Lettre d’adieu à Dilma Roussef

Mouvement Xingu

À l’occasion de la présence de Dilma Roussef, à Altamira le 4 mai 2016, le Mouvement Xingu Vivo para Sempre/Xingu Vivant pour Toujours a rendu publique la note suivante .

Dilma,

Aujourd’hui vous êtes venue jusqu’à notre rivière Xingu inaugurer Belo Monte1, notre cauchemar majeur. Vous êtes venue, en ces temps où l’on parle tant de violation de l’État Démocratique, dire que vous avez une immense fierté des choix que vous avez faits, entre autres la construction de cette usine.

Vous ne nous avez jamais écoutés ni compris, et nous, qui savions que, pour faire votre choix, vos motifs étaient autres, bien différents de l’« intérêt du Pays », aujourd’hui nous ne vous comprenons pas.

Vous êtes venue jusqu’à notre territoire pour inaugurer une œuvre corrompue dans sa racine. Une œuvre qui a enrichi de manière criminelle vos ex-alliés (aujourd’hui ennemis). Vous avez vendu chèrement nos vies à des canailles qui aujourd’hui crachent dans les plats de porcelaine chinoise où ils ont mangé ce que vous leur avez servi, tandis que nous commencions à sentir la faim et le froid. Quel type de personne sent une immense fierté de cela ?

Vous dites aujourd’hui « je suis victime d’une injustice » et vous plaignez des rites illégaux qui vous atteignent ; mais vous avez traité avec dédain des dizaines de procès juridiques contre Belo Monte, y compris à la Commission Interaméricaine des Droits Humains de l’Organisation des États Américains, à laquelle vous en avez appelé quand vous vous êtes sentie menacée dans votre pouvoir. Vous parlez de coup d’État contre votre personne au Congrès, mais avez fait le nécessaire pour que toutes nos fragiles possibilités de défense judiciaire soient annulées par l’Advocacia General da União – AGU –, grâce à de néfastes interdictions de recours par mesures de sécurité. Entre vous et nous, nous n’avons aucun doute sur le fait de savoir qui a été le plus privé de Justice.

Aujourd’hui vous avez survolé notre rivière, Dilma, mais évidemment vous n’avez ni vu ni senti la pourriture de centaines de tonnes de poissons morts que votre usine produit chaque jour et qui ont engendré une amende millionnaire contre votre Norte Energia2. Comme c’est sans intérêt pour vous, vous vous en êtes tenue à raconter des âneries sur la préservation de l’environnement.

Vous avez aussi parlé de croissance et de prospérité ; et invité la pire des espèces d’entreprise – les minières – à s’installer dans notre cour, en leur promettant généreusement des conditions adéquates et de l’énergie. Vous ne vous êtes même pas préoccupée du fait que nous souffrons déjà à cause de l’entreprise minière canadienne Belo Sun3, qui essaie de nous arracher ce qui reste de territoire et de rivière pour faire la plus grande mine d’or à ciel ouvert du pays dans la grande boucle du Xingu.

Mais sur quoi basez-vous votre discours optimiste, Dilma ? Ne vous paraît-il pas significatif, par hasard, que la BNDES4 elle-même ait déclaré Belo Monte économiquement inviable ? Ne vous paraît-il pas important que cette usine ne pourra être terminée que si l’Eletrobras5 achète son énergie à des prix exorbitants bien plus élevés que ceux du marché ?

À notre avis, vous vous êtes aujourd’hui rabaissée à inaugurer la plus néfaste des œuvres du gouvernement pétiste, celle qui a entaché l’image du Brésil dans le monde entier. Une initiative dont vous avez hérité des mêmes esprits malades qui vous ont torturée en prison. Même ainsi, Dilma, vous ne vous êtes pas disposée à montrer quelque clémence pour notre douleur. Même au moment où vous sentez dans votre peau ce que c’est que d’être déchirée par des forces qui vous dépassent, forces qui n’ont pas le moindre respect pour la justice ou les lois, vous n’avez pas été capable d’empathie avec nous. Même pas comme ça, Dilma…

Que les Enchantés aient pitié de nous, parce que vous n’en avez jamais été capable.

PS/ Nous profitons de cette lettre à Dilma pour rendre publics notre rejet et notre indignation contre le groupe qui, représenté par M. João Batista Uchôa, Coordonnateur Général de la Fondation Viver, Produzir e Preservar (FVPP), s’est attribué le droit de vanter le « Belo Monte du gouvernement » au nom de la société civile d’Altamira. Nous ignorons si ce Monsieur, qui a fait son lamentable discours sur l’estrade de Dilma, a réellement parlé au nom du Front Brésil Populaire, du Mouvement des Victimes des Barrages (MAB), de la CUT (Central Única dos Trabalhadores) et de la CONTAG6, comme il l’a déclaré. Nous respectons ceux qui s’opposent au coup d’État parce que nous respectons les libertés démocratiques de tout citoyen ou organisation. Mais nous ne respectons pas les lèche-bottes du gouvernement dans un acte d’inauguration de cette réalisation horrible de Belo Monte. Certains secteurs ont-ils bénéficié de politiques publiques ? Eh bien, ceci est notre Droit. Ceci n’a rien à voir avec Belo Monte. Une politique publique est un Droit, pas un pot-de-vin. Faire l’apologie d’un projet qui a arraché le sol de tellement de gens, c’est petit, très petit.

Source : www.ihu.unisinos.br/noticias
Traduction par Christian G. Caubet

Communauté de la Serra do Padeiro, 15 mai 2016

Adresse de Rosivaldo Ferreira da Silva – Cacique Babau, Représentant de l’organisation politique des Tupinambas de la Serra do Padeiro – et Rosemiro Ferreira da Silva – Pajé, Représentant de l’organisation religieuse des Tupinambas de la Serra do Padeiro.

À M. Michel Temer, président de la République du Brésil ; M. Alexandre de Moraes, Ministre de la Justice ; M. Valdir Maranhão, Président de la Chambre des députés ; M. Renan Calheiros, Président du Sénat Fédéral ; M. Ricardo Lewandowski, Président du Tribunal Suprême de Justice et Président du Conseil National de Justice ; Mme Deborah Duprat, Coordinatrice de la Sixième Chambre de Coordination et de Révision du Ministère Public Fédéral ; M. Rui Costa, Gouverneur de l’état de Bahia ; M. Marcelo Nilo, Président de l’Assemblée législative de Bahia ; S.Exc. Sérgio da Rocha, Président de la Conférence Nationale des Évêques ; M. André Augusto Bezerra, Président de l’Association des Juges pour la Démocratie ; Mme Victoria Tauli-Corpuz, Rapporteure spéciale de l’Organisation des Nations Unies sur les droits et libertés fondamentales des peuples autochtones ; Mme Phumzile Mlambo-Ngcuka, Secrétaire Générale adjointe de l’Organisation des Nations Unies et directrice exécutive de ONU-Femmes ; M. Luis Almagro, Secrétaire Général de l’Organisation des États Américains ; M. James Cavallaro, Président de la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme ; M. Saúl Ortega, Président du Parlement du Mercosur ; M. João Cravinho, Ambassadeur de l’Union européenne au Brésil ; M. Francisco Ribeiro Telles, Ambassadeur du Portugal au Brésil ; M. Laurent Bili, Ambassadeur de France au Brésil ; M. Han Peters, Ambassadeur du Royaume des Pays Bas au Brésil ; Au Très Saint-Père François ; M. Salil Shetty, Secrétaire général d’Amnistie Internationale.

Le 5 Avril, le ministre Napoléon Nunes Maia Filho, de la Cour supérieure de Justice a rendu une décision suspendant la démarcation de la terre indigène Tupinamba de Olivença. Compte tenu de la gravité de cet événement, nous, les Tupinambas de la Serra do Padeiro, l’une des communautés qui vit au sein de ce territoire, présentons cette dénonciation et sollicitons le gouvernement brésilien et les organisations internationales de prendre les mesures nécessaires pour empêcher que nos droits continuent d’être violés. Au cours de ces seules dernières années, plus de 30 Tupinambas ont été tués. Existe-t-il une plus forte violence que de voir nos parents se faire assassiner, sans que personne ne soit tenu pour responsable et de plus de nous voir nier le droit à notre terre ?

En réponse à la décision du ministre, nous présentons un compte rendu historique de ce à quoi notre peuple fait face depuis ces 500 dernières années. Contrairement aux dires des agriculteurs et entrepreneurs reçus par le ministre, malgré toute la violence, nous ne sommes jamais sortis de notre terre.

En 1500, quand les Européens sont arrivés ici, ils ont aussitôt déclaré que les Tupinambas étaient des ennemis de la Couronne portugaise et qu’ils devaient être exterminés et expulsés de leurs territoires. Dans la Capitainerie de Saint Jorge d’Ilhéus, nous avons été mis en esclavage dans les exploitations de canne à sucre, nous avons réagi et avons souffert des représailles de la Couronne portugaise au cours du massacre ordonné par Mem de Sá, en 1559. Ainsi, notre peuple a dû lutter contre les Français, dans la Confédération des Tamoios. Ensuite, nous avons dû lutter contre les Hollandais afin de les expulser de Bahia. Et nos droits nous ont toujours été refusés.

En 1680, ils ont créé la Réduction jésuite de Notre-Dame da Escada, pour emprisonner les Tupinambas. Dans la Réduction, ils se sont efforcés de nous retirer notre langue, notre croyance, notre religion – afin de tout nous enlever. Mais, nous, les Tupinambas nous nous sommes toujours rebellés et avons lutté pour ne pas laisser les autres occuper complètement notre territoire. Lorsque le gouvernement a réalisé que malgré la Mission jésuite, nous continuions à croître, il a décidé qu’elle devait être supprimée et élevée à la situation de ville, ce qui est arrivé en 1758. Durant cette période, les Tupinambas ont eu certains droits, comme celui d’élire les conseillers de la Chambre d’Olivença, qui en est même venue à être présidée par un autochtone, Nonato do Amaral. Cependant, les Blancs l’ont fait partir. Les autochtones ont résisté et ont tué ceux qui ont été envoyés pour diriger la Chambre. Nonato do Amaral a été arrêté et la pression des Blancs a fortement augmenté. Pour expulser les autochtones, ils ont déterminé que, dès lors, il était interdit de construire des maisons en terre dans la ville parce qu’ils savaient que les autochtones ne pouvaient pas se permettre de construire des maisons en briques. De cette façon, les Blancs prenaient possession de la villa d’Olivença, en construisant des maisons d’été et des hôtels.

Nous avons participé aux luttes ici à Bahia afin de provoquer l’indépendance du Brésil. Par la suite, nous avons dû participer à la guerre du Paraguay. Afin que les enfants des colonels du cacao soient épargnés, ils ont envoyé les autochtones de notre peuple pour faire la guerre à leur place et ont promis que quand nous reviendrons, ils nous laisseraient libres chez nous. Nous sommes revenus en vie, mais la promesse n’a pas été tenue : nous n’avons toujours pas le droit à la terre. Dans les années 1920, ils ont déterminé qu’il fallait faire construire un pont reliant la ville d’Ilhéus à Olivença, de sorte que les Blancs puissent occuper plus rapidement notre territoire. Marcellino José Alves, Tupinamba, a réagi en convoquant le peuple afin d’empêcher la construction du pont et a été sévèrement persécuté et emprisonné à maintes reprises, jusqu’à ce qu’en 1937 il disparaisse.

En 1926, le ministère de la Guerre a démarqué 50 lieues carrées pour les Pataxos, Tupinambas et Aricobés. Cependant, la réserve Caramuru-Paraguaçu a été réduite à 54 000 hectares. À ce moment-là, nous avons été déclarés communistes et nous avons été persécutés par le gouvernement de Gétulio Vargas, ce qui nous a obligés à vivre dans la clandestinité pendant des années. Celui qui contrôlait alors la région était le Docteur Almeida – ici, tout le monde était « docteur » –, qui avait beaucoup d’hommes armés sous son pouvoir et a essayé de redistribuer les terres des Tupinambas aux Blancs. Les autochtones qui résistaient se faisaient tuer ou déporter, emmenés à la mission de Santa Rosa ou au Monte Pascoal. Nous avons réagi même dans cette situation. Le gouvernement brésilien, réalisant qu’il ne pouvait pas simplement nous expulser, a essayé de nous transformer en agriculteurs. Il a divisé nos terres en petits lots dans le but de nous voir vivre prisonniers des Blancs. Nous travaillions et travaillions, moments pendant lesquels le délégué de police en profitait pour envahir nos terres en disant que l’agriculteur avait signalé que le cacao qui séchait dans nos barges lui appartenait. Le délégué venait avec la police, armée, réunissait le cacao qu’on avait ramassé, le récupérait et il nous restait plus que la faim. Beaucoup de femmes ont été violées et même les enfants devaient travailler pour les Blancs, sans rien recevoir en échange. Ce fut notre lutte jusque dans les années 1980.

Et maintenant, après être parvenus à ce que le gouvernement réalise les études pour la démarcation de la terre, à prouver que nous existons et que nous sommes au même endroit, subissant le même massacre, le gouvernement brésilien nous attaque à nouveau. La presse continue à faire ce qu’elle a toujours fait : en disant que nous sommes de faux « Indiens », que nous sommes des sauvages et que nous devrions être morts. Comme toujours, les juges continuent à se placer du côté des envahisseurs, donnant toujours gain de cause aux non autochtones et transformant toute notre vie en un enfer.

En 2008, notre communauté a été attaquée par 180 policiers avec des véhicules, des hélicoptères et corbillards. Ils ont tiré avec des fusils calibres 50, ont lâché des bombes sur nos têtes, ont fait de tout. En 2009, cinq autochtones ont été torturés par la police avec des chocs électriques. De 2013 à 2014, le gouvernement a occupé nos maisons, créé des bases militaires dans nos terres pour tenter de nous contraindre. Pourtant, comme toujours, nous ne sommes pas sortis de notre territoire. Depuis lors, plus de 30 autochtones ont été assassinés et personne n’a été arrêté. Il n’y a que les autochtones qui sont arrêtés sur la base de fausses accusations et de flagrants délits forgés de toutes pièces. Et maintenant, nous devons écouter le juge fédéral d’Ilhéus, Lincoln Pinheiro Costa, dire que nous devons trouver un accord et céder notre terre. Il dit que notre terre doit être délimitée en « îlots », en laissant la partie littorale du territoire en dehors. Quelle sera la situation des Tupinambas du littoral sans elle ? Le juge affirme qu’il est nécessaire de « pacifier » la région. Nous lui demandons donc : pacifier pour qui ? Parce que c’est nous qui y vivons, c’est nous qui y avons été enterrés tout au long de l’histoire.

Nous nous adressons ainsi au gouvernement brésilien, sous ses différents organes et demandons : ou qu’il nous rende nos terres et, tout simplement, arrête de dire que nous ne sommes pas Tupinambas : ou qu’il envoie nous tuer en moins d’un an et mette le Blanc à notre place. Mais prenez une décision immédiate. Ni les adultes, ni les enfants ne peuvent vivre dans cet enfer. Nous sommes dans notre terre, nous travaillons et quand on s’y attend le moins, la police arrive pour nous expulser. Au cours de ces dernières années, la police a essayé de nous tuer des dizaines de fois. Voyez la gravité de ce que nous disons : nous ne sommes pas en train de nous référer aux actions des agriculteurs ou des entrepreneurs ; mais à celles du gouvernement brésilien, par le biais de sa police, qui tente de mettre fin à la communauté à tout prix. Comment pouvons-nous affronter une telle lutte ? Quelle est la chance que nous avons de gagner ?

Vous n’avez nulle part où nous emmener parce que nous n’avons jamais été d’un autre endroit. Les agriculteurs et les entrepreneurs disent que nous ne sommes pas les occupants traditionnels de cette terre. Ce n’est pas à eux de le dire mais à nous, qui habitons ici, qui sommes les anciens qui vivent encore sur cette terre et ont des histoires, beaucoup d’histoires, à propos du Blanc qui a toujours rendu leur vie infernale. Le ministre qui a ordonné de suspendre la démarcation de nos terres n’est jamais venu ici, nous ne savons pas qui il est. Ce que nous savons c’est que le système judiciaire brésilien a toujours une excuse pour laisser tout aux mains des envahisseurs. Toujours. Sachez-le : personne n’a jamais gouverné et ni ne gouvernera les Tupinambas de la Serra do Padeiro.

Nous voulons que ce gouvernement décide rapidement. Et nous demandons également que la communauté internationale et l’Église catholique se positionnent. Personne ne peut vivre mille ans dans ces circonstances, circonstances avec lesquelles nous avons déjà vécu plus de 500 ans.

L’adresse a été remise par le cacique Babau à Daniela Fernandes Alarcon, anthropologue, pour la publier dans Multitudes.

Note de contextualisation

Depuis 2004, le peuple Tupinamba attend la conclusion du processus de démarcation de la Terre Indigène (TI) Tupinamba de Olivença. Située dans le sud de Bahia, au Brésil, la TI s’étend sur environ 47 mille hectares et est habitée par cinq mille autochtones environ. L’expansion capitaliste sur le territoire tupinamba remonte au dernier quart du XIXe siècle, lorsque de grandes aires ont été fixées en exploitations de cacao sous la possession de non autochtones. Bien que l’occupation traditionnelle de ce territoire ait été pleinement démontrée par l’organisme officiel de défense des droits autochtones, la Fondation Nationale de l’Indien (Funai), le processus est paralysé entre les mains du ministre de la Justice depuis quatre ans, sans justifications. Dans ce cadre, les Tupinambas voient systématiquement leurs droits violés, en étant la cible d’actions violentes orchestrées à la fois par des individus et des groupes opposés à la démarcation, et même, par l’État.

La dernière attaque commise contre les droits territoriaux des Tupinambas a eu lieu le 5 avril dernier, lorsque la Cour supérieure de justice (STJ) a accordé la suspension du processus de démarcation en recevant la demande de recours (amparo) intenté en 2013, par  l’Association des Petits Agriculteurs, Entrepreneurs et Résidents de la Prétendue Aire Atteinte par la Démarcation de la Terre Indigène de Ilhéus, Una et Buerarema. Cette décision de justice erronée et injuste a été dénoncée par les Tupinambas de la communauté de la Serra do Padeiro – située à l’extrémité ouest de la TI et composée d’environ 450 autochtones.

Le Cacique Babau est la cible d’un intense processus de criminalisation. À ce jour, il a été incarcéré quatre fois suite à des procès arbitraires et illégaux. Lors de la plus longue de ces incarcérations, qui a eu lieu en 2010, il est resté cinq mois emprisonné, dont une partie dans une prison de sécurité maximale. Cela fait six ans qu’il est assisté par le Programme national de protection des défenseurs des droits humains en raison des nombreuses menaces de mort qu’il reçoit depuis le début du processus de lutte pour la terre. Quant à Seu Lirio, il résiste depuis cinq décennies face aux pressions des non autochtones sur le site qu’il a hérité de son père – le célèbre guérisseur João de Nô (João Ferreira da Silva) – situé dans le centre de la communauté.

Ensemble, le Cacique Babau et Seu Lirio sont à la tête d’un projet collectif orienté par les encantados, entités centrales de la cosmologie tupinamba, qui a comme axe central, le retour de parents dispersés par l’expropriation et la guérison de la terre, qui, selon les Tupinambas, est tombée malade à cause de l’intrusion de non autochtones. L’inapplication, de la part du gouvernement brésilien, de ses obligations constitutionnelles, a bloqué le projet collectif tupinamba et a violé les droits des autochtones et non autochtones impliqués dans le litige foncier.

Daniela Fernandes Alarcon
Traduit du Portugais (Brésil)
par Nathalie Le Bouler Pavelic Santos

Le 14 septembre 2016, la Cour supérieure de justice (STJ) a annulé la décision de suspension du processus de démarcation de la Terre Indigène Tupinamba de Olivença.

17 propositions des peuples autochtones pour changer l’avenir de la planète

Alliance des Gardiens de Mère Nature

Le 2 décembre 2015, une délégation de représentants autochtones et de leurs alliés accompagnant le Cacique Raoni a rencontré le président de la République François Hollande, pour lui remettre le document consolidé des 17 premières propositions de l’Alliance des Gardiens de Mère Nature, à destination des chefs d’État du monde entier. Voici ce texte, dans son intégralité.

À l’issue de l’Assemblée des Gardiens de Mère Nature qui s’est tenue le 28 novembre à Paris, les représentants autochtones, les personnalités et les organisations présents, venus du monde entier, rappellent que les populations autochtones représentent 370 millions d’individus, regroupés dans plus de 70 pays sur cinq continents. Elles forment plus de 5 000 groupes différents, parlent plus de 4 000 langues dont la plupart risquent de disparaître d’ici à la fin du XXIe siècle.

En conséquence, ils appellent les États et la communauté internationale à :

1. Adopter en Assemblée Générale des Nations Unies la Déclaration Universelle des droits de la Terre Mère, formulée lors de la conférence mondiale des peuples contre le changement climatique de Cochabamba, en avril 2010. Cette Déclaration est un appel énonçant des principes fondamentaux et universels qui a pour vocation de faire reconnaître mondialement des droits à la Terre et à tous les êtres vivants qui la peuplent, comme le fondement d’une culture du respect, indispensable au développement durable et commun de l’humanité et de la terre, et à fédérer tous les habitants de la Terre autour d’un intérêt commun et universel : la Terre est vivante, elle est notre maison commune et nous devons la respecter pour le bien de tous et des générations futures.

2. Reconnaître et appliquer la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones entérinée en Assemblée générale le 13 septembre 2007. Dans son article 3, il est posé le droit à autodétermination des peuples autochtones. « En vertu de ce droit ils déterminent librement leur statut politique et recherchent librement leur développement économique, social et culturel. » Enfin il est explicité dans l’article suivant 3 bis que « Les peuples autochtones, dans l’exercice de leur droit à l’autodétermination, ont le droit d’être autonomes et de s’administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales, ainsi que de disposer des voies et moyens de financer leurs activités autonomes & ra quo. Cette Déclaration établit aussi clairement les droits individuels et collectifs des peuples autochtones, notamment ceux ayant trait à la spiritualité, à la terre, au territoire et aux ressources, la culture, l’identité, la langue, l’emploi, la santé et l’éducation. Elle insiste sur le droit des peuples autochtones à perpétuer et renforcer leurs institutions, leur culture et leurs traditions et promouvoir leur développement selon leurs aspirations et leurs besoins. Elle interdit également toute forme de discrimination à leur égard et encourage leur participation pleine et effective à toutes les décisions qui les intéressent, notamment s’agissant de leur droit de conserver leur intégrité en tant que peuple distinct et d’assurer librement leur développement économique et social. La reconnaissance de droits territoriaux, l’usage et la protection des biens naturels, le rapport à la terre dans sa dimension spirituelle occupent une place centrale dans les revendications des peuples autochtones. Ces problématiques furent au cœur de la négociation de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et sont aujourd’hui bousculées par l’avancée des fronts de colonisation liés à la réalisation de grands projets d’infrastructures et perturbées par l’intensification des activités minières et agro-industrielles.

3. Ratifier de façon universelle la Convention 169 de l’OIT et l’appliquer strictement. Cette Convention est basée sur le respect des cultures et des modes de vie des peuples autochtones et tribaux. Non seulement, elle leur reconnaît le droit à la terre et à ses ressources naturelles, mais elle exige aussi que l’on prenne leur avis de bonne foi avant tout projet, et de façon libre et éclairée. Pour l’instant, seuls 22 États l’ont ratifiée. La France, qui héberge la COP21, ne l’a toujours pas fait, alors même qu’elle abrite de nombreuses communautés autochtones et que l’un de ses départements, la Guyane française, se trouve en Amazonie.

4. Considérer qu’une communauté peut accepter ou refuser tout projet sur son territoire avant même la phase d’étude d’impact et que ses décisions doivent être entendues comme fermes et contraignantes. Il est aussi demandé que les études d’impact environnemental et social soient totalement indépendantes et donc non financées par les entreprises ou les états qui les commanditent. Les gouvernements doivent reconnaître et accepter les protocoles rédigés par les communautés autochtones au nom de leur droit à l’autodétermination.

5. Considérer que les droits territoriaux des peuples autochtones et tribaux s’appliquent au sol mais aussi au sous-sol afin de les prémunir de projets miniers non consentis.

6. Conserver les combustibles fossiles dans le sol en mettant fin à l’exploration et à toute nouvelle extraction pour protéger Mère Nature, comme le préconisent les connaissances autochtones et les limites climatiques scientifiquement fondées. Afin que les véritables intérêts de chacun soient protégés, nous demandons la fin de l’influence indue de l’industrie des combustibles fossiles dans l’élaboration des politiques internationales et nationales et que l’industrie pétrolière ne soit plus autorisée à participer aux négociations internationales sur le climat. La fin immédiate de financements publics et d’autres subventions pour l’exploration de combustibles fossiles, pour l’extraction et les infrastructures ; une transition juste vers une économie basée sur de l’énergie propre et renouvelable, pour tous, mais prioritairement pour les communautés situées sur la ligne de front. Nous exhortons tous les gouvernements à coordonner leurs efforts pour une transition immédiate vers un futur où un modèle énergétique propre, décentralisé et démocratisé serait alimenté à 100 % par des sources d’énergie renouvelables et durables. L’extraction, le transport, et la consommation de combustibles fossiles ont causé un préjudice grave à la terre, l’air, l’eau, l’atmosphère et toutes les formes de vie, contribuant de façon majeure à notre crise climatique et à l’extinction de masse en cours. Ces préjudices sont de façon disproportionnée à la charge de ceux qui ne bénéficient pas des systèmes économiques et politiques qui les ont causés, ne portent aucune responsabilité dans la crise, et manquent de ressources suffisantes pour s’adapter aux changements climatiques. Cela inclut les communautés directement atteintes par l’extraction et l’utilisation de combustibles fossiles et celles qui résistent sur les lignes de front de la crise climatique.

7. Suivre les Principes directeurs relatifs aux entreprises et droits de l’homme, adoptés par le conseil des droits de l’Homme des Nations Unies en juin 2011 et adopter dans les plus brefs délais un Traité international instituant des obligations contraignantes pour les entreprises transnationales et pour les États en matière de droits de l’homme, qui tiendraient compte des droits des peuples autochtones et tribaux tels que définis dans la Convention 169 de l’OIT et la Déclaration des droits des peuples autochtones de l’ONU et qui respecteraient plus généralement toutes les obligations applicables aux peuples autochtones en vertu des instruments internationaux en vigueur.

8. Appliquer de façon stricte la Convention des Nations Unies contre la corruption par les États signataires, afin d’endiguer le fléau du commerce de bois illégal (30 % du marché mondial) et d’espèces menacées. Des mesures doivent également être prises pour lutter contre l’accaparement ou l’acquisition illégale de terres, les concessions minières illégales et la biopiraterie.

9. Amender la Convention sur la diversité biologique afin de reconnaître et mieux protéger les savoirs traditionnels ancestraux et lutter contre la biopiraterie.

10. Adopter une Convention internationale définissant les éco-crimes afin de pouvoir agir face à la criminalité environnementale organisée. Les profits engendrés par les crimes environnementaux sont très élevés, tandis que les poursuites en la matière sont rares et les sanctions légères, ce qui vaut tant pour les trafics d’espèces menacées que les trafics de déchets et autres formes de pollutions volontaires.

11. Favoriser la mise en place d’un nouveau programme de coopération internationale visant à accompagner les peuples autochtones et les communautés locales dans un projet global de restauration et de préservation soutenable de la forêt amazonienne et des autres forêts primaires de la planète. S’inspirant des succès enthousiasmants du PPG7, un nouveau programme de coopération internationale devrait parachever le travail de préservation des forêts tropicales du Brésil déjà accompli, pour être ensuite décliné aux forêts tropicales d’Afrique et d’Indonésie et aux autres forêts primaires de la planète, en tenant compte, bien entendu, des particularités locales. Les chefs indigènes traditionnels d’Amazonie brésilienne fondateurs de l’Alliance souhaitent que ce programme inclue la démarcation et la délivrance de titres de propriété aux communautés indigènes et garantissent la surveillance de toutes les terres indigènes du Brésil. Cette réglementation devra s’appliquer pour tout projet de ce type sur tous les territoires autochtones du monde.

12. Sanctuariser de façon urgente les espaces de forêt primaire de la planète, sous la garde des peuples autochtones, qui y vivent. L’ONU ayant déjà reconnu que leur présence est un facteur garantissant la non-détérioration de ces environnements inestimables. Il doit être très clairement posé que les populations autochtones doivent être propriétaires et gardiennes de ces territoires, et qu’elles ne peuvent en être chassées. L’Alliance souligne la nécessité que soit créé dans les plus brefs délais, avec le soutien des États, un statut juridique international pour protéger de façon efficace ces écosystèmes vitaux de toute forme de prédation. Ces écosystèmes ne doivent pas être utilisés dans le cadre d’un marché carbone, de programmes de paiements de services environnementaux (PES), de programmes REDD et de mécanismes de développement propre (Clean Development Mechanism).

13. Alerter les états et la communauté internationale pour protéger et s’assurer du futur de la biodiversité des océans. Si les océans meurent, nous mourrons. La diminution des espèces marines, la réduction de l’oxygène, l’augmentation du dioxyde de carbone, du méthane, des nitrates et de la vapeur d’eau, l’acidification et la détérioration du corail, les pollutions chimique, nucléaire, des plastiques, et la pollution sonique, la famine sans précédent des espèces marines et de nombreux autres facteurs sont un danger pour les océans. La racine de toutes ces causes est l’accroissement des populations humaines, l’accroissement de la consommation des ressources, l’accroissement des populations d’animaux de compagnie et un manque total d’initiative, de courage et de passion politique de la part des dirigeants du monde. Pendant des centaines de millions d’années l’océan a été le système de soutien de la vie sur la planète entière, apportant la majeure partie de l’oxygène que nous respirons, la nourriture, retenant le CO2 et régulant le climat à travers les courants marins, les vents, les marées et l’interdépendance dans la diversité des espèces qu’il abrite. Donc, pour protéger et s’assurer du futur de la biodiversité océanique, nous avons besoin de prendre les mesures suivantes :- Cesser toute subvention étatique pour les opérations de pêche industrielle.- Bannir toutes les pratiques de pêche industrielle, comme les chalutiers géants, les lignes d’eaux profondes, la pêche à la senne, les filets dérivants, les filets et lignes de plastique mono-filament, etc.- Implémenter une régulation internationale contre les opérations de pêche illégales.- Bannir toute exploitation commerciale liée à la pêche à la baleine.- Encourager la diversité par l’augmentation des populations de poissons, de mammifères marins, des oiseaux marins et des autres espèces endémiques.- Mettre fin à l’alimentation à base de poisson (qui représente 40 % des poissons pêchés) pour les animaux domestiques comme les porcs, les poulets, les saumons domestiques, les animaux à fourrure et chats domestiques.- Mettre fin au délestage de produits chimiques, plastiques déchets agricoles et radioactifs dans la mer.- Mettre fin à la pollution sonique engendrée par les sonars de la recherche d’hydrocarbures, et des systèmes d’armement.

14. Reconnaître par les Nations Unies et l’Unesco les sites sacrés bio-culturels des peuples autochtones et tribaux, et des communautés locales, et reconnaître leurs droits fonciers et de gouvernance sur ces sites.

15. Réguler de façon internationale et de façon contraignante la construction des grands barrages hydroélectriques, afin de se conformer aux recommandations énoncées dans le rapport final de la Commission Mondiale des Barrages (2000). L’Alliance préconise également le démantèlement des grands barrages construits en violation du droit au consentement ou du droit à la consultation préalable, libre et éclairée des populations autochtones affectées et de toutes les obligations applicables aux peuples autochtones en vertu des instruments internationaux en vigueur.

16. Reconnaître des droits aux générations futures notamment par l’adoption de la déclaration des droits (et devoirs) de l’humanité. Le texte veut « rappeler que la génération présente a le devoir de sauvegarder le patrimoine légué par les générations passées, mais également de faire des choix qui engagent sa responsabilité vis-à-vis des générations futures ». Le texte instaure quatre principes fondamentaux. Il consacre le principe de responsabilité, d’équité et de solidarité entre générations, le principe de dignité de l’humanité, le principe de continuité de l’existence de l’humanité et enfin celui de non-discrimination en raison de l’appartenance à une génération.

17. Reconnaître le crime international d’écocide à l’égard duquel la Cour pénale Internationale aurait compétence. Le crime d’écocide devrait être caractérisé par « un endommagement étendu ou une destruction qui aurait pour effet d’altérer de façon grave et durable des communaux globaux ou des services écosystémiques dont dépend une, ou un sous-groupe de population humaine ». L’incrimination d’écocide s’appliquerait donc aux dommages causés aux êtres vivants et s’étendrait aux composants essentiels à la vie, ceci afin d’assurer la continuité de la vie et de l’humanité elle-même. Elle pose aux générations actuelles un devoir de préservation de l’environnement pour les générations futures. Elle donne donc de facto des droits aux générations à venir. Ainsi, l’interdiction de l’écocide garantirait le droit de l’homme à un environnement sain pour l’humanité, c’est-à-dire les générations actuelles et futures et consacrerait le droit de la nature à être protégée. Pour revendiquer ces droits, les peuples autochtones demandent a pouvoir ester en justice dans leur langue traditionnelle.

Ces propositions ont été remises au président de la République Française, François Hollande, chef d’État du pays d’accueil de la Conférence des Parties sur le Climat, le 2 décembre 2015.

Résister dans quel but ?

Uwira Xakriabá, association Kirinapan 7

Avant-hier dans la matinée, le 14/6/2016, le Conseil Aty Guasu a annoncé que selon le Cacique Lopes la Communauté du Tekoha Pyelito Kue, commune d’Iguatemi-MS, a passé une nuit sans repos en raison des coups de feu, cherchant à se protéger des hommes de main qui encerclaient le village. Au même moment plus de 70 fermiers et leurs hommes de main tiraient sur les communautés Guaranis et Kaiowas, blessant plus de dix autochtones et tuant le jeune aide-soigneur autochtone Claudionor Souza. Pendant ce temps, au Congrès, des députés demandaient au président intérimaire de la République, Michel Temer, qu’il révoque les arrêtés de démarcation de nombre de terres autochtones.

Hier matin, le 15/6/2016, au point du jour, est arrivée de Santa Isabel, dans l’Araguaia, la nouvelle d’un nouveau suicide d’un jeune Iny de juste 17 ans. Pendant ce temps nous discutons dans nos réseaux sociaux si nous donnons notre appui aux parents A, B ou C, pour occuper des postes politiques au sein du gouvernement qui non seulement n’autorise pas, mais finance directement et indirectement le massacre de notre peuple. Nous gonflons notre poitrine avec une fierté de gamins pour dire que nous sommes des guerriers, que nous allons résister. Et me vient la question qui provoque ce texte : Résister dans quel but ?

Si notre résistance ne vise pas la résilience, elle ne signifiera rien d’autre que l’ajournement et la perpétuation de l’ethnocide de nos peuples, mis à l’ordre du jour depuis la brutale invasion et l’occupation colonisatrice portugaise commencée en 1500. Nous ne sommes plus des peuples guerriers ! Au moins nous ne l’avons pas été ! Nous sommes la réserve technique des gens pour l’abattage dans le but de nourrir et de cimenter avec notre propre sang le processus colonisateur encore en vigueur dans ce qu’il est convenu de nommer Brésil.

L’État Colonisateur Brésil déclare tous les jours de manière plus ouverte son intention de nous décimer à crédit, soit en légitimant et en finançant l’agrocrime qui nous tue impunément jour après jour, soit en ignorant ses propres lois qui nous garantissent quelques droits. Forts, nous résistons, mais nous résistons dans quel but ? Pour assister à la violation de la constitution de 1988 que nous avons un jour reconnue ? Pour mourir sans terre dans un pays où tant de terres ont été prises ? Ou pour mourir par manque d’appui dans les domaines de la santé, de l’éducation et du maintien de nos cultures ?

Résister aujourd’hui pour mourir demain ou pour assister impuissants aux suicides de nos jeunes sans perspective d’un avenir qui leur permette de vivre comme ce qu’ils sont, des peuples autochtones, avec leurs propres langues, coutumes et cultures ? Notre résistance doit prendre le chemin de la résilience, de la reconstruction de l’autonomie dérobée, de la reprise de nos territoires. Ce n’est pas nous qui sommes les envahisseurs, qui formons des milices, qui envahissons les villes pour tuer les « blancs », qui franchissons un océan pour détruire des peuples et prendre leurs terres. C’est nous qui serions les barbares ? Les sauvages ?

L’État de Droit Démocratique Brésilien a-t-il une place pour nos peuples ? Quelle est cette place ? Si les lois des « blancs » ne servent qu’à nous criminaliser, nous et nos partenaires, mais ne servent pas à punir ceux qui nous tuent ? Au Brésil, l’ethnocide a le blason de la république comme symbole de mort pour nous et comme bouclier pour les puissants assassins qui nous éliminent avec leur soif insatiable de sang des Indiens. La BNDES, qui finance l’agrobusiness, le fait en sous-finançant l’ethnocide au Brésil.

Le rapport Figueiredo8 est rempli de récits de crimes d’ethnocide contre nous, mais personne n’a été puni, n’est puni, ni ne sera puni, parce que l’ethnocide est l’un des instruments de domination et de contrôle de l’État sur nous. Il ne sert à rien d’occuper des fonctions politiques de gouvernement, il ne sert à rien d’assumer la FUNAI si le Ministère est pour nous celui de l’Injustice. Il ne sert à rien de participer à des conseils et organes collégiaux si cette participation n’a servi jusqu’à maintenant qu’à légitimer des actions contre nous. Quelle est donc la porte de sortie?

La porte de sortie consiste dans le fait que ce pays sans vergogne fasse respecter les lois qu’il a votées, qu’il punisse nos oppresseurs assassins, démarque nos terres comme il devrait l’avoir déjà fait et garantisse notre droit de continuer à exister comme peuples. À l’inverse du cri de la dictature, nous crions, nous les peuples autochtones : « Brésil ! Aime-nous ou laisse-nous9 !! » N’importe quoi qui soit moindre nous donne le droit de rompre avec cet État, qui se rend illégitime en ne respectant pas ses propres lois et attente contre notre existence. Cela nous donne le droit, par résilience, de penser à une patrie autochtone libre de l’oppression colonisatrice. Si nous ne faisons pas partie du projet nommé Brésil, si notre place dans son histoire n’est que dans le passé à partir du viol de nos femmes pour donner des enfants métis aux colonisateurs, nous ne voulons plus de pacte avec ce projet de nation qui n’a pas de place pour notre peuple.

Avant que vous ne vous éparpilliez pour dire que je ne suis qu’un Indien fou, qui prêche la rupture avec l’État Brésilien et l’Utopie d’un État National Autochtone, il faut que vous réfléchissiez sur les faits et pensiez si, chaque jour, l’État Brésilien, par ses actions, inactions et omissions, ne nous déclare, à nous tous les autochtones qui vivons ici avant même que le Brésil n’existe, la guerre, et la guerre d’extermination !

Ou peut-être ne suis-je réellement qu’un Indien fou, silhouette d’un passé ancien destiné à la disparition, peut-être suis-je Y Jucá Pirama 10, qui sera assassiné dans le silence de la nuit, lâchement, par traîtrise, comme cela a été le sort de mes frères Guaranis, Kaiowas et de tant d’autres, tous victimes du Brésil !

Traduit du portugais (Brésil)
par Christian Caubet

Remerciements à Christian Caubet, Irène Bellier, Barbara Glowczewski
qui nous ont communiqué ces documents.

1 Belo Monte, gigantesque barrage électrique sur le Rio Xingu. Un tribunal brésilien a ordonné mardi 14 août 2016 l’arrêt des travaux du barrage, au motif que les indiens de la région n’avaient pas été préalablement consultés.

2 Consortium d’entreprises qui construit Belo Monte.

3 Belo Sun, complexe canadien qui extrait l’or à quelques kilomètres de Belo Monte.

4 BNDES : Banco Nacional de Desenvolvimento Econômico e Social. Banque d’État qui finance de grands travaux et chantiers, au Brésil et à l’extérieur.

5 Eletrobrás : Entreprise d’État pour l’Énergie électrique.

6 Contag : Confédération des Travailleurs de l’Agriculture.

7 Uwira fait partie de l’Ethnie Xakriabá et est membre de l’Association Kirinapãn, dans la commune d’Altamira (celle où est construit le barrage de Belo Monte), État du Pará. Sa déclaration est faite au nom de son ethnie, qui vit dans le Mato Grosso du Sud, où a été élu le premier maire amérindien du Brésil. http://direitospovosindig.wix.com/forum

8 Rapport Figueiredo : texte rédigé par un Procureur de la République brésilien, Jader de Figueiredo Correia, qui a divulgué en détail (sept mille pages) les nombreuses exactions commises contre les Indiens du Brésil, sous le patronage de l’État. Ce rapport s’est « perdu » en 1968 et n’a été retrouvé qu’en 2013, puis analysé dans les investigations de la Commission Nationale de la Vérité, qui enquêtait sur les crimes contre les droits humains des années 1946-1985.

9 « Brésil! Aimez-le ou laissez-le » est un slogan de la dictature civile-militaire (1964-1985) qui « invitait » les habitants mécontents à l’exil. Ceux qui restaient reconnaissaient qu’ils n’avaient pas de motif de se plaindre…

10 Y Juca Pirama est un poème romantique brésilien de 484 vers, décasyllabes ou alexandrins, sur un thème indigéniste. Il a été écrit en 1851 par Gonçalves Dias et raconte la mort du dernier guerrier d’une tribu.