Ce texte a été écrit lors d’une recherche-action développée avec le collectif En Rue dans le quartier Jean Bart / Guynemer à Saint-Pol-sur-Mer dans l’agglomération de Dunkerque, et conduite avec deux complices en recherche Martine Bodineau et Louis Staritzky. Ce collectif d’habitant·es s’est constitué pour rééquiper les espaces communs du quartier laissés complètement à l’abandon par la Collectivité et par le bailleur social. Il a donc entrepris, en auto-construction, avec souvent des matériaux de récupération, de fabriquer les bancs, barbecues, jeux de boules et tables indispensables à un minimum de convivialité. Ce travail se réalisait sous la forme de chantiers ouverts, les voisins pouvant le rejoindre pour un court ou long moment, les enfants s’y associant assez facilement. Il s’agissait aussi de chantiers en colère, tant le mépris pour ce milieu de vie réunissant 2 500 habitant·es devenait insupportable. Chaque banc fabriqué représentait aussi un « cri ». Il s’agissait tout autant de chantiers-caquetoir, pour reprendre une heureuse image de Michel de Certeau1, car, se développant dans l’espace public, ils étaient l’occasion pour les voisin·nes de s’assembler le temps d’une discussion à propos d’une question intéressant le quartier, la ville ou une cage d’escalier, sans compter que chaque équipement, par exemple l’emplacement d’un banc, pouvait donner lieu à de longs pourparlers. Les chantiers vivaient donc au rythme du passage des uns et des autres, au rythme aussi de l’école avec l’arrivée en nombre des enfants souhaitant eux et elles aussi s’emparer des outils et se mettre à bricoler, les adultes changeant alors de fonction, cessant de fabriquer pour devenir éducateur·trice.
Ce collectif revendiquait donc de faire En Rue avant l’ANRU (Agence nationale de rénovation urbaine) car, comme tous les quartiers populaires, Jean-Bart / Guynemer allait subir, dans les trois ou quatre années qui venaient, « sa » rénovation.
Une vie démocratique est indissociable des « matérialités » multiples qui lui donnent corps, à savoir les espaces où la parole se prend, les esthétiques langagières dans lesquelles elle se trouve contrainte, les multiples signes (symboliques, physiques…) qui contribuent à hiérarchiser les langages. Dans le quartier Jean Bart / Guynemer, le collectif En Rue a fabriqué des « modules », installés dans l’espace intérieur du quartier, délimité par le grand cercle des immeubles. Ces « modules » étaient libres d’usage ; ils pouvaient convenir à des temps de discussion, chacun·e pouvant s’y asseoir commodément. Ils devenaient aussi terrain d’aventure pour les enfants qui y grimpaient sans risque. C’est autour de ces « modules » que le collectif En Rue avaient pris l’habitude de se réunir avec des habitant·es pour débattre des questions intéressant la vie du quartier. Ces « modules » sont donc devenus un « personnage » important de cette « démocratie éprouvée », de cette démocratie qui engageait des paroles depuis les lieux mêmes où les enjeux prenaient forme.
Lors de ce type de recherches-actions, nous n’établissons pas de rapport final, refusant en tant que chercheur·e d’être porteur d’une quelconque autorité conclusive. Louis Staritzky a pris l’habitude de dire que nous commençons notre travail sans hypothèses et que nous le terminons sans résultats. Au cours du processus, nous saisissons des opportunités (une question qui insiste, une parole qui trouble, une situation qui affecte…) pour nous « mettre en recherche » et venir en écriture. Nos recherches-actions sont donc jalonnés de nombreux écrits rédigés au plus près, physiquement et temporellement, des situations – des écrits « de peu » qui font matière du quotidien et qui lui reviennent aussitôt. Ils sont alors publiés en brochure et diffusés de la main à la main dans le quartier, mais ils peuvent aussi être édités sur un mur2. Notre pratique d’écriture est occasionnaliste car ce sont bien « les occasions qui font le chercheur » à partir de sa capacité à ouvrir autant de (micro-)sites de problématisation que de besoin, et donc d’opportunités d’écriture, en fonction des questions et enjeux qui émergent à fleur de réalité et dont il parvient à se saisir.
Le texte qui suit « Une démocratie éprouvée » relève donc de ces écrits de peu, très situés et contextualisés. J’ai pris l’habitude de dire qu’ils fonctionnent comme des plug-in, à savoir des greffons qui ne prennent existence qu’avec le « vivant » avec lequel ils s’hybrident, se connectent ou s’agencent. Ces textes n’ont donc de valeur que greffés. Et greffer, c’est reconnaître la force et la puissance de l’être support, du « vivant » qui va l’accueillir et lui permettre de se développer. Car c’était bien En Rue qui produisait les textures, les consistances, le « vivant » (en fait les « logiciels hôtes », les programmes, la substance fondatrice). Le collectif assurait l’essentiel (sur le plan de la pensée, de l’organisation, des résistances). Nos textes de recherche venaient s’y articuler, avec plus ou moins de pertinence, parfois appropriés et assimilés, parfois délaissés ou investis autrement, bien plus tard.
Envisager de publier un de ces « textes de peu » dans une revue m’a mis immédiatement en alerte. Qu’advient-il de ce type de textes s’ils quittent la situation qui les a motivés et pour laquelle ils sont destinés ? Quand j’ai rédigé « Une démocratie éprouvée », mon « public intérieur3 », celui qui accompagne et soutient mon écriture, est constitué par les habitant·es de Jean Bart / Guynemer et uniquement elles et eux. Comment ces textes peuvent-ils être reçus hors contexte ? Mais, ce que je vis, en tant qu’auteur, est parfaitement symétrique à ce que vivent les habitant·es du quartier lorsque leur « parole en expérience » tente de se faire entendre dans des espaces où elle n’est pas attendue, en l’occurrence, souvent, dans des dispositifs participatifs.
Samedi 29 septembre 2018, 11h30, nous nous assemblons au centre du quartier Jean Bart / Guynemer (en cœur d’îlot comme, classiquement, l’urbanisme nomme cette centralité). Les membres du projet En Rue sont présents, ainsi que plusieurs habitant·es. Chacun prend place sur les « modules » fabriqués et installés par le collectif, certains assis, d’autres préférant rester debout. L’assemblée est nombreuse et attentive. Nabyl et Patrick animent la rencontre. À ma droite Anthony prend des notes. Les architectes d’Aman 4 Iwan sont dispersés dans l’assemblée. Louis, mon collègue sociologue, se tient assis un peu plus loin, à ma gauche. Plusieurs femmes (Nabyl les appellera les « mamans ») sont présentes et restent groupées sur un côté, assises sur un des modules. Dans l’assistance, sont présents des hommes de plusieurs âges ; à un moment, Nabyl interpellera certains sur le mode « les papas, eux, qu’est-ce qu’ils en disent ? ». Trois ou quatre jeunes hommes se sont joints à l’assemblée ; l’un d’eux, Kader, prendra la parole en fin de réunion pour revendiquer un lieu où les jeunes pourraient se retrouver et faire de la musique, en insistant sur le fait que ce lieu serait ouvert à tous les habitant·es, en particulier en journée, pour favoriser les échanges et les rencontres.
Une démocratie en situation et en contexte
Je reste debout, appuyé contre un des montants du module. Je ne prendrai pas la parole, Louis non plus. Dans l’imaginaire commun, le sociologue est celui qui pose des questions ; je pense, à l’inverse, qu’un chercheur en sciences sociales cultive le silence, condition d’une qualité d’écoute.
J’observe cet assemblement. Je suis impressionné. L’assemblée est à l’image du quartier, elle mêle les âges et les identités ; je retrouve des visages connus, des personnes que j’ai croisées à l’occasion de certains chantiers, plusieurs que je salue désormais sans avoir nécessairement mémorisé leur nom, d’autres que j’ai appris à mieux connaître comme Fabrice qui a préparé des repas pour les « travailleurs » du chantier En Rue.
En cours de réunion, me viennent en tête certaines paroles de Salem, publiées dans le Fanzine En Rue#05 : « Ils veulent la parole des habitants. Venez dans les quartiers, vous l’aurez », « Viens, on discute. Le conseil citoyen, c’est ici qu’il se tient. Pas là bas », « Ils veulent nous parler, alors qu’ils acceptent qu’on leur dise… ».
La démocratie participative est une démocratie « en situation » et « en contexte ». Hors salle, et hors mur. Elle se tient ici, au beau milieu du quartier, les pieds sur terre et le regard à l’horizon. Il s’agit d’une démocratie de plein air. Une démocratie en prise avec les réalités vécues. Une démocratie éprouvée par la vie. Elle est active et réactive. Elle ne craint ni les coups de vent, qui envolent les idées, ni les courants d’air qui aèrent les pensées. Elle est souvent frondeuse, parfois rebelle. Elle n’est rien d’autre que ce que son nom désigne, une démocratie.
Convoquée au cœur du quartier, réunie dans le cercle formé par les modules fabriqués par En Rue, tenant séance aux pieds des immeubles, cette petite assemblée accueille les expériences et recueille les propositions. En cette fin de septembre, la discussion portera sur la création d’un potager commun associé, peut-être, à une petite ferme qui aurait une vocation pédagogique à destination des enfants des écoles. Le groupe de femmes se rencontre à l’occasion d’ateliers cuisine et trouverait intéressant de cultiver elles-mêmes une partie des légumes nécessaires à la préparation des plats. Des retraités soulignent l’intérêt économique qu’ils trouvent à produire de manière autonome leurs légumes mais, aussi, le plaisir qu’ils prennent à ces moments. D’autres, dans l’assemblée, insistent sur l’importance de cultiver soi-même pour manger plus sainement. La question de l’entraide est centrale ; les récoltes pourraient être proposées, sous forme de paniers solidaires, pour une somme modique, voire symbolique, et elles pourraient également servir à préparer régulièrement des repas pris en commun, entre voisins.
Une démocratie incarnée
La parole circule. Chacun reste attentif. Plusieurs personnes font part de leur expérience. La pratique du jardinage est assez présente dans le quartier, en rez-de-chaussée devant les appartements ou sur des terrains délaissés en périphérie immédiate. Dans un quartier très urbanisé, un jardinier qui entend vivre sa passion doit savoir profiter des interstices et se montrer imaginatif. Dans chaque jardinier sommeille un potagiste pirate. D’ailleurs, l’un d’eux nous invitera à rejoindre le jardin qu’il entretient dans le quartier des Cheminots, à deux pas. La petite assemblée quitte donc le quartier, chemine quelques minutes pour rejoindre le jardin de Jean-Michel. La démocratie part aux champs. Au jardin, les discussions se poursuivent en petits groupes. Les questions débattues il y a quelques minutes prennent réalité, et très concrètement. Des idées se vérifient, des possibles se testent. Les projets se précisent à l’écoute et à l’observation de l’expérience de Jean-Michel, à l’épreuve de sa pratique et de son savoir-faire. Une politique potagiste pour le quartier commence à se dessiner, une politique qui ne tombe pas du ciel mais qui émerge de la réalité. Dans cette situation, ce n’est pas une simple image que d’écrire qu’elle germe de la pratique.
Cette conception d’une « démocratie éprouvée6 » se défie des généralisations abstraites, générées en nombre par des institutions publiques en déficit de délibérations et de controverses (en déficit de démocratie), pour favoriser résolument la prise de parole directe et la prise d’expérience au plus près de la vie des gens. Cette pratique citoyenne s’apparente à ce qu’Oskar Negt nomme l’espace public oppositionnel7, au sens d’un espace où les réalités présentes ne s’imposent pas comme des évidences, où les fonctionnements institutionnels sont confrontés à leurs effets concrets et vécus, où les décisions publiques ne font pas décision avant d’avoir été débattues, où les imaginaires se libèrent grâce à la discussion démocratique, où des possibles se font jour dès lors qu’une diversité d’expériences et d’expertises est prise en compte8.
Mener l’enquête
La proposition de Kader de créer un lieu pour que les jeunes puissent se retrouver et faire de la musique a suscité deux réactions. Une première personne s’est inquiétée du manque possible de « surveillance » de cet espace et a réclamé la présence de professionnel·les. Une deuxième personne a immédiatement réagi pour demander que l’on fasse confiance aux jeunes et qu’on leur laisse la liberté de s’organiser de façon autonome. Certaines inquiétudes tombent très vite quand les personnes concernées se rencontrent et échangent. La demande n’est plus alors portée par « des » jeunes, de manière anonyme et abstraite, et donc exposée à de nombreux clichés, mais elle est avancée par Kader, en personne, avec le soutien de plusieurs de ses ami·es ; elle est présentée par une personne « réelle » qui vit dans le quartier et que chacun a l’occasion de croiser. Cette démocratie incarnée – incarnée par des personnes et incarnée dans une communauté de vie – évite que les idées reçues prennent le pas sur l’effort de compréhension et que des stéréotypes bloquent toute capacité de rencontre.
L’après-midi, nous partirons en groupe dans le quartier et ses abords afin de repérer les espaces disponibles pour y créer et installer des jardins. Ce travail de repérage est essentiel. Un citoyen émancipé est un citoyen qui « mène l’enquête9 », qui s’informe de manière indépendante et qui se forge une opinion après être allé « voir », après avoir éprouvé concrètement la question et fait l’effort d’observer, de découvrir et de comprendre.
Une démocratie vivante est une démocratie éclairée par l’enquête, étayée par des savoirs d’expérience et des savoirs d’usage. Celui qui parle est aussi celui qui s’est mis en recherche, qui a pris le risque de se déplacer et qui s’est personnellement exposé aux questions posées. Nous avons donc arpenté le quartier ; nous nous sommes introduits dans des terrains délaissés. En découvrant concrètement les espaces, et en le faisant en groupe, il était possible d’en évaluer le « potentiel » potagiste. Il était alors possible de s’y projeter, d’y imaginer le jardin désiré. Une grande attention était portée au lieu ; il était parcouru, traversé, investi, pratiqué. Chacun mène l’enquête à sa façon, en foulant l’herbe, en cherchant un point d’observation un peu en hauteur, en échangeant ses impressions, en soulevant un grillage et en poussant l’inspection au-delà des limites du terrain.
Porter attention, accorder
considération, donner valeur
La démocratie pratiquée au cours de cette journée est une démocratie qui invite les personnes à éduquer et à cultiver leur attention, à savoir leur capacité à regarder, écouter, observer. Porter attention10. Cette qualité d’attention contribue progressivement à ce que les expériences, dans leur diversité, soient prises en compte, trouvent leur place et prennent part au débat, le feraient-elles sur un mode controversé (i.e. délibéré). Les jardiniers et les non-jardiniers parviennent à se comprendre, les jeunes et les moins jeunes parviennent à s’entendre (au sens premier du terme), et possiblement à s’accorder. Assemblée autour des modules En Rue, solidement campée dans le quartier, la démocratie ainsi pratiquée est foncièrement une démocratie des expériences et des pratiques, loin d’une démocratie des opinions, sujette bien souvent à un verbiage stérile et stérilisant, ou une démocratie des experts, qui tourne à vide faute d’avoir prise. Ici, dans le quartier Jean Bart / Guynemer, quand l’assemblée se réunit au centre du quartier, les mots se rapportent à des expériences ; les discussions peuvent en être d’autant plus rugueuses, le débat houleux, la controverse nourrie. Mais la discussion se déroule, le débat se tient et la controverse se développe, ainsi qu’il est attendu d’une pratique démocratique.
Accorder de la considération. Ce processus fait bouger progressivement les systèmes de valeur. Même si l’on n’est pas personnellement intéressé par le jardinage, on va accorder de la valeur à cette pratique dans la mesure où l’on a pris conscience de son importance dans la vie de ses proches voisins. On peut ne pas aimer une musique mais lui porter la considération qui lui revient et lui faire une place (un lieu, une salle) dès lors que ses adeptes auront su partager leur passion.
Les échanges en cette fin de matinée ont été animés par Nabyl – un éducateur familier du quartier et attentionné pour ses habitant·es. Sa contribution a consisté principalement à solliciter les prises de parole – par exemple venant du groupe de femmes qui, au début, se montrait réservé – et à (r)accorder les propos11. Par la voix et le regard, mais aussi par son déplacement physique à la bordure du cercle de discussion, il s’efforçait de mettre en relation les propos, les idées, les propositions ; son travail a consisté à établir des passerelles, à raccorder (sur le mode d’un tissage), à accorder (sur un mode musical). Une mise en lien et une mise en musique. Sa position et sa contribution s’apparentent à ce qu’Alinsky nomme un « organisateur12 ».
Une parole portée par un corps,
soutenue par une expérience
L’assemblée s’est donc tenue sur les trois « modules » en bois construits par En Rue, disposés en triangle qui forme cercle. Ces « modules » permettent de s’asseoir à différentes hauteurs, dans des ergonomies très variables, laissées à l’imagination (corporelle) de chacun, en position plus ou moins adossées, dans une station assise ou allongée ou encore debout en appui contre un des montants, avec la possibilité de s’installer face aux autres, en biais, voire même à certains moments de se détacher corporellement du groupe en se tournant vers l’extérieur. Cette ergonomie pourrait elle-même être qualifiée de démocratique. Pourquoi le débat et l’exercice citoyens devraient-ils se tenir dans une seule configuration physique, à savoir l’éternelle rangée de chaises et tables ?
Pourquoi celui qui aime parler debout devrait-il s’astreindre à une position assise ? Pourquoi celui qui a besoin de se déplacer pour réfléchir devrait-il se contraindre à l’immobilité, le corps assigné à « sa » chaise ? En quoi cette assignation des corps est-elle profitable au débat démocratique ? Cette ergonomie est déterminée socialement ; elle est associée à des professions au « corps assis » dont l’essentiel de l’activité se tient au bureau et en salle de réunion. Ce modèle s’impose sans plus de questions, alors qu’en lui-même il est déjà discriminant, familier pour certains alors qu’il peut être éprouvant pour d’autres, habitués à des postures et des attitudes physiques bien différentes. Avant même d’avoir pris la parole, certaines personnes, en prenant place dans l’assemblée, ressentent physiquement qu’elles ne seront pas à leur place et qu’elles devront contraindre leur corps pour un long temps de réunion. Il n’y a pas à douter que cette discipline discriminatoire des corps porte tort pareillement aux « professions assises » car un chargé de mission ou un professeur d’université peut lui aussi mieux vivre sa parole et sa pensée dans une relation plus libre à son corps. Une démocratie sans chaises ni tables est, pour de nombreux motifs, un mot d’ordre émancipateur. Les modules fabriqués par En Rue y contribuent, en libérant l’expression des corps et en leur ouvrant, sur le plan ergonomique, de nombreux possibles.
Un moment démocratique est une composition, celle jouée à Jean Bart / Guynemer fut réussie. La qualité d’un échange dépend (aussi) d’un engagement des corps, d’une ambiance sensible et physique, d’une disposition de l’espace… De ce point-de vue, En Rue a raison de déclarer : « Les bancs sont politiques ».
Et une pratique démocratique représentera toujours ce petit caillou glissé dans la chaussure des experts, des professeurs et des chargés de mission, qui contribuera à ce qu’ils pensent moins droit et doutent suffisamment de leurs pas.
1« Un caquetoir. Un séminaire est un laboratoire commun qui permet à chacun des participants d’articuler ses pratiques et ses connaissances propres. C’est comme si chacun y apportait le “dictionnaire” de ses matériaux, de ses expériences, de ses idées et que, par l’effet d’échanges nécessairement partiels et d’hypothèses théoriques nécessairement provisoires, il lui devenait possible de produire des phrases avec ce riche vocabulaire, c’est-à-dire de « broder » ou de mettre en discours ses informations, ses questions, ses projets, etc. Ce lieu d’échanges instaurateurs pourrait être comparé à ce que, dans le Loiret, on appelle un caquetoir, rendez-vous hebdomadaire sur la grand-place, laboratoire pluriel, où des “passants” s’arrêtent le dimanche pour produire à la fois un langage commun et des discours personnels », Michel de Certeau, « Qu’est-ce qu’un séminaire », revue Esprit, no 11-12, novembre-décembre 1978, p. 176.
2L’ensemble de ce corpus de recherche est accessible en ligne : https://quartiersenrecherche.net/categorie/en-rue
3Francis Lesourd, « Public intérieur », septembre 2016, en ligne : https://encyclopedie.fabriquesdesociologie.net/public-interieur
4Un collectif de « jeunes » architectes est venu prêter main-forte au collectif.
5Lors de cette recherche-action, nous avons co-produit 4 fanzines avec des habitant·es. C’est, à notre connaissance, la première fois que le fanzine est mobilisé comme « outil » de la recherche-action et, surtout, comme expérience de co-écriture de la recherche associant chercheur·es et citoyen·nes. Les fanzines En Rue peuvent être consultés dans la fanzinothèque que nous avons créée en ligne : https://comme-un-fanzine.net/categorie-s/enrue
6« Éprouvé » est à lire dans sa double acception : à l’épreuve des situations (une « preuve » par l’expérience vécue) et à l’écoute des émotions.
7Oskar Negt, L’espace public oppositionnel, Payot, 2007.
8Pascal Nicolas-Le Strat, Le travail du commun, Éditions du commun, 2016.
9John Dewey, Œuvres philosophiques II – Le public et ses problèmes (s. la dir. de Jean-Pierre Cometti. Tr. de l’anglais et préfacé par Joëlle Zask), Publications de l’Université de Pau, Farrago / éd. Léo Scheer, 2003.
10Yves Citton évoque à ce propos une nouvelle écologie de l’attention in Pour une écologie de l’attention, Seuil, 2014.
11Se reporter, à ce propos, au Petit manuel de discussions politiques (Réflexions et pratiques d’animation à l’usage des collectifs), Gaëlle Jeanmart, Cédric Leterme et Thierry Müller, Éditions du commun, 2018.
12Saul Alinsky, Être radical – manuel pragmatique pour radicaux réalistes, Aden, 2012 ; et Entretien avec Saul Alinsky – Organisation communautaire et radicalité (préface d’Yves Citton), Éditions du commun, 2018.
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