85. Multitudes 85. Hiver 2021
Majeure 85. Planétarités

Gaïa en chiffres
Ou la dialectique du bioespace et de l’écoespace

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La terre (1,083 1021 m3 ; 5,9 1021 t ; 5,1 1014 m2) existe depuis environ 4,6 109 ans et, pendant près d’un milliard d’années, a été essentiellement façonnée et différenciée par les actions et le contrôle des forces physiques et chimiques, tant internes (température, pression, radioactivité > 1023 Bq, composition chimique minérale puis organique ; volcanisme, lithogenèse, orogenèse, érosion ; cycles géochimiques des minéraux et de l’eau, etc.) qu’externes (énergie et radiations solaires riches en UV : 0,8 1017 W ; 2,6 1024 J/an ; rayons cosmiques, météorites, etc.).

L’espace océanique et terrestre (4 109 ans) de ce système thermodynamique ouvert, hors de l’équilibre (apport solaire et cosmique permanent), a été dynamiquement transformé et structuré (hétérogénéité du paysage planétaire) par la conjonction des logiques spécifiques géologique, chimique et climatique ; en particulier, lorsque les vitesses des réactions locales et celles de leur diffusion atteignent des valeurs critiques (instabilité), pouvant alors produire des régimes variables, source d’une nouvelle différenciation, à distance (coopérativité), des propriétés spatiales et de morphogenèses nouvelles, par effet physicogénérique et chimique (feedback évolutif). La surface émergée, telle qu’actuellement (1,45 1014 m2), date de 2,8 109 ans, et la vie qui est apparue dans la soupe organique initiale, en milieu aquatique (homéostasie environnementale), à l’interface océan-terre, il y a 3,8 109 ans, n’a colonisé l’espace émergé que depuis environ 1 milliard d’années, où une relation nouvelle avec l’espace s’est constituée petit à petit (biologisation du paysage et enclenchement des cycles biogéochimiques associés à une nouvelle homéostasie plus efficace). L’écomasse est de 8,2 1018 t (0,14 % de la masse terrestre) et recyclée en environ 1,5 108 ans (5,4 1010 t/an) par une énergie de 5,7 1032 J, essentiellement d’origine solaire.

L’émergence du vivant

Quelque chose de nouveau est alors apparu, à savoir l’information génétique (virus : 109 1010 bits : 10-16 g ADN ; bactérie : 10111012 bits : 6 10-14 g ADN ; algue verte unicellulaire : 1013 1014 bits : 6 10-12 g ADN) issue de l’organisation et de la complexification de la soupe organique (2 102 bits). L’intérêt des signaux et de l’information réside dans le fait qu’avec très peu de matière et d’énergie (10-21 J/bit), on peut agir sur des quantités énormes d’énergie et de matière (plusieurs ordres de grandeur : 103 à 106) avec plus d’efficacité et de spécificité que les autres voies déjà citées. L’espace sera donc transformé de manière plus spécifique, selon la logique du vivant. La biomasse actuelle est de 3,6 1013 t et animée par 1,5 1022 J/an d’énergie solaire (0,5 % So) via la photosynthèse, plus 3,5 1023 J/an pour l’eau douce terrestre.

La vie, de par sa finalité génétique de reproduction, d’expansion et d’expression spécifique, a entièrement biologisé la planète, augmentant l’homéostasie planétaire en vue du maintien du vivant (développement durable depuis 3,8 109 ans).

L’Anthroposphère/Cène

L’espèce humaine (Homo sapiens sapiens), dans sa forme semblable à nous-mêmes (Cro-Magnon), existe depuis environ 100 000 ans. À la fois être biologique et culturel, l’humanité, de par son organisation originale et ses propriétés nouvelles et uniques, a pu lentement et progressivement s’affranchir du fatum planétaire, biologique et écologique qui est le lot du reste du vivant, soit le 99,999 % de la biomasse terrestre (10-5 : masse humaine actuelle). Cette différenciation initiale exceptionnelle, source de liberté et de progrès permanents, est due à l’organisation par individu de 7 1027 atomes, articulés en n 1012 cellules (1,4 1028 bits de contenu génétique total avec 1030000 états possibles d’activité dans 254 types cellulaires différents), dont un important système nerveux, en proportion de la masse (1011 neurones en réseaux interactifs : 2 10121 états), amplifiant considérablement et diversifiant les possibilités de l’information génétique.

La dialectique du bioespace et de l’écoespace a été relayée et dominée, avec une plus grande amplification et rapidité d’action, par celle du culturel et des civilisations avec la territorialité.

L’anthropomasse (4,2 108 t) qui n’est que le 0,01 de la biomasse correspond, en raison de son activité économique actuelle, au 42 % de l’énergie de la biosphère (énergie commerciale : 1 % ; énergie pour l’eau douce et la photosynthèse agricole : 41 %), la masse économique permanente étant de n 1012 t, augmentant de 1 % par année. Depuis l’ère industrielle, le CO2 atmosphérique a augmenté de 30 %, le CH4 plus de 100 % et l’effet de serre naturel (150 W/m2) de 0,5 %, toujours en progression, enclenchant le début d’un changement climatique généralisé (augmentation considérable de la surcharge énergétique dans les océans et l’atmosphère).

Nous consommons 15 % de l’oxygène photosynthétique annuel, avons augmenté de 200 % le SO2 atmosphérique naturel, de 100 % le NOx, de 50 % le P circulant et utilisons le 10 % d’eau douce circulante et 30 % de la pluie terrestre. Nous tendons donc à atteindre la dimension de la nature dont nous avons besoin et nous approchons des limites intrinsèques (température, biomasses, surfaces) par notre distanciation (plusieurs ordres de grandeur) par rapport à la biosphère, en raison de nos libertés non connectées sur l’environnement. En 300 ans la population du globe a décuplé, accompagnée par un nombreux bétail (1,4 109 têtes) ; elle atteindra probablement 1010 H, proche d’une limite viable (O2 photosynthétique, nourriture, etc.) que l’on peut situer en dessous de 1011 H (3 à 5 1010 H).

Si nous étions des mammifères comme les autres, nous ne serions pas plus de n 107 habitants. Le besoin d’espace pour vivre était de 10 km2/H pour des chasseurs-cueilleurs-pêcheurs, voire 140 km2/H dans les climats difficiles. Il a passé à 0,5   1,3 km2/H dans le pastoralisme et 0,03   0,5 km2/H en agriculture itinérante ; il est actuellement de 400 à 800 m2/H dans les sociétés satisfaisant le besoin physiologique (Egypte, Chine) et de 3 500 à 7 500 m2/H dans les sociétés d’exportation agricole (France, USA).

La connaissance du milieu planétaire et local que l’on a, de même que les outils théoriques et techniques dont on dispose permettent d’esquisser le minimum de paramètres à respecter (enveloppes physiques, chimiques et biologiques : température, énergie, oxygène, gaz carbonique, biomasse, biodiversité) pour un développement humain viable et durable.

Le problème n’est pas technique (il y a assez d’énergie et de procédés à mettre en œuvre), mais essentiellement politique et culturel.

D’après les travaux de Hubert Greppin et Ana Priceputu de l’Université de Genève