Dans mes représentations, et plus largement dans l’imaginaire touareg, la ligne est un dérivé du point ou un point en expansion. Elle est extraite et tirée de celui-ci. Le point concentre ce qui compte, ce qui est « planté » solidement, ce qui est manifeste. C’est un point d’attache et d’ancrage. Impossible dans cette perspective de parler de la ligne comme d’un élément isolé. Elle fait partie d’un processus de transformation dont elle est une étape, celle du premier mouvement en avant. Elle doit ensuite négocier sa route avec divers obstacles qui la font se courber, virer, zigzaguer, s’arrondir, faire une boucle. Elle se heurte à d’autres lignes qui la modèlent et qu’elle modèle.

Au sens graphique du terme, c’est l’écriture de l’émotion qui porte la trace des sons, des gestes, des éléments visibles et invisibles, tangibles ou à venir, en aval et en amont, qui infléchissent son parcours. C’est pourquoi la ligne zigzague, en prenant en compte d’autres linéarités qui la traversent. Et la force ou l’épuisement des zigzags lui donnent de l’élan pour cerner les choses, s’arrondir et devenir un cercle dans lequel, immédiatement, l’homme touareg que je suis campe un point. La boucle est bouclée. Avec le cercle, c’est l’idée qui prend figure et le point représente les yeux, ce qui devient visible lorsque le cycle est fini. C’est la première corporalité de l’idée.

La ligne n’est pas une expression en elle-même. Il n’y a pas de ligne sans point, il n’y a pas de ligne sans zigzag. Et le zigzag aboutit à un cercle qui marque la fin du processus. L’arrêt de la ligne.

Dans mon travail de poésie et de peinture, je démultiplie les lignes dans tous les sens, je leur fais porter les charges qu’elles vont endosser dans leurs parcours virtuels, face à d’autres lignes ou non-lignes qui s’opposent à elle, qui zèbrent sa trajectoire. Ce qui m’intéresse, c’est toute la gamme de ces processus de marquage qui font que la « ligne » en fait ne peut pas être droite. Elle se cabre et se courbe pour reprendre son élan, s’abaisse, s’élève, descend, se tord, rebondit, s’entortille pour continuer à avancer. La ligne, c’est une lutte constante pour conserver la continuité, qui n’est pas toujours rectiligne comme l’œil la définit, mais multiforme comme peuvent la concevoir la pensée, l’émotion ou la perception.

En fait, il faut parler plutôt du point et de son devenir. La ligne est ce qu’il y a de plus fragile dans notre pensée. Elle n’est pas définie, elle s’est éloignée de sa base et n’est pas encore arrivée au bout du trajet. C’est un agent de liaison qui se dévide entre deux pôles, deux figures, deux métaphores et qui cherche à conserver son rôle de passerelle. Dans ce moment de transit, elle affronte difficultés et turbulences. Elle n’exprime rien qui ne soit déjà dans le point. Par contre, elle transmet et capte l’impact des obstacles qu’elle frôle, heurte ou évite en se revigorant, en se réorientant et en se reconfigurant. La ligne, il faut l’amener jusqu’au bout, comme le souffle, jusqu’à la vider d’elle-même.

Comment évoquer la subtilité indicible de ces rencontres, froissements, croisements et heurts d’éléments en mutation ? Cela renvoie pour moi, sur le plan poétique autant que graphique, à des sonorités et des gestes, à des graphorythmes et à tout ce travail d’alchimie littéraire et plastique que j’ai appelé la « furigraphie1 ».

M70-Mineure-Hawad-01 M70-Mineure-Hawad-02 M70-Mineure-Hawad-03 M70-Mineure-Hawad-04 M70-Mineure-Hawad-05 M70-Mineure-Hawad-06 M70-Mineure-Hawad-07 M70-Mineure-Hawad-08

1 À ce sujet, voir Hélène Claudot-Hawad, « La furigraphie pour briser l’encerclement. Encres furigraphiques de Hawad », Multitudes, vol. 30, no 3, 2007, p. 69-79 ; Furigraphier le vide. Art et poésie touareg pour le IIIe millénaire (film en ligne sur le site www.canal-u.tv).