Les mots « architecture » et « musée » riment de nos jours encore avec Europe et Amérique du Nord, à quelques exceptions près. Pour la plupart de ceux qui les emploient, en « Occident » ou sous la houlette de celui-ci, ils font référence à des structures permanentes, souvent monumentales, créées selon des règles et à des fins de monstration bien établies1. Il y va d’une définition restrictive du bâti et de la notion d’exposer. Point ou peu de place là pour d’autres regards sur l’architecture, regards tels qu’on peut et qu’on pouvait par le passé en rencontrer sur le continent africain, en Asie, en Océanie, dans les Amériques là où la colonisation n’a pas tout rasé. Point ou peu de place non plus pour quelque approche de la mise en espace qui ne s’aligne pas sur une conception occidentale de l’art et de son appréciation. À cela, rien d’étonnant : l’architecture en général et les musées en particulier ont joué un grand rôle dans la construction d’hégémonies politiques, économiques et culturelles propres aux pays dits du premier monde – hégémonies qui, par définition, visent à exclure. Du Musée d’histoire naturelle de New York, du Musée du quai Branly, on dit qu’ils sont de « grands » lieux d’exposition ; des lieux pillés pour les garnir – lodges de potlatch, kwakwaka’wakw, maisons-longues batak, sanctuaires sandogo en contrée sénoufo – on n’y trouve rien de tel. Lorsqu’on s’y intéresse, c’est souvent de manière rétrospective : endroits appartenant au passé, demandant commémoration ou, si encore possible, conservation. Aux espaces éphémères dans lesquels, hors Europe et États-Unis, entendons blancs, l’art a le plus souvent été montré – bosquets, clairières initiatiques, tentes, structures temporaires flottantes, chars de carnaval – on prête peu ou pas d’attention.
Qu’il y ait là problème va sans dire. Or ce qui nous rassemble ici, c’est le désir de créer un espace pour mettre en valeur l’art. Cet espace vise à questionner et à transgresser les définitions. Ce qu’on appelle art, en l’occurrence, ce ne sera pas nécessairement l’art visuel tel que pensé au Louvre ou au Metropolitan Museum – en tout cas pas seulement. Oui, bien sûr, il y aura des objets accrochés aux murs et montés sur piédestal ou projetés sur écrans ; mais on s’attend aussi à des performances, des expérimentations sonores, des enchevêtrements et des carambolages nés d’échanges frontaux entre œuvres, créateurs et publics. Regarder, réfléchir, dialoguer, créer se feront tout de go. « Art » sera ici simultanément processus et produit, interaction, (inter)échange. Pour le dire autrement : nous songeons à un endroit où l’art pourrait être vécu différemment.
Au cœur du projet, la question du lieu physique ; c’est elle qui est fondamentale. Ce lieu : le continent africain.
En théorie, un espace et des expériences tels que nous les imaginons pourraient être élaborés n’importe où au monde. En pratique, notre point de départ – le staging ground de ce projet – c’est l’Afrique et à cela s’articulent challenges et opportunités qu’il importe de penser. À commencer par une question de définition : comment pourrait-on (voudrait-on ?), vu de la pointe sud du continent, (re)définir ce qui constitue l’art dans un contexte muséal et par quels moyens pourrait-on envisager de lui (re)donner vie ? En quête de réponses, nous proposons de nous appuyer sur des modèles conçus, au passé comme au présent, par des praticiens issus des Afriques. L’objectif n’est pas de reproduire ces modèles ; il ne s’agit pas d’essentialiser, d’engendrer ou, pire, de mimer une quelconque expérience « africaine » de l’art (à quoi une telle notion pourrait-elle renvoyer ?), mais de s’en inspirer. D’autres prototypes, nés hors Afrique, seront également considérés. Pour la plupart, ils ne seront pas euro-américains. Non pas en opposition aux MoMa et autres Guggenheim Bilbao, ou à l’exclusion d’approches que ces lieux pourraient offrir et dont il est évident que certaines demandent à être prises en compte : l’espace que nous visons à créer ne se veut pas une riposte ; il ne s’oppose pas à un putatif « centre » muséal qu’il entendrait rejeter. Ce dont il est question ici, c’est d’explorer des approches globales de l’art, de sa présentation et de son appréciation que même les plus engagés et expérimentaux des musées au « Nord » n’ont pour la plupart pas su ou voulu envisager comme sources d’inspiration. Nous projetons un laboratoire-observatoire : un site positionné en Afrique, mirant l’Afrique et plus largement le monde au-delà de l’Euro-Amérique-du-Nord, comme point de départ pour articuler des manières novatrices de penser, de faire et de (re)sentir l’art.
Faisons concret
Projetons-nous dans un hypothétique futur proche. Le complexe s’apprête à inaugurer une nouvelle saison qui a pour thématique l’urbain. Plusieurs expositions sont attendues. Une idée – une hypothèse de base – les relie :
La ville globale – la ville du futur – n’est ni Londres, Tokyo ou New York, mais Lagos, Kinshasa, Douala. L’urbain qui vient est en construction ici et maintenant sur le continent africain. Pour d’aucuns, la globalisation c’est sans doute les transactions boursières en ligne et en temps réel, les jets qui zippent de Lisbonne à Johannesburg, mais dans le quartier de Hillbrow, cœur démuni de Jo’burg (justement), c’est tout autre chose. C’est là, en réalité, que se vit la globalisation. Là l’éprouvent, l’imaginent, la mettent en œuvre de manières différentes, hétérogènes, contradictoires, celles et ceux qu’elle concerne au premier chef. Des expériences de ces citadins naissent des formes de cosmopolitisme qui, dans les années 2040-2050, seront le lot de la majorité des habitants de notre planète.
Autour de cette hypothèse, cinq expositions sont planifiées. Certaines auront lieu en même temps, d’autres se suivront. Le commissariat sera assuré dans deux cas par des collectifs d’artistes ; ailleurs, il sera mené par des curateurs invités. Une architecte a été conviée pour penser le site à cet effet. Elle a été retenue sur la base d’une proposition qui met en dialogue artistes et activistes déterminés à extraire l’art du carcan muséal. L’espace qu’elle a imaginé se subdivise en deux parties, abritant une grande et deux petites expositions. La première prend la forme d’une installation massive centrée sur l’œuvre d’un collectif basé à Douala, le Cercle Kapsiki. Elle s’intitule Dreaming Mumbai. Vidéo, peinture, photo, objets trouvés, sculpture, enregistrements sonores et poésie (en personne et sur papier) se bousculent dans un télescopage à répétition avec le travail performatif de praticiens venus de diverses villes à l’invitation des Kapsiki. En octobre, un théâtre itinérant d’ordinaire basé à Téhéran est en dialogue avec les pièces ; tous les jours, il intervient dans l’exposition, en partie sur la base de recherches qu’il a effectuées au cours d’une résidence d’un mois en amont de son action et en partie en réponse à une chorégraphie imaginée par un scénographe originaire de Lubumbashi. En novembre, trois jours durant, le percussionniste, guitariste et bassiste Franck Biyong2 crée pour l’installation un écrin sonore immersif ancré dans la mémoire du maquis révolutionnaire camerounais et simultanément influencé par une série d’échanges avec le Raqs Media Collective3, basé à New Delhi. Dans les mois qui suivent, de nombreux performeurs du Cap sont invités à opérer dans l’installation, en collaboration avec l’activiste queer Gabrielle Le Roux4 et la poète Stacy Hardy5.
Adjacente à l’installation Kapsiki, liée à elle thématiquement et spatialement, mais néanmoins distincte : une plus petite exposition focalisée sur des images digitales, toutes de format modeste et principalement travaillées au GoPro, prises à Mumbai par des artistes qui y vivent. Elle s’articule à un troisième espace/installation lié à Dreaming Mumbai où, à intervalles réguliers, en journée et parfois le soir, assis, allongé, debout, on peut assister à des lectures/performances (live et préenregistrées) de textes lus et slamés par des écrivains dont le sujet est l’urbain, de Vladivostok à Luanda en passant par Brooklyn et Kolkata.
Dans les deux aires d’exposition pérennes dont il a été question plus haut – prévues pour accueillir des œuvres exigeant un environnement climatisé – il y a aussi à voir. Dans un cas, c’est une petite exposition en provenance de Zanzibar. On y découvre des photos en noir et blanc de villes de la côte swahili, plaques tournantes où, depuis des siècles, se rencontrent les mondes africains, arabes et de l’Océan indien. À côté, une seconde petite exposition, celle-ci venue de Paris : modèles futuristes de Kinshasa élaborés par le sculpteur Pume Bylex6.
Si le désir s’en fait sentir, une, voire deux des plus petites expositions pourront être remplacées en cours de saison. À celle venue de Zanzibar pourra se substituer une installation de moyen-métrages vidéo sur la condition urbaine dans les Afriques tournés par des élèves d’écoles d’art du continent. L’espace de lecture/performance, lui, pourra s’ouvrir à des ateliers de théâtre ou de chorégraphie menés par des praticiens œuvrant habituellement dans l’espace public.
Articulés à la saison également, deux programmes de recherche. L’un est centré sur le travail d’une anthropologue. Supposons une universitaire nigériane écrivant une série d’essais sur un collectif d’architectes néo-zélandais travaillant à Dubai. Trois mois on site lui donneront le temps de réfléchir, de consulter collègues et praticiens dans des universités de la région (Stellenbosch University, University of the Western Cape, l’African Centre for Cities de l’Université du Cap), de proposer des lectures publiques de textes en gestation. Second programme de recherche : une résidence d’artistes. Deux créatrices – l’une venant de Praia au Cap Vert, l’autre de Johannesburg – ont été invitées pour une période de cinq mois. Focale de leur travail : les villes peut-être, mais pas nécessairement (point de contrainte programmatique) ; peut-être les échanges Asie-Afrique ; ou encore les imaginaires de l’Inde – rêves bollywoodiens ou dystopies hollywoodiennes, recettes du Kerala repensées dans des restaurants de Tunis à la Réunion, bouddhas kitsch made in China…
À cela, l’été venu et en extérieur, viendront s’embrancher des performances d’ordre plus classique – théâtre, musique, danse – explorant des thématiques urbaines. Cela et un festival de films sur les villes à l’attention d’un large public : La bataille d’Alger, Blade Runner, Tableau Ferraille, District 9, du Bollywood, du Nollywood, Les saignantes, Brazil…
La saison suivante, cette proposition sera remplacée par une autre. Autres thématiques, autres œuvres et créateurs, autres espaces. D’année en année, la transformation. Le fil directeur sera l’intérêt, la surprise, les apports de praticiennes et de praticiens inspirés par le projet et ses possibles. Élément capital : les parties éphémères, transformables et transformées du complexe auront toujours une seconde vie. À tout architecte ou designer invité à élaborer une vision du complexe pour une saison donnée, il sera demandé d’imaginer des structures pouvant à d’autres fins être implantées ailleurs. À mi-saison, un appel à candidatures : écoles, théâtres, cirques, résidences d’artistes sur le continent seront conviés à montrer l’usage qu’ils pourraient en faire. En clôture de saison, les structures seront démontées et expédiées vers un de ces lieux où une vie nouvelle commencera pour elles.
Dans cet endroit que nous rêvons, chaque saison réunira de nouveaux artistes et architectes/designers, de nouveaux praticiens. À elles et eux, liberté de création. Afin de les épauler, une petite équipe permanente qui aura pour rôle d’élaborer en leur compagnie la thématique de la saison. On penserait volontiers cette équipe comme un binôme – artiste/activiste ; politiste/historien d’art ; chorégraphe/journaliste – dont l’identité changerait tous les trois ou quatre ans, afin de promouvoir tout à la fois une certaine continuité et une variété aussi grande que possible des contenus.
Ce que nous proposons ici n’est qu’un exemple parmi d’autres de ce à quoi pourrait ressembler l’espace que nous imaginons – un espace où l’art sera vécu et pensé à partir d’un lieu et d’un moment bien précis sur le continent africain. Les idées présentées n’ont pas à être suivies à la lettre ; elles sont un point de départ. S’intéressant, comme on a tenté de le faire ici, à des questions de définition (quels arts pour quels publics ?), de liberté de création, d’engagement, on aurait pu se tourner vers des approches différentes : vers les théories de la réception explorées et mises en pratique lors de festivals gelede en pays yoruba, par exemple – on trouverait là un modèle fascinant d’interaction entre artistes et spectateurs ; vers la confusion et l’ironie comme moteurs favorisant la rencontre (techniques mises à profit par Yinka Shonibare7 ou, à nouveau, Pascale Marthine Tayou) ; vers l’improvisation, art du barde Ablaye Cissoko8, du bassiste Richard Bona9, comme moyens de transformer formes et contenus…
Ce qui précède n’est donc pas un programme. C’est une invitation, une porte grande ouverte.
Exit et évasion
Quels outils pour (tenter de) démanteler la maison du maître ? Étant donné le regard que je porte sur le maître et sa demeure, je suis convaincue qu’opter pour la sortie ou la fugue, que faire silence – to go quiet dirait-on en anglais d’aéronautique – ou adopter une approche furtive visant à contourner les radars institutionnels, constitue la seule approche sensée. En d’autres termes, c’est ce que je devrais faire. Stephen Wright lui-même pourrait l’envisager qui, via les textes qu’il publie, rend visible et de ce fait capturable ce dont il défend l’aspiration à n’être pas appréhendé10. Ce n’est pas, à ce stade du moins, le choix que je retiens et je suis donc en pleine contradiction avec moi-même. Reste à penser comment je m’applique à gérer cette dissonance : quels compromis j’opère.
Mon approche est, dans la mesure du possible, de m’inspirer de manières de procéder déployées par des artistes, des écrivains, des musiciens qui ont tâté de l’exit ou de l’évasion. Parmi celles-ci : le coautorat ou du moins l’abandon de la signature unique. […] Cette méthode est à l’origine de Kinshasa Chroniques […].
Contre la logique impériale du musée, nous avons déployé la furtivité […] en tant que tactique de déviation. De détournement du regard et d’approches normatives de la représentation. Via l’agencement conceptuel et scénographique de l’exposition et au moyen de son appareil discursif (textes, cartels, catalogue), nous nous sommes appliqués à démonter des présupposés à nos yeux porteurs de violence.
À une articulation des thématiques et de l’espace visant à imposer une structure formelle, directive, nous avons préféré une approche souple permettant de compliquer les points de vue. Le substantif « chronique » a plusieurs acceptions. Il peut s’agir d’un recueil de faits historiques rédigé en respectant un ordre chronologique, ou d’un journal consacré aux actualités d’un domaine précis, ou de rumeurs, de bruits qui circulent. C’est à ce dernier sens que fait allusion le titre de l’exposition. Caractéristique première de la rumeur : elle affleure, enfle, se répand, elle est fugitive, difficile à contenir. Elle n’a rien de statique. Nettement poreuses, les neuf sections, ou chroniques, qui traversent l’exposition – Ville Performance, Ville Sport, Ville Paraître, Ville Musique, Ville Capital(iste), Ville Esprit, Ville Débrouille, Ville Future, Ville Mémoire – font moins structure qu’ouverture. Propositions et non directives, elles encouragent au vagabondage, à imaginer des passerelles, des liens, des intersections possibles.
L’intention est de faire écho à un aspect clé de la ville : le fait qu’elle est en flux constant. J’entends par flux une disposition à se réinventer, à se projeter vers de nouveaux possibles, un refus (voire une impossibilité structurelle) de fermeture sur soi qui impacte au jour le jour la forme de l’espace urbain, les relations entre citadins et la perception que l’individu a de son rapport au monde11. C’est là une question à laquelle je m’intéresse depuis de nombreuses années, concernant Kinshasa mais aussi Douala, où j’ai séjourné et fait des recherches pendant dix ans, de 1998 à 2007. À cette notion de ville flux je consacrais déjà en 2005 un numéro spécial de la revue Politique africaine12. Autre intention de l’approche poreuse dont nous faisons l’expérience dans Kinshasa Chroniques : contourner l’habitus muséal de surplomb, le déploiement de positions prescriptrices visant à classifier et par ce truchement à faire comprendre – mode d’opération qui pour nous vient de la logique impériale13. Que cette même volonté de surplomb – détermination à centraliser, prédilection pour la linéarité, la hiérarchisation, l’unicité de points de vue ou encore la structuration par le haut – soit caractéristique de l’urbanisme moderniste, celui-là même que la colonisation a voulu imposer aux villes d’Afrique pour mieux les contrôler, impacte aussi notre projet. À ce positionnement intrinsèquement violent, nous souhaitons substituer une approche horizontale, ouverte, à même de déconstruire ou en tout cas de questionner. Disons-le autrement : dans une exposition consacrée en France à la capitale d’un pays atrocement violenté par le « Nord » impérial, on souhaite se départir de tels positionnements ou, à tout le moins, faire un pas de côté les concernant.
Le don de mes livres
Cet été-là, le plus beau du monde, je lis Les mots pour le dire et First You Cry. Il y est question d’un corps de femme, de cancer. Je lis La vie devant soi et L’Écume des jours. Je suis amoureuse ; c’est la première fois. Je me dis que s’il fallait mourir (j’ai quatorze ans : c’est de bonne guerre) le lieu serait tout trouvé : il y a là une araignée de Louise Bourgeois et une crique bleu azur cernée de rochers.
Cet été-ci, mon homme et moi avons trouvé une nouvelle crique. Île de Batz. Ce sera bien pour des cendres. Chloé a un nénuphar au poumon ; moi, j’en ai trois – trois petits nénuphars – au cerveau.
Rien n’est joué. Cela dit, le crabe guette et récidive. Le corps est fatigué, scarifié. Et les statistiques ne sont pas en ma faveur.
J’aime savoir, j’envisage. (Pré)parer ce qui peut l’être, quitte à m’y être prise trop tôt.
Un exit sans drame. De la joie, si possible. À tout le moins du calme. De l’amour, certainement.
Ce qui m’amène aux livres.
J’en ai beaucoup, collectés avec beaucoup de plaisir. Il y a mes préférés. Première édition du Devoir de violence, trouvée dans une kermesse à Korhogo en 1985. The Executioner’s Song, en poche, couverture arrachée, dédicacé par l’auteur. The Bluest Eye. Bastard Out of Carolina. Les livres écrits par mon père.
Tous ne partiront pas, bien sûr, mais la majorité si – quelque 6 000. Ce dont il est question ici : un départ pour le Cap, le moment venu.
C’est une bibliothèque tendance mangrove. Elle a pour principal centre d’intérêt la non-Europe. L’Afrique et ses diasporas y sont très présentes. L’intention, néanmoins, n’a jamais été de faire méthode, sens, structure. Pas de complétude. Rhizomes, paysage de racines aériennes, petits pontons menant de là à là. L’art d’abord, classique comme ultra-contemporain, mais aussi la boxe. Passablement de poésie. La prison. Les villes, partout au monde mais surtout pensées depuis le continent. L’adobe, du Bandiagara au pays pueblo. Camps de voyageurs, de réfugiés, de pêcheurs kwakwaka’wakw. Moins de romans qu’on aurait pu le penser, mais les choses changent vite (je suis boulimique) et puis il y en a ailleurs, tout un box, d’Amado à Zola. Cosmocide et cyborgs. Congo et Cameroun ou plutôt Kinshasa, Douala. Le Cap aussi, justement. De l’incongru (j’ai eu un passage cosplay ; faux et faussaires m’ont fascinée un temps). Pyramides maya (Palenque, en tout premier), rencontrées à dix-neuf ans ; surréalisme mexicain. Blues, histoires de funk. Une période Watergate et plus largement CIA (Contras et torture) ; Abu Ghraïb ; Edward Said, Eyal Weizman. Frantz Fanon. De la race et de son invention.
S’il fallait trouver un fil rouge, on pourrait dire que ces livres, ensemble, font kit. On est dans cette bibliothèque comme on est avec moi : quelque part entre pessimisme et certitude de beauté. Petit kit pour bombe à hydrogène, celle qu’imaginait Sony Labou Tansi : un machin qui met tout sens-dessus-dessous, parce que l’indicible, la beauté précisément, est de l’ordre du possible.
Bref, Ntone Edjabe14, tu mets les pieds dans un drôle de guêpier. Mais bon… Vingt ans de compagnonnage ça se célèbre. Faisons donc biblio : tu seras en charge des bouquins.
Le sang est impossible à malmener –
La bombe à hydrogène
Est bouchée de tendresse
Quel monde (Sony Labou Tansi15).
1 Cet article se compose d’extraits du mémoire de synthèse à voix multiples intitulé Entrelacs dans le dossier d’Habilitation à Diriger des Recherches présenté par Dominique Malaquais en juin 2021. Entrelacs sera prochainement publié aux éditions B42.
4 Artiste et activiste pour la justice sociale. Nomade, Le Roux vit entre l’Afrique du Sud, la Caraïbe, l’Europe et l’Amérique centrale.
5 Auteure, performeuse, réalisatrice ; longtemps cheville ouvrière de la plateforme panafricaine Chimurenga.
10 La critique n’est pas neuve. À l’INHA en mai 2007, elle a fait l’objet d’un échange entre Stephen Wright, Alexandre Gurita, Alexander Koch, Élisabeth Lebovici, Richard Leeman et Jean-Marc Poinsot.
11 Allemand, Godret, Malaquais, Meadows et Mindre 2019.
12 Malaquais 2005.
13 Sur le surplomb, voir Malaquais 2011.
14 Ntone Edjabé, Éditeur, DJ, auteur, fondateur de la plateforme panafricaine Chimurenga.
15 Sony Labou Tansi, 1997, L’autre monde. Écrits inédits, Paris, Éditions Revue Noire.
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