LE PROFESSEUR HOBBY : Créer un être artificiel est le plus grand rêve de l’homme depuis l’avènement de la science. Et pas seulement depuis le début des temps modernes, quand nos ancêtres ont étonné le monde avec les premières machines pensantes, les monstres primitifs pouvant jouer aux échecs (rires). Quel chemin nous avons fait depuis ! L’être artificiel est une réalité. Une parfaite reproduction de l’homme, ayant l’articulation des membres, la maîtrise de la parole, et ne manquant pas de réactions humaines.
(Avec une aiguille, il pique la main de ce qui semble être une femme, et qui est une « méca », une androïde)
LA MECA (CHILA) : Aïe !
LE PROFESSEUR : Et même de réactions aux souvenirs de la douleur !
(Rires dans la salle)
LE PROFESSEUR (à la méca) : Qu’est-ce que cela déclenche en toi ? La colère ? La révolte ?
LA MECA : Je ne comprends pas.
LE PROFESSEUR : Est-ce que j’ai heurté tes sentiments ?
LA MECA : Vous avez heurté ma main.
LE PROFESSEUR : Ouais… Voilà le problème. Déshabille-toi… Chez Cybertronics dans le New Jersey, l’être artificiel a atteint sa forme la plus élaborée, ce qui est universellement adopté sous le nom de « méca », à la base de centaines de modèles au service du genre humain, dans toute la multitude des taches quotidiennes. Ça ira comme ça. (Applaudissements du public) Mais nous n’avons aucune raison de nous féliciter, croyez moi. Nous en sommes, à juste titre, extrêmement fiers. Mais cela nous a servi à quoi ? Chila, ouvre ! (Elle ouvre la bouche, son intérieur mécanique apparaît) Un jouet sensoriel, avec des circuits de comportement intelligent, utilisant une technologie à base de neurones séquentiels aussi vieille que moi. Je pense que le travail que j’ai fait d’interconnexion des différents trajets d’impulsion dans un neurone unique peut nous permettre de construire un méca d’un niveau qualitatif très différent. Je propose que nous fabriquions un robot… qui puisse aimer.
UN PARTICIPANT À LA RÉUNION : Aimer ? Mais, nous livrons des milliers de modèles d’amour chaque mois, non ?
UN AUTRE PARTICIPANT : Bien sûr ! Tu es d’ailleurs ton meilleur client !
(Rires)
LE PREMIER PARTICIPANT : Les contrôles de qualité sont très importants.
(Rires)
LE PROFESSEUR (à la méca) : Dis-moi, qu’est-ce que l’amour ?
LA MÉCA : L’amour, c’est d’abord agrandir la pupille de mes yeux, et puis accélérer ma respiration, et ensuite réchauffer ma peau, et ensuite avec les…
LE PROFESSEUR :… Etc. ! Exactement, merci Chila.
(Applaudissements)
LE PROFESSEUR : Mais je ne voulais pas parler des simulations de sensualité. Le mot que j’ai utilisé était amour. Amour comme l’amour des enfants pour ses parents. Je propose que nous fabriquions un robot enfant. Qui puisse aimer. Un robot enfant qui pourra aimer sincèrement le parent ou les parents par lesquels il aura été empreint d’un amour qui ne finira jamais.
UN PARTICIPANT : Un méca substitut d’enfant ?
LE PROFESSEUR : Mais un méca doté d’un esprit. Avec un feedback neuronal. Vous voyez, ce que je propose, c’est que l’amour va devenir la clé par laquelle ils acquerront une sorte de subconscient. Ce qu’ils n’auraient jamais eu. Un monde intérieur de métaphores, d’intuition, de raisonnements auto-motivés. De rêves…
UN PARTICIPANT : Un robot qui rêve ?
LE PROFESSEUR : Oui.
LE MÊME PARTICIPANT : Et comment nous allons pouvoir pondre ça ?
UNE PARTICIPANTE : Vous savez, j’étais en train de penser, qu’avec toute cette animosité qui existe contre les méca, à l’heure actuelle, ce n’est plus simplement la question de créer un robot qui puisse aimer, mais la véritable énigme n’est-elle pas : y aura-t-il des humains qui pourront les aimer ?
LE PROFESSEUR : Le nôtre sera un enfant parfait, comme dans un arrêt sur image, toujours aimant, jamais malade, jamais changeant. Avec tous ces couples sans enfant qui attendent en vain un permis de grossesse, notre petit méca va non seulement ouvrir un marché complètement nouveau, mais va remplir un besoin humain.
LA MÊME PARTICIPANTE : Mais vous n’avez pas répondu à ma question : si un robot pouvait sincèrement aimer les personnes, quelle responsabilité aurait à son tour cette personne envers ce méca ? (Silence) C’est une question morale, n’est-ce pas ?
LE PROFESSEUR : La plus ancienne de toutes. Mais au commencement, Dieu n’a-t-il pas créé Adam pour qu’il l’aime ?
A.I., Intelligence artificielle, réalisé par Steven Spielberg, 2001, reprise de la présentation d’un professeur à un public du projet d’une intelligence artificielle empathique, de 1’58 à 6’45, version française, Warner Bros Pictures et Dreamworks Pictures
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