90. Multitudes 90. Printemps 2023
Majeure 90. Étendre la démocratie

Amélios, une monnaie locale écologique

Partagez —> /

Les scientifiques nous l’annoncent depuis des années : la biodiversité s’éteint pour la 6e fois et, cette fois, ce sont les activités humaines qui en sont responsables et les dirigeants politiques ne peuvent l’arrêter, quels qu’en soient les régimes !

Le diagnostic est connu : notre mode de vie est énergivore. Le charbon, le pétrole et le gaz naturel, fruits de cette même biodiversité, l’ont jusqu’alors permis. Les physiciens nous le confirment : l’entropie des activités humaines est en constante augmentation. Et pourtant, grâce à leurs divers systèmes d’information, les êtres vivants, qu’ils soient sur terre ou dans l’eau puisent l’essentiel de leur énergie du soleil. Ne peut-on pas concilier dirigisme et initiatives de tout un chacun ?

Entre solutions autoritaires par en haut de l’État ou de la communauté des États, initiatives parfois retorses car à double détente de multinationales puissantes qui lessivent plus vert, et petites actions quotidiennes des citoyens dont l’accumulation paraît bien modeste et constamment contrée, quel en est l’état de l’art du droit public pour concilier process « top down » et « bottom-up » ? Tenir les deux bouts de la chaîne est probablement la clé du succès. Seulement voilà, c’est toute la difficulté. Il ne suffit pas de dire qu’avec la démocratie on tient un fil d’Ariane. Car la démocratie oscille (et cela ne date pas d’hier matin) entre l’autoritarisme de l’efficacité prônée par le sommet bureaucratique, comme dans le cas du Bonapartisme ou aujourd’hui de l’illibéralisme, le bégaiement des corps intermédiaires et des corporations d’intérêt et la révolte populiste.

L’expérience menée dans le cadre d’Amélios que j’anime depuis a été confrontée constamment à la difficulté d’un chemin à trouver des comportements de base vers le haut (rappelons qu’il va jusqu’à l’inscription dans la constitution de la protection de la planète). En même temps, c’est le premier bilan que j’en tire, elle constitue dans ses premiers résultats une voie démocratique pollinisatrice et un espoir face aux difficultés et aux fragilités auxquelles la démocratie se trouve soumise du fait de l’urgence écologique.

En France, s’inspirant d’initiatives anglo-saxonnes, les assemblées législatives ont introduit en août 2016 dans le Code de l’Environnement le mécanisme des ORE (Obligations Réelles Environnementales – article L 132 – 3) :

« Les propriétaires de biens immobiliers peuvent conclure un contrat avec une collectivité publique, un établissement public ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement en vue de faire naître à leur charge, ainsi qu’à la charge des propriétaires ultérieurs du bien, les obligations réelles que bon leur semble, dès lors que de telles obligations ont pour finalité le maintien, la conservation, la gestion ou la restauration d’éléments de la biodiversité ou de fonctions écologiques. »

Simultanément à ce dispositif législatif était créée l’Agence Française pour la Biodiversité. Consultée sur les modalités et le champ d’application de ce dispositif, cette Agence a confirmé la volonté du législateur de ne pas encadrer cet article de loi par des textes réglementaires. Fort de cette réponse, avec l’aide de notre avocat, nous avons créé deux personnes morales dont les actifs intégreraient le soin de la biodiversité et la bienveillance. Il s’agit d’une part de la Société Civile de Patrimoine de l’Aunette à Chamant dans l’Oise et d’autre part de la Société Civile de Patrimoine de l’Eichel dans le Bas-Rhin. Ces sociétés disposent d’un patrimoine immobilier hébergeant des séniors retraités et une activité locale ainsi que des véhicules à faible émission. Ce type de société se crée aisément sur Internet en 24 heures, avec ou sans capital. Grâce à ce statut juridique, ces sociétés peuvent conclure des contrats d’ORE avec soit une collectivité territoriale, soit une association de protection de la nature reconnue. Ainsi la SCP de l’Aunette a conclu un contrat d’ORE avec le CPIE60 (Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement des Pays de l’Oise).

La valeur de l’actif immobilier de ces sociétés est alors décomposé selon la nature des matériaux qui le constitue (bois, chanvre, coton, lin, pierres calcaires, terre « vivante »…) avec des durées d’amortissement plus ou moins longues pour tenir compte de leur caractère renouvelable ou de la séquestration de dioxyde de carbone. Tout ou partie du résultat du compte d’exploitation de la SCP de l’Aunette est versé annuellement au CPIE60, soit pour financer des diagnostics de biodiversité, soit pour compenser en monnaie d’État les CoOs.

CPIE60 : Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement des Pays de l’Oise

SCP : Société Civile de Patrimoine

CoO : Pour CoOpération

En effet, l’enjeu majeur de la lutte contre le réchauffement climatique réside dans la diminution de l’entropie des activités humaines, dont l’augmentation continue est étroitement liée au recours aux énergies fossiles dans l’économie.

En 2018, François Roddier, astrophysicien, dans son livre « De la thermodynamique à l’économie » nous met en garde sur le possible effondrement du système libéral :

« Je termine ce livre en montrant la correspondance manifeste qui existe entre d’une part le système sympathique et l’économie libérale et, d’autre part, le système parasympathique et l’économie dirigée. Je montre qu’il serait possible d’appliquer ce même mécanisme dit “ago-antagoniste” à l’économie grâce à l’emploi de deux monnaies, jouant le rôle de deux neurotransmetteurs différents. Cela permettrait de réguler notre dissipation d’énergie, ce qui éviterait à nos sociétés de s’effondrer. 1 » « 1. Dans notre corps, l’action du système nerveux parasympathique s’oppose à celle du système sympathique en s’occupant de ralentir les fonctions de l’organisme dans un objectif d’économie d’énergie. Ago-antagonisme pour combiner une chose et son contraire. »

Le dispositif Amélios met en œuvre une monnaie informationnelle, le CoO, pour une coopération multidirectionnelle, comme le font les abeilles. Le résultat de la production de miel et de cire par ces dernières va très au-delà d’un acte de production car il induit une pollinisation dont la valeur est supérieure de plusieurs centaines de fois à la valeur de l’output obtenue. L’idée d’Amélios est de multiplier les externalités positives résultant des actions en faveur de la décarbonation de l’activité humaine. Et ce à travers la création de crédit sur le futur donc de monnaie à niveau local.

Le CoO : l’énergie non consommée (aujourd’hui et surtout demain) augmentée d’externalités positives (= Kwhs négatifs cumulés multipliés par un coefficient supérieur à 1). Le CoO, monnaie-papier de crédit, est inspiré du mécanisme des CEE (Certificats d’Économie d’Énergie) instauré en 2005. Par exemple, le montant de kWh économisé suite à l’installation d’un appareil performant d’un point de vue énergétique correspond au cumul des économies d’énergie annuelles réalisées durant la durée de vie de ce produit. Il s’agit donc bien d’un crédit. Chaque CoO a une durée de vie limitée et est convertible localement en monnaie d’État. Ainsi, chaque membre d’un réseau local Amélios peut ouvrir un compte « bancaire » en CoO sur le site (www.amelios.org) et, après validation par un administrateur, émettre lui-même des billets. Ces billets sont facés et « orientés » à la discrétion de son émetteur. Sur son espace personnel, à la rubrique « Monnaie personnalisée », il peut soit concevoir ses propres billets, soit les choisir dans une bibliothèque de billets déjà créés. Sur le site internet du CPIE60, il peut trouver différents cours du CoO associés à des représentations différentes du vivant. Les naturalistes du CPIE60 pourront ainsi rendre attentifs les membres du réseau sur l’effondrement ou la préservation de telle ou telle espèce animale ou végétale. Tout commerce acceptant les CoOs bénéficie auprès du CPIE60 d’un bonus en monnaie d’État (théorie des « nudges » c’est-à-dire de signaux incitatifs). Le consommateur Amélios bénéficie d’une remise, et le commerçant d’une rémunération supérieure, engendrant notamment plus de TVA, valorisant ainsi le vivant. Associé à un réseau communautaire territorialisé en cohérence avec les Plans Climat-Air-Énergie, la création et l’utilisation de cette monnaie locale doivent être viraux. Dans le cadre d’un partenariat, dénommé Bloom, entre la Région des Hauts de France, l’Ademe et le CEEBIOS1, cette monnaie a été testée de mai à octobre 2022 sur le marché de Senlis. Les clients des commerces impliqués (maraîcher, apiculteur…) recevaient un billet de 50 CoOs lorsqu’ils rapportaient des contenants (boîtes plastiques, sachets, verrines…), soit un bonus de 3 € sur leur prochain achat. Quant aux commerçants, ils touchaient 2 € supplémentaires en plus de la compensation de 3 € au titre de la promotion du dispositif Amélios.

Fort de cette expérimentation réussie, l’année 2023 sera consacrée à faire du territoire de la commune de Senlis un pilote du dispositif Amélios avec la mise en œuvre de nouveaux contrats d’ORE. L’impact de ce mécanisme bottom-up (de la base vers le sommet) peut également provoquer un effet d’entraînement et de contagion pour le circuit monétaire macro-économique des banques de second rang et des banques centrales. La création monétaire globale et non plus locale s’appuie alors sur la vigueur et la bonne santé des monnaies universelles territorialisées de type Amélios.

1Centre d’études et d’expertise en biomimétisme.