La décision inattendue du Président Macron d’appeler à de nouvelles élections parlementaires le 30 juin et le 7 juillet risque d’amener au pouvoir les segments les plus durs de la droite. On en connaît les effets : répressions violentes contre les populations d’origines étrangères, recul des droits des femmes et des personnes LGBT+, baisse des dépenses sociales, brutalisation des institutions, imposition d’un ordre sécuritaire attentatoire aux libertés publiques, attaques contre les éducations et cultures émancipatrices, lynchage de la recherche critique et scientifique, minage des dernières barrières qui protègent les médias contre l’accaparement par les plus riches, et au-delà, déstabilisation de l’Europe politique.
S’opposer à la prise de pouvoir par le RN et ses alliés semble donc une nécessité. Multitudes en prend acte, au-delà des divergences de points de vue entre ses contributeurs et contributrices, en soutenant collectivement et résolument l’union des forces de gauche et écologistes.
Transformer une crise politique en opportunité démocratique
Les repères politiques hérités du XXe siècle ne tiennent plus.
Le « macronisme » est passé du ni-nisme (ni gauche ni droite) de 2017 à des politiques plus marquées à droite. Il prône par exemple la transition écologique, mais privilégie encore et toujours dans les faits une agriculture et plus largement une croissance écocidaires.
Le paysage politique perd son ambiguïté. Trois blocs se détachent désormais : une droite extrême qui tente de parvenir au pouvoir en se parant d’un visage de vertu faussement modéré ; une droite et un centre droit républicains qui s’y accrochent au risque de se compromettre ; et une voie émancipatrice qui s’ouvre de la gauche radicale au centre. Le défi, compliqué, est l’émergence d’une coalition entre des courants très différents entre eux, mais liés par le même souci de préserver la société de l’extrême droite.
Ces élections sont dès lors à resituer dans un contexte plus vaste. Malgré les risques à court terme d’un parlement divisé en trois blocs, il est important d’y voir une opportunité démocratique : celle de l’émergence d’un autre régime politique, mais aussi économique. De la création d’un ordre institutionnel en phase avec les enjeux d’aujourd’hui. Faisons le pari d’une bifurcation politique, écologique et solidaire. La crise actuelle nous donne l’occasion d’imaginer et de mettre en place les conditions de mesures courageuses et ambitieuses, allant dans le sens d’une sobriété socialement juste et pérenne, de la taxation des transactions financières aux expérimentations d’un revenu universel.
Engager une autre façon de faire de la politique
Au sein d’une telle coalition de gauche et écologiste, les divergences ne peuvent être niées. Elles pourraient à l’inverse être considérées comme les composantes d’un débat pluraliste à mener une fois les forces progressistes parvenues au gouvernement. Nul ne sait comment répondre aux énormes défis à venir : l’heure n’est plus celle de la confiance en une idéologie, un parti ou un homme providentiel qui serait capable, tout seul, de nous guider face à nos problèmes communs. Nos espoirs collectifs gagneraient à se porter sur le renouvellement d’une démocratie pluraliste dans le gouvernement comme dans la société, laissant une grande place aux expressions et initiatives des territoires… et de l’Europe. Les modalités de négociations devraient se préciser et se stabiliser chemin faisant. L’important est de mobiliser le sens de la responsabilité historique des différentes parties prenantes au sein d’une vision commune dont les premiers points pourraient, entre autres, inclure les principes suivants :
1. Réaffirmer l’égalité de droits de tous les humains, quelles que soient leurs origines géographiques, sociales et culturelles.
2. Assumer que la paix et la sécurité reposent d’abord sur la justice sociale et une meilleure répartition des richesses.
3. Explorer tous les moyens de lutter contre les inégalités extrêmes.
4. S’inspirer du et appuyer le pouvoir d’agir des minorités de genre, de sexe, de race, de classe, de handicap.
5. Reconnaître la nécessité d’une transformation de nos modes de vie, de production et de consommation face aux limites environnementales (changement climatique, effondrement de la biodiversité, appauvrissement des sols, limitation des ressources, etc.).
6. Reconnaître les solidarités internes et externes, notamment via les migrations, qui trament le tissu de nos sociétés avec les conditions de vie des autres nations et des autres vivants à la surface de la planète.
7. Opérer des redistributions de pouvoir entre les initiatives locales émanant des collectifs de terrain, les institutions nationales chargées d’assurer une base commune à tous les résidents et les inévitables décisions à prendre à l’échelle supranationale.
8. Revaloriser la production agricole conforme aux exigences environnementales, en facilitant l’accès aux terres, en redirigeant les systèmes de subventions et en assurant des revenus garantis aux producteurs.
9. Reconnaître le besoin de transformer les structures en charge d’assurer éducations (écoles, universités) et communications (médias) collectives.
10. Servir l’intérêt commun par une puissance publique régie de façon démocratique, dont les ressources proviendraient d’un système de taxation renouvelé, mettant davantage à contribution les profits et les transferts de capitaux, minimisant les évasions fiscales et taxant les consommations nuisibles à l’environnement.
11. Favoriser une transition technologique qui n’entraine pas une dévaluation du travail, de l’enseignement, des savoirs et de la culture tout en intégrant les progrès des sciences du numérique dans une visée participative, écologique et solidaire.
12. Revendiquer les victoires sociales accumulées au cours du XXe siècle (sécurité sociale, services publics, congés payés, retraites, droits des femmes et des minorités sexuelles) approfondies récemment à travers les dénonciations des violences sexuelles et racistes.
Le Rassemblement National est plus près que jamais de prendre le pouvoir. Cela aurait à l’évidence des effets destructeurs dans le long terme, d’où l’importance de nous mobiliser pour motiver les engagements et les votes. Mais ce seul argument ne suffit pas. La coalition des gauches et des écologistes a les moyens de se doter d’une ambition de bifurcation beaucoup plus forte et plus étendue, à même d’être soutenue par de larges pans de la population, en particulier les plus jeunes et les abstentionnistes.
Ce défi suppose une autre façon de faire de la politique, dont ne pouvons aujourd’hui qu’affirmer la volonté en traçant de nouvelles pistes autant d’attitudes que de perspectives politiques, sociales et écologistes.
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