Pourquoi une République dite « laïque » réduit-elle systématiquement des citoyens à leur appartenance « religieuse » supposée ? Pourquoi des inégalités sociales, concrètes et matérielles, prennent-elles la forme de conflits « religieux » au moment où l’on crie « laïcité » sur tous les toits ?

« Décoloniser la laïcité » est une hypothèse de réponse collective à ces questions. Elle suggère que ce sont des refoulés coloniaux − et non « l’islam » − qui contreviennent à l’application équitable et démocratique du principe de séparation de l’État et des cultes. La République a voulu créer son « islam » au sein d’un Empire colonial dont l’Afrique du Nord à majorité « musulmane » formait le cœur. Nous assistons à la fois à la réinvention et à l’échec d’un tel projet dans l’ancienne « métropole » d’Europe. Cette réinvention sous-tend une pseudo-« laïcité » réactionnaire qui n’est rien d’autre qu’un système de transformation des questions sociales en questions « religieuses ». En effet, le renvoi systématique d’individus à une appartenance « religieuse » souvent racialisée rejoue des situations coloniales.

Faut-il y voir une trahison ou un effet direct de l’idée laïque ? Cette question est mal posée pour la raison simple qu’il n’y a pas d’« idée laïque » qui renverrait à une réalité homogène. La « laïcité » ne désigne pas seulement la séparation de l’Église et de l’État : elle renvoie à la construction de frontières changeantes entre ce qui est censé être « laïc » et ce qui est censé être « religieux ».

Les contributions réunies ici sont toutes résolument politiques bien qu’elles ne reflètent pas une ligne homogène. On signalera une lacune : la déconstruction critique des islamismes. Il est nécessaire de renvoyer ces idéologies aux fractures néocoloniales du monde capitaliste contemporain plutôt qu’au soit disant « retour du religieux ». Il faut donc en finir avec cette théologie médiatique qui cherche des réponses à l’actualité dans des interprétations plus ou moins douteuses du Coran. Seul un idéalisme structurellement réactionnaire peut voir dans la « religion » une cause ou même un motif de la violence politique.

La force idéologique de l’islamisme s’explique par son anti-occidentalisme de façade, par la captation illusoire et fallacieuse de la lutte anti-impérialiste qu’il opère. Derrière les dites « radicalisations » hurlent les cris de corps encore colonisés. Les mals nommés « islamismes » n’ont de sens que vis-à-vis de cet « Occident » fantasmé qu’ils font mine de combattre. Quant au mal nommé « jihadisme », force est de constater qu’il est en rupture complète avec les pratiques musulmanes relevant de la « tradition » ; pratiques qui sont les premières menacées par sa prolifération, notamment en Afrique. La critique décoloniale implique donc la critique de l’islamisme car l’islamisme reproduit l’aliénation néo-coloniale qu’il prétend combattre.