94. Multitudes 94. Printenps 2024
Mineure 94. L’eutopie extraterrestre

Imaginer et reconnaître l’« autrui totalement autre » : extraterrestres, intelligences artificielles, etc.

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L’un des aspects les plus célèbres des œuvres de science-fiction est la mise en scène de figures non humaines comme les extraterrestres et les intelligences artificielles, que les êtres humains sont amenés à reconnaître comme des personnes, et vis-à-vis desquels ils sont conduits à agir en conséquence, c’est-à-dire pas simplement comme vis-à-vis de choses dont on peut à son gré disposer, ainsi que l’indique la définition canonique d’Emmanuel Kant dans Les Fondements de la Métaphysique des Mœurs :

[…] leur nature les désigne déjà comme des fins en soi, c’est-à-dire comme quelque chose qui ne peut pas être employé simplement comme moyen, quelque chose qui par suite limite d’autant toute faculté d’agir comme bon nous semble (et qui est objet de respect)1.

Or si l’on y regarde d’un peu plus près, l’une des questions récurrentes soulevées par ces figures science-fictionnelles est celle de la capacité des humains à les reconnaître comme des subjectivités non humaines et à adopter une attitude morale adaptée à leur égard. Ce thème peut d’ailleurs être retourné et la science-fiction confronte parfois l’humanité à des formes d’intelligence qui ne reconnaissent pas sa propre dignité et son droit conséquent de librement exister, comme c’est le cas par exemple dans Le Canal Ophite de John Varley :

L’Invasion de la Terre fut secondaire. Elle fut entreprise au profit des trois espèces intelligentes de la planète : le cachalot, l’orque et le dauphin (Images des mammifères aquatiques.)

Bronson dit qu’il y a plusieurs niveaux d’intelligence dans l’Univers. Tout en haut il y a les Joviens et les Envahisseurs, ensuite viennent les dauphins et les baleines. Les humains, les oiseaux, les abeilles, les castors, les fourmis et les coraux ne sont pas considérés comme pourvus d’intelligence2.

Pourquoi alors cette expression embarrassée d’« autrui totalement autre » ? C’est qu’usuellement quand on parle d’« autrui », on parle implicitement d’« autre subjectivité humaine ». Or l’un des enjeux de notre démarche est de réfléchir à la capacité humaine de reconnaître des subjectivités qui seraient non humaines. Le terme « autrui » est censé insister sur la radicale altérité qui caractérise l’autre personne, mais en réalité derrière ce terme, il y a toujours le présupposé que cet « autrui » est un humain, et qu’avec cette humanité est associé un certain nombre de propriétés que l’on ne retrouve pas nécessairement dans un « autrui autre » ou même « totalement autre ».

I. L’extraterrestre

A. Des anges aux extraterrestres

La figure de l’extraterrestre, qui est l’une des figures emblématiques de la science-fiction, est plus largement une figure emblématique de la modernité, dans la mesure où elle n’a pu apparaître qu’à un certain stade du développement scientifique, lequel a justement fait entrer l’Occident dans cette modernité. Tant en effet que notre représentation du monde était fondée sur les principes cosmologiques aristotéliciens (une Terre située au centre de l’univers autour de laquelle tournent des astres constitués d’une matière, la « quinte essence », d’une nature totalement différente de celle du monde sublunaire), on ne pouvait envisager l’existence d’extraterrestres, qui supposent, en tous cas pour commencer, que l’on prenne conscience du fait que certains astres visibles sont d’une composition analogue à celle de la Terre.

Le ciel pré-copernicien n’est cependant pas vide de toute forme de vie. Les cosmologies médiévales procédant en effet à la synthèse du système aristotélico-ptolémaïque, de l’émanatisme plotinien et des enseignements sacrés, associent volontiers orbites célestes et intelligences angéliques. Roger Arnaldez rappelle ainsi dans « Le Coran plasmateur et la pensée musulmane » le fonctionnement du système d’Avicenne, inspiré lui-même d’Al-Fârâbî :

De [Dieu] naissent les différents Intellects, ou anges, avec les sphères célestes qu’ils gouvernent et avec leurs âmes qui sont les causes des mouvements de ces sphères. On arrive ainsi à l’Intellect de la sphère de la lune, qui est l’Ange Gabriel, ou l’Intellect Agent3.

Patrick Ringgenberg, dans L’Univers symbolique des arts islamiques, entre davantage dans les détails cosmologiques, et surtout propose une illustration fort éclairante que nous reproduisons :

En tout, il existe dix Intelligences hiérarchisées […]. Chacune des neufs Intelligences émanées de l’Intellect divin est symbolisée par neuf sphères célestes hiérarchisées, inspirées de la cosmologie grecque : les sept planètes astrologiques (Lune, Mercure, Vénus, Soleil, Mars, Jupiter, Saturne), formant sept sphères planétaires, puis le ciel des étoiles fixes (la huitième sphère) et le ciel sans étoiles (la neuvième sphère ou sphère des sphères). […] La dixième Intelligence correspond à l’Intellect agent, parfois appelé Esprit Saint par les soufis4 […].

Les systèmes diffèrent bien sûr dans le détail d’un auteur médiéval à l’autre5, mais reste qu’avec la mise à bas de la cosmologie aristotélicienne, les anges vont bientôt devoir laisser la place aux extraterrestres dans le ciel : ce n’est donc pas un hasard si c’est dans le Somnium6 de Kepler, l’un des principaux artisans de la victoire de l’héliocentrisme sur le géocentrisme, qu’apparaît pour la première fois une interrogation de type scientifique sur la nature des extraterrestres, en l’occurrence les habitants de la Lune. Le fait que l’être qui guide le voyageur d’un lieu à l’autre soit appelé « démon » montre d’ailleurs à quel point l’œuvre de l’astronome constitue elle-même un seuil entre deux mondes.

À la suite Kepler, les conjectures plus ou moins sérieuses, plus ou moins étayées scientifiquement, plus ou moins ludiques (ces caractéristiques n’étant pas nécessairement exclusives) se multiplieront, mais resteront jusqu’à plus ample informé, tout aussi spéculatives que celles de l’angélologie qui les a précédées.

B. Pourquoi s’intéresser à l’extraterrestre ?

Dans ces conditions, pourquoi et comment s’intéresser académiquement à la figure de l’extraterrestre ? La première attitude est celle du scientifique de la nature, qui poursuit essentiellement un projet d’extension des connaissances humaines : si la vie peut apparaître ailleurs que sur Terre, il est en soi intéressant d’en imaginer les formes possibles pour se mettre en mesure de les identifier si on les rencontre. Cette attitude peut elle-même se scinder en deux variantes : soit une approche empirique telle qu’elle est par exemple illustrée par Jean Heidmann dans son livre Intelligences extra-terrestres, laquelle se fonde, pour des raisons pragmatiques, sur la vie telle qu’on la connaît sur Terre, et essaie de trouver des traces comparables ailleurs :

Bien souvent, lors de mes conférences, on me reproche que le programme sur cibles soit beaucoup trop anthropomorphique, bien trop calqué, par une vue restreinte de l’intelligence dans le cosmos, sur le modeste cas humain. En fait, nous sommes partis de là pour justifier scientifiquement un programme, mais nous sommes très conscients que des intelligences ou des technologies avancées pourraient fort bien ne pas exiger une planète de type terrestre pour émerger, ni même la chimie du carbone. Mais dès que l’on s’avance sur ce terrain, on bute sur une absence rédhibitoire de connaissances de notre part pour pouvoir aller assez loin dans la justification d’un programme onéreux. Disons-le franchement, on tombe rapidement dans la spéculation gratuite ou la science-fiction. Jamais elles n’ont ouvert largement les vannes financières7.

Toujours à l’intérieur du paradigme scientifique, il est possible d’identifier une seconde approche, plus théorique, comme celle mise en œuvre par exemple par Kepa Ruiz-Mirazo, Juli Peretó et Alvaro Moreno dans « Une définition universelle de la vie : autonomie et évolution sans fin déterminée »8 où les auteurs s’efforcent de trouver une définition universelle de la vie qui puisse servir de critère pour l’identification de formes de vie extraterrestres :

Astrobiologie. La définition suggérée dans cet article (particulièrement sa version étendue) fournit le cadre conceptuel nécessaire au développement de biomarqueurs, ainsi que de critères permettant de distinguer le vivant d’organisations matérielles inertes. (i) A un niveau individuel, un système vivant doit présenter une membrane active semi-perméable, un ensemble de flux énergétiques et, au moins, deux types de composants macromoléculaires indépendants (analogues aux protéines et aux acides nucléiques) ; de cette façon, un virus ne serait pas vivant, mais un organisme stérile le serait. (ii) Au niveau global, la vie existerait seulement comme un phénomène collectif-historique de longue durée sur une planète, laquelle aurait était rendue habitable à long terme comme conséquence du déploiement spatial de la vie et de ses mécanismes homéorhétiques (Sagan & Margulis 1984, Lovelock 1988). Par suite, il devrait exister des signes extérieurs (comme une composition fortement déséquilibrée de l’atmosphère) susceptibles de nous indiquer s’il y a de la vie ou pas sur la planète (Hitchcock et Lovelock 1967)9.

A l’opposé de ces approches scientifiques, on peut identifier une deuxième attitude, qui est celle de l’entertainer, à la façon de Tim Burton par exemple dans le film Mars Attacks ! (1996), qui se préoccupe avant tout de distraire le public en jouant sur les schémas culturels préexistants relatifs à l’extraterrestre.

Enfin, une troisième attitude, intermédiaire, et qui est celle d’un certain nombre d’œuvres de science-fiction, consiste à partir de la figure de l’extraterrestre pour conduire une réflexion morale fondamentale. Cette attitude peut à son tour être scindée en deux : 1. soit l’on s’intéresse à la figure de l’extraterrestre en tant qu’elle est signe d’autre chose qu’elle-même, et ne constitue en réalité que la transposition d’un référent aisément identifiable dans le monde réel, comme c’est par exemple essentiellement le cas pour le film District 9 de Neill Blomkamp (2009) ; 2. soit l’on prend au sérieux la possibilité de se retrouver confronté à de vrais extraterrestres, et on estime qu’il pourrait être utile d’avoir anticipé les différents déroulements possibles de la rencontre, du first contact10, dans l’espoir, même désespéré, d’éviter les erreurs les plus grossières. C’est la position que nous adoptons ici, conformément à notre méthodologie générale d’utilisation philosophique de la fiction qui consiste fondamentalement à prendre ce qu’elle nous raconte « au premier degré ». 3. Mais nous formulerons dès à présent une troisième position plus forte encore, minimalement douée du charme de la radicalité, et possiblement d’une dimension auto-réalisatrice, voire performative : il serait en fait dès maintenant de notre devoir d’imaginer de la façon la plus vraisemblable et la plus méticuleuse possible des formes de vie extraterrestres et des circonstances de rencontre, de façon à ce que le jour où cela arrivera, nous n’exterminions pas une forme de vie extraterrestre par simple ignorance. « Je ne savais pas » ne peut plus être une excuse, dès lors que l’on prend conscience que cela ne peut plus l’être.

C. Objections

Cette première étape d’analyse soulève cependant plusieurs objections. Première objection : nous avons présenté la figure de l’extraterrestre comme une nouveauté de la modernité. Or cette figure n’est pas si nouvelle que cela puisque les mythologies ont toujours été peuplées de toutes sortes d’êtres inspirés, comme les extraterrestres, de formes de vie terrestres et de diverses hybridations de leurs traits, outre les anges que nous avons déjà évoqués. Pour consolider notre thèse initiale, il faudrait donc préciser ce que la figure moderne de l’extraterrestre a de spécifique par rapport aux figures mythologiques comparables, par exemple en termes de scientificité.

Deuxième objection plus importante : l’ensemble de la discussion telle que nous l’avons menée jusqu’ici pèche à notre sens par son manque de clarté sur le rapport aux formes de vie non humaines. Mais en fait ce n’est pas seulement nous qui péchons, c’est l’ensemble de la thématique fictionnelle de l’extraterrestre. La plupart des exobiologistes se concentrent dans leurs recherches sur le phénomène de la vie dans ce qu’il a plus élémentaire (c’est même aux précurseurs de la vie que sont les acides aminés qu’ils s’intéressent souvent plutôt qu’à trouver des organismes en état de fonctionnement). En revanche, dès qu’on entre dans le champ de la fiction, c’est-à-dire de la morale11, les extraterrestres qui nous intéressent, et même ce qui est implicitement désigné par les substantifs « extraterrestre » ou « alien », ce ne sont pas des bactéries ou d’inoffensifs végétaux, ce sont des êtres avec lesquels on peut établir un rapport.

II. L’extraterrestre et la morale

A. Rapport cognitif/projectif et rapport moral

Où voulons-nous en venir avec cette expression on ne peut plus vague d’« êtres avec lesquels on peut établir un rapport » ? Nous distinguerons deux modes compossibles de rapports qu’on aime à interroger à travers la figure fictionnelle de l’extraterrestre : un mode cognitif, voire projectif, et un mode moral. Le mode cognitif (c’est en particulier la nécessité d’intégrer le film Alien de Ridley Scott (1979) dans notre typologie qui nous a conduite à caractériser ce mode) consiste à attribuer à l’être que l’on a face à soi (dans un sens qui peut ne pas être physique, cf. Ghost in the Shell12 ou Evangelion13) des représentations de type mental causales que l’on s’efforce de comprendre de façon à pouvoir anticiper leur enchaînement, d’où l’idée de projection que nous lui associons. Le modèle est celui de l’animal, auquel on reconnaît éventuellement une forme d’intelligence mais avec lequel il n’est pas possible d’établir un rapport moral au sens propre, c’est-à-dire fondé sur la réciprocité de la reconnaissance.

Le mode moral, qui est celui qui nous intéresse le plus, et sur lequel nous nous concentrerons désormais, consiste en revanche à reconnaître à l’être que l’on a en face de soi des droits (essentiellement ceux d’exister et de disposer librement de soi). Le modèle est celui du rapport à l’autre être humain, c’est-à-dire du rapport à autrui, à l’alter ego, mais à un alter ego dont l’altérité se trouverait démultipliée par le fait qu’elle est supposée trouver place au sein d’une biologie différente. Nous avons alors notre « autrui autre », mais pas encore notre « autrui totalement autre ».

B. La difficulté probable de la reconnaissance de l’« autrui autre »

Tant l’histoire de l’humanité que l’expérience la plus quotidienne montrent à quel point la reconnaissance d’autrui comme alter ego doué de droits inaliénables est pour nombre d’êtres humains une représentation difficile à effectivement « implémenter » dans leur représentation globale du monde, alors même que la biologie et l’apparence physique sont en ce cas quasi-identiques. S’il faut certainement distinguer la reconnaissance théorique d’autrui des conséquences pratiques qui sont censées en découler, nous nous faisons sans doute ici la porte-parole d’une vision bien sombre de notre espèce, d’autant il s’agit à notre sens de pointer la difficulté qu’elle a à transcender non seulement les différences de culture, de race, de sexe, etc., mais aussi celles qui concernent les relations avec les personnes les plus proches de nous.

Après ce constat pessimiste sur la capacité des êtres humains à reconnaître et respecter ce qu’on pourrait appeler les « autrui identiques », ou peut-être les « autres bio-identiques », que peut-on vraiment espérer d’eux, en termes de reconnaissance morale d’autres qui n’ont pas seulement une autre couleur de peau, une morphologie ou une façon de parler différente (cf. l’origine du mot « barbare » telle que rappelée par exemple par Claude Lévi-Strauss dans Race et Histoire14) mais qui auront peut-être une physiologie, une échelle, ou un mode de communication totalement différents ?

Il est clair que si l’on s’appuie seulement sur l’expérience réelle de l’humanité, il y a beaucoup à craindre. Cela fait alors une seconde bonne raison d’écrire et de lire de la science-fiction extraterrestre, outre son caractère distrayant : il faut en effet, comme le souligne Hans Jonas dans Le Principe Responsabilité au sujet des anthropotechnologies, avant qu’il ne soit trop tard, substituer à l’absence d’expérience réelle, l’expérience par procuration offerte par la fiction :

L’aspect sérieux de la « science-fiction » réside justement dans l’effectuation de telles expériences de pensée bien documentées, dont les résultats plastiques peuvent comporter la fonction heuristique visée ici (voir par exemple le Brave New World de A.Huxley)15.

Ainsi, à la façon en quelque sorte du phénomène analysé par Tifenn Brisset pour les vampires16, nous pouvons essayer de familiariser les humains avec l’éventualité d’« autruis » biologiquement autres. Mais cette expérience imaginaire doit être plurielle et contradictoire, car il se peut aussi très bien que les extraterrestres que nous rencontrerons se révèlent hostiles, comme H. G. Wells l’imagine dans la Guerre des Mondes déjà évoquée.

III. Extraterrestres humanoïdes

A. Distinction morale objet/personne

Mais comment savoir si la chose que j’ai en face de moi est une personne ? Nous allons à présent expliciter un présupposé de notre exposé que nous avons jusque là pu ignorer, mais qu’il est nécessaire pour la suite de clarifier : nous partons de la partition du monde, léguée par la tradition morale et juridique occidentale, entre les êtres qui sont à proprement parler des choses, et ceux qui sont des personnes. Pour clarifier notre discours, et éviter les ambiguïtés, nous dirons désormais que les « êtres » sont distingués en « choses »/« objets » et en « personnes »/« sujets », le terme « être » étant donc choisi comme terme générique. En outre, notre notion de « personne » sera en large partie inspirée de sa conceptualisation kantienne, selon la définition rappelée plus haut, et avec quelques nuances sur lesquelles nous reviendrons.

B. L’anthropomorphisme des space opera

Nous pouvons alors revenir à notre question : comment savons-nous, dès lors qu’on admet qu’il peut y avoir des personnes non humaines que l’être que nous avons en face de nous en est une ?

Une solution récurrente des séries de space opera, comme Star Trek17, dont la mission quinquennale est rappelons-le de « chercher de nouvelles formes de vie et de nouvelles civilisations »18, Babylon 519 ou encore Farscape20, consiste à présenter le plus souvent des extraterrestres humanoïdes : ils ont non seulement une taille de même échelle que les êtres humains, mais une apparence extérieure et une grande partie de leur physiologie intérieure identiques, au point qu’ils peuvent régulièrement se reproduire entre eux (par exemple les humains et les Klingons dans Star Trek), et parlent le plus souvent parfaitement anglais.

C. La justification linguistique

Les séries Star Trek s’étant prolongées sur plusieurs décennies, leurs auteurs ont eu la possibilité d’apporter a posteriori un certain nombre de justifications aux éléments de scénarios les plus apparemment invraisemblables. C’est ainsi que les personnages de l’univers Star Trek disposent d’un impressionnant « traducteur universel » qui fonctionne dès les premiers mots entendus d’une langue, et dont le principe avait justement été énoncé par Murray Leinster dans la novelette « First Contact » déjà mentionnée. C’est semble-t-il dans un épisode de 1967 de la deuxième saison de la série originale intitulé « Metamorphosis » que le spectateur obtient pour la première fois quelques informations sur ce si formidable instrument :

Il y a certains concepts et idées universels qui sont communs à toute vie intelligente. Cet instrument compare instantanément la fréquence des motifs produits par les ondes cérébrales, sélectionne les concepts et les idées qu’il reconnaît, puis fournit la grammaire nécessaire. Il traduit ensuite ce qu’il a trouvé en anglais21.

En outre, pour accréditer son efficacité, existent quelques épisodes où l’on voit justement le traducteur universel pris en défaut : ainsi, dans l’épisode 10 de la saison 2 de Star Trek Deep Space Nine intitulé « Sanctuary » (1993), des « Skrreeans », membres d’une race extraterrestre jusque là inconnue, sont télétransportés sur la station et pendant quelques minutes n’arrivent pas à se faire comprendre, même si le traducteur universel finit par rapidement décoder leur langage. Autre exemple : toujours dans Deep Space Nine, mais cette fois dans l’épisode 8 de la saison 4 intitulé « Little Green Men » (1995), Quark, Rom et Nog, trois personnages récurrents de la série de la race des Ferengis, se voient accidentellement projetés sur la Terre de 1947, et du fait d’un dysfonctionnement de leurs traducteurs, se retrouvent momentanément dans l’incapacité de se faire comprendre. Dans Enterprise enfin, la dernière série produite, mais qui est en fait un préquel, il est beaucoup insisté sur le fait que les traducteurs universels disponibles sont encore trop primitifs pour traduire instantanément et de façon satisfaisante des langues inconnues, et Hoshi Sato est justement recrutée comme officier des communications sur la base de son don exceptionnel pour les langues – et elle participe d’ailleurs de façon décisive à l’amélioration du traducteur.

Dans Farscape, qui est une série plus tardive (1999-2003), le novum22 utilisé est très clairement indiqué dès le premier épisode, il s’agit de « microbes traducteurs » à effet immédiat injectés dans le système sanguin de John Crichton, le héros :

« Comment ? … Où ? … Un de ces trucs que vous m’avez injecté juste ici.
– Des microbes traducteurs !
– Des microbes ?
– Ils forment des colonies à la base du cerveau et permettent de nous comprendre les uns les autres. Pourquoi on ne t’en a pas injecté à la naissance, je n’en ai pas la moindre idée »23.

D. Justification de l’anthropomorphisme

Pour ce qui est de l’anthropomorphisme et de la compatibilité sexuelle générale des humanoïdes de Star Trek, l’épisode 20 de la saison 6 de Star Trek : The Next Generation intitulé « The Chase » apporte une justification panspermique comparable à celle de 2001, L’Odyssée de l’espace24, à savoir que toutes les races humanoïdes du «  Quadrant Alpha » seraient issues d’une même souche délibérément répandue par une race extraterrestre-mère :

« La vie a évolué sur ma planète bien avant toutes les autres dans cette partie de la galaxie. Nous avons quitté notre monde, exploré les étoiles et n’avons rien rencontré qui nous ressemblait. Notre civilisation a prospéré pendant des siècles, mais qu’est-ce que la vie d’une seule race comparée aux vastes étendues de temps cosmique ? Nous savions qu’un jour nous disparaîtrions, que rien de nous ne survivrait. Alors, nous vous avons laissés. Nos scientifiques ont ensemencé les océans primordiaux de nombreux mondes où la vie en était à ses balbutiements. Les codes séminaux ont dirigé votre évolution vers une forme physique semblable à la nôtre. Ce corps que vous voyez devant vous est bien sûr formé de la même manière que le vôtre, car vous en êtes le résultat final. Les codes séminaux contiennent également ce message, que nous avons dispersé sur toute une variété de mondes. C’était notre espoir que vous auriez à vous unir dans l’amitié et la camaraderie pour entendre ce message »25.

Par ailleurs, même si pour notre part, nous ne sommes guère convaincue et pensons que cela relève surtout d’un manque d’imagination, un certain nombre de personnes, comme par exemple Nicolas Baumard26, s’appuient sur les phénomènes d’évolution convergente observés sur Terre27 pour défendre l’idée, nuancée de différentes façons, qu’il y a de bonnes chances qu’une race extraterrestre avec laquelle nous serions capables de nous « entre-reconnaître » et de communiquer soit assez proche de nous physiologiquement.

Bref, même si scientifiquement ou intradiégétiquement, à partir d’éléments internes de l’histoire, on trouve le moyen de justifier plus ou moins artificiellement certains aspects « désaltérisants » des extraterrestres fictionnels, nous identifions surtout là certaines limites propres à l’œuvre audiovisuelle de science-fiction, contrainte pour des raisons évidentes de practicité, à mettre en scène des personnages qui sont dans l’ensemble humanoïdes, sans quoi se poseraient systématiquement les mêmes insolubles problèmes d’identification et de communication élémentaires. Mais plus encore, James Cameron reconnaît que même si c’est certainement absurde sur le plan évolutif, il fallait que Neytiri, l’héroïne na’vi d’Avatar (2009) soit dotée d’une poitrine et de diverses autres caractéristiques permettant de l’identifier immédiatement comme féminine, de façon à ne pas troubler le processus de projection des spectateurs, et donc le succès du film. Dans une interview accordé à Playboy en 2009, il indique ainsi : « dès le début j’ai dit “elle doit avoir des seins”, même si ça n’a pas de sens du fait de son espèce, les Na’vi ne sont pas des mammifères placentaires »28 ; et plus tard lors de sa participation à Inside the Actors Studio29, il développe plus précisément ses raisons.

IV. Les extraterrestres non humanoïdes et le problème de ce qu’il y a à reconnaître

On prend alors certainement beaucoup de plaisir dans La Guerre des Etoiles à retrouver Luke Skywalker et Han Solo dans la « Cantina de Mos Eisley » et sa faune humanoïde haute en couleur30. Mais si nous supposons qu’il peut y avoir des extraterrestres non humanoïdes avec lesquels nous serions susceptibles d’entretenir un rapport moral, se pose le problème de la reconnaissance purement théorique de ces extraterrestres comme personnes, avant même que leur reconnaissance pratique soit un enjeu. Nous nous retrouvons en effet à ce stade avec un important problème du vocabulaire : que désigne-t-on exactement quand on parle d’« autrui » ? Quelle est la propriété que l’on doit reconnaître pour dire d’une chose non humanoïde qu’elle est un autrui ? Outre le mot « personne » que nous avons déjà utilisé, on pensera sans doute à « conscience », « intelligence », ou « subjectivité », auquel nous ajouterons le moins usité « sentience »31, souvent convoqué en science-fiction, dans l’univers Star Trek et ailleurs.

Il nous semble alors que l’usage est de considérer que ces mots dans le contexte qui est le nôtre sont en partie interchangeables : autrement dit, être doué de conscience ou être doué de subjectivité, c’est plus ou moins deux façons de désigner le même phénomène, il n’y a pas de conscience sans intelligence et inversement, ou bien une personne c’est tout aussi bien un être conscient, qu’un être intelligent ou doué de subjectivité. Le statut de la sentience nous paraît moins clair : alors que la compréhension philosophique du terme fait bien référence à la sensibilité, la sentience étant alors comprise comme aptitude à sentir et plus particulièrement à souffrir, l’usage du terme dans les œuvres de science-fiction apparaît plus large et semble plutôt se référer à sense dans le sens de raison32.

Cette hésitation n’est certainement pas due au hasard puisqu’elle recoupe en réalité l’une des oppositions fondamentales de la philosophie morale : si nous empruntons en effet à Kant sa notion de personne, nous sommes en revanche plus réservée sur la consubstantialité qui existe selon lui entre « personne » et « raison pratique ». En effet, pour le philosophe, j’accède à l’état de personne, quand grâce à l’existence en moi d’une raison pratique, je suis en mesure de conjointement me proposer des fins propres et de reconnaître cette faculté chez autrui et donc son statut de personne. On voit cette idée clairement exposée si l’on étend quelque peu notre citation initiale des Fondements de la Métaphysique des Mœurs :

Les êtres raisonnables sont appelés des personnes, parce que leur nature les désigne déjà comme des fins en soi, c’est-à-dire comme quelque chose qui ne peut pas être employé simplement comme moyen, quelque chose qui par suite limite d’autant toute faculté d’agir comme bon nous semble (et qui est objet de respect). Ce ne sont donc pas là des fins simplement subjectives, dont l’existence, comme effet de notre action, a une valeur pour nous : ce sont des fins objectives, c’est-à-dire des choses dont l’existence est une fin en soi-même […].

Si donc il doit y avoir un principe pratique suprême, et au regard de la volonté humaine un impératif catégorique, il faut qu’il soit tel que, par la représentation de ce qui, étant une fin en soi, est nécessairement une fin pour tout homme, il constitue un principe objectif de la volonté, que par conséquent il puisse servir de loi pratique universelle. Voici le fondement de ce principe : la nature raisonnable existe comme fin en soi33.

Mais n’est-il pas possible de parvenir à une construction morale équivalente, voire plus satisfaisante, en remplaçant la raison pratique par la sensibilité ou la sentience, et en se rapprochant ce faisant d’une inspiration plus rousseauiste, qui est paradoxalement aussi celle de Kant, mais du « sensibilisme » duquel il se distancie justement :

Il semble en effet que si je suis obligé de ne faire aucun mal à mon semblable, c’est moins parce qu’il est un être raisonnable qu’un être sensible, qualité qui étant commune à la bête et à l’homme, doit au moins donner à l’une le droit de ne pas être maltraitée inutilement par l’autre34.

Cependant, nous ne voulons ni ne saurions entrer ici dans une discussion détaillée de la morale kantienne. Notre objectif est seulement de défendre l’idée que la notion-clé est celle de « personne » (et de « personnité » plutôt que d’« humanité », que nous réserverions plus volontiers à l’appartenance d’espèce) et qu’à notre sens la question reste ouverte de savoir si cette personne se définit par sa raison théorique (hypothèse qui a longtemps dominé la pensée occidentale), sa raison pratique, sa sentience, sa conscience réflexive ou morale, sa subjectivité, etc. En outre, si l’une de ces caractéristiques est présente, les autres le sont-elles nécessairement, ou bien peut-on imaginer que ces traits puissent exister séparément ?

Conclusion

Nous nous sommes essentiellement concentrée dans notre parcours sur la figure de l’extraterrestre, mais il est évident que certaines problématiques fondamentales évoquées, en particulier morales, sont transposables à l’autre figure-clé de l’« autrui autre » que constitue l’intelligence artificielle ou son incarnation spécifique en robot, comme nous l’avons implicitement suggéré lorsque nous avons mentionné le film Ghost in the shell par exemple. Il semble en effet qu’il y ait essentiellement deux directions selon lesquelles pourraient exister des personnes non-humaines : soit des personnes non-humaines naturelles (extraterrestres, mais aussi possiblement terrestres, même si nous ne pensons pas en avoir déjà rencontrées, contrairement peut-être aux Envahisseurs initialement évoqués), soit des personnes non-humaines artificielles, dont les humains seraient eux-mêmes les créateurs. On pourrait encore définir une troisième catégorie intermédiaire, pour les personnes artificielles dont des non-humains seraient les créateurs. On peut enfin adjoindre une quatrième catégorie, formée par les différents types de personnes non-humaines surnaturelles, qui à l’image des vampires précédemment mentionnés, posent par eux-mêmes d’intéressants problèmes à la théorie de la personne telle que nous l’avons entendue, mais que nous n’avons pas eu le loisir de développer.

Mais que recouvre justement cette notion de personne ? Certaines hypothèses envisagées plus haut apparaissent comme des solutions peu probables : c’est le cas par exemple de la sentience entendue comme faculté de ressentir, dans la mesure où elle exclurait probablement les intelligences artificielles telles qu’elles sont le plus souvent représentées, c’est-à-dire comme pensantes, mais non sentantes. Une personne est-elle alors une intelligence ? une conscience ? autre chose encore ? Nous pouvons au moins rappeler ici la solution formulée dans notre thèse et qui consiste à définir la personne justement comme « un être capable de reconnaître les personnes35 ». C’est qu’il ne s’agit pas en effet pour nous de prétendre ici résoudre cette question fondamentale, mais plutôt de suggérer la nécessité de procéder à une sorte de variation eidétique sur elle afin d’y parvenir, et l’utilité de la fiction pour ce faire.

À ce titre, et sur un mode plus intime, je voudrais justement témoigner pour finir de mon expérience personnelle dans le domaine, et plus précisément concernant la façon dont la fiction peut nous aider à étendre notre expérience, et donc notre conception, des subjectivités possibles : c’est ainsi que lors d’une lecture intensive du « Cycle de Dune », et en particulier des Hérétiques de Dune36 et de La Maison des Mères37 de Frank Herbert, j’ai pu avoir le sentiment tout subjectif, à travers en particulier la focalisation sur le personnage de Darwi Odrade, de toucher du doigt, ou plutôt de l’esprit, l’expérience de la Mémoire Seconde qui joue un rôle si important pour le Bene Gesserit. D’une façon comparable, la lecture de Chroniques du Pays des Mères38 et du cycle de Tyranaël, en particulier Mon frère l’ombre39 et La Mer allée avec le soleil40 d’Elisabeth Vonarburg, m’a donné l’impression de m’approcher de ce que pourrait être une expérience de l’empathie ou de la télépathie. Enfin, il m’est arrivé de participer à un jeu de rôle où je devais incarner une boule en suspension dans l’air, et j’ai vraiment fini par avoir la sensation de vivre cette expérience, avec un niveau de réalisme comparable à celui des expériences de vol que l’on peut par exemple faire en rêve.

Ces quelques expériences fictionnelles rencontrées au hasard de la vie et d’autres me donnent à penser que le pouvoir de la fiction est bien plus grand que celui qu’on lui accorde usuellement, et qu’il reste encore beaucoup d’expériences subjectives à faire fictionnellement partager, et ce d’autant que l’on peut imaginer de les enrichir par le recours à divers psychotropes et autres technologies de l’esprit. En ce sens, nous souscrivons pleinement aux idées formulées par Paul Di Filippo dans son texte « Nez de chien et esprit d’arbre : le futur de l’art »41 et en particulier à sa conclusion :

Finalement, nous pourrions échapper à la weltanschauung propre à notre espèce et savoir ce que cela signifie d’être un autre type d’esprit – peut-être le but sous-jacent de toute exploration artistique. Habiter les intellects de nos animaux de compagnie ou bien d’animaux sauvages – et d’arbres même, si l’on admet qu’on puisse répliquer une forme de conscience à partir du déchiffrage complet de leurs rouages – serait véritablement libérateur.

Et faire l’expérience d’esprits « extraterrestres » conduirait sans doute à la découverte de nouvelles émotions. […] Que ressent un séquoia lorsqu’il atteint le cinquième siècle de son existence ? Un jour nous pourrions être capables de répondre, si ce n’est avec des mots, du moins en tendant à un ami un module enfichable provenant de notre bibliothèque.

C’est un jour qu’en tant que consommateur inconditionnel et invétéré d’art, j’espère vivre assez longtemps pour voir42.

1 E. Kant, Grundlegung zur Metaphysik der Sitten (1785), trad. française de V. Delbos : Fondements de la Métaphysique des Mœurs, Paris, Delagrave, 1967, p. 149.

2 J. Varley, The Ophiuchi hotline (1977), trad. française de R. Lobry : Le Canal ophite (1978), Paris, J’ai Lu, 1983, p. 65.

3 R. Arnaldez, « Le Coran plasmateur et la pensée musulmane », in A. Caquot et P. Canivet, Ritualisme et vie intérieure – Religion et culture, Paris, Beauchesne, 1989, p. 189.

4 P. Ringgenberg, L’Univers symbolique des arts islamiques, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 63. L’illustration que nous reproduisons se trouve à la même page.

5 A ce sujet, on peut se reporter à la précieuse étude de Tiziana Nani-Suarez, Les anges et la philosophie – Subjectivité et fonction cosmologique des substances séparées à la fin du XIIIème siècle, Paris, Vrin « Études de philosophie médiévale », 2002, et en particulier à la Deuxième Partie, « Les anges et les cieux ou la fonction cosmologiques des substances séparées ».

6 J. Kepler, Somnium, seu Opus Posthumum de Astronomia Lunari, Zagan & Frankfurt, L. Kepler, 1634.

7 J. Heidmann, Intelligences extra-terrestres (1992), Paris, Odile Jacob, 1996, p. 176.

8 K. Ruiz-Mirazo, J. Pereto, A. Moreno, « A Universal Definition of Life: Autonomy and Open-Ended Evolution », in Origins of Life and Evolution of Biospheres, vol. 34, n° 3, 2004, notre traduction.

9 « Astrobiology. The definition suggested in this paper (particularly the extended version) provides the necessary conceptual framework to develop biomarkers, as well as criteria to tell the living from the inert material organizations. (i) At an individual level, a living system must have a semi-permeable active boundary, a set of energy currencies and, at least, two types of interdependent macromolecular components (analogous to proteins and nucleic acids); therefore, a virus would not be living, but a sterile organism would. (ii) At the global level, life would only exist as a long-term collective-historical phenomenon on a planet, which would be made long-term habitable as a consequence of the spatial unfolding of life and the operation of its homeorhetic mechanisms (Sagan and Margulis 1984, Lovelock 1988). Accordingly, there should be external signs (like the strongly non-equilibrium composition of the atmosphere) that would tell us if there is life or not on the planet (Hitchcock and Lovelock 1967) », ibid., notre traduction.

10 C’est l’expression retenue aujourd’hui pour désigner les scénarios de « premier contact » entre l’humanité et une espèce extraterrestre. Même si le thème apparaît déjà par exemple dans la célèbre Guerre des Mondes de H. G. Wells (The War of the Worlds, London, Pearson’s Magazine, avril-décembre 1897), le terme provient lui-même de la novelette de Murray Leinster justement intitulée « First Contact » (in Astounding, New York, Street and Smith, Mai 1945).

11 Cf. ce que dit Paul Ricœur dans Soi-même comme un autre : « il n’est pas de récit éthiquement neutre. La littérature est un vaste laboratoire où sont essayés des estimations, des évaluations, des jugements d’approbation et de condamnation par quoi la narrativité sert de propédeutique à l’éthique », in P. Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 139. On y trouve encore : « dans l’enceinte irréelle de la fiction, nous ne laissons pas d’explorer de nouvelles manières d’évaluer actions et personnages. Les expériences de pensée que nous conduisons dans le grand laboratoire de l’imaginaire sont aussi des explorations menées dans le royaume du bien et du mal. Transvaluer, voire dévaluer, c’est encore évaluer. Le jugement moral n’est pas aboli, il est plutôt lui-même soumis aux variations imaginatives propres à la fiction », ibid., p. 194.

12 M. Oshii, Ghost in the shell (film), Japon, 1995.

13 H. Anno, Neon Genesis Evangelion (série), Japon, 1995-1996.

14 « Il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l’inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain ; et sauvage, qui veut dire “de la forêt”, évoque aussi un genre de vie animale, par opposition à la culture humaine. Dans les deux cas, on refuse d’admettre le fait même de la diversité culturelle ; on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit », in C. Lévi-Strauss, Race et Histoire, Paris, Gonthier, 1967, p. 20.

15 H. Jonas, Das Prinzip Verantwortung. Versuch einer Ethik für die technische Zivilisation (1979), trad. française de J. Greisch : Le Principe responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique (1990), Paris, Champs- Flammarion, 1998, p. 71.

16 T. Brisset, « Les adaptations cinématographiques de Dracula : variations autour d’une figure de l’altérité », in Colloque Réflexions autour de l’altérité : les figures de l’extraterrestre, 27-28 octobre 2011, Campus universitaire, Salle des Colloques du BSHM, Grenoble.

17 G. Roddenberry, Star Trek (franchise), Etats-Unis, 1966-2005.

18 La phrase complète énoncée par William Shatner (qui joue James T. Kirk) au début de chaque générique de Star Trek : The Original Series (1966-1969) est la suivante : « Space: the final frontier. These are the voyages of the starship Enterprise. Its five year mission: to explore strange new worlds, to seek out new life and new civilisations, to boldly go where no man has gone before ».

19 J. M. Straczynski, Babylon 5 (série), Etats-Unis, 1993-1998.

20 B. Henson et R. S. O’Bannon, Farscape (série), Australie, 1999-2003.

21 « There are certain universal ideas and concepts common to all intelligent life. This device instantaneously compares the frequency of brain-wave patterns, selects those ideas and concepts it recognizes, and then provides the necessary grammar. Then it translates its findings into English », in « Metamorphosis », Star Trek : The Original Series, saison 2 épisode 9, 1967, notre traduction.

22 « A novum or cognitive innovation is a totalizing phenomenon or relationship deviating from the author’s and implied reader’s norm of reality. […] its novelty is “totalizing” in the sense that it entails a change of the whole universe of the tale, or at least of crucially important aspects thereof […]. Quantitatively, the postulated innovation can be of quite different degrees of magnitude, running from the minimum of one discrete new “invention” (gadget, technique, phenomenon, relationship) to the maximum of a setting (spatiotemporal locus), agent (main characters), and/or relations basically new and unknown in the author’s environment », in D. Suvin, Metamorphoses of Science Fiction : On the Poetics and History of a Literary Genre, New Haven and London , Yale University Press, 1979, p. 64.

23 « How? … Where? … One of those things of your injected me right here./- Translator microbes!/- Microbes?/- They colonise at the base of the brain, allow us to understand each other. Why you weren’t injected at birth I cannot fathom », in Farscape, saison 1, épisode 1, 1999, notre traduction.

24 A. C. Clarke et S. Kubrick, 2001: A Space Odyssey, Etats-Unis, 1968.

25 « Life evolved on my planet before all others in this part of the galaxy. We left our world, explored the stars and found none like ourselves. Our civilization thrived for ages, but what is the life of one race compared to the vast stretches of cosmic time? We knew that one day we would be gone, that nothing of us would survive. So, we left you. Our scientists seeded the primordial oceans of many worlds where life was in its infancy. The seed codes directed your evolution toward a physical form resembling ours. This body you see before you which is, of course, shaped as yours is shaped, for you are the end result. The seed codes also contain this message, which we scattered on many different worlds. It was our hope that you would have to come together in fellowship and companionship to hear this message », in Star Trek : The Next Generation, saison 6, épisode 20 « The Chase », 1993, notre traduction.

26 N. Baumard, « Quelles contraintes pour les cultures extra-terrestres ? », in Journée « La vie comme phénomène universel : exobiologie, science-fiction, philosophie de la biologie », Séminaire SFPhi (Sciences, Fictions, Philosophie), Ecole Normale Supérieure, 46 rue d’Ulm, 75005 Paris, lundi 13 décembre 2004, http://lumiere.ens.fr/~sfphi/sfp-s/exobiologie_baumard.pdf .

27 « Lorsque des espèces interagissent avec l’environnement de la même façon, elles sont souvent exposées aux mêmes pressions sélectives ; elles ont donc souvent développé les mêmes adaptations. Considérons, par exemple, des prédateurs marins qui se déplacent rapidement (figure 21.19). Le déplacement de l’eau requiert une forme hydrodynamique pour minimiser la friction. Ce n’est pas par hasard que les dauphins, les requins et les thons, qui font partie des espèces marines les plus rapides, ont tous acquis la même forme de base. Nous pouvons aussi en déduire que les ichtyosaures, les reptiles marins qui vivaient pendant l’ère des dinosaures, avaient un mode de vie similaire », in P. H. Raven, G. B. Johnson, K. A. Mason, J. B. Losos, S. S. Singer, Biology (2010), trad. française de J. Bouharmont, P. L. Masson, C. Van Hove : Biologie, Bruxelles, De Boeck, 2011, p. 431.

28 « Right from the beginning I said, “She’s got to have tits,” even though that makes no sense because her race, the Na’vi, aren’t placental mammals », in « James Cameron : Playboy Interview », Playboy, Décembre 2009.

29 J. Lipton, Inside the Actors Studio: James Cameron (saison 16, épisode 4), 2010.

30 G. Lucas, Star Wars, Etats-Unis, 1977.

31 Cf. par exemple ce qu’en dit Estiva Reus dans les Cahiers antispécistes : « nous n’avons pas dans les textes qui suivent introduit le néologisme “sentience. Je crois qu’à l’avenir nous en userons et tenterons de le populariser, de même que l’adjectif associé (“sentient). C’est qu’en français il nous manque un mot pour désigner la chose la plus importante du monde, peut-être la seule qui importe : le fait que certains êtres ont des perceptions, des émotions, et que par conséquent la plupart d’entre eux (tous ?) ont des désirs, des buts, une volonté qui leur sont propres. Comment qualifier cette faculté de sentir, de penser, d’avoir une vie mentale subjective ? Les Anglo-saxons ont le nom sentience (et l’adjectif sentient) pour désigner cela, les Italiens le terme senzienza (adj. senziente). En français, nous n’avons pas l’équivalent exact. Nous avons plusieurs mots renvoyant à la sentience, mais chacun d’eux a l’inconvénient soit d’être polysémique, soit d’être quelque peu réducteur en évoquant de façon privilégiée une dimension de la vie mentale » in « Sentience ! », Cahiers antispécistes n°25, novembre 2005, http://www.cahiers-antispecistes.org/spip.php?article281.

32 Cf. à ce sujet l’article de bonne facture de la version anglaise de Wikipédia : https://en.wikipedia.org/wiki/Sentience et en particulier la section https://en.wikipedia.org/wiki/Sentience#Science_fiction.

33 E. Kant, op. cit., pp. 149-150.

34 J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755), Paris, Librairie de la Bibliothèque nationale, 1894, p. 67, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5801545j.

35 Sylvie Allouche, Philosopher sur les possibles avec la science-fiction : l’exemple de l’homme technologiquement modifié, Thèse d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques (dir. Jean Mosconi et Sandra Laugier), Université Panthéon-Sorbonne Paris 1, 17 novembre 2012, p. 98 (Une publication est prévue chez Vrin pour 2013).

36 F. Herbert, Heretics of Dune (1984), trad. française de G. Abadia : Les Hérétiques de Dune, Paris, Robert Laffont, 1985.

37 F. Herbert, Chapterhouse Dune (1985), trad. française de G. Abadia : La Maison des mères, Paris, Robert Laffont, 1986.

38 E. Vonarburg, Chroniques du Pays des Mères, Québec, Alire 1992.

39 E. Vonarburg, Mon frère l’ombre. Tyranaël –3, Québec, Alire, 1997.

40 E. Vonarburg, La Mer allée avec le soleil. Tyranaël –5, Québec, Alire, 1997. Ce volume est particulièrement intéressant pour notre sujet en ce qu’il imagine dans les dernières pages qu’une forme de communication télépathique avec des extraterrestres non humanoïdes commence à émerger. On retrouvait déjà cette idée dans le 25e épisode de la 1ère saison de Star Trek : The Original Series intitulé « The Devil in the Dark » (1967) où Spock conduit une fusion mentale (« mindmeld ») avec un Horta, seul moyen de communication reconnu possible du fait de la radicale altérité de cette forme de vie extraterrestre basée sur le silicium. On pourrait se demander pourquoi le traducteur universel utilisé, dans l’épisode « Metamorphosis » déjà évoqué, avec une forme de vie apparemment encore plus différente puisque non matérielle, n’est pas employé ici, mais il est vrai que Star Trek, et plus encore la série originale, n’est pas à une incohérence près.

41 P. Di Filippo, « The Dog Nose and Tree Mind, Observations of an Art Junkie » in Amazing stories, Washington, Wizards of the Coast, été 2000. Réédition utilisée « Dog nose and tree mind : the future of art », http://www.rosab.net/horizon-evenements/IMG//pdf/di-filippo-uk.pdf, notre traduction.

42 « Finally, we could break out of our species-specific weltanschauung and know what it means to be another kind of mind – perhaps the ultimate subtextual goal of all artistic explorations. Inhabiting the intellects of our pets or of wild animals – of trees, even, granted that some kind of consciousness could be replicated from their fully unriddled workings–would be truly liberating.

And experiencing “alien” minds would no doubt lead to the discovery of new emotions. […] What does a redwood feel upon attaining its fifth century of existence? Someday we might be able to answer, if not in words, then by handing a friend a plug-in module off our library shelves.

This is a day I, as a hardcore and inveterate consumer of art, hope to live to see », ibid., p. 4, notre traduction.