Libération mardi 14 février 2006Le vote du Parlement européen, le 16 février, sur la proposition de
directive sur les services dans le marché intérieur, va revêtir une
importance cruciale. Les Verts ont déposé un amendement de rejet pur et
simple. Ce rejet par une majorité du Parlement étant néanmoins
improbable, nous avons aussi présenté des amendements qui transforment
la logique initiale du texte. En effet, les Verts souhaitent garantir la
capacité de chaque Etat membre de définir des missions de service public
et favoriser une convergence des normes nationales qui encadrent la
prestation de services par la définition européenne de critères de
qualité et de protection du consommateur.
Nous avons donc déposé un amendement excluant les services d’intérêt
économique général du champ d’application de cette directive, sous peine
de voir les missions de service public subordonnées aux règles du marché
concurrentiel. Par ailleurs, les Verts soutiennent l’élaboration future
d’une directive cadre sur les services d’intérêt général, définissant
leurs spécificités et les conditions dans lesquelles les pouvoirs
publics peuvent les charger de remplir leurs missions.
Devant le tollé provoqué par le projet de la Commission d’appliquer le
principe du pays d’origine (PPO) comme règle générale pour la libre
prestation des services, une tentative de «compromis» vient d’être
élaborée entre le parti socialiste européen et le parti populaire
européen (conservateurs). Les Verts restent persuadés qu’il serait
préférable d’appliquer clairement le principe du pays de destination à
l’exercice des activités de services, et de cantonner le principe du
pays d’origine au seul droit d’accès à ces activités. Question de clarté
et de sécurité juridique. Question, aussi, de garantir que le libre
marché des services ne mènera pas à un abaissement des normes. Nous
appelons donc tous les députés attachés au rôle régulateur des pouvoirs
publics à appuyer notre amendement qui va dans ce sens. Quant au
«compromis» proposé, nous constatons qu’il est d’ores et déjà contesté
parmi ses négociateurs eux-mêmes. Il évacue certes et c’est très
important le principe du pays d’origine. Mais il limite aussi la
capacité des pouvoirs publics à imposer leurs propres normes, notamment
par rapport au travail des indépendants. Il ne pourrait donc constituer,
au mieux, qu’un pis-aller.
Le «rêve européen», c’est la coopération et la solidarité entre les
personnes comme entre les Etats. Plutôt que de faire miroiter aux
travailleurs «de l’Est» les bienfaits du PPO, qui en réalité accroîtra
la concurrence entre travailleurs, les Verts demandent la levée par les
gouvernements des restrictions à la libre circulation des travailleurs
imposées aux nouveaux Etats membres, qui est contraire aux principes
d’égalité et de non-discrimination présents dans les traités européens.
Faisons du Premier mai 2006 un moment pour l’unité d’une Europe où
chaque travailleur disposera des mêmes droits. Les Verts porteront ce
message aux manifestants le 14 février à Strasbourg, comme ils ont avec
eux la volonté de changer la directive Bolkestein.
Au-delà, la directive services a souvent été présentée en général par
les adversaires du projet de Constitution européenne comme l’autre
face de celle-ci. Certains ont même pu prétendre qu’en votant non à la
Constitution européenne, on votait du même coup non à la directive
Bolkestein. C’est faux. La directive services n’est pas plus la fille du
projet de Constitution européenne qu’elle n’est la traduction logique
des traités actuellement en vigueur. Ainsi, non seulement le principe du
pays d’origine ne se trouve pas dans les traités, mais il contredit
d’autres dispositions telles que l’article 50 alinéa 3, qui prévoit que
le prestataire de services peut exercer /«son activité dans le pays où
la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que ce
pays impose à ses propres ressortissants», /ou encore l’article 47.2 qui
est la base juridique pour coordonner les dispositions nationales entre
elles. Les traités européens comprennent un ensemble de dispositions
partiellement contradictoires et il appartient aux majorités politiques
présentes au Parlement et au Conseil de définir un ordre de priorités.
Il est encore possible d’inverser la logique de la directive Bolkestein.
Si le Parlement européen parvenait, le 16 février, à extraire de la
directive les services d’intérêt économique général, les services
sociaux et de santé, à en retirer le principe du pays d’origine et à
garantir l’application du droit du travail et des normes des Etats
d’accueil, quelle meilleure preuve aurait-on de l’utilité de renforcer
encore les pouvoirs de ce Parlement ? A la croisée des chemins
européens, c’est en tout cas cette voie-là que choisissent les Verts.
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