Comme tout horizon de transformation radicale, l’intelligence artificielle (IA) dérègle les catégories fondamentales de nos représentations (le partage entre le naturel et l’artificiel, l’animé et l’inanimé, etc.) et change les conditions de notre vie en promettant d’arracher l’humain à sa solitude métaphysique et à sa mortalité. Interrogeant ainsi notre individualité et notre subjectivité, l’IA engendre une double perspective de terreur et d’envie. L’histoire culturelle de l’IA est un terrain d’étude émergent. Le cinéma y occupe une place centrale mais, à l’heure du triomphe industriel de l’IA et de son entrée dans notre quotidien, les séries télévisuelles ont pris le relai. Elles sont capables de développer des caractères sur de longues durées, de penser nos quotidiens comme de poser des situations troublantes et nouvelles : celles d’humain se demandant en quoi ils sont différents de machines ou celles de machines n’ayant pas conscience d’être des machines et ne le découvrant que tardivement.

Dans Battlestar Galactica (2004) et Raised by Wolves (2020) qui se passent dans des mondes imaginaires de science-fiction, ou dans Westworld (2016), Real Humans (2013) et Almost Humans (2013), qui se déroulent sur terre dans le futur, l’émergence de ces questions s’accompagne de la mise en scène d’histoires d’amitié et d’amour entre espèces. Les thèmes de l’esclavage des robots, de leur révolte prométhéenne et de la guerre des espèces semblent consubstantiels à celui de l’imagination de créatures artificielles comme à celui du désir sexualisé à l’égard d’une femme artificielle. Mais la réversibilité de la question de la différence, le croisement des questionnements métaphysiques et les complicités et les liens affectifs complexes entre les espèces, les collaborations nouvelles qui peuvent se nouer entre elles autour d’ennemis ou de projets communs (telle l’éducation des enfants), conduisent à penser à nouveaux frais les corps et intelligences artificiels en dehors des purs rapports de force dialectiques. Lorsqu’apparaît l’idée d’une entraide possible des humains et des non-humains pour reconquérir leurs droits réciproques, ainsi qu’une vision de la cohabitation fondée sur la reconnaissance des différences, la question métaphysique de la liberté laisse place à la question de l’attachement, et la problématique de l’autonomie fait place à celle de l’interdépendance. C’est ce passage de la spéculation métaphysique à la réflexion politique que je voudrais évoquer.

Des aliénations réciproques

« Les Africains réduits en esclavage ont été traités davantage comme des technologies jetables que comme des êtres humains1 » : un article tout récent propose à titre pédagogique de comprendre l’esclavage des Noirs aux États-Unis à partir du modèle offert dans la science-fiction par les robots. De fait, la question de l’intelligence artificielle s’avère être un formidable outil pour penser rétrospectivement les aliénations humaines passées, et pour anticiper de dangereux futurs. Fortement activée dans Westworld, à travers la figure de Maeve, incarnée par une actrice de couleur qui est la première des androïdes à se révolter, la métaphore de l’esclavage est théorisée dans le prêche d’une femme pasteur dans l’E6S1 de Real Humans : « Il y a 200 ans, on disait la même chose de la population en Afrique. On disait qu’il leur manquait une vie spirituelle. Qu’ils étaient comme des machines. Qu’on pouvait les posséder, et qu’ils travailleraient jusqu’à ce qu’ils se brisent. Aujourd’hui, nous regardons avec dégoût l’esclavage et la vision de la vie humaine à cette époque. »

La condition des robots humanoïdes dans ces séries récentes possède de nombreux traits communs avec l’esclavage. Les humains possèdent un droit de vie et de mort sur les androïdes : dans Westworld ils peuvent être interrompus à tout moment par une formule devenue iconique, « Geler toutes les fonctions motrices », avec un explosif placé dans l’une de leurs vertèbres destiné à détoner s’ils sortent du parc. Ils sont perpétuellement réifiés dans Westworld, qui montre les traitements sadiques, viols, défigurations, éventrations, mutilations diverses auxquelles les « hôtes » soumettent les « invités », et qui expose la nudité désarmée et vulnérable des androïdes dans l’atelier où ils sont transportés et réparés. Le sel de la série tient beaucoup au contraste entre l’émouvante humanité des androïdes et les humiliations subies par leurs corps, blessés et ne pouvant blesser, réduits malgré eux à des automates dont le piano mécanique qui rythme la série est une puissante métaphore. Comme les esclaves, les androïdes ne sont pas propriétaires de leur corps, et comme eux, ils sont réduits à des métiers et fonctions stéréotypés, privés de la capacité à agir de leur propre initiative, dépourvus « d’agentivité ».

S’il est à l’image de l’homme, le robot n’entre pas dans le temps qui donne sens à l’humanité : il ne vieillit pas, ne meurt pas, peut être réparé, reprogrammé, et n’existe d’ailleurs pas en tant qu’individu : interchangeable, c’est un modèle duplicable. De manière frappante dans Battlestar Gallactica, les treize modèles de Cylons humanoïdes donnent lieu à de multiples copies, ce sont des numéros de modèles avant d’être des noms. Lorsqu’il n’est pas prostitué, rôle emblématique, comme dans Westworld, dans Almost Humans ou dans Real Humans, le robot intelligent fait le travail du care : l’éducation des enfants (Real Humans et Raised By Wolves), le soin des personnes âgées (Real Humans), etc. Il décharge l’humain de tâches complexes, répétitives ou risquées (la médecine, le pilotage).

Depuis les premiers automates programmables de Vaucanson, l’histoire culturelle des robots est inséparable d’une pensée de l’aliénation par le travail, nouvelle forme d’esclavagisme. Mais à cette critique, particulièrement accusée dans des séries qui mettent en scène des intelligences totalement humanisées, s’adjoint aujourd’hui une critique, hégélienne si l’on veut, de la domination qu’exercent en retour les robots et les l’IA, de façon parfois « inconsciente ». C’est le twist de la première saison : la finalité de Westworld est moins d’apprendre aux robots à se comporter comme des humains qu’à enregistrer et analyser une myriade de comportements des individus d’os et de chair, les chapeaux de cowboy confiés aux invités étant en réalité des scanners cérébraux. Aux saisons 2 et 3, l’enjeu, auquel certains androïdes collaborent avec les humains, sera d’ailleurs d’empêcher la prise de contrôle de l’humanité par une IA centralisée, Rehoboam, capable de prédire la vie de chacun et le devenir de l’humanité en identifiant au passage les individus susceptibles d’être dissidents. Le co-créateur de Westworld, Jonathan Nolan, s’inspire ici autant de Minority Report que de la série Person of Interest qu’il a créée en 2011 et qui dépeint un monde de surveillance globale par l’IA. L’horizon est le contrôle de l’individu réduit à un programme (« Un humain est juste un bref algorithme, 10,247 lignes de code » nous explique-t-on à la saison 2) par un programme supérieur, celui de l’IA. L’utopie de l’humanisation de l’IA s’accompagne d’une dystopie de la « dataification » et de la déshumanisation des hommes, où se joue une première forme de rapprochement entre humains et IA : celle des aliénations.

Des émancipations parallèles

Le point commun de toutes ces fictions de l’IA, c’est de mettre en scène des quêtes d’émancipation, où l’accès à soi est le chemin d’une liberté politique. En adossant la question de l’autonomie pensée par la cybernétique et les sciences cognitives à la vieille figure du robot ou de l’androïde, l’IA conduit à réinterroger le problème de la liberté individuelle à travers celui de la conscience, au moment même où les humains s’interrogent inversement sur les limites de leur liberté face à la peur d’être inconsciemment guidés par des guidages sociaux, des nudges. Accéder à un soi qui ne soit pas scripté, sortir de ce que Westworld nomme des « loops », à savoir des scénarios déjà pensés par un storytelling habile (série qui fait des narrateurs les maîtres du monde) est une préoccupation commune des humains et des robots. Il y a, d’un côté, la découverte par les robots que leurs actes sont téléguidés, que leurs émotions et capacités affectives sont déterminées par des réglages techniques, le premier geste de liberté de Maïve étant de modifier ses propres réglages en brisant son plafond de verre, à savoir le seuil d’intelligence attribué par les humains aux « hôtes ». De l’autre côté, comme en miroir, il y a l’inquiétude qui s’empare des êtres humains de n’être que les jouets d’une matrice – le film du même nom ayant de nombreux échos dans ces séries. Chez les humains comme chez les androïdes, l’ordre métaphysique de ces révoltes contre les formes de contrôle mental et l’ordre politique à la source de leur hétéronomie semblent indissociables : dans Westworld comme dans Real Humans, l’émancipation des premiers androïdes entraîne celle des androïdes en tant que condition, les premiers libérés cherchant à libérer les autres par solidarité.

La mise en scène de ce lent processus d’émancipation est peut-être le thème le plus central de ces séries qui en décodent les différentes phases. L’une de ses premières clés est l’accès à une vie intérieure, thème central à Westworld, qui calque l’accès à la réflexivité des robots sur le modèle humain tel que discuté par Julian Jaynes (1977), qui fait de l’accès à la conscience l’intériorisation de voix intérieures distinctes, dans un processus d’apprentissage daté de l’Antiquité. Cette analyse du processus de conscientisation, complète la phylogénèse à trois stades des androïdes dépeinte notamment dans Battlestar Gallactica : le corps mécanique apparent des premiers androïdes, puis le corps mécanique sous une peau biologique, et enfin l’androïde aux tissus similaires aux biologiques. Avoir ses propres rêves, avoir ses propres souvenirs, ses propres objectifs, voire perpétuer son espèce comme le fait Bernard Lowe dans la saison 2 de Westworld : voilà en tout cas ce que les androïdes de Westworld désirent à tout prix, dans un désir qui est d’abord mimétique puisqu’il s’agit pour l’androïde d’être vraiment un être humain. « Je ne veux plus jouer aux cowboys et aux indiens », explique Dolores qui dit à Bernard : « Je veux leur monde. Le monde qu’ils nous ont dénié. » Ainsi, l’émancipation est pensée, du moins dans un premier temps, comme l’accès à une pleine condition humaine, déniée aux esclaves numériques : conscience de soi et liberté, mais aussi authenticité et individualité tels que l’humour, la sexualité ou la religion les manifestent. Autant que le concept abstrait d’autonomie du sujet, le concept d’« agentivité », forme de liberté et de responsabilité intérieures, conditionnée par la capacité concrète d’action et non par seulement l’absence de contrainte extérieure, exprime cette aspiration des robots. Dans Real Humans, les robots rebelles ne se rêvent « pas comme des esclaves ou des machines mais comme des transhumains libres ». Il s’agit donc bien pour eux, afin que soit reconnue la personnalité singulière de chacun et chacune, de changer de condition, d’être assimilés aux humains ou de constituer une nouvelle espèce au statut politique assumé…

Cette conquête n’est pas donnée, elle est un combat, activant la vieille dialectique du maître et de l’esclave, de la créature et du créateur. Le thème de la révolte des IA contre leurs maîtres fait tout le sel de la fin de la première saison de Westworld, où les androïdes finissent par prendre les armes et assassiner par la main de Dolores leur créateur, dans le dernier épisode. Pourtant les séries sont loin de la version terrifiante de la Singularité telle qu’elle est par exemple mise en scène par Terminator, pas plus qu’elles ne rêvent un âge posthumain des machines spirituelles. Elles tendent plutôt à montrer une cohabitation complexe, faite d’une dialectique maître-esclave, mais aussi surtout d’un parallèle entre les dominations, l’émancipation des androïdes étant une sorte de modèle positif pour les humains. Westworld, en mettant en scène des femmes racisées et des dominées sortant des déterminismes genrés, est l’exemple même de cette convergence des luttes qui transparaît fortement aussi dans Real Humans. De la même manière que la société de contrôle des récits est dénoncée par le monde scripté des androïdes, les déterminismes sociaux chez les humains et les règles du jeu social sont mises en accusation par les camisoles algorithmiques de ces mêmes androïdes. La manière dont William rompt avec les pressions familiales incarnées par son ami Logan dont il doit épouser la sœur, pour préférer Dolores, en est la métaphore. Les scripts sociaux sont peut-être encore plus puissants que ceux qui conditionnent les IA. L’origine traumatique de ces luttes, l’accumulation des souffrances qui se répètent dans des « rêveries » en est une ultime preuve : loin d’opposer les dominés entre eux dans une nouvelle dialectique du maître et de l’esclave ou de prédire le triomphe simpliste d’une espèce sur une autre, ces séries produisent une analyse croisée des déterminismes en miroir pesant sur chacun pour équiper le spectateur des moyens de les combattre.

Des solidarités nouvelles

Originales par rapport aux dystopies les ayant précédées, ces séries tracent un avenir commun aux androïdes intelligents et aux humains, fait de conflits, mais aussi de collaboration, de solidarité et même de désir, à une heure où des IA sont d’ores et déjà bien plus que des rêves de papier, nous accompagnant au quotidien sans que nous ne le sachions toujours.

L’attachement entre les créatures et les créateurs est, de fait, un thème nouveau et central dans les séries de l’IA contemporaine. Loin d’être pathologique comme l’exemple célèbre de Pygmalion qui tombe amoureux de sa création, Galatée, statue devenue vivante, loin d’incarner un attachement déplacé comme le montre l’exemple plus récent de Her de Spike Jonze, qui fait de l’IA incarnée par la voix de Scarlett Johansson un dérivatif à la dépression et à la solitude de son époque, les relations entre androïdes et humains sonnent comme des évidences « naturelles » dans les séries contemporaines. Malgré les querelles « ethniques », celles-ci témoignent d’un monde où l’existence d’une intelligence non humaine n’est plus un fantasme, mais une réalité participant de la vie ordinaire, engendrant des formes de cohabitation qui ne créent plus la surprise. Ces séries de l’IA viennent explorer les formes de liens réciproques nés de cette cohabitation : liens faibles d’individus qui se côtoient et se saluent (Real Humans) ou liens de care dans la même série, liens de parentalité (c’est l’intrigue de Raised By Wolves), liens d’amitié et évidemment, liens érotiques. Ces liens mobilisent une forme de l’empathie, sentiment dont l’universalité outrepasse les frontières.

Westworld en analyse finement le mécanisme en mettant en scène un technicien issu d’une minorité raciale et empreint de respect à l’égard des androïdes, Felix Lutzedit, risquant son travail et sa vie pour permettre à Maeve de se libérer, préférant même celle-ci à son partenaire humain. Tout se passe comme si la vulnérabilité de Maeve, martyrisée par les visiteurs du parc et artificiellement endormie, au lieu de nourrir l’orgueil de la supériorité spéciste et machiste, avait engendré l’empathie d’un technicien dont on devine qu’il a été lui-même victime de ségrégation. Une autre formulation nous en est donnée par le droit d’asile accordé dans Real Humans (S1E3) par un pasteur aux Hubots renégats.

L’empathie vis-à-vis des vulnérabilités engage ainsi une reconnaissance d’ordre politique. Westworld met en scène des types d’attachement, non moins affectifs, l’un des plus intéressants étant celui qui lie à ses créatures Robert Ford, fondateur des androïdes du parc. « My old friend » : en appelant ainsi dans Westworld sa création (Bernard Lowe), le solitaire et misanthrope Robert Ford marque sa familiarité d’un soupçon d’ironie – leurs relations amicales se détériorant lorsque Bernard prend conscience qu’il a été programmé par Robert Ford. Il n’en demeure pas moins que c’est le rêve d’une amitié authentique qui est à l’origine de l’émancipation de Bernard Lowe : « Eh bien, je suppose que j’espérais que la connaissance complète de soi et le libre arbitre vous ayant été donnés, vous auriez choisi à nouveau d’être mon partenaire », explique-t-il (S1E9), avant de regretter son choix empreint de sentimentalisme. L’attachement du créateur ira jusqu’au sacrifice : sachant qu’il est sur le point d’être tué par l’une ses créatures, mais assumant ce sacrifice comme une manière de leur permettre de se libérer, il saluera Bernard Lowe d’une poignée de main – paternelle ? – en lui souhaitant bonne chance au dernier épisode de la S1… avant d’être tué par l’androïde Dolores.

Ces liens voient leur authenticité constamment interrogée – mais n’est-ce pas vrai aussi pour les attachements humains ordinaires ? – comme en témoigne par exemple ce dialogue de Battlestar Gallactica (S4E11) entre Adama et Tigh :

« Ils vous programment pour être mon ami ? Émuler toutes les qualités que je respecte ?

– J’étais ton ami parce que j’ai choisi de l’être.

– Je le voulais. »

Ces liens, cela vaut d’être noté, sont réciproques. Envisageant l’acquisition d’une maison, les Hubots libérés de Real Humans débattent par exemple de savoir si une cuisine leur est nécessaire puisqu’ils ne s’alimentent pas, avant de convenir : « Nous aurons des amis humains. Il faudra que nous dinions avec eux » (S1E3). Ainsi, les complexes ontologiques caractéristiques des relations entre androïdes et humains – le lien de dépendance des robots par rapport à leurs créateurs et inversement, ce que Günther Anders nommait la « honte prométhéenne » : le sentiment d’imperfection de l’humain par rapport aux machines plus performantes que lui et immortelles – cèdent place à des combats communs. Les saisons 2 et 3 de Westworld voient se rejoindre la lutte contre la société de contrôle et la défense du droit à l’existence libre des androïdes. Et si Battlestar Gallactica met en scène une guerre entre les espèces, à partir de la S4E7, des rebelles cylons s’allient aux humains alors même qu’ils se déchirent entre eux.

Le désir sexuel récurrent envers les androïdes (qu’un psychiatre de S1E9 de Real Humans nomme « sexualité transhumaine »), les jalousies qu’il engendre (Roger est par exemple jaloux de Rick, le compagnon Hubot de sa compagne Therese dans Real Humans), ne relève plus d’une passion fétichiste à l’égard des automates. Tout au contraire, les récits de ces séries convergent pour démontrer la capacité du sentiment amoureux à franchir les barrières d’espèces. Pour preuve, cette réplique de l’S4E2 de Battlestar Gallactica : « Il l’aime. Et oui, il sait que c’est une machine. Mais il s’en moque. Il l’aime de tout. » Il y a aussi la scène très forte de Westworld où William persiste à aimer Dolores après que Logan lui en a montré les entrailles mécaniques. L’horizon amoureux pointe d’ailleurs vers l’enfantement, ou du moins celui de la transmission par procuration, comme dans Raised By Wolves. En mettant en scène une hybridation d’espèce possible à travers la figure d’Hera, Battlestar Gallactica dessine non seulement une utopie post-humaniste, mais aussi l’horizon d’un monde accueillant vis-à-vis de l’immense diversité des formes de vie et de leurs possibles mélanges. La pensée écologique, se battant pour l’écodiversité, rejoint ici de façon paradoxale les multiples potentiels et mutations de la machine intelligente.

On le voit : la bipolarité de l’IA comme rêve et comme cauchemar entraînant les fictions de l’érotique à l’horreur, de la terreur à la pitié, l’opposition entre l’utopie et la dystopie, la dialectique symbolique de l’homme et de la machine, du maître et de l’esclave, sont dépassées dans les séries les plus contemporaines par une pensée de la cohabitation, de l’acclimatation croisée, de la diplomatie entre espèces pour employer le terme mis en circulation par Baptiste Morizot à propos du vivant. Il y aurait non seulement un sens positif pour l’humain d’assister à la rébellion des robots, mais les aliénations s’éclairent réciproquement, et peuvent conduire, non à une guerre des petites différences ou à la transformation téléologique de l’homme en post-humain, mais à de nouvelles complémentarités. Dans ces séries, la quête de la transcendance revient à travers la mise en question des religions. Quant à l’inquiétude de la liberté, elle traverse et réunit les deux espèces, humaine et artificielle, comme le montre ce constat d’un androïde à l’E7S2 de Westworld : « Nous n’avons jamais eu de libre arbitre. Seulement son illusion ». In fine, les interrogations métaphysiques abstraites ou les conflits de pouvoir, nécessaires mais conjoncturels, peuvent être dépassés par la découverte des interdépendances : telle est l’utopie politique des fictions TV contemporaines de l’IA incarnée.

1 Hylton, Bridgette L. (2021), « I, the Robot/I, the Enslaved », Medium, https://medium.com/perceive-more/i-the-robot-i-the-enslaved-3f3e8361cd59