Des économies aux principes opposés

Il y a des économies du camp et du campement, dont les ressorts visibles, ou cachés, méritent une attention redoublée. Les réflexions croisées qui suivent sont le fruit d’observations situées visant à distinguer camps et campements, deux formes d’organisations socio-économiques qui présentent des similarités dans leurs invariants et résurgences, mais aussi des singularités et oppositions dans leurs disjonctions (ou distinctions) affirmées.

En effet, les camps (d’internement, d’urgence, de rétention, d’accueil, de stabilisation…) sont plutôt des aubaines pour les pouvoirs qui les constituent, en fournissant matière à planification et réservoirs de ressources captives alors que les campements autogèrent et régulent une économie d’aubaine, d’opportunité et de hasards productifs. C’est dans les campements que l’on prend le plus de risques pour essayer d’atteindre ses objectifs, ce qui peut impliquer des calculs très serrés, et dans les camps que les autorités cherchent à minimiser le risque, dont celui du manque de main-d’œuvre, plutôt que d’assurer une productivité maximale. Car la productivité des travailleurs forcés n’est pas forcément supérieure à celle des travailleurs libres, c’est un vieux débat1.

Ces économies se déploient donc de la grande production, ou extraction, sécurisée mais pas toujours légale, à la plus minime, de fortune et d’infortune, et pas toujours illégale.

Camp, travail forcé et effet d’aubaine

L’économie interne du camp de réfugiés ou de prisonniers pourrait relever d’un modèle de la théorie néoclassique : l’économie d’échange. Cette hypothèse sert à démontrer l’équilibre général sur tous les marchés. Elle décrit une situation dans laquelle les acteurs perçoivent une dotation initiale, une ration, qu’ils ont le choix de consommer ou d’échanger. L’économiste D. Kreps donne une idée de ce que pourrait être ce dispositif : « On peut imaginer des consommateurs déambulant dans une vaste place, en ayant dans leur sac tout ce qu’ils possèdent. Ils se rencontrent, au hasard, et quand cela arrive à deux d’entre eux, ils examinent ce que chacun a à offrir, afin de voir s’ils peuvent parvenir à un échange mutuellement avantageux…. Personne n’a le droit de consommer ce qu’il a, ni de s’en aller, tant que le processus n’est pas terminé2. » En réalité cette description refoule son modèle : l’imaginaire du camp. De fait, camp et campement peuvent être une aubaine pour des fournisseurs de rations ou d’aumônes. Certains réfugiés se voient signifier une interdiction de travailler, et pour eux l’économie interne est celle des échanges de rations. Mais la plupart des camps sont des économies planifiées de production, fonctionnant, légalement ou illégalement, avec du travail forcé. Ce camp peut être un navire ou un bâtiment isolé. The Guardian révélait que le travail forcé existe dans la pêche en Irlande en 2015. Des migrants illégalisés sont en effet employés clandestinement sur des navires, et littéralement détenus à bord. Le gouvernement irlandais a réagi en diligentant la publication d’un rapport reconnaissant que : « The maritime industry, including fishing, has been identified as an area of potentially high risk for human trafficking due to the nature of the work in the sector and the employment structures that are used 3. » Le travail forcé a aussi été repéré en Pologne, dans les chantiers navals de la Baltique. Une enquête menée par des chercheurs du Leiden Asia Centre a mis au jour le travail forcé d’ouvriers nord-coréens sur ces chantiers4. Elle a été prolongée par des journalistes de Slate, qui sont remontés jusqu’au lieu de détention : une maison dans la forêt. Dans ces structures, le mode interne du rationnement, qui peut être un mode de partage, peut connaître plusieurs variations. Sans doute les possibilités d’organisations de cette économie interne, du camp au campement, ne sont pas infinies, et doivent être reliées à des principes de justice ou de domination, en nombre limité.

Il est donc possible d’étendre le spectre du camp comme technique économique non seulement de mise en valeur de territoire mais aussi de concentration de ressources. Des cas de camps de travail forcés gérés par des groupes économiques sont régulièrement révélés dans l’actualité mondiale, par exemple pour le géant du pneumatique Firestone5. De même l’industrie de l’enlèvement pratiquée par des groupes mafieux, en tant que tel ou pour l’industrie du sexe ou de l’orpaillage, peut être comparée avec les formes étatiques d’internement et constitue tout à la fois un instrument de pouvoir et une technique d’extorsion remontant à la nuit des temps. Des travaux ont montré par ailleurs, à la suite de C. Tilly et de N. G. Canclini6, l’intrication et la collusion entre cartels illégaux, entreprises et autorités étatiques et sécuritaires dans l’exploitation de la main-d’œuvre contrainte et parquée, par exemple à la frontière entre le Mexique et les États-Unis d’Amérique7.

Les camps constituent ainsi une aménité pour leur environnement immédiat. Qu’ils soient destinés à des fins coercitives ou de mises à l’écart, ces espaces confinés offrent en effet deux types de ressources en tant que d’une part réservoir de main-d’œuvre et de savoir-faire et d’autre part en tant que marché offrant emplois et débouchés. Sans remonter au couplage entre habitation et plantation dans le modèle esclavagiste, l’histoire moderne du camp et des campements fournit maints exemples de leurs avantages économiques8.

Le camp comme réservoir de main d’œuvre et de savoir-faire

C’est souvent le cas dans les périodes de guerre, en France par exemple, durant les deux guerres mondiales. Le camp, dans ses formes de dépôt et casernement, a constitué alors le principal moyen de logement de travailleurs indigènes dans l’extraction, l’industrie sidérurgique et les arsenaux. Isolé ou surveillé le camp est ici un élément essentiel du système productif en ce qu’il réduit les coûts de prise en charge et permet de garder les ouvriers à proximité des sites de production y compris lorsque ceux-ci sont mobiles9. Ces situations s’inscrivent dans la tradition des camps coloniaux et des lieux de cantonnement et de dépôts des travailleurs indigènes requis, essentiellement indochinois, africains et malgaches. Installés dans de très nombreux départements français entre 1916 et 1946, ceux-ci ont fourni une main-d’œuvre captive et déplaçable pour une grande variété d’activité (travaux de génie, agriculture et riziculture, poudrerie et déchargement) et pour des employeurs variés (particuliers, institutions, armées étrangères).

Dans un premier cas de figure, le départ pour la conscription ou le STO des hommes de la région environnant le camp (qu’il héberge des réfugiés ou des internés) a pu provoquer un manque de main-d’œuvre notamment qualifiée. Le camp d’internement constitue alors un réservoir de compétences techniques et artisanales (boulanger, tailleur, cordonnier…) utilisé par la population riveraine. Même lorsqu’il ne s’agit plus de camps recourant au travail forcé (cette pratique, à la fois complément de peine et contribution aux frais d’entretien, est officiellement abandonnée en métropole dans les années 1950), les espaces de confinement peuvent constituer une aubaine pour les entreprises installées à proximité en procurant une main-d’œuvre sans droit corvéable à merci.

Les centres d’accueil des Français d’Indochine (CAFI) entrent dans cette catégorie. Mis en place à partir de 1954, ils ont hébergé essentiellement des femmes vietnamiennes ayant épousé des membres du contingent expéditionnaire en Indochine. Rapatriées et placées dans ces baraquements excentrés, notamment dans les départements du sud-ouest de la France, elles ont été massivement embauchées dans les exploitations agricoles en raison de leur statut contraint mais surtout de leurs compétences rares en matière horticole. Mal payées et non déclarées elles ont fait la fortune de quelques agriculteurs locaux et de l’encadrement du camp monnayant l’accès à ce contingent10. Les centres d’accueil des rapatriés d’Algérie (CARA) ont, eux aussi, cette fois à partir de 1963, fourni une population transplantée (ex-harkis) offrant des compétences spécifiques. Originaires des montagnes de Kabylie, les hommes ont été employés dans le forestage principalement par l’office national des forêts. Les femmes, elles, ont développé de petits centres de production textile, dans l’Hérault en particulier qui sont passés en quelques décennies de l’économie du camp proprement dite à une économie ouverte dans certains cas.

Le camp comme marché d’emploi et de fourniture

Il arrive à certaines périodes que les camps constituent un débouché professionnel temporaire et d’appoint pour des locaux inoccupés. Ainsi lors de la mise en fonctionnement des camps de l’Épuration entre 1944 et 1946 (Centres de séjours surveillés), des habitants voisins des camps ont été embauchés localement pour des tâches de gestion quotidienne et même de surveillance des internés11. Ce n’était pas sans conséquences et les renvois pour « comportements inappropriés » étaient fréquents. En règle générale les internés génèrent des besoins en termes sociaux, sanitaires et juridiques qui constituent en soi des marchés miniatures pour des professions spécifiques (taxis par exemple). Mais c’est essentiellement comme marchés de fourniture que les camps constituent une ressource économique à des échelles plus ou moins larges. Entre 1959 et 1963, les centres d’assignation à résidence surveillés (CARS) ont été mis en place pour interner les militants algériens puis les militants de l’OAS12. Situés dans des camps militaires reculés, notamment celui du plateau du Larzac, ils hébergèrent plusieurs milliers d’internés et de personnels de garde. Ils nécessitaient un approvisionnement alimentaire considérable (pain, lait, viande, fruits) et déclenchèrent de surcroît une bulle immobilière pour le logement du personnel militaire et civil mais aussi pour les familles d’internés. L’impact économique s’étendait à l’ensemble du département de la Lozère et suscita conflits et rivalités entre fournisseurs pour l’accès à ces contrats. Cependant les entrepreneurs locaux restaient réticents à investir durablement en raison du caractère temporaire de ces marchés.

Le camp est en soi un marché, en particulier pour les fournitures. Économiquement les cas de figure évoqués précédemment semblent comparables, sur une durée limitée, à ceux du secteur de la détention et de la rétention aspirant ressources et main-d’œuvre alentour. C’est cet aspect temporaire qui les différencie de la situation actuelle marquée par l’institutionnalisation de l’internement de masse. Car, avec l’industrialisation contemporaine du marché de la migration, plus particulièrement dans sa dimension de surveillance et de déportation, les camps sont devenus des ressources à long terme pour à la fois de grands groupes économiques capables de construire et gérer les centres de détention ou d’assurer les opérations de surveillance et de déportation (G4S à l’échelle mondiale ou Bouygues, Vinci ou Sodexo à l’échelle nationale), et pour un ensemble d’acteurs associatifs, non gouvernementaux et parapublics dont une part importante des revenus proviennent de contrats d’intervention dans la vie quotidienne des camps et des internés13.

L’économie du campement,
de la dépendance à l’auto-éco-organisation

Le campement est à l’inverse du camp un mode d’auto-organisation. Si l’on suit la lecture de James Scott par Nicolas-Le Strat14, le campement, à l’écart de l’État, relève du Commun. Pour autant, les formes contemporaines n’en sont pas toujours hors de la sphère marchande. Au terme englobant et indifférencié de « camp » qui s’impose dans la littérature scientifique, institutionnelle et médiatique, il est possible, pour désigner ces formes non planifiées, de lui opposer ceux du substantif campement et de son verbe camper, qui questionnent l’histoire de leur réception dans nos langues communes. Camper signifie établir son campement quelque part de manière sommaire et provisoire. En ancien français champier a les deux sens de « parcourir les champs et camper ». En provençal, acampar signifie « assembler, amasser » et s’accampar « ramasser, revenir chez soi ». In fine, que l’on se campe ou que l’on soit campé, revient à « effectuer une action avec détermination » ou encore à « décrire très clairement une situation », deux dimensions largement éprouvées dans les témoignages d’acteurs enquêtés.

Des campements éphémères des voyageurs, de saisonniers, de nomades et de migrants, observés entre 2005 et 2015, documentent et révèlent une économie d’aubaine et d’opportunité, reliée aux caractères circonstanciel, providentiel, flexible et connexioniste des modes d’habiter. Deux monographies locales consacrées à des néo-nomades décroissants en 2011-2013 et à des Roms en habitats autoconstruits en 2012-2015 étayent cette analyse. En mobilisant les apports de l’ethnologie économique concernant un « niveau physiologique de survie de l’existence traditionnelle » on peut repenser les espaces et lieux appropriés dans « un balancement entre un minimum économique défini par un nombre restreint de ressources et de besoins, correspondant à un maximum sociologique (règles complexes de relations sociales, exaltation des valeurs communautaires15). »

Dans le cas de nomades décroissants, l’habitat est « sommaire », tant dans sa conception, son aménagement que son usage, et ramène à la simplicité. C’est ce dont témoignent Charlotte et Daniel : « Ce que l’on voulait en venant vivre en Ardèche c’était se rapprocher de la nature et revenir à une vie simple. Prendre de la distance avec le système monétaire, de consommation… Sortir de cet emprisonnement de l’argent, pour se libérer du temps, afin d’avoir des vies plus calmes, d’être présents pour élever nos enfants, faire notre jardin, cuisiner nos légumes16 ». Carole, Marc et Judith renchérissent : « Le fait de vivre en cabane nous a permis de mettre en place des projets avec peu de moyens. […] On rejette le fonctionnement de la société, nous ne souhaitons pas y participer. Cela ne veut pas dire que l’on rejette les gens. En vivant comme ça, on est en accord avec nos valeurs, on est plus proches de la nature, on sait ce que l’on consomme, on réduit nos déchets, nos consommations et on est heureux comme ça ! On n’est pas précaires ! Au contraire on est très riches de pouvoir faire ça17 ! »

Dans un second temps, l’étude de l’économie d’un campement doit considérer la nature et forme des ressources mobilisées par l’habiter, y compris pour la réalisation des abris, ainsi que les transactions (matérielles et immatérielles, réelles et symboliques) mises en œuvre par les habitants pour subsister, s’installer et résider. Edgar Morin appelle cela l’auto-éco-organisation, c’est-à-dire la capacité d’un système à être autonome et à interagir avec son environnement : « L’idée d’auto-production ou d’auto-organisation n’exclut pas la dépendance à l’égard du monde extérieur, au contraire, elle l’implique. L’auto-organisation est en fait une auto-éco-organisation […]. Vous pouvez concevoir l’autonomie d’un être en même temps que sa dépendance existentielle à tout ce qui est nécessaire à son autonomie, comme à tout ce qui menace son autonomie dans son environnement aléatoire18 ».

Cycles de l’habitat, des habitants et des biens

À partir de l’expérience d’accueil de Roms sur le Puits de la mine dans la ville industrielle de Gardanne (13), on peut retracer le cycle de vie des biens appropriés par le mouvement, et envisager que les pratiques saisonnières et intermittentes des activités s’inscrivent dans une « économie circulaire » générée du local au global, entre sociétés d’origine, d’accueil et de destination. Ce cycle passe par plusieurs phases : récupération de la ferraille, « faire la misère », économie de cueillette, recyclage des déchets, insertion dans une ressourcerie. Un autre exemple, tiré de l’ethnographie menée sur le platz du Samaritain à la Courneuve (93) entre 2012 et 2015 (squat de la banlieue parisienne), met en évidence un autre aspect du bidonville : celui d’espace de travail et de la jonction entre économie formelle et informelle dans les deux secteurs du ramassage de la ferraille et du BTP. Ce lien entre économie formelle et informelle de la ferraille peut être observé dès la phase de production et d’accumulation. Sur les chantiers de destruction ou de requalification, la ferraille, qui devrait être recyclée pour participer à l’économie du chantier, est très souvent abandonnée aux ouvriers. C’est une tolérance de toute la chaîne de décision, de l’architecte au contremaître, « pour qu’ils se fassent une gratte ». Puis les ouvriers la revendent aux Roms. Le platz sert ensuite de lieu de concentration de la marchandise collectée à vélo, puis revendue après transformation et tri à des entrepreneurs disposant de camionnettes. Le platz est enfin un marché financier où s’échangent et s’apprécient les « bons de paiement » délivrés par les entreprises de récupération de métaux et qui vont se concentrer entre les mains de personnes bancarisées (dans ou hors le platz). Être bancarisé est un enjeu majeur car cela permet de gagner entre 10 à 15 % sur le prix de la ferraille qui « passe » sur un compte. C’est toutefois une gageure qui nécessite un gros capital gadjékanes (mot roman décrivant la capacité des Roms à s’adapter aux interactions avec la société sédentaire environnante).

Un autre secteur d’objectivation de cette jonction est le travail d’ouvrier dans le BTP ou l’événementiel. Ainsi au Samaritain de la Courneuve, à partir de 2014, plusieurs personnes, qui travaillaient au black sur des chantiers pour monter des stands d’exposition, se sont retrouvées en mesure de négocier une régularisation partielle de leur situation. Ainsi un chef d’équipe, travaillant à temps plein, obtient un contrat de 35 h. par mois et peut dès lors subir un contrôle ou discuter avec les clients. Ces travailleurs régularisés sont à la fois chefs d’équipe et recruteurs selon le modèle du travail en brigade. Ils recrutent au jour le jour des équipes pouvant atteindre une petite dizaine de personnes et constituent une flottille de camionnettes. Le platz sert cette fois de réserve de main-d’œuvre bon marché. Les liens familiaux, sociaux et de cohabitation garantissent le sérieux des travailleurs, mais également leur non-recours aux autorités. Car, alors que les enquêtes menées entre 2007 et 2011 montraient des platzs qui fonctionnaient de manière relativement égalitaire en terme économique (abstraction faite de l’exploitation territoriale des chefs de platz), à partir de 2012, une certaine hiérarchie apparaît à l’intérieur du bidonville, sous l’effet de la mobilité sociale ascendante des personnes qui arrivent justement à se placer en jonction avec l’économie formelle.

Force est de constater que les campements sont surveillés et en voie d’encastrement dans une économie du recyclage ou d’intégration à l’industrie. Qu’on songe aux nomades du nucléaire, dans des campings réservés par Erdf. Par ailleurs les Roms qui vivent dans des bidonvilles ou des squats, en France, vendent la ferraille à un prix, parfois cinq fois inférieur à celui payé aux résidents nationaux. Les échanges entre l’intérieur et l’extérieur des campements se font donc sous contrainte de statut, tout en participant d’une économie globale, car la ferraille peut très bien être envoyée en Chine19. Ces remarques valent aussi pour les branchements illicites à l’électricité et l’eau, pris dans des conventions tacites sur les compensations à l’exclusion et tolérés de façon transitoire ou permanente. Enfin le campement est aussi un lieu de transactions monétaires, dont certaines d’un campement à l’autre, des loyers peuvent y être perçus, comme dans les favelas, des tontines y être organisées, des microcrédits proposés. De fait en France, les micro-prêts aux « gens du Voyage », représentent 5 % de l’activité de l’ADIE. La compréhension de l’économie du spectre allant du camp au campement ne peut se faire sans l’apport d’une sociologie économique et d’une attention portée aux critères de justice à l’œuvre. Elle est d’autant plus nécessaire que des transformations du campement en camp, ou inversement, sont possibles. Le campement d’étrangers est toujours sous la menace de ce changement de statut, et, de fait, les distinctions peuvent être parfois plus de degrés de liberté et de capacité de négociation, que de structure. Si cette question est d’une importance cruciale pour la compréhension des phénomènes en cours, elle porte aussi en elle des interrogations sur des modèles implicites ou latents, dans les discours théoriques et les pratiques politiques qui ont traversé l’histoire des capitalismes, et des socialismes, jusqu’à nos jours.

1 Domar, Evsey D, « The Causes of Slavery or Serfdom : A Hypothesis. », The Journal of Economic History, 1970. Moulier-Boutang Yann, De l’esclavage au salariat : économie historique du salariat bridé, PUF, 1998.

2 Rème Harnay Pétronille, Guerrien Bernard, « Quelle synthèse entre économie et sociologie ? », Cahiers internationaux de sociologie 2/2009 (no 127), p. 339-349.

3 Report of the governement task force on non-EEA workers in the Irish fishing fleet, décembre 2015, en ligne : www.agriculture.gov.ie/media/migration/publications/2015/TaskForceReport141215.pdf

4 Marte Boonen, Klara Boonstra, Remco Breuker (P. I.), Christine Chung, Imke van Gardingen ; Kim Kwang-cheol, Oh Kyuwook, Anoma van der Veere North Korean Forced Labour in the EU, the Polish case: How the supply of a captive DPRK workforce fits our demand for cheap labour, Leiden Asia Centre, 2016.

5 Chemin A., Les forçats de Firestone, www.lemonde.fr/a-la-une/article/2006/02/02/la-misere-des-saigneurs-d-heveas-de-firestone_737248_3208.html / Voir aussi pour le cas indien, Xiang B., 2006, Global, « Body Shopping »: An Indian Labor Regime in the Information Technology Industry, Princeton, NJ, Princeton University Press, 2006.

6 Tilly C., « War Making and State Making as Organized Crime », in Bringing the State Back, Evans P., Rueschemeyer D., Skocpol T. (ed.), Cambridge, Cambridge University Press, p. 169-187, 1985. Canclini N. G., « The State of War and the State of Hybridization », in Gilroy P., Grossberg L. and McRobbie A. (eds), Without Guarantees: In Honour of Stuart Hall, Londres, Verso, p. 38-52, 2000.

7 Astorga L., & Shirk, D. A., « Drug trafficking organizations and counter-drug strategies in the US-Mexican context », http://escholarship.org/uc/item/8j647429 (2010).

8 U. Hull, « Absolute Destruction, Military Culture and the Practices of War in Imperial Germany », Ithaca, London, Cornell University Press, 2005. On se reportera en particulier au chapitre 3 évoquant les « collection camps »en Namibie qui combinent des formes de camp-prison, de camps de travail et des camps de compagnies privées, p. 70-90. Voir aussi le lien entre les modèles des deux frères Bentham dans la construction du modèle du panoptique pour l’économie et la détention, Mirzoeff, N. (2002), The empire of camps, Afterimage, 30(2), 11.

9 Pour le cas du logement en camps fermés d’ouvriers kabyles en usines Schneider au Creusot en 1916 Frey Jean-Pierre : La Ville industrielle et ses urbanités, la distinction ouvriers/employés. Le Creusot 1870-1930, Liège, Bruxelles, Mardaga, 1993. Et pour les colonies africaines de la France, Babassana Hilaire, Travail forcé, expropriation et formation du salariat en Afrique noire, Presses universitaires de Grenoble. Université de Brazzaville, 1978 ; Fall Babacar, Le travail forcé en Afrique Occidentale française (1900-1945), Paris, Karthala, 1993.

10 Bernardot M., « Sainte-Livrade (France). Une situation coloniale sans fin. le centre d’accueil des Français d’Indochine, (1956-2006) », in Un monde de camps, M. Agier, C. Lecadet (dir.), Éditions La Découverte, 2014.

11 Bernardot M. « Au cœur de Saint-Mître : sociologie d’un centre de séjour surveillé, 1944-1945 », Déviance et société, 29-1, 2005.

12 Bernardot Marc, « Être interné au Larzac : la politique d’assignation à résidence surveillée durant la guerre d’Algérie, 1958-1962 », Politix, 1, 2005.

13 Bernardot M., 2012, Captures, Broissieux, Éditions du Croquant, 2012. Davis Angela, Les goulags de la démocratie. Réflexions et entretiens, Paris, Au diable Vauvert 2006 ; Ruth W. Gilmore, Golden Gulag. Prisons, Surplus, Crisis, and opposition in Globalizing California, Berkeley, University of California Press, 2009. Rodier C., Xénophobie business : À quoi servent les contrôles migratoires, Paris, La découverte 2012.

14 Pascal Nicolas-Le Strat, Le travail du commun, Saint Germain sur Ille, Éditions du Commun, 2016.

15 Poirier J. « Problèmes d’ethnologie économique », in Encyclopédie de la Pléiade Ethnologie générale,Paris, Gallimard, p. 1545-1624, 1968.

16 Entretien avec Charlotte et Daniel, réalisé par F. Bonnafoux, 5 septembre 2011, Payzac.

17 Entretien avec Carole, Marc et Judith, op.cit.

18 E. Morin, « Peut-on concevoir une science de l’autonomie ? », Cahiers internationaux de sociologie, numéro spécial Les Sociologies, Vol. LXXI, 1981, p. 257-267.

19 Philipp Carolin, « Metal scrappers: connectivity and flexibility of the marginalised », in Logistical Worlds, #1, décembre 2014.