Les excellents résultats des écologistes aux élections qui se sont tenues le 14 octobre 2018 en Bavière (scrutin régional), en Belgique (élections locales) et au Luxembourg (vote national), ainsi que le 28 octobre dans la Hesse (scrutin régional) ont déjà fait l’objet de maints commentaires dans la presse. L’actualité du dérèglement climatique donne incontestablement une audience beaucoup plus large aux idées des écologistes qui ont été des précurseurs dans l’identification des menaces qui pèsent sur le climat. Pour autant, elle ne suffit pas à expliquer les performances des partis écologistes dans les pays concernés qui avaient d’autres atouts.
Les raisons d’un succès au cœur de la vieille Europe
Ces quatre partis (deux en Belgique Ecolo et Groen, die Greng au Luxembourg, die Grunen en Allemagne) ont su proposer des thèmes de campagne et des politiques publiques qui étaient en phase avec l’attente des électeurs. En Bavière, par exemple, les écologistes sont intervenus sur le logement, l’éducation et la protection de la nature qui étaient parmi les soucis majeurs des électeurs. Au Luxembourg, les Verts ont été identifiés comme le parti le plus crédible sur les transports et l’environnement, qui étaient d’ailleurs les portefeuilles qu’ils tenaient dans le gouvernement sortant. Un parti écologiste doit être reconnu sur son cœur de métier, c est une condition nécessaire. Mais il ne s’en suit pas qu’il doive se limiter à cela, il ne s’accomplit que comme parti généraliste. Ces partis ne sont pas de création récente : ils ont appris de leurs échecs et ont su rester unis. Ensuite, ils se définissent comme des partis de gouvernement. Ils le sont d’ailleurs, puisqu’ils ont tout exercé des responsabilités au niveau national. Suite à cette séquence, les Verts luxembourgeois siègent de nouveau dans le gouvernement avec des responsabilités renforcées. Ils sont porteurs d’une mesure phare : la gratuité totale de tous les transports dans le Grand Duché. Tout récemment, les Verts ont conclu un nouvel accord de coalition avec la CDU dans la Hesse. Ceci suppose d’explorer à chaque fois toutes les possibilités de coalition avec les partis de l’arc démocratique, même si certaines formules sont moins probables que d’autres, le seul critère étant la qualité du programme finalement adopté. L’électorat des partis verts conserve des caractéristiques connues : il émane des centres-villes urbains, il est jeune et éduqué, et féminin (37 % des jeunes femmes de moins de 30 ans dans la Hesse) Les Grunen sont en tête dans les villes bavaroises de plus de 100 000 Habitants, les partis écologistes belges sont à plus de 20 % dans la région Bruxelles capitale, où ils géreront trois communes. Mais les uns et les autres progressent dans d’autres segments de la population qui leur étaient plus réfractaires : régions rurales, seniors. Dans un monde médiatisé, la question de l incarnation des partis politiques par des porte-parole reconnus par l’opinion est importante. À rebours d une certaine tradition «égalitariste» où aucune tête ne devait dépasser, les partis verts qui ont du succès se sont dotés de figures de proue assez charismatiques comme Robert Habeck au niveau fédéral en Allemagne, Katharina Schulze en Bavière, Tareq el Wazir dans la Hesse et aussi Jesse Klaver aux Pays Bas qui a beaucoup contribué à la remontée des Verts locaux (Groene Links). Certaines critiques de gauche suggèrent que les Verts allemands, mais la remarque pourrait porter sur les Flamands, les Luxembourgeois ou les Néerlandais, ne se démarqueraient pas assez du modèle économique dominant. Il est risqué de lire la situation de nos voisins avec des lunettes trop françaises. La Bavière n’est pas frappée par une crise industrielle, elle n’est pas à l’écart des grands courants d échange en Europe, elle ne compte que 3 % de chômeurs et est la deuxième région la plus riche d’Allemagne. Dans la Hesse, une très large majorité des électeurs interrogés se déclarent satisfaits de leur situation économique, y compris les électeurs de l’extrême droite (AfD) et de la gauche radicale (die Linke). On y parle «économie» de manière différente que dans les Hauts de France ou en Andalousie, sans pour autant en rabattre sur la justice sociale ou sur la nécessité de la transition écologique. Ces partis ont un positionnement ouvert sur le monde et optimiste sur l’Europe. En opposition ouverte et sans concession aux populistes de droite et d’extrême droite sur des questions comme celle de l immigration, ils évitent néanmoins dans leur prise de parole et leurs modes d’action de contribuer à hystériser la vie politique. De ce fait ils ont pu apparaître, notamment en Bavière mais aussi dans la Hesse comme un vote refuge pour un électorat de centre droit, pro européen et attaché à des valeurs humanistes. Ces transferts de voix confirment par ailleurs la crise historique que connaissant en Europe la social-démocratie et la démocratie chrétienne traditionnelle, vampirisée par une droite plus radicale. Des commentateurs malveillants reprochent aux Verts de bénéficier de ces transferts, et on peut se demander dès lors comment ces bons esprits pensant pouvoir gagner un jour des élections, sans prendre de voix à la concurrence. Les trois pays qui ont voté sont parmi les durant ce mois d’Octobre comptent parmi places fortes de l’écologie en Europe. Ils sont aussi au cœur de la vieille Europe, celle des membres fondateurs. Les sondages et les résultats électoraux récents mettent dans ce même groupe «à succès» les Pays Bas et la Finlande. Cette bonne forme se confirme en ce début d’année 2019. Les Gruenen se stabilisent à un niveau élevé dans les enquêtes d’opinion (entre 18 et 20 %) qui les installent comme deuxième parti politique en Allemagne. Le parti belge francophone Ecolo est donné en tête dans les sondages à Bruxelles, et en seconde position en Wallonie, alors qu’en Mai auront lieu des élections fédérales en même temps que les européennes. Les partis néerlandais (Groene Links) et finlandais (VIHR) bénéficient également de sondages flatteurs.
Une réalité continentale plus nuancée
Dans certains pays d’Europe occidentale à profil économique et culturel comparable, les partis verts ne sont pas au mieux. En cause souvent, les divisions qui ont miné ces partis comme en Autriche où le parti «officiel» a disparu du Parlement national. Au Danemark, deux formations se réclament de l’écologie et sont créditées chacune de 5 % des intentions de vote. En Suède, malgré une performance médiocre aux dernières élections, le parti écologiste réussit à se maintenir au gouvernement dans le cadre d’une coalition minoritaire avec les socio-démocrates, avec la double bienveillance des centristes et libéraux d’un côté, du parti de la gauche radicale de l’autre. Ils ont toutefois obtenu pour la prochaine mandature la taxation du carburant aérien, le développement des lignes à grande vitesse, et le droit au regroupement familial pour les réfugiés. Les partis écologistes n’ont pas réussi à s’implanter durablement en Europe du Sud. L’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Grèce ont des scènes politiques marquées par une forte polarisation entre gauche et droite «classiques «, avec une priorité donnée à la question sociale. Dans le cas de l’Italie, il est possible que l’abandon du nucléaire dès 1987, avec une mobilisation forte de la gauche contrairement à ce qui s’est passé en France, ait limité les possibilités de développement d’un parti écologiste. Le même constat peut être fait pour l’Europe centrale et orientale. Les petites formations écologistes n’ont pas su ou pu, dans les années 1990, capter l’héritage intellectuel de la «dissidence «, ce courant diffus qui associait l’engagement européen, l’ouverture en matière sociétale, un positionnement «social-libéral « en économie. Ils n ont pas su d avantage apparaître comme le débouché politique naturel des mouvements de contestation sur des questions spécifiquement environnementales depuis. Seule en Europe centrale, la Hongrie échappe à ce désert, avec un parti qui a connu néanmoins une scission et a sur des sujets d’importance un positionnement atypique par rapport à ses homologues européens. Curieusement, on voit émerger dans cette partie de l’Europe des «partis pirates « avec des intentions de vote flatteuses (Tchèquie). On en saurait manquer de signaler une singularité, l’Union lituanienne des agrariens et des verts de Lituanie, qui dirige tout de même le gouvernement. Mais comme son nom l’indique, cette formation doit au moins autant au vieux courant des partis paysans ou agrariens en Europe de l’Est, au fond centriste et conservateur qu’à l’écologie politique.
Les élections européennes de 2019, un test?
Les scrutins européens sont toujours spécifiques. Ils sont marqués par une forte abstention. La proportionnelle à un tour permet parfois à des formations politiques protestataires de réaliser des percées dans des pays où elles sont marginalisées du fait notamment du mode de scrutin en vigueur. Pour autant, on l’a vu, un beau résultat aux européennes ne garantit pas pour l’avenir des succès lors des échéances nationales. De nombreuses projections circulent en ce moment dans les cercles des spécialistes de l’Europe quant à la configuration du futur Parlement européen. Elles confirment hélas la percée attendue des mouvements populistes. Elles prédisent un recul sensible des deux partis jusqu’alors dominants, le Parti Populaire européen et le Parti Socialiste européen. Pour les raisons développées ici, elles ne prévoient pas de percée significative des Verts européens, les gains attendus dans certains pays étant «compensées» par des pertes dans d’autres et surtout des absences. Ne pas avoir d’élus en Italie, en Pologne et en Roumanie, qui comptent parmi les pays les plus peuplés, est un handicap fort. Par ailleurs, les alliés traditionnels des Verts au sein du Parlement européen, les régionalistes, vont souffrir du départ forcé des Écossais et des Gallois qui ne participeront pas à cette élection, Brexit oblige.
Et la France ?
Comme partout en Europe, l’opinion est inquiète et sensible aux thématiques environnementales : changement climatique avec la canicule et les inondations, pollutions maritimes, relations entre la santé et l’environnement, malbouffe, place de l’automobile, etc. Dans un contexte où la politique gouvernementale dans ce domaine peut paraître trop timorée par rapport aux enjeux, une bonne performance des écologistes en mai prochain est de l’ordre du possible. Les événements de ces derniers mois démontrent la nécessité de faire le lien entre la justice sociale et la transition écologique. Pour autant, cela ne se traduit pas dans les faits par une adhésion large de l’opinion à des politiques publiques qui iraient dans ce sens : les propositions concernant la fiscalité écologique par exemple doivent être complètement reformulées. Néanmoins, pour se construire ou se reconstruire dans la durée, les écologistes français, où qu’ils se trouvent, pourront utilement étudier les «success stories» de leurs voisins d’Allemagne et du Benelux. Être rassemblés pour s’adresser à l’ensemble de la société, être capables de construire les compromis et les coalitions nécessaires aux changements, apparaissent comme des conditions nécessaires. Identifiés à la nécessité de la transition écologique, ils doivent en même temps, avec d’autres courants politiques, porter haut la défense du projet européen et la sauvegarde de la démocratie, en ces temps si inquiétants à l’échelle internationale.