demande où se trouvent Stanley, Vangel et Coquillhat, trois personnages clés de la période coloniale. Le premier était un explorateur, le deuxième un agent du gouvernement belge et le troisième un vice-gouverneur, belge lui aussi, à l’origine de Coquillhatville, nom imposé par Bruxelles à la localité aujourd’hui appelée Mbandaka, capitale de la province de l’Équateur. En réponse, tous pointent le ciel et s’exclament : « Satellite ! ». La référence est à la colonisation, non plus de la terre, mais de l’espace. Au-dessus de l’Équateur est localisée l’orbite géostationnaire, lieu d’implantation de centaines de satellites. Contrôlés par les pays dits développés et par des multinationales en leur sein, ils sont sources de vastes richesses, mais ne rapportent rien aux nations (le Congo, notamment) dont l’espace est concerné. Face à cette situation, certains pays équatoriaux ont revendiqué la souveraineté, ou du moins des droits exclusifs, sur les portions de l’orbite géostationnaire situées au-dessus de leur territoire5. En vain. La situation est, bien évidemment, analogue à celle qui prévalait au sol il y a à peine soixante ans. Que Coquillhat ait eu pour père l’inventeur de la formule mathématique de la propulsion par fusée, à l’origine de la mise en orbite des satellites, n’est pas anodin : pour Hellio, c’est la boucle qui se boucle. Cerise sur le gâteau pour la réalisatrice, passionnée qu’elle est par le double enjeu de l’exploration spatiale et de l’exercice du pouvoir, Mbandaka, où Ground Overground Underground a été filmé, est le lieu de naissance du maréchal Mobutu qui, entre 1975 et 1979, se lança dans une étrange aventure de mise en espace de satellites à partir d’une bourgade nommée Luvua, à quelque 200 km à l’Ouest de la frontière tanzanienne.
Si le travail des Astronauts se déploie dans la continuation de celui de Mowoso, il est aussi distinct en ce qu’il est nettement moins narratif. Même si l’objectif de Ground Overground Underground était de faire fi de toute narration linéaire (le film est constitué de dix blocs qui peuvent être agencés dans l’ordre que l’on entend6), le collectif y raconte néanmoins une histoire. Il n’en va pas de même, on l’a vu, des performances d’Ekeba ou de la série Postcolonial Dilemna et ce n’est pas le cas non plus pour Prédic(a)tion, qui, centré sur les spéculations de clairvoyants, échappe à toute trame. Là, Hellio et Ekeba procèdent à un désamarrage complet. Ce largage d’ancre peut en rappeler d’autres (on pense aux expérimentations du mouvement Fluxus) mais semble, surtout, dire une réalité propre à une époque, la nôtre, forgée dans la violence d’un capitalisme sauvage et lancée à l’assaut d’un futur qui peut sembler plus qu’hypothétique.
Le vaisseau Kongo Astronauts reste relativement confidentiel. Avec l’inclusion de travaux du collectif dans plusieurs expositions et festivals dans les cinq dernières années7, cela devrait néanmoins changer. Plus que dans des monstrations classiques, cependant, c’est via des apparitions dans les œuvres d’autres artistes que les pilotes de KA ont acquis le plus de visibilité. Depuis 2015, on a vu Ekeba l’astronaute, à l’occasion Hellio (elle aussi en habit de cosmonaute) et parfois même un troisième performeur vêtu comme eux débarquer dans des clips musicaux dont certains ont été diffusés de par le monde. Le clip de « Capture », morceau phare du rappeur belgo-congolais Baloji (2015), met en scène Ekeba et un second cosmonaute écumant Kinshasa à la recherche d’une statue de l’explorateur Stanley8. Pour la sortie de sa chanson « Zombies », Baloji a réalisé un court-métrage du même nom (2018) ; on y voit Ekeba en astronaute, parmi d’autres performeurs, tous en transe face à leurs écrans – iPhones et autres téléphones mobiles, lunettes de réalité virtuelle, ordinateurs, iPads9… Quelques années auparavant, le groupe « afro-junk10 » Mbongwana Star incorporait l’astronaute dans le clip de son premier tube, « Malikuyi » (2015)11 et, en 2018, c’était au tour du rappeur Youssoupha, dans son clip « Niama na yo12 ». En 2019, deux astronautes (Ekeba et Hellio) font une apparition dans le court-métrage After Schengen du réalisateur Maxime Morice, tourné dans un Boeing cloué au sol au cœur d’un parc animalier à l’Est de Kinshasa13. (À cette occasion, Hellio et Ekeba collaborent sur une étonnante série de photos de l’astronaute prises dans le ventre désossé du Boeing). La même année, Ekeba apparaît dans un clip du musicien Arno Luzamba Bompere14, ancien étudiant d’Hellio à la Haute école des arts du Rhin15. En 2018, le réalisateur Renaud Barret filme longuement Ekeba dans son long-métrage Système K, consacré à la scène artistique kinoise16. Trois ans plus tôt, les artistes Borut Bučinel et Chuma Sopotela filment How to Become Kongo Astronauts, un court-métrage consacré au collectif et aux performances de l’astronaute17. Plusieurs artistes photographient l’astronaute à l’œuvre : Gwenaël Prié, dans une série faite dans les rues de Lingwala en 2014 ; Maximiliaan Dierickx et Kristin-Lee Moolman sur le tournage de « Capture » en 2015 ; Colin Delfosse (2015), dans le cadre d’une collaboration avec les réalisateurs d’un documentaire sur les aventures spatiales de Mobutu (dans ses photos on voit deux astronautes, Ekeba et le performeur kinois Strombodoribo) ; Léonard Pongo, en 2016, au CATPC/LIRCAEI de Lusanga, un centre de recherche sur la relation entre art et inégalités économiques fondé par l’artiste et réalisateur Renzo Martens18…
L’un des mots favoris d’Ekeba est mind, emprunté à l’anglais mais utilisé à des fins qui lui sont propres. Il lui donne pour traduction « intelligence ». Il entend par-là une intelligence bien particulière : celle qui consiste à convaincre quelqu’un d’offrir son soutien, mais sans y paraître. En cela, mind se rapproche de mayéle – « ruse » en lingala – mais fait également appel à la notion de matólo (« débrouillardise », « baratin ») et à celle de gréco-romain (en argot, « flatterie »). Ekeba en fait usage comme d’un nom (« c’est du mind ») et d’un verbe (minder). Dans les deux cas, dit-il, la chose est essentielle : « on mind pour exister ». Performer, on l’a vu – devenir l’astronaute – revient également pour lui à « exister ». Cela suggère une vision de l’astronaute (ou de la transformation en lui) comme moyen de respirer, notion (on l’a vu aussi) qui est chère à Ekeba : respirer – et de ce fait être – dans le monde. Cette vision, il me semble, est parlante pour le collectif tout ensemble. Il est le lieu et l’instrument d’un être au monde, une manière – via la fantaisie, voire une touche de folie, via l’humour et la colère – de respirer.
Respirer là où tout milite pour son contraire.
1 Les citations des artistes qu’on trouvera dans ce qui suit ont pour origine le site Internet du collectif – https://kongoastronauts.wordpress.com – et une série d’entretiens réalisés en octobre 2019.
2 Il s’agit en fait d’une sculpture lumino-sonore de Bebson de la Rue filmée en close-up.
3 Les choix musicaux d’Hellio, ici et dans ses autres films pour KA, s’inscrivent dans le sillage du bruitisme et de la musique industrielle, en résonnance, explique-t-elle, avec les instruments crées par Bebson de la rue à partir de rebuts de la société post-industrielle et des inventions sonores qu’il en fait naître.
4 Dominique Malaquais (dir.), Kinshasa Chroniques, Paris, Editions de l’Œil, 2019, p. 154.
5 Armand D. Roth, La prohibition de l’appropriation et les régimes d’accès aux espaces extra-terrestres, Genève, Graduate Institute Publications, 1992, p. 197. (Voir aussi https://books.openedition.org/iheid/4415).
6 Dominique Malaquais, « On the Urban Condition at the Edge of the Twenty-first Century: Time, Space and Art in Question », Social Dynamics 44, 3 (2018), p. 425-437.
7 « Heterotopic Planetarium » (Kaserne, Bâle, 2019) ; « Supre:organism » (WAAG, Amsterdam, 2019) ; Kinshasa Chroniques (MIAM, Sète, 2018-2019 et Cité de l’architecture & du patrimoine, Paris, 2020) ; « Système Kinshasa ! » (B’ZZ/Agence française du développement, Cachan et Paris, 2019) ; « Traversantes » (Le Tarmac, Paris, 2018) ; « Kinshasa 2050 » (Institut français, Kinshasa, 2017 et 2018) ; Festival MIDBO (Bogota, 2018) ; Karachi Biennale (Karachi, 2017) ; Festival pour un temps sismique (HEAR/Arts hors format Strasbourg, 2017) ; Arte en Orbita (Quito, 2015) ; Pan African Space Station (Cape Town et Paris, 2015) ; Lowave Film Festival (Johannesburg, 2013).
10 Andy Morgan, « Mbongwana Star – Kinshasa’s Afro-junk revolutionaries », 2015. www.andymorganwrites.com/mbongwana-star-kinshasas-afro-junk-revolutionaries
15 Hellio enseigne à la Haute école des arts du Rhin (Strasbourg), dans la mention Arts hors format, de 1996 à 2013. Dans ce cadre, elle participe à un partenariat entre la HEAR et l’Académie des beaux-arts de Kinshasa, échange entre enseignants et étudiants kinois et strasbourgeois sur une période d’une dizaine d’années. Après plusieurs séjours à Kinshasa, elle s’y installe en 2013. Ekeba, lui, a étudié à l’Académie des beaux-arts de 2010 à 2014.
18 CATPC : Cercle d’art des travailleurs de plantation congolaise / LIRCAEI : Lusanga International Research Centre for Art and Economic Inequality. Hellio et Ekeba sont membres fondateurs du CATPC. (Voir Els Roelandt et Eva Barois de Caevel (dirs.), CATPC, Berlin, Sternberg Press, 2017). D’autres photographes encore, de passage à Kinshasa, ont fait des clichés de l’astronaute, mais souvent sont partis sans les partager avec les Kongo Astronauts, de sorte qu’il est impossible de les recenser.
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