Un demi-siècle de mobilisations et de soulèvements a réussi à placer les thèmes de l’écologie au cœur de la vie politique mondiale. La cause environnementale a alimenté un activisme politique dont les revendications se sont peu à peu étendues. Elle a imposé la validité des travaux du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) contre les scientifiques qui niaient le rôle déterminant de l’activité humaine dans le réchauffement de la planète. Cette victoire s’est accompagnée de la création, sous l’égide des Nations unies, des Conférences des parties (COP) qui ont institutionnalisé la globalisation de la lutte contre les effets ravageurs de nos manières de vivre, de produire et de consommer. La pression constante de l’activisme environnemental a ainsi conduit, en 2015, à la signature de l’accord de Paris, qui consacre l’engagement de 185 États à mettre en œuvre des politiques publiques coordonnées pour maîtriser l’évolution et les conséquences du dérèglement climatique.

L’institutionnalisation du souci écologique est un succès de l’activisme environnemental, mais ne parvient toutefois pas à masquer le fait que, en dépit de leurs résolutions, les gouvernements n’agissent guère pour le climat. Les mouvements citoyens, les ONG, les associations et les collectifs qui se mobilisent pour cette cause ne cessent de dénoncer l’abîme qui sépare les engagements officiels de la mise en œuvre de décisions permettant de s’attaquer sérieusement aux atteintes à la santé humaine, à l’air, à l’eau, aux sols et à la biodiversité. Les groupes activistes sont donc devenus experts dans l’art de faire entendre leur voix en se servant d’une large gamme de moyens. Les uns sont légaux, d’autres ne le sont pas, certains admettent même un usage mesuré de la violence1. Il peut arriver qu’ils recourent à cette forme particulière d’action politique qu’est la désobéissance civile. Or ce choix n’a rien d’évident.

La désobéissance civile se définit par quatre traits : elle vise l’abrogation d’une obligation légale ou réglementaire jugée injuste, indigne ou immorale ; elle ne tolère pas l’anonymat ; elle doit être affichée dans la mesure où s’opposer à une injonction en son for intérieur ou ne pas l’appliquer sans que personne ne le sache trahit son principe ; dans sa définition initiale, elle est un moyen de dernier recours, lorsque tous les autres ont été épuisés sans succès2.

La majorité des actions conduites aujourd’hui sous le signe de la désobéissance civile en matière de climat ne présentent pas ces traits. Ce sont des troubles à l’ordre public ou des interventions ludiques et ironiques dans l’espace public dont l’objet est de maintenir la pression sur des gouvernements. Il peut arriver que ces mobilisations soient autorisées, mais la plupart du temps elles sont sciemment organisées en infraction à la loi et en sachant qu’elles risquent d’impliquer le délit que constitue le refus d’obtempérer aux sommations de la police. Elles ne sont pas forcément un dernier recours, car nombreux sont les divers « recours » qui sont bloqués ou retardés sine die.

Bien qu’elles assument une part d’illégalité, ces actions ne relèvent pas de la désobéissance civile car il n’existe aucune loi qui contraint à polluer, à forer ou à saccager la nature et à laquelle il s’agirait de contrevenir ouvertement pour en exiger l’abrogation. Tout comme aucun texte officiel ne force à investir dans des industries fossiles auquel on pourrait ostensiblement refuser de se plier. C’est ce que mettent en avant les critiques qui ne voient pas le rapport entre peindre une carlingue d’avion en vert et dénoncer le transport aérien, se coller les mains à l’asphalte et exiger une politique massive d’isolation thermique, ou encore jeter de la soupe sur la Joconde et dénoncer l’inaction climatique.

Telle est donc la condition de la désobéissance civile : en l’absence d’une obligation inscrite dans une loi ou un règlement à laquelle on pourrait refuser d’obtempérer, comment désobéir ? Et cette difficulté vaut également pour ces activistes qui s’en prennent aux boucheries, car tout un chacun est libre de ne pas manger de la viande ; pour celles et ceux qui détruisent des panneaux publicitaires, car personne n’est obligé d’acheter les produits dont ils vantent les qualités. Autrement dit, décider d’être végane, ne pas acheter inutile ou superflu, cesser de fréquenter les hypermarchés, quitter les banques qui tirent profit du pillage des sous-sols et de la destruction de la planète, ne plus acheter l’essence fournie par des multinationales sans scrupules, ce n’est pas « désobéir ».

L’action directe non violente

L’action directe non violente retient parfois un attribut de la désobéissance civile : celui de se servir de la répression qu’elle subit pour réaliser ses fins. C’est par exemple le cas des actions conduites en 2019 par Extinction Rebellion, dont l’objectif était de bloquer le centre de Londres pour provoquer des arrestations en masse afin de congestionner le système judiciaire britannique et démontrer le caractère ridicule ou indigne de la répression d’une opinion largement partagée par la population. Bien que le nombre visé de 10 000 arrestations n’ait pas été atteint, la mobilisation a forcé le gouvernement britannique à satisfaire la première revendication de l’organisation : déclarer publiquement l’état d’urgence climatique.

Dans les luttes pour le climat, désobéissance civile et action directe non violente sont devenus synonymes. Les deux termes renvoient à un même phénomène : l’opposition farouche aux pouvoirs politiques, industriels et financiers qui préfèrent ne pas prendre la mesure des dérèglements qui mettent l’humanité et la vie sur terre en danger. Cette résistance à la perpétuation d’un ordre de choses fatal, dont il n’est pas anodin de signaler qu’elle est organisée par une génération de jeunes femmes qui en a pris la tête, ne désarme pas. Elle a survécu aux confinements et repris sa vigueur en dépit de la répression acharnée et des guerres qui assombrissent l’horizon. Elles en sont venues à élargir le spectre de leurs revendications en associant de façon désormais inextricable justice sociale et justice environnementale. C’est de cette résistance que la désobéissance climatique est aujourd’hui l’emblème.

En effet, le refus de se plier à une loi occupe une place indispensable et unique dans l’expérience de la démocratie3. Lorsque Henry David Thoreau, penseur américain auquel on doit la notion de désobéissance civile, décide de s’installer au bord de l’étang de Walden4 pour vivre « seul, au milieu des bois », dans la cabane qu’il bâtit de ses propres mains, c’est pour y réinventer une vie dont il ne supporte plus le « désespoir silencieux ». Les activistes qui acceptent de se mettre en désobéissance civile et de rompre avec les codes et les rituels de la politique traditionnelle rendent public et visible ce même sentiment d’injustice, d’inexpressivité, de dépossession ou de désespoir. Comme lui, ils cherchent à s’en défaire en inscrivant leur action collective dans un cadre qui respecte l’égalité de toute parole, privilégie la décision à l’unanimité, revendique l’absence de chef et vise à établir des relations sociales délivrées de toute trace de domination sociale, intellectuelle, d’origine ou de genre. En revendiquant le droit des citoyens concernés par des problèmes publics laissés en déshérence par les gouvernements à les réintégrer dans l’agenda politique, l’activisme environnemental fait progresser cette politique de l’ordinaire qui porte une aspiration à un ordre qui reconnaisse à chaque voix le droit de se faire pleinement entendre et garantisse la légitimité de tous les modes de vie.

Démocratie et confiance en soi

Les luttes pour le climat sont inséparables d’une radicalisation de la démocratie : elles viennent rappeler qu’une démocratie se grandit en œuvrant à élargir l’espace de liberté et à garantir l’exercice des contre-pouvoirs dont les citoyens disposent ; et qu’elle s’affaiblit lorsqu’elle étouffe les voix dissidentes au nom du droit de la majorité, de la raison d’État ou en décrétant que la légalité, la sécurité ou la république sont en péril. C’est ce que le recours à la désobéissance civile vient rappeler de façon concrète. Et pourtant l’idée en reste toujours contestée, que ce soit pour des raisons de légitimité (l’infraction à la loi républicaine ne doit pas être récompensée), pour des raisons politiques (les intérêts des individus ne peuvent pas prévaloir sur les intérêts de la collectivité) ou pour des raisons stratégiques (l’efficacité de l’action politique dépend de la définition d’un projet de changement global). Pourtant, la désobéissance civile n’est pas une manifestation émotionnelle et éphémère. Elle est une forme d’action politique intimement liée à la définition même d’une démocratie, c’est-à-dire un gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple : un gouvernement qui est le nôtre, le mien − qui m’exprime, où j’ai ma voix.

Les actions qui se commettent sous le signe de la désobéissance climatique réaffirment l’idée que la démocratie n’est pas un régime politique achevé, mais qu’elle est à réaliser quotidiennement. Les occupants de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes comme ceux de la zone du barrage de Sivens ou les opposants aux retenues de Sainte-Soline se mettent en rupture avec la loi et attirent la brutalité des forces de l’ordre parce qu’ils défendent la terre, la nature, l’eau, pas eux-mêmes. Cette désobéissance prend, comme chez Thoreau, la forme de l’occupation de la Terre, de la réappropriation de ce dont on est dépossédé. Ces actions d’élargissement constant de la démocratie suscitent une réaction violente des milieux conservateurs et réactionnaires qui est la marque même de l’indispensabilité de ces actions.

Désobéissance et politique du care

L’activisme environnemental vise à donner forme à une question qui reste marginalisée dans le débat politique : la transformation radicale de nos modes de vie que le dérèglement climatique oblige à mettre en chantier. Il entend contribuer à infléchir ou modifier la définition de « ce qui compte » pour les membres d’une société. La désobéissance climatique retrouve ainsi l’esprit des éthiques du care qui, en attribuant une importance déterminante à la matérialité des choses et à leur essentielle vulnérabilité, reflètent cette nouvelle sensibilité politique qui prend au sérieux les problèmes publics que les dirigeants préfèrent généralement oublier, au profit des questions nobles ou « régaliennes ». Les éthiques du care ont réussi à faire apparaître et à rendre leur légitimité aux voix de toutes ces personnes qui occupent des métiers prioritairement réservés aux femmes, aux pauvres, aux immigré·es qui prennent pratiquement en charge les besoins d’autres qu’elles-mêmes, que ces autres soient officiellement dépendants ou pas. On le sait, toutes ces personnes sont mal payées, mal considérées, leurs besoins ignorés, leurs savoirs et savoir-faire négligés ou rabaissés. Cette armée invisible, reléguée dans les coulisses du monde de la performance économique5, est pourtant indispensable au fonctionnement et à la reproduction de la vie ordinaire, comme la période des confinements imposée par la pandémie de Covid l’a démontré de façon crue. Il ne s’agit plus de préconiser les idées creuses ou bien-pensantes de « vivre ensemble » ou d’une « société du soin », mais de revendiquer le care comme outil de renversement des valeurs, de modification du statut et du sens de l’éthique, de transformation du regard sur « ce qui compte ». En un mot, de ramener la morale à son terrain propre − celui de la manière dont nous vivons et de ce qui compte − et de déplacer en première ligne de l’agenda politique cette question : « Qui fait quoi et comment6 ? »

Les réponses qu’on peut y apporter ne sont pas à chercher dans une réalité morale ou dans des règles préexistantes ou énumérables, mais dans l’immanence des situations, des affects et des pratiques. Pas de care sans expression et écoute de la voix de chacun et de chacune : c’est toute l’importance démocratique du concept de « voix différente » développé par Carol Gilligan7. Aucune théorie féministe n’a montré aussi clairement que Gilligan que, bien que les critères qui disent ce qui est valorisable ou méprisable se présentent comme universels, ils sont de fait ceux d’une société patriarcale, issus de la domination masculine. Par la place centrale qu’elle accorde à la vulnérabilité des personnes8, la perspective du care comporte une visée éthique et politique qui ne se résume pas à une bienveillance active pour les proches, mais constitue une véritable révolution démocratique dans la perception et la valorisation des activités humaines. Les éthiques du care débordent largement les beaux discours sur l’empowerment et anticipent l’activisme environnemental et les pratiques qu’il met en œuvre à partir d’un questionnement général : qui décide de ce qui est important dans le champ moral et politique − donc de qui, selon les circonstances, est rejeté ou dévalorisé ?

Cette remise en cause de l’ordre des hiérarchies établies signe le fait que l’idéal d’autonomie des théories morales et politiques traditionnelles et libérales s’est effondré devant la réalité de la dépendance de l’être humain, du vivant, par rapport à son environnement. C’est ainsi que l’extension des éthiques du care a réorienté la préoccupation écologique, centrée à l’origine sur la protection de la nature et la valeur des entités naturelles, vers les activités et pratiques ordinaires, privées et publiques, et vers la prise de conscience de nos dépendances et responsabilités. C’est dans une approche descriptive soucieuse du détail de ces activités et de ces pratiques qu’apparaît la dimension subversive de cette démarche − qui nous renvoie à la racine commune de l’écologie et de l’économie, l’oikos grec, qui permet de penser deux sens parfois divergents de l’écologie : protection de la nature et attention aux conditions de vie humaine.

Cette attention caractérise l’investissement des femmes dans les mobilisations et mouvements environnementaux. Le cas de Rachel Carson, biologiste qui en 1962 dévoile, en dépit des obstacles industriels et académiques, les effets de la concentration des insecticides chimiques dans les organismes tout le long des chaînes trophiques, est emblématique de cette dimension d’alerte. Les mouvements contre les dépôts toxiques réunissent, aux États-Unis, une grande majorité de femmes. Les mobilisations environnementales sont les plus marquantes dans les pays du Sud, où des femmes prennent la tête de luttes revendiquant simultanément la démocratie et la préservation de l’environnement9. Vandana Shiva, physicienne indienne, militante et théoricienne, et Wangari Muta Maathai, prix Nobel de la paix en 2004, fondatrice du Mouvement de la ceinture verte, emprisonnée à plusieurs reprises pour ses actions, ont réorienté l’écoféminisme en montrant que, dans les pays du Sud ou les zones défavorisées des pays du Nord, les conséquences environnementales du développement et de la mondialisation atteignent plus lourdement les femmes10. Cette démocratisation de la question environnementale introduit une distinction entre l’écologisme mainstream, celui par exemple de la protection des espaces naturels et de la biodiversité, et un engagement qui se préoccupe des inégalités environnementales, des populations vulnérables et de la dégradation de la forme de vie.

Dans le contexte de la globalisation, ces groupes activistes grassroots contestent la conception dominante du développement durable ou « soutenable », liée de fait au maintien du niveau de vie des sociétés développées et qui prolonge un état de choses injuste. Ils imposent l’idée selon laquelle cette hétérogénéité problématique entre la société et ce qui la perpétue est un enjeu moral crucial de la démocratie. L’irruption du care dans l’espace public met l’accent sur l’incapacité majoritaire du monde politique, et intellectuel, à reconnaître ce dont nous dépendons. Elle dévoile et remet en cause le désir de notre société d’oublier, ou d’euphémiser sous d’autres concepts (le durable, la solidarité, l’interdépendance), notre responsabilité à l’égard des autres et du monde.

Care de l’environnement

Les situations de désastre climatique ou sanitaire qui ont marqué les dernières décennies et souvent mobilisé les citoyens contre des autorités au mieux incompétentes, au pire indifférentes à l’endroit des plus vulnérables, ont bien montré les limites du concept de « risque » imposé par les milieux dirigeants. Elles sollicitent d’autres ressources pour penser et prendre en compte les besoins de l’humain vulnérable, comme celles qu’offrent les éthiques du care et la théorie des capabilités lorsqu’il est question d’affronter la perte de toute protection de la vie humaine11. Les éthiques du care situent les sources de l’éthique dans l’ordinaire des vies, comprises sous le chef du lien et de l’interdépendance d’êtres vulnérables, et pas dans l’application de principes généraux. Cela suppose de reconnaître que la dépendance et la vulnérabilité sont des traits partagés, et pas réservés à une catégorie de « vulnérables » ou précaires. D’abord parce que les plus vulnérables étant parfois ceux qui, donnant tous les signes de la puissance et de l’autonomie, sont dépendants, dans leur quotidien, d’autrui ou d’une armée d’autruis qui assurent les différentes fonctions de leur entretien (mises en lumière lorsqu’on se demande qui a installé la salle, ramassé les poubelles, rangé la maison). Ensuite parce que la vulnérabilité ne se limite pas à l’humain. C’est ce réalisme que l’activisme environnemental et la désobéissance climatique introduisent dans le débat public, en venant y rappeler que l’idée de vulnérabilité doit s’étendre à tout ce qui dans la nature est fragile, à protéger − la biodiversité, les animaux domestiques, la faune sauvage, la flore, l’eau. Le concept de forme de vie prend ici une extension nouvelle et la perspective du care s’affirme indissociablement éthique et politique. Politique au sens où on ne saurait prôner les valeurs du care et du soin sans penser une réelle valorisation des professions de care, dans l’organisation du travail et des institutions de soin. Morale au sens où cette valorisation est elle-même inséparable d’une transformation de l’ordre des relations sociales afin de prendre en considération ces activités qui traduisent une hiérarchie des actions humaines, une division morale et sexuelle des tâches, et une séparation du privé et du public. Prendre la mesure de l’importance du care pour la vie humaine suppose de reconnaître que le monde n’a pas seulement besoin d’action, de théorisation, mais aussi de préservation et de réparation12 et que cette protection nécessite une mobilisation.

La perspective du care invite à repenser l’État social et les politiques environnementales, au niveau international, national et local, en clarifiant les enjeux inhérents aux transitions socio-écologiques, techniques et économiques. Les écoféministes et des spécialistes de l’éthique de l’environnement ont mis au jour des systèmes d’exploitation et de dépendance inaperçus qui croisent le patriarcat et le capitalisme, la domination des hommes sur les femmes et l’exploitation forcenée des ressources naturelles13. Le concept de vulnérabilité se révèle être une réserve d’exigences qui alimente son potentiel de subversion et de résistance.

La désobéissance civile s’est construit un pedigree historique dans les luttes contre la domination coloniale, la ségrégation raciale, la Guerre d’Algérie ou celle du Viet Nam, ou celles pour le suffrage universel, les droits civiques des afro-américains, le droit à l’avortement ou la décriminalisation de l’homosexualité. Elle est invoquée aujourd’hui par des mouvements activistes qui se mobilisent pour dénoncer l’inaction des gouvernements en matière d’urgence climatique, d’évasion fiscale, de contrôle des multinationales ou d’investissements fossiles.

L’invocation de la désobéissance civile remplit aussi une fonction morale critique, comme on l’a vu à propos de la promulgation de lois véritablement iniques (telles en France la Loi Immigration). Ce qui justifie l’appel au « principe désobéissance » est un sentiment d’indignité, qui a animé Thoreau et Emerson, qui dénonçaient la trahison des idéaux de leur démocratie. Peu importe finalement que les revendications de désobéissance climatique ne soient pas toujours conformes à l’épure de la désobéissance civile. Tant qu’elle reste une forme d’action politique non-violente qui sollicite les instruments du droit, la résistance climatique peut légitimement revendiquer l’héritage de la désobéissance civile, historiquement lié à des enjeux écologiques. Ce développement répond à la dérive antidémocratique de nombreux pays, dont la France, et aux violences policières que suscitent les actions pour la défense de l’environnement. La désobéissance, ce n’est pas « seulement » désobéir à une loi : c’est accomplir une action illégale dans un but d’intérêt général, et souvent, subir la brutalité de l’État. On peut rappeler que la non-violence comme tactique révolutionnaire, suggérée par Gandhi et Martin Luther King, visait précisément à démontrer la violence d’une situation ; pensons encore aux actions des Indiennes Chipko14 qui se sont opposées à l’exploitation commerciale de leurs forêts, par une tactique consistant à se coller (littéralement) aux arbres. L’écoféminisme gagné à la désobéissance et à la non-violence permet de saisir à une échelle globale les stratégies prédatrices de la bio-piraterie agro-alimentaire et de l’extractivisme. Ce sont des actes de désobéissance, et la violence cynique qui leur a été opposée, qui ont forcé leur irruption sur la scène politique, en faisant un paradigme de soulèvement contemporain.

1Plus vraiment revendiqué, même si certains invitent à sen servir comme A. Malm, Comment saboter un pipeline, Paris, La Fabrique, 2020.

2S. Laugier et A. Ogien, Pourquoi désobéir en démocratie ?, Paris, La Découverte, 2011.

3Voir S. Laugier, « Désobéissance », dans D. Fassin (dir.) La société qui vient, Paris, Le Seuil, 2022.

4Walden et La désobéissance civile, nouvelle édition Le Pommier, 2023.

5F. Jany-Catrice, La Performance totale, Villeneuve dAscq, Presses universitaires du Septentrion, 2012.

6S. Cavell, Dire et vouloir dire, Paris, Cerf, 2010.

7C. Gilligan, Une voix différente, Champs Flammarion, 2008 et Une voix humaine, 2024. Voir P. Paperman et S. Laugier (dir.), Le Souci des autres. Éthique et politique du care, Paris, Éditions de lEHESS, 2011

8S. Laugier, Tous vulnérables ? Le care, les animaux, lenvironnement, Paris, Payot, 2012.

9R. Carson, Silent Spring, New York, Houghton Mifflin Company, 2011 [1962] ; C. Larrère, « Lécoféminisme : féminisme écologique ou écologie féministe », Tracés, 22, 2012.

10Voir V. Maris, « Quelques pistes pour un dialogue fécond entre féminisme et écologie », Multitudes, no 36, 2009 ; C. Larrère, Écoféminisme, La Découverte, 2023.

11Voir V. Das, S. Laugier, A. Lovell et S. Pandolfo, Face aux désastres. Une conversation à quatre voix sur la folie, le care et les grandes détresses collectives, Paris, Éditions Ithaque, 2013.

12M. Crawford, Éloge du carburateur, Paris, La Découverte, 2010 ; J. Denis et D. Pontille, Le Soin des choses. Politiques de la maintenance, Paris, La Découverte, 2022.

13J. Falquet, S. Laugier et P. Molinier, « Genre et inégalités environnementales : nouvelles menaces, nouvelles analyses, nouveaux féminismes », Cahiers du genre, 59, 2015.

14V. Shiva, « Étreindre les arbres », in Reclaim. Recueil de textes écoféministes, éd. E. Hache, Cambourakis, 2016, p. 183-210.