Le mouvement « Save The Sundarbans » au Bangladesh

Contexte

La mangrove des Sundarbans est un biotope très spécial et particulièrement stratégique, non seulement pour le Bangladesh, pays où elle se situe, mais aussi pour le monde entier. C’est la plus grande mangrove qui existe au monde et l’Unesco a déclaré le site « Patrimoine mondial ». Cette forêt est menacée par le projet Rampal. Officiellement connu sous le nom de Maitree Super Thermal Power Project, il s’agit d’une centrale au charbon de 1 320 (2 x 660) mégawatts qui devrait être construite à Bagerhat, dans le district de Khulna. Le projet est géré par la Bangladesh-India Friendship Power Company, un groupement formé par la Société nationale de l’énergie thermique (NTPC) et le Bangladesh Power Development Board (BPDB). Le site proposé pour l’usine est situé à quatorze kilomètres des Sundarbans. Selon l’Unesco et l’Union internationale pour la conservation de la nature, la proximité de l’usine Rampal affectera la forêt de quatre façons : par l’émission de cendres de charbon dans l’air, par les rejets d’eau et de cendres résiduelles dans la rivière, par l’augmentation des flux de véhicules et le dragage du fleuve et enfin, par l’industrialisation et le développement des infrastructures afférentes1.

En réponse au projet de centrale, une grande manifestation, étendue à tout le pays, a eu lieu en 2012. Ce mouvement est significatif pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce que pour la première fois dans l’histoire du Bangladesh, la rue a été occupée pour sauver une forêt. Le Bangladesh est l’un des pays les plus peuplés du monde et ses habitants disposent de ressources limitées pour survivre quotidiennement. Le pays est confronté à plusieurs défis, tels que le déficit de gouvernance, la corruption et l’extrémisme religieux. Face à ces graves problèmes, le rassemblement de milliers de personnes pour sauver une mangrove peut s’expliquer par la théorie de « l’écologisme des pauvres » de Martinez Alier2. Ensuite, le gouvernement justifie la construction de cette centrale à charbon en s’appuyant sur la dichotomie classique entre développement et écologie. À partir de la courbe environnementale de Kuznets3, il soutient l’impérieuse nécessité de suivre les traces des pays développés pour lesquels la croissance économique et le développement ne peuvent être réalisés qu’au détriment de l’environnement.

En réponse, ceux qui critiquent le projet Rampal proposent d’utiliser des énergies renouvelables, telles que le solaire, l’éolien et des combustibles alternatifs au charbon, comme le gaz. Les militants du mouvement « Sauvez les Sundarbans » protestent également contre le modèle de développement fondé sur le charbon et proposent un modèle économique alternatif pour l’avenir du monde entier.

Les acteurs principaux
du mouvement

L’opposition au projet est menée par le Comité national (pour la protection du pétrole, du gaz, des ressources minérales, de l’énergie et des ports) du Bangladesh (National Comittee of Bangladesh ou NCBD), qui a une histoire riche en mouvements de défense de l’intérêt national dans le domaine de l’extraction de minéraux et de ressources naturelles. Il tire sa force des militants de différents partis de gauche au Bangladesh. Cependant, derrière le NCBD, il y a aussi de nombreux membres de la société civile indépendante, des professeurs d’universités et des intellectuels. Avec ses événements et ses campagnes, le comité a réussi à impliquer des personnes de toutes conditions sociales. Selon l’analyste politique Afsan Chowdhury, la raison de ce succès repose sur le fait que « les militants ressemblent à des hommes politiques d’un type que nous n’avons presque jamais vu au Bangladesh et auquel nous ne pouvions pas nous attendre non plus. Ils agissent pour une cause et non pour un parti, ni pour le pouvoir ni pour l’argent, mais pour des questions de développement […]. Beaucoup les considèrent comme honnêtes et patriotes4 ».

Les contestataires du projet trouvent devant eux un opposant farouche, le parti du gouvernement actuel, la Bangladesh Awami League. Malgré la vigueur de l’opinion publique contre la décision du pouvoir central, le gouvernement tient à mener à bien le projet. La Première ministre du Bangladesh en personne a convoqué une conférence de presse sur le projet Rampal5. D’autres acteurs, de manière indirecte, ont joué un rôle dans la dynamique du mouvement, comme le gouvernement indien ou le parti d’opposition au gouvernement.

Évolution du mouvement

Le mouvement est né en janvier 2012, après la signature du protocole d’accord relatif au projet Rampal. Il a commencé par une campagne de collecte de signatures et a conquis une légitimité grâce à une série d’évènements organisés au cours des cinq années suivantes. En 2013, une longue marche de quatre cents kilomètres s’est déroulée de Dacca à Rampal. Deux autres manifestations ont été organisées en 2015 et 2016. Les manifestations de rue, rassemblements, manifestations à vélo, campagnes Facebook, envoi de lettres aux premiers ministres indien et bangladais, publications, pièces de théâtre, chansons et documentaires ont constitué d’autres formes d’activisme. Cinq militants ont été arrêtés et deux journalistes blessés. Compte tenu de la recrudescence de la violence physique au sein du pays, il devenait nécessaire d’élargir le mouvement au niveau mondial pour continuer à faire pression sur le gouvernement.

Portée mondiale

Afin de diffuser le mouvement hors de Bangladesh, une journée mondiale de protestation a été organisée dans sept pays le 7 janvier 2017. Cela a permis aux expatriés bangladais de participer au mouvement et de le mettre en contact avec des groupes environnementaux internationaux tels que Greenpeace, Les amis de la Terre et 350 ONG. Du 18 au 19 août 2017, une conférence sur la centrale de Rampal et les énergies alternatives s’est tenue à Berlin avec la participation d’experts, de scientifiques et des militants internationaux. Plus d’une centaine d’organisations ont exprimé leur solidarité à travers la Déclaration de Berlin pour sauver les Sundarbans. Le professeur Anu Muhammad, secrétaire du NCBD, a également donné une conférence sur le mouvement « Sauvez les Sundarbans » au Sommet des peuples sur le climat, organisé à Bonn en novembre 2017.

Situation actuelle

Le 21 août 2017, treize rapports de recherche ont été envoyés à la Première ministre du Bangladesh au sujet de l’impact potentiel de l’usine Rampal sur la mangrove des Sundarbans6. Les militants l’ont exhortée à les prendre en compte et, par conséquent, à déplacer la centrale. Actuellement, le mouvement se poursuit avec des manifestations à travers tout le pays. Le NCBD a publié un plan d’énergies de substitution avec des propositions alternatives d’utilisation de l’énergie éolienne, solaire et gazière. Les succès des mouvements de justice écologique sont souvent subjectifs et peuvent donner lieu à des interprétations multiples. Dans l’Atlas mondial de la justice environnementale7 de
20178, ce mouvement n’est pas considéré comme un succès, puisque les travaux de construction de la centrale thermique ont débuté en avril 2017. Cependant, la réussite de ce mouvement peut être comprise de différentes manières. En premier lieu, il convient de souligner sa persistance. La manifestation a commencé avec un petit nombre de volontaires, de chercheurs et de militants. Au fil du temps, la cause a gagné en popularité. Face à la répression gouvernementale, la participation des citoyens aux événements a diminué, mais le soutien populaire transparaît dans les plateformes sécurisées telles que Facebook. En second lieu, des scientifiques, des ingénieurs et des chercheurs ont apporté collectivement des preuves scientifiques contre la centrale et ses nuisances. Cette collaboration entre les activistes et la communauté scientifique constitue un trait distinctif du mouvement. En troisième lieu, un réseau mondial significatif s’est constitué et mobilisé. En quatrième lieu, le mouvement n’est financé que par des contributions volontaires, ce qui l’oblige à être transparent et à rendre des comptes. Enfin, en raison de la pression exercée par le mouvement, le gouvernement a beaucoup à perdre en termes d’image et de preuves de bonne volonté. Bien qu’il soit décidé à construire l’usine Rampal, il doit en payer le prix, ce qui rend sa décision plus difficile. Pour toutes ces raisons, le mouvement peut être considéré comme réussi.

Traduit de l’espagnol par Priscilla De Roo

1 Doak, N., M. Murai, F. Douvere, « Rapport de mission dans les Sundarbans », site du patrimoine mondial de l’Unesco – 22/28 mars 2016, https://whc.unesco.org/en/documents/148097

2 Martínez Alier, J., El ecologismo de los pobres. Conflictos ecológicos y lenguajes de valoración, Icaria, Barcelona, 2005.

3 La courbe en cloche de Simon Kuznets (1955), qui dessine la relation entre le niveau de richesse d’un pays (PIB/h) et son degré d’inégalité (revenus), a été également utilisée pour mettre en relation le niveau de richesse d’un pays et le degré de dégradation de l’environnement (ndlr).

4 Chowdhury, A., 2016. « The question about who wants Rampal ». Dhaka Tribune, octobre 2016. www.dhakatribune.com/opinion/op-ed/2016/10/21/yesterday-once-more

5 The Daily Star, 27 août 2016. [Online News]. « PM to brief media today on Rampal », www.thedailystar. net/frontpage/pm-brief-media-today-rampal-1276108

6 Mallick, B., 2017. “Environmentalists to submit report on Rampal power plant today”. Daily Observer, aout 2017. www.observerbd.com/details. php?id=90924

7 L’Atlas de la justice environnementale (EJAtlas) documente et répertorie les conflits sociaux nés autour des questions environnementales. Partout dans le monde, les communautés luttent pour défendre leurs terres, leur air, leur eau, leurs forêts et leurs moyens de subsistance contre des projets destructeurs et des activités extractives à fortes incidences environnementales et sociales : mines, barrages, fracturation, torchage du gaz, incinérateurs, etc. L’EJ Atlas rassemble les histoires de ces communautés qui luttent pour la justice environnementale à travers le monde. Il est dirigé par Leah Temper et Joan Martinez Alier et coordonné par Daniela Del Bene, de l’Institut de ciència i tecnologia ambientals (ICTA) de l’Universitat Autonoma de Barcelona.

8 EJAtlas, 2017. « Rampal thermal power plant at Sundarbans, Bangladesh », The Atlas of Environmental Justice. https://ejatlas.org/conflict/rampal-thermal-power-plant-rampal-bangladesh