Rédigée par une équipe de chercheurs internationaux dirigée par le Canadien Evan Wood
La criminalisation des utilisateurs de drogues illicites alimente l’épidémie de VIH et a eu des retombées essentiellement négatives sur la santé et la société.
Nous avons besoin d’une réorientation complète des politiques.
En réponse aux préjudices des drogues illégales sur la santé et la société, un important régime international de prohibition des drogues a été mis en place sous la tutelle des Nations Unies. Des dizaines d’années de recherche ont permis de réaliser une évaluation complète des répercussions du phénomène mondial de « guerre contre la drogue ». Tandis que des milliers de personnes se réunissent à Vienne dans le cadre de la XVIIIe Conférence internationale sur le sida, la communauté scientifique internationale demande que l’on reconnaisse les limites et les préjudices de la prohibition des drogues et réclame une réforme des politiques en matière de drogues afin d’éliminer les obstacles à la mise en place de régimes efficaces de prévention, de traitement et de soins du VIH.
Il existe maintenant des preuves irréfutables que les efforts d’application de la loi n’ont pas réussi à enrayer la disponibilité des drogues illégales dans les collectivités où il y a de la demande. Au cours des quelques dernières décennies, les systèmes nationaux et internationaux de surveillance des drogues ont révélé une tendance générale à la baisse dans le prix des drogues ainsi qu’une tendance à la hausse dans leur pureté – malgré des investissements considérables dans les efforts d’exécution de la loi.
De plus, il n’existe aucune preuve qu’une férocité accrue des démarches d’application de la loi réduit de façon importante la prévalence de la consommation de drogues. Notamment, les données indiquent clairement que le nombre de pays dans lesquels les personnes s’injectent des drogues illégales est à la hausse et que les femmes et les enfants sont de plus en plus touchés. En dehors de l’Afrique subsaharienne, l’utilisation de drogues injectables cause environ le tiers des nouveaux cas d’infection par le VIH. Dans certaines régions où le VIH se répand le plus rapidement, par exemple l’Europe de l’Est et l’Asie centrale, la prévalence du VIH peut atteindre 70 % parmi les utilisateurs de drogues injectables, et dans certaines régions ce groupe compte plus de 80 % de la totalité des cas de VIH.
Face à la réalité des preuves accablantes que les efforts d’exécution de la loi ont échoué par rapport à leurs objectifs déclarés, il est important de reconnaître et d’aborder les conséquences nuisibles. Ces dernières comprennent entre autres les points suivants :
– Une épidémie de VIH alimentée par la criminalisation des personnes qui consomment des drogues illicites et les prohibitions relatives à l’offre de seringues stériles et de traitements de substitution à base d’opioïdes.
– Des flambées de VIH parmi les utilisateurs de drogues incarcérés et asilaires, causées par des lois et politiques punitives et un manque de services de prévention du VIH dans ces milieux.
– L’affaiblissement des régimes de santé publique lorsque les efforts d’application de la loi poussent les utilisateurs de drogues illicites à ne pas se prévaloir des services de prévention et de soins et à se tourner plutôt vers des milieux où le risque de transmission de maladies infectieuses (p. ex., VIH, hépatites B et C, tuberculose) et d’autres préjudices est plus élevé.
– Une crise dans les systèmes de justice pénale, découlant de taux d’incarcération record dans plusieurs pays. Cette réalité a eu des répercussions négatives sur le tissu social de collectivités entières. Bien que les disparités raciales dans les taux d’incarcération pour infractions liées aux drogues soient évidentes dans bon nombre de pays, l’impact s’est avéré particulièrement grave aux États-Unis, où environ un Afro-Américain sur neuf parmi les hommes âgés de 20 à 34 ans est incarcéré en tout temps, principalement en raison des efforts d’exécution des lois antidrogue.
– La stigmatisation des personnes qui utilisent des drogues illicites, ce qui renforce l’attrait politique de la criminalisation des utilisateurs de drogues et mine les efforts de prévention du VIH et de promotion de la santé.
– De graves violations des droits de la personne, y compris la torture, le travail forcé, les traitements inhumains et dégradants et, dans un nombre de pays, l’exécution de personnes condamnées pour infractions liées aux drogues.
– Un énorme marché des drogues illicites d’une valeur annuelle estimée à 320 milliards de dollars américains. Ces profits demeurent entièrement en dehors du contrôle gouvernemental. Ils alimentent la criminalité, la violence et la corruption dans d’innombrables communautés urbaines et ont déstabilisé des pays entiers, par exemple la Colombie, le Mexique et l’Afghanistan.
– Le gaspillage de milliards de dollars des contribuables dans une « guerre contre la drogue » qui n’atteint pas ses objectifs déclarés et contribue plutôt directement ou indirectement aux préjudices décrits ci-dessus.
Malheureusement, les preuves de l’échec de la prohibition des drogues relativement à ses objectifs déclarés, ainsi que les graves répercussions négatives de ces politiques, sont souvent niées par ceux qui ont des intérêts cachés dans le maintien du statu quo. Cet état de fait a semé la confusion au sein du public et a coûté d’innombrables vies. Les gouvernements et les organisations internationales ont l’obligation éthique et juridique de répondre à cette crise en mettant en place de nouvelles stratégies fondées sur des preuves et capables de réduire les préjudices liés aux drogues sans engendrer de nouveaux problèmes. Nous, les soussignés, demandons aux gouvernements et aux organisations internationales, y compris les Nations Unies :
– d’entreprendre un examen transparent de l’efficacité des politiques antidrogue actuelles ;
– d’adopter et d’évaluer une approche de santé publique basée sur des données scientifiques en vue d’aborder les préjudices individuels et communautaires découlant de l’utilisation de drogues illicites;
– de décriminaliser les utilisateurs de drogues, de multiplier les options de traitements de la toxicomanie fondés sur des données probantes et d’abolir les centres de traitements de la toxicomanie obligatoires et inefficaces, qui violent la Déclaration universelle des droits de l’homme ;
– d’appuyer catégoriquement et d’accroître le financement de l’adoption de la gamme complète d’interventions VIH décrites dans le guide d’établissement des objectifs de l’OMS, ONUDC et ONUSIDA;
– de mettre à contribution, de façon significative, les communautés touchées dans le développement, la surveillance et la mise en œuvre de services et politiques qui touchent leurs vies…
De plus, nous en appelons au secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Ki Moon, afin qu’il mette en place des mesures d’urgence visant à faire en sorte que les Nations Unies – y compris l’Organe international de contrôle des stupéfiants – s’expriment d’une seule voix pour appuyer la décriminalisation des utilisateurs de drogues et l’adoption de stratégies de lutte antidrogue basées sur des données probantes.
Le fait de baser les politiques antidrogue sur des données scientifiques n’éliminera pas la consommation de drogues ou les problèmes découlant de l’injection de drogues. Cependant, la réorientation des politiques liées aux drogues vers des approches fondées sur des preuves qui respectent, protègent et renforcent les droits humains pourrait éventuellement réduire les préjudices causés par les politiques actuelles et permettrait de rediriger les considérables ressources financières là où on en a le plus besoin, c’est-à-dire dans l’adoption et l’évaluation d’interventions scientifiques de prévention, de réglementation, de traitement et de réduction des préjudices.
Voir le site : www.ladeclarationdevienne.com
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