Vous trouverez sur le site www.labarbelabarbe.fr le parfait petit nécessaire de La Barbe, qui vous permettra de créer votre propre groupe d’action féministe… « Il vous faut d’abord une barbe, bien sûr. Une fausse conviendra parfaitement. Vous en trouverez dans un magasin de postiches ou de farces-attrapes, mais dans un souci d’économie, optez plutôt pour la fausse fourrure. Taillez tout d’abord un patron de carton, puis appliquez le en pochoir sur le recto du tissu poilu. Découpez les barbes en série. Percez un trou à l’aide de la pointe du ciseau de chaque côté, pour y glisser l’élastique (environ 15 centimètres d’élastique de chaque côté suffiront). Faites un nœud.
Choisir une cible : n’importe quel moteur de recherche sur Internet vous permettra d’identifier la cible du moment. Si rien ne vous a exaspéré cette semaine dans l’actualité, cherchez quelque colloque, salon, événement public (remise de prix…) ou rendez-vous d’affaire dans les secteurs qui vous intéressent : arts, média, politique, industrie, enseignement, recherche, services, finance, etc.
Repérer les lieux : avant l’intervention, un repérage s’impose. Si l’événement visé (un colloque, par exemple) dure deux jours, préférez le deuxième pour l’action proprement dite. Le premier jour, vous enverrez l’une de vous en éclaireuse pour préciser les derniers détails du scénario, vérifier les points d’entrée et de sortie, tester quelques hypothèses […]
Écrire le tract : le texte se résumera à un pur exercice de félicitations de votre cible pour son admirable sexisme, agrémenté de statistiques affligeantes, que vous trouverez facilement sur le net. Le ton est sobre, un rien surfait, vieillot et ringard, mais surtout pas cynique, encore moins vulgaire ou insultant. La sobriété est la valeur première de la barbe. Et par pitié, évitez de tomber dans le modernisme et de vous laisser entraîner par vos élans alter-mondialistes. La Barbe ringardise tout ce qu’elle touche, avec détermination, faisant tomber ses victimes dans les oubliettes du passé, les couvrant d’une poussière qui sent la naphtaline […] Que votre plume rende grâce à nos Patriarches d’hier comme d’aujourd’hui. »
Il en va du sexisme comme du racisme ou de la lutte des classes, et finalement de tout mouvement de libération : il est plus difficile de se tourner vers l’autorité pour la mettre en accusation que de s’interroger sur sa propre légitimité à le faire. En matière de sexisme, vraiment, il n’est pas bon de montrer du doigt. Une féministe qui oserait dire que l’homme est l’adversaire se verrait immédiatement disqualifiée par les deux camps : les uns crieront qu’elle est lesbienne et que c’est sa perversion qui motive son combat (c’est bien possible après tout), les autres lui conseilleront de ne pas dire tout haut ce qu’elles n’osent même pas penser tout bas. Si les noirs sont entendus quand ils incriminent les blancs, si les pauvres sont bien compris quand ils s’attaquent aux riches, les femmes, elles, n’ont pas le droit de s’en prendre aux hommes. Les journalistes le leur rappellent à chaque interview : « Alors, comme ça vous êtes féministe. Mais vous n’aimez pas les hommes ? Est-ce que je suis votre ennemi ? » Et la militante, désarmée, confondue, de le rassurer avec ferveur, désamorçant aussitôt la charge de son plaidoyer. Pourtant, aux sans-papiers nul ne demande d’aimer les blancs – ni même de les accepter au sein du mouvement. Aux ouvriers qui luttent contre le patronat, on n’a jamais osé dire « Alors, comme ça vous n’aimez pas les patrons ? » on aurait trop peur d’avoir l’air ridicule. Aux féministes on demande chaque jour des déclarations d’amour. Amies féministes, la prochaine fois qu’un journaliste au visage aimable vous demandera si « les hommes sont vos ennemis », ne vous mettez pas à sourire, ne vous empressez pas de lui dire « mais non, on aime beaucoup les hommes, c’est pas la question ». C’est la question ! Oui, cet homme est l’ennemi. Ce journaliste représente l’adversaire, c’est même pour cela qu’il pose cette question piège.
Mais voilà que des hordes de femmes portant postiche envahissent en silence les hauts lieux réservés aux grands hommes blancs, par groupes de 10 ou 15. Elles sont partout : médias, politique, finance, industrie, sport et même culture… Voilà qu’elles montent les marches de velours rouge du Festival de Cannes. Que sont-elles ? Des monstres, des femmes qui ont renoncé à leur féminité le temps de la performance pour arborer l’attribut premier des dominants, le poil, et le vider de sa puissance symbolique. Leur simple présence sur la scène derrière les hommes en place est révélatrice de l’invisibilité ordinaire des femmes dans les lieux où se décident les lois et où se délimitent les territoires. Voici la Domination Masculine. Les hommes en gris se regardent, confondus, en flagrant délit de non-mixité. Et plutôt que de rire des femmes à barbe, c’est des hommes que le public se gausse. D’autant qu’il y en a toujours un qui se lâche sous la pression du ridicule, et c’est le grand retour du refoulé : « j’ai une excuse, j’ai une mère, une femme (ça arrive encore à quelques-uns), quatre filles, et quand j’ai un chien, c’est une chienne » dira par exemple Gérard Longuet pour se défendre d’avoir souhaité, à leur approche, que se tienne un jour « un colloque entièrement masculin sur la condition féminine ». « La tolérance, y a des maisons pour ca ! » lancera le Directeur du Nouvel Observateur, lassé de voir les estrades de ces Journées portes-ouvertes envahies chaque année par des femmes à barbe.
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