86. Multitudes 86. Printemps 2022
A chaud 86.

Sidérations chiliennes et politiques millénniales

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Nous ne sommes pas sûres de pouvoir comprendre nous-mêmes ce qui arrive dans ces contrées. Nous le vivons pourtant avec un espoir inouï. Les mots pour décrire les hauts les cœurs-bas les cœurs expérimentés à une vitesse surprenante manquent encore. Je vais cependant tenter de faire le récit de ces espoirs sidérés.

Soirée électorale / Sidérations

Le soir du 19 décembre 2021, nous étions entre amis, en famille ou seuls devant des ordinateurs, télés, smartphones et toutes sortes d’écrans. Par nos corps électriques circulaient des attentes, des paniques et des confiances. Le traitement que les médias donnaient aux événements avait une allure désuète ; ils se trompaient dans leurs analyses et détournaient notre attention ; une émotion politique nouvelle – ou redécouverte – nous traversait. Nous devions suivre seconde après seconde les colorations d’un deuxième tour d’élection présidentielle historique qui allait, finalement, situer Gabriel Boric, 35 ans, ancien militant étudiant et jeune député d’une région australe, au centre d’un gouvernement collectif à venir (un « gobierno » que j’appellerai par la suite CObierno). Ces secondes médiatiques, nous les suivions habitées par un mélange exalté d’espoir et de peur.

Peur devant la possibilité d’un recul des avancées citoyennes rendues possibles autant par les révoltes des dernières années que par la résurgence de micro-luttes et des pratiques ancestrales qui les précédaient, ainsi que par la révélation spectaculaire des effets néfastes d’un extractivisme anarco-capitaliste dont l’expansion croissante révélait de manière criante l’inefficacité. Le recul qu’aurait représenté l’absurde – mais possible – victoire du candidat d’en face aurait été, d’ailleurs, tout aussi historique que l’élection elle-même, mais en sens inverse de l’histoire (histoire dont les flèches commencent, en fait, à se dessiner à l’horizontale, ce renversement de perspective faisant partie des difficultés que nous avons à nous représenter le moment planétaire que nous traversons). Avec une convention constituante en pleins travaux inventant la démocratie en direct, la perspective d’un président de droite, qui se réclamait encore du pinochetisme et qui remettait en doute le vote féminin, préfigurait des désastres irréparables.

Quant à l’espoir, il était lié à la reconfiguration des fonds et des figures politiques que les mobilisations, étudiantes en 2006 et 2011, féministes en 2018 et celles des peuples autochtones à partir d’octobre 2019, commençaient à rendre visible avec, en partie émergée de l’iceberg, la constitution de l’assemblée plurinationale, paritaire et plurilingue chargée de rédiger la nouvelle constitution. Cette reconfiguration était pleine d’espérance, pas seulement par les revendications que ces mouvements avaient fait résonner, mais aussi par les formes poétiques qu’ils avaient apportées aux formes politiques.

En juillet 2021, dans un article pour Multitudes déjà, je parlais des joies de cette assemblée insensée (ment) démocratique qui s’était alors mise en place dans – et avec – le désordre vertueux des contre-programmes politiques. Ce papier finissait avec l’image d’un propriétaire de terres regardant ces agitations aux propriétés reconfigurantes avec l’effroi d’un enfant qui voit pour la première fois une forêt inconnue, opaque, mystérieuse. En décembre 2021, ce même personnage symbolique avait trouvé une autre incarnation blonde, hétéronormée et cravatée – un canal de réalisation psychique de cette expérience insaisissable. Pour lui, et pour le monde obsolescent (mais toujours vivant) qui était son foyer, cette forêt à la fois ancestrale et futuriste ne pouvait que cacher des monstres menaçant les libertés « acquises » par le régime autant libertarien sur le plan économique (avec tous les désastres qui vont avec) que conservateur sur le plan moral (avec tous les autres désastres qui vont avec), dans lequel nous avions baigné jusqu’alors et qui semblait maintenant s’éloigner à une vitesse irrécupérable.

C’est ainsi que cet enfant apeuré s’expliquait (et nous expliquait) les tremblements des paradigmes en train de nous (é) mouvoir. Et c’est avec ce récit réductionniste qu’il avait réussi à réunir des milliers de votes à travers une campagne nourrissant tout ce qu’on appelle, me semble-t-il, des affects tristes (peur du changement, rage contre les monstres communistes, porte-parole dénonçant des migrants narcos, des femmes endoctrinées, cynisme envers des jeunesses politiques inexpertes et droguées ou des étudiants naïfs). À cela s’étaient rajoutées quelques ripostes peu heureuses – et tout aussi schématiques – d’un ou deux militants des gauches-non-critiques-d’elles-mêmes qui mettaient un peu de piquant à la sauce d’un premier tour présidentiel dont était sorti, en tête d’élection, le candidat cravaté au regard triste. Comme suite des danses, des assemblées plurilingues et des efforts – réussis ! – d’organisation hétérautonomes menés quelques mois avant, ce résultat semblait pour le moins absurde et nous avait laissé·es médusé·es. Nous avions été sideré·es – et cette sidération hantait nos esprits ce 19 décembre.

L’entre-deux tours / Considérations

Les deux semaines qui ont suivi ce premier résultat auront été les plus mobilisées de l’histoire récente de notre pays, les plus bouleversantes aussi. Au lendemain même du premier tour, la jeune présidente du collège de médecins Izkia Siches – originaire de l’extrême nord désertique du pays et mère d’un bébé de 7 mois – renonçait à son poste pour porter sur ses épaules, tout en allaitant son bébé, la direction de campagne de Gabriel Boric – originaire, lui, de l’extrême Sud du pays entouré d’eaux sauvages. L’annonce fut un moment de magie médiatique qui ouvrait un espace d’adhésion affective immédiate et, presque, transversale. Au-delà des pensées normées des gauches et des droites, le cœur de n’importe quelle femme a ressenti un courant électrique le traverser.

La campagne a débuté avec un modeste et colossal « bus de l’espoir » qui allait parcourir le pays du Nord au Sud dans les ruralités et les villes. La jeune députée, Karol Cariola, ancienne camarade des luttes étudiantes aussi, continuait ce premier geste avec l’initiative « un million de portes », avec des milliers de femmes (et quelques garçons aussi) rendant visite à des personnes dans leurs foyers pour partager les propositions de leur coalition dans des rencontres littéralement « porte à porte », jusqu’aux coins les plus cachés d’un paysage silencieux qui refaisait ainsi surface. Les jours suivants, d’autres initiatives multicolores, plurilingues et accélérées, se propageaient tels des virus et selon un principe plus proche de la danse contact que des recettes programmatiques. Les danses, les écrits et les chansons de rue de 2019 – figures centrales du mouvement – se confondaient maintenant avec un arrière-fond tout entier (comme) « rêvé ».

Les atmosphères et les ambiances perçues durant ces campagnes de terrain ressemblaient en effet davantage à un montage onirique imparable, informel et plastique, à l’image des terres extrêmes parcourues. Elles mélangeaient des temporalités et des techniques très anciennes et ultracontemporaines, des geeks, des universitaires et des paysannes. Ces caravanes ensorcelantes avaient été presque entièrement guidées par des femmes, des filles, des mères, des sœurs, des amies et, même si elles rencontraient parfois des difficultés à trouver un champ de résonance immédiat entre leurs élans démocratiques et les esprits préalablement ensorcelés par d’autres récits, ces travaux de terrain attentionnés tissaient des liens de sororité dont les échos réverbéreraient. La menace d’un fascisme patriarcal décomplexé semble, sur le moyen terme, avoir pesé davantage sur les consciences collectives des femmes dont le vote a majoritairement donné raison à Izkia, Karol, Camila, Carolina, María, Cecilia, Elisa…

En parallèle de ces mobilisations féminines et constituantes, du côté des partis politiques de la gauche instituée, des alliances virtuoses prenaient forme aussi. Alors que des bus parcouraient physiquement les extrémités terrestres, des réunions toutes plateformes confondues – à distance et présentielles – se tenaient avec, comme objectif, de laisser de côté nos différends pour nous tenir ensemble dans nos aspirations communes et nos désirs partagés. Un effort de métaphysique – prioritaire avant tout le reste – et des actions pour l’après se corrélaient dans ce présent vertigineux qui mêlait aussi des trajectoires et des générations diverses diluant davantage le « saillant » dans un fond commun qui est aussi un « sens commun », dans les sens de valeur, de ressenti, de direction… et tous les autres sens.

Des mains, des voix (aphones presque, après ces deux semaines), des têtes, des chiens en campagne, des publications par RRSS et des discussions en famille, des groupes WhatsApp renvoyant des mémés drôles ou paniquées et même quelques journalistes sortant de leur « neutralité », autant de démocraties directes, ont travaillé durant 15 jours – avec sérieux mais sans perdre la joie – de manière exemplaire pour dévier la puissance d’une campagne adversaire, bien plus dotée financièrement, basée sur la terreur et le mensonge. Pendant ces jours-là, pas de violences de rue, pas de riposte directe aux fake news, pas d’« appels contre », pas de telenovelas médiatiques. Ces jours-là, l’équipe du président élu depuis et toutes les intelligences réunies, notamment féminines, ont centré leurs efforts sur un déplacement de nos attentions vers ce qui compte.

En cette fin de soirée du 19 décembre, nous avons finalement fait expérience d’un paradoxe dans l’âme : nous avons été à la fois soulagé·es et en extase. Gabriel Boric et son CObierno à venir étaient élu·es avec le score le plus haut dans l’élection, avec la participation la plus forte de l’histoire du Chili, le président étant aussi le plus jeune et le plus austral de cette même histoire. Les mots manqueront toujours pour dire une telle vibration d’ensemble vécue en direct et dans la vraie vie politique. Le discours prononcé par Gabriel cette nuit-là nous a traversé·es comme une flèche poétique venue des temps ancestraux, une condensation de temporalités qui ouvrait une dimension du possible : nous pouvions ensemble instituer une histoire commune avec des arbres, des chats, des doutes, des filles, avec des blagues, avec nos ancêtres, avec des plumes.

Les choses sont bien plus complexes, mais les résultats de cette élection rendaient compte au moins d’une chose : pour une grande partie de la population, la peur de la régression l’avait emporté sur la peur de la progression. La réussite de cette transmission d’élans de l’entre-deux tours semble, en effet, avoir été en partie celle des accords éthiques de base : nos espoirs communs d’un avenir simplement plus juste, d’un partage plus équitable entre les vivants et d’un idéalisme qui est bien plus réaliste que le cauchemar rétrograde d’un retour aux temps de l’anarco-extractivisme, même si ce cauchemar représente encore le rêve de quelques-uns avec qui il faudra encore discuter (l’expérience de vie commune des assambléistes peut d’ailleurs y jouer un rôle clé).

Les (inter) changements d’imaginaires

Nous savions maintenant que nos avenirs communs allaient se jouer entre le fantasme d’un recul abyssal toujours latent et une avancée des nouvelles générations dont l’enjeu principal sera d’accorder un orchestre de vivants habitant tous un même territoire mais des mondes, des cultures, de références et de rêves différents, voire opposés. Le devoir de considération – des autres, des difficultés, de nos faiblesses et de nos forces – va s’imposer encore davantage depuis ce soir-là. Nous savons – nous espérons savoir – que les réchauffements de nos propres convictions et le renforcement d’un « entre-nous », aussi joyeux soit-il, ne peut pas faire l’impasse sur ceux avec qui nous cohabitons avec, malgré et dans nos différences. Veiller pour que cette diversité des écosystèmes idéologiques puisse s’épanouir sans guerres d’opposition relève en partie du miracle, mais une atmosphère autrement religieuse semble en effet se disséminer, notamment grâce aux travaux de la convention constituante et de tant d’autres initiatives ailleurs sur cette planète.

Parmi les défis préalables aux miracles, il y a non seulement les adversaires évidents, mais aussi des gauches qui n’ont pas encore saisi que l’heure n’est plus aux verticalités des anciens communismes, ni aux partages binaires entre gauche et droite, nature et culture, hommes et femmes, ami·es et ennemi·es, mais qu’on traverse plutôt des tempêtes où tout cela commence à se monter, à se traiter et à se nommer autrement. En effet, à la verticalité offerte par les idéologies traditionnelles de gauche – qui croient encore nécessaire un pouvoir central qui organise le désordre – s’est ouverte avec nos jeunesses politiques une alternative qui horizontalise les responsabilités, à l’image des organisations du vivant dont l’anarchie obéit à des ordres-désordres.

L’attention portée aux rythmes vitaux, au soin du vivant et aux politiques « de tendresse », comme l’a dit Elisa Loncón, notre amie présidente de l’Assemblée constituante, est liée aux approches plus généralement pratiquées par des femmes et par les plus fragilisé·es d’entre nous tout au long de l’histoire de l’Occident logique, moderne, rationaliste et extractiviste. L’éclairage qu’apportent ces manières féminines ne prétend pas effacer les opacités, et c’est là l’une de ses particularités. Cela n’aplatit pas non plus les zones d’ombre. Ces lumières inclusives vont, au contraire, s´’y intéresser justement parce qu’elles ont une mémoire des marges, une sagesse du bricolage et des arrangements avec la précarité : c’est la connaissance de « perdants ». C’est d’ailleurs pourquoi les femmes et les hommes de ce CObierno font appel à la tendresse et ont le courage de remettre en usage un vocabulaire de sens commun, parfois direct parfois métaphorique, qui dit nos inquiétudes « de fond » avec l’insouciance et le sérieux dont seulement les enfants sont capables. Illes parlent avec une transparence inouïe, partagent leurs doutes et leurs difficultés avec une authenticité qui replace le débat et qui remet notre place d’humains sur la planète à un endroit plus modeste et plus près du réel.

Cette empreinte féminine – mais pas exclusivement incarnée par des femmes – recouvre l’ensemble de l’esprit et du style de ce CObierno dont les ressemblances, s’il y en a, seraient à trouver plus du côté des Nords finlandais que des centralités de la planète (ce qui peut au passage contribuer à « arrondir » nos visions planétaires et à enrichir nos échanges d’imaginaires). Si la matrice compétitive et méritocratique fonctionnait avec des terrains de « lutte » dont les « victoires » étaient censées nous apporter des « bonheurs », avec les pratiques politiques coopératives impulsées par la coalition Boric nous constatons plutôt que, lorsque nous sommes invité·es à coopérer pour des biens d’ensemble, nous nous sentons spontanément épanoui·es et moins seul·es dans ces luttes, qui deviennent ainsi des espoirs communs. Passer ainsi des logiques de compétition entre les êtres et de concurrence entre des savoirs spécifiques, aux coopérations entre nous, change la conversation et, avec elle, la manière, la forme et le style du pouvoir avec, entre autres, une écologie de la langue et des usages nouveaux pour ces anciens mots.

Les gauches réfractaires parfois aux allures conciliantes et fédératrices de ce CObierno feront peut-être quelques pas vers nos communs en comprenant que l’accord – bien plus difficile que les commandements – entre non-obéissance et écoute est nécessaire, et que l’hétéronomie peut se « vivre » non pas comme une soumission aux autres, mais comme un acquiescement à notre existence commune, une considération pour nos fragilités d’ensemble. Des fronts d’amitié élargie pourront ainsi se disséminer à travers nos expériences avec douceur.

Elisa et Jaime, co-présidents de la convention constituante, laissent leur mandat provisoire en se serrant fort dans les bras, s’appellent entre eux « queridas » et s’adressent aux « bien aimées camarades constituants ». Si le pouvoir constitué a essayé d’empêcher le pouvoir constituant de s’(e) mouvoir, le déplacement de ces usages langagiers vers des lieux de pouvoir est, quant à lui, renversant. L’expérience de vie commune de ces assembléistes aura en effet préparé le terrain des transformations communicationnelles d’une génération qui sera la première à gouverner sur des parents ayant vécu les injonctions méritocratiques et compétitives de l’ultra-néo-libéralisme. Cette expérience assembléiiste nous a changé·es nous tou·tes parce qu’elle prépare la redistribution du pouvoir (économique, sociale, politique) à travers la langue qui l’organise.

Les chefs du CObierno élu ne se présentent en effet pas comme tels, mais comme des artisans – parmi tant d’autres – d’un mouvement d’ensemble tellurique et horizontal. Si l’un des problèmes du pouvoir en général est de croire que ceux qui l’incarnent sont les vrais acteurs et non pas des personnages d’un (en) jeu commun, la génération du CObierno se méfie des histoires qu’on raconte et commence à en raconter d’autres autrement.

C’est sous le regard d’un bébé qu’Izkia Siches a décidé de faire campagne. C’est avec la nomination du « premier chien de la république » (et non pas d’une « première dame ») que les annonces débutaient au lendemain de l’élection. C’est avec leurs bébés ou leurs chiens, avec des sacs à dos, sandales et shorts, cheveux en l’air qu’illes sonnaient à la porte du premier QG de la coalition qui réunit partis traditionnels, associations et membres de mouvements divers. C’est avec une vidéo faite par elleux-mêmes qu’illes partageaient avec les médias quelques images de cette réunion. C’est avec un enfant qui l’attendait à la porte que Gabriel Boric a eu sa première interview de président élu (« pour écouter la vision du pays et les préoccupations de ce jeune »). C’est en disant « je vais mettre mes lunettes quand même » qu’il débutera plus tard son allocution devant le palais de gouvernement. Ces signaux à basse fréquence sont puissants et sérieux. S’Illes sont des enfants du capitalisme et de ses dérives, illes savent aussi le contrer avec des sabotages pleins d’humanité et d’humour, d’une part, et avec un travail rigoureux d’écoute du milieu d’autre part.

Bienvenu·es alors à ces nouvelles générations pour qui le pouvoir est davantage affaire d’interprétation juste des sensibilités de l’époque que d’incarnations personnalisées. La beauté des mots adressés, l’insouciance mêlée au respect de leurs ainé·es, la convivialité, les « allocutions » du premier chien de la république, l’appel du nouveau président à « n’idéaliser personne, à commencer par moi-même », et tous ces gestes d’authenticité désarmante ont accéléré une recomposition des imaginaires politiques qui peinait à avancer sur le plan purement théorique ou logistique.

Aux nombreuses fake news qui ont essayé de les rayer de l’histoire, ces coalitions n’opposent pas d’autres « vérités », mais proposent le déplacement de ce que vérité pourrait bien vouloir dire, c’est-à-dire une vérité de présence, une manière d’être qui dissout la nature même du fake. Authenticité qui permet aussi de nommer nos doutes collectifs et qui affirme le besoin de nos participations communes. Nous revendiquons ainsi nos fragilités comme une force qui nous enjoint à construire collectivement nos futurs de manière coresponsable.

La beauté de ce qui est en train de se vivre – autant avec nos ami·es au gouvernement qu’avec les courageu·ses membres de la constituante – ne propose pas de changer une verticalité pour une autre, mais d’horizontaliser nos rapports de manière radicale, au plus près de nos racines terrestres et au plus loin dans nos visions cosmiques, métaphysiques : envisager, ensemble, avec tous les bruits de fond qui peuvent représenter les voix jusqu’alors jamais entendues, avec tous les paysages invisibilisés par la centralité, les conditions d’une biodiversité viable et vivable, un accompagnement de la vie non pas « malgré » nos différences, mais avec elles. Un Ying Yang poético-politique qui improvise avec noblesse des formes collaboratives qui puissent tenir ensemble son avant et son après, parce que les mondes crépusculaires seront aussi nécessaires aux aubes. Si avec ces improvisations attentives aux mouvements d’ensemble – et à chaque murmure citoyen – on arrive à trouver un rythme transitionnel, on aura peut-être fait nos premiers pas vers un monde (autrement) commun.

La seule manière de joindre nos humanités sera peut-être quelque chose d’ordre métaphysique au sens premier. Quelque chose qui est au-delà de ce que nous percevons sensiblement mais qui est, en même temps, un cœur sensible relié. Parce que seul·es nous ne nous en sortirons pas. Espoir, ce mot resurgit de manière étrange tel une ancienne pierre précieuse et astrale, « Parlementons, dit Elisa Loncón, nos blessures, nous ne pouvons les soigner qu’ensemble ».