Autislangue
Autislangue
C’est la langue que nous parlons,
nous qui pouvons parler sans sons.
C’est notre voix dans le silence
Où chaque mot a son poids, et aucune pensée ne se perd.
C’est la langue que nous parlons,
nous qui embrassons sans toucher,
C’est notre danse sans corps
Où chaque toucher a du sens, où aucun regard n’est perdu.
C’est la langue que nous parlons,
nous qui pouvons voir sans regarder.
C’est notre étoile derrière l’obscurité
où des arcs-en-ciel de velours chantent, où aucune larme ne tombe sans être vue.
C’est la langue que nous parlons,
nous qui pouvons flotter hors du temps.
C’est notre foyer au-delà de nulle part
où l’ombre des bruits de pas tombe,
où la mémoire résonne des échos du futur
et le confort reflue du passé,
où les sourires n’ont pas besoin de visages
et la chaleur émane de cavernes gelées.
C’est notre source, notre destination,
où chaque chanson est entendue, où aucune âme ne brille sans être perçue.
Jim Sinclair
Our Voice: The Newsletter of Autism Network International, Issue 1, September/October 1992 ; repris in Erin Manning, Toujours plus que un. La danse de l’individuation, traduit de l’anglais (Canada) par Emma Bigé & Mathilde Papin, Paris, Puf, 2024 [à paraître]
L’orage gronde sous la peau
Lumière sur les doigts engourdis
Crâne délavé par les étincelles.
Une surcharge complote au milieu d’une orgie informationnelle.
Une bourrasque se prépare dans un quiproquo d’émotions.
Craquement de la coquille,
la carapace se brise,
le masque glisse sur le cuir.
L’orage gronde sous la peau.
Enveloppe se fige dans des soubresauts.
Ielle survit en grattant.
Humain·e cherche ficelles pour réparer corps-environnement.
Souffle dans un été caniculaire.
Brindille dans une motte de terre.
Ielle survit d’avant en arrière.
Anaïs Ghedini
Confusion d’identité
Je ne sais pas ni qui je suis ni ce que je suis
Les gens du monde du dehors me déconcertent.
On dirait qu’ils savent mieux que moi ce que je suis. Oui, on dirait qu’ils ne doutent de rien.
J’essaye de m’accrocher à quelque chose qui m’échappe, et je suis toujours à court.
Je n’ai pas le sens de moi. Mais je ne peux pas dés-être.
Je ne supporte pas les gens du monde du dehors.
Ils sont si lourds. Ils parlent tellement. Ils sont tellement pleins de « trucs ».
Je suis vide, rien d’autre qu’un trou.
J’ai bien essayé de remplir ce trou avec du sens, mais je ne suis toujours pas là.
Nulle part je ne peux me trouver
mais je n’arrive jamais à tout à fait me perdre.
Cette ambiguïté, voilà tout ce que je sais de l’Identité.
Il faudrait que j’aie (ou) que je sois quelqu’un.
Je ne veux être personne.
Je veux être l’herbe. Le sable.
Le vent qui souffle sur le bord de mer,
une pierre de rivière,
un oiseau qui chante à l’aube,
une étoile qui meurt, une planète gelée, une feuille d’érable,
un vieil éléphant,
des champignons qui poussent aux racines d’un grand arbre,
les sommets enneigés d’une montagne,
la nuit sombre d’une forêt tropicale,
un de ces silences qui transforme le son en musique, un battement de ton cœur,
l’odeur joyeuse d’un pain fraîchement sorti du four,
un chat noir qui ronronne au coin du feu,
une petite goutte au milieu d’une cascade, une libellule, une poignée de myrtilles.
Un vrai-mot, peut-être.
Oisin & The Beggar