Avant, les Blancs traversaient impunément toute la planète de long en large, pour en explorer tous les recoins par la grâce de leur carte de crédit. Tout s’aplanissait devant elle. Des avions les transportaient en les nourrissant à 30 000 pieds d’altitude. Des bus climatisés les conduisaient jusqu’à la porte des temples. Tout était préparé sur leur parcours pour leur donner envie de photographier, de manger, d’acheter, de boire des cocktails dans des piscines bercées de leurs musiques favorites.

Nous vivions dans les virus depuis toujours, mais les touristes avaient réussi à s’en protéger avec leurs hôtels aseptisés et leurs bouteilles scellées. Et tout à coup, ils se sont mis à en avoir peur comme de la peste. Ils pleuraient pour que leur gouvernement les rapatrie en urgence. Ils se retrouvaient prisonniers de paquebots luxueux. Leurs piscines chauffées et leurs buffets surabondants leur faisaient soudainement horreur, contaminés par le virus.

Les hôtels ont fermé. Les restaurants ont fermé. Les avions sont restés au sol.

Tout le monde a d’abord attendu impatiemment les dates de réouverture. Mais même quand on a eu le droit d’y retourner, le charme était brisé. On ne veut pas prendre de risque.

Les hôtels ont accueilli des migrants pendant le premier déconfinement. Ils y sont retournés durant le deuxième, le troisième, et ils y sont restés pendant les suivants. Les grandes chaînes d’hôtellerie ont plaidé pour étendre le droit d’asile. Le gouvernement a pris l’habitude de payer pour ces lits qui restaient désespérément inoccupés. Autant continuer à payer les employés de la réception, les cuisiniers, les nettoyeurs, plutôt qu’exploser le nombre de chômeurs. Autant mettre les migrants et les sans-abris dans des chambres où ils peuvent se doucher.

Beaucoup d’entre nous ont tenté d’effacer les images qu’ils avaient envoyées depuis leurs voyages dans des destinations de rêve. Notre passé de touriste est devenu indécent. Des fois on commence à raconter une histoire, et puis quand on s’aperçoit que ça se passait dans une île exotique ou sur les ruines d’une civilisation disparue, on s’arrête au milieu d’une phrase… On dit qu’on a oublié la fin de l’histoire.

[voir Hospitalité]