90. Multitudes 90. Printemps 2023
Majeure 90. Étendre la démocratie

L’insurrection de Minneapolis
Comment les démocraties résistent

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Au beau milieu de la plus grande crise sanitaire des cent dernières années, dans la ville de Minneapolis aux États-Unis en juin 2020, s’est déclenché un mouvement qui a surpris tout le monde. Ce qui semblait au départ une émeute de plus après l’énième épisode de violence raciste de la police documentée par un smartphone (comme à Ferguson en 2017, ou, par une vidéocassette, avec Rodney King à Los Angeles en 1992) a montré autre chose. Même si les émeutes étaient présentes, les mobilisations antiracistes ont été dès le départ multi-ethniques. Comme l’a souligné Pap Ndiaye, c’est l’Amérique opposée à Trump qui se révolte : les grandes métropoles et les villes universitaires qui ont voté massivement pour Hillary Clinton en 2016. Trump n’a fait que 12,5 % des voix à Chicago, 20 % à New York, 22 % à Los Angeles, 28 % à Minneapolis1.

On ne peut pas dire que ce mouvement ait élu Joe Biden, mais il y a contribué fortement. Or, la victoire de Biden ne représente ni un simple retour à la normalité après le chaos trumpiste, ni la continuité des politiques économiques des dernières quatre décennies. Rappelons-nous, ce sont les organisations du mouvement noir, notamment l’appui à la dernière minute de Jim Clyburn2, qui ont donné à Biden la victoire aux primaires : une candidature modérée et non idéologique3. Le résultat est éclatant : pour la première fois dans les temps modernes, les États-Unis ont traversé la récession sans que la moitié la plus pauvre de sa population ne perde aucune portion de son revenu4.

Contrairement aux prévisions négatives de la gauche du parti démocrate et de la gauche en général5, l’administration Biden a mis en place une série de virages singuliers : au niveau des politiques économiques (avec un plan colossal d’investissements de nouveau type) et des politiques internationales (avec la recomposition de l’alliance entre les États-Unis et l’Europe dans la défense de la démocratie en Ukraine). S’agit-il d’une nouvelle ère, du New Deal dont on discute depuis la grande crise financière de 2008 ou même de la « deuxième Progressive Era 6 » souhaitée par Richard Rorty à la fin des années 19907 ? Nous essayons de répondre à cette question en trois moments : en rappelant l’usage opéraiste de la notion de Progressive Era ; ensuite par une réflexion sur les déterminants des performances électorales du trumpisme ; enfin, par un retour sur le mouvement antiraciste de juin et juillet 2020.

Tronti à Detroit

À la fin des années 1950, le marxisme occidental se trouvait dans une double crise : il était frappé de plein fouet par l’accablante vérité du socialisme réellement existant et en même temps par les transformations de la composition technique de la classe ouvrière suite à la reconstruction industrielle de l’Europe occidentale sous la houlette du Plan Marshall. En Italie, cette crise était traversée par deux dynamiques spécifiques : l’hégémonie du Parti Communiste sur la gauche et le mouvement ouvrier et l’éternelle reproduction de la « question méridionnale ». Le Parti Communiste Italien, d’observance stalinienne (sous Palmiro Togliatti), dans le Nord du pays, mobilisait les élites ouvrières dans la reproduction de grèves subordonnées à sa stratégie politique. Le Mezzogiorno sous-développé devenait le réservoir électoral de la droite catholique tout en continuant à engendrer les flux d’émigration. Alors qu’en France le débat sur le stalinisme faisait rage et en Allemagne se développait la sociologie critique de la consommation unidimensionelle, le renouvellement italien prenait un chemin tout différent. Un jeune philosophe marxiste, Mario Tronti, proposait un changement de paradigme qui lui permettait de faire l’économie de ces débats tout en les radicalisant8. Au lieu de se préoccuper de la bataille idéologique interne au mouvement ouvrier, il misait sur la recherche d’un nouveau perspectivisme ouvrier. Comme le remarque Étienne Balibar, Tronti détestait l’idée gramscienne de prendre en compte la question méridionale ou le développement inégal : « toutes ces choses dont il (avait) horreur9 ». D’un seul coup, il se débarrassait des logiques de l’hégémonie et faisait de la particularité du point de vue ouvrier l’explication de tout. En prenant à la lettre la différence que E. P. Thompson allait faire entre le « rising » et le « making » de la classe ouvrière, Tronti affirmait que c’étaient les luttes qui forment la classe ouvrière : pas de luttes, pas de classe. Le perspectivisme ouvrier est celui d’une classe qui existe parce qu’elle lutte (et ne lutte pas parce qu’elle existe). Les luttes, les résistances sont donc premières car elles sont constitutives : « les machines sont sociales avant d’être techniques10 ». Dans les premiers articles politiques de Tronti on trouve une série d’affirmations fortes, parmi lesquelles deux sont très actuelles. Tout d’abord, sur la méthode de la lutte constitutive, il écrit : « aucun ouvrier qui lutte ne se demande “et après ?” L’organisation de cette lutte est tout. Et ce tout est déjà un monde ». Ensuite sur la notion de progrès : « La grande industrie et sa science ne sont pas le prix pour ceux qui gagnent la lutte des classes. Elles sont le terrain de cette lutte de classe11. »

Tronti opère deux inversions : une concerne la situation des luttes de classes en Europe et notamment en Italie, l’autre est au niveau de l’historiographie. Alors que les organisations de la gauche pensent l’hégémonie et se plaignent du manque de « conscience » des nouvelles couches ouvrières (les OS tayloristes qui ne participent pas aux grèves politiques), Tronti dit que ce sont justement ces ouvriers massifiés (les « ouvrier-masse ») qui seront capables d’un nouveau cycle de luttes. Mais ces luttes, dit-il, auront lieu sur le terrain des salaires et contre le travail. La variable politique des luttes des OS c’est le salaire et les ouvriers qui les portent sont ceux qui, par les migrations internes, iront au-delà du classique dualisme nord-sud. Ce faisant, Tronti dialoguait déjà avec l’émeute ouvrière de Piazza Statuto, à Turin en 1962, et anticipait de quelques années l’explosion de l’autonomie ouvrière, en automne 1969 (l’autunno caldo). La découverte d’un nouveau perspectivisme ouvrier, celui qui se manifeste dans les pages du roman historique de Nanni Balestrini (Vogliamo Tutto12) n’est qu’une partie de l’innovation de Tronti. À la fin des années 1960, juste avant d’abandonner l’activisme politique radical et de revenir, par le truchement de l’autonomie du politique, à l’abri du Parti Communiste Italien, il réalise (ou explicite) une autre inversion : au lieu de s’opposer à l’américanisme, dont le dynamisme avait été anticipé par Gramsci, il en prend d’assaut la signification, en affirmant que ce qu’il y avait de « bon » dans le modèle américain était le fruit d’une détermination ouvrière. Avec la puissance du renouvellement du point de vue de classe, Tronti a proposé un échange radical des points de vue : où le parti est fort (en URSS), la classe ouvrière est faible (et ses conditions de vie parmi les pires du monde). Où le parti est faible (aux USA), la classe est forte (et ses conditions de vie les meilleures du monde). Très probablement sans le vouloir, Tronti a jeté les bases d’une analyse très féconde du New Deal rooseveltien13 : à l’envers de la plupart des approches théoriques du Welfare state qui l’ont vu comme le fruit d’une ingénierie institutionnelle (ou de la macro-économie keynésienne) basée sur un pacte (deal) entre l’État et le grand capital, d’un côté, et les syndicats ouvriers, de l’autre, Tronti dit que le pacte a eu lieu entre les syndicats et le gouvernement. Il rappelle donc que le mot d’ordre du gouvernement Roosevelt était : « Join the Unions ! ». Le pacte américain ne misait pas sur la pacification, mais sur les luttes. La vitalité de la démocratie américaine n’était pas seulement le fait de ses dimensions pragmatiques ou normatives (le check and balance de sa constitution), mais de sa capacité de mettre le conflit au cœur du mécanisme de régulation de la croissance. Voilà que la clé de voute de l’américanisme n’est ni le taylorisme, ni le keynésianisme (le « managed capitalism »), mais une démocratie dont les institutions sont continuellement traversées par les pratiques constitutives des luttes.

La mise en place du rapport salarial fordiste, défini et formalisé par l’école française de la régulation, a dû passer pas des épreuves importantes : vaincre les tentations fascistes internes aux États-Unis et vaincre sur le champ de bataille les deux autres sorties keynésiennes de la crise de 1929 : celle soviétique et celle nazi-fasciste. Les trois trajectoires mobilisaient la production tayloriste et essayaient de l’articuler à une consommation de masse : comment ne pas penser aux efforts soviétiques de développer une industrie tayloriste et à la création, par le régime nazi allemand, de la « voiture du peuple » (Volkswagen)14 ? Ce n’est pas le plan, ni le keynésianisme qui ont fait différence, mais le New Deal : et le New Deal est une forme de radicalisation de la démocratie. Alors que les soviétiques essayaient la régulation par la planification centralisée et le nazisme par la planification de la guerre, les Américains ont réussi à faire des luttes ouvrières le dispositif central. La liberté syndicale a été « éliminée » par une URSS et une Allemagne qui avaient comme référence commune les camps de travail forcé. Aux États-Unis rooseveltiens, c’est la diffusion des luttes qui a mené tous les patrons à avoir la même politique salariale : le plan et la mobilisation militaire étaient complémentaires au rapport salarial fordiste. Tronti a donc réussi la prouesse d’un déplacement radical en remettant Marx au cœur du développement capitaliste : à Détroit. En même temps, il disait : « La classe ouvrière peut tout savoir car elle est ennemie d’elle-même aussi, comme capital ».

À partir de 1968 et tout au long des années 1970, les luttes sur le salaire indirect et contre la société disciplinaire prendront le relais et Tronti est allé au parlement italien au nom d’un retour à l’autonomie du politique. D’autres opéraistes prendront le chemin opposé : celui de la politique de l’autonomie15. La ligne de fuite opéraiste s’est éteinte avec ce tournant, en 1970. Paradoxalement, tout le monde parlait d’autonomie, mais personne ne la pratiquait. Toute tentative de sortir de ces impasses, malgré la créativité sociologique de certains travaux ont échoué. La mesure de cet épuisement est la capitulation des post-operaistes à la doxa des récits sur le néolibéralisme et le capitalisme financier. On peut se demander si la lumière qui émanait des inventions trontiennes ne venait pas en réalité d’une étoile qui était déjà morte, celle de la révolution. Encore maintenant, la gauche (même la plus pragmatique et opportuniste) maintient une série de mythes, parmi lesquels celui de la révolution comme solution de toutes les injustices et purification d’une société corrompue par la consommation ou malade d’un capitalisme entendu comme perversion, comme le « mal16 ». En commentant à chaud le mouvement antiraciste de juin 2020, Bernard Harcourt a écrit : « Nous assistons aujourd’hui à un étrange retour aux cycles des Anciens, mais dans le sens inverse. Trump a perfectionné la contre-révolution sans la révolution antérieure. Ce faisant, il a fini pas déclencher la révolution qu’il craignait17 ». La grande limite des luttes américaines des années 1960 (et de mai 1968) aurait été de ne pas avoir « abouti » à une révolution, le comble étant qu’il y aurait bien eu une contre-révolution, celle de Ronald Reagan et du néolibéralisme. Or, comme Balibar l’a bien remarqué à partir des réflexions de Gramsci sur la complexité à la fois anthropologique et politique des sociétés capitalistes, la dite contre-révolution est aussi révolutionnaire que la révolution : « il faut donc repenser ce qu’est une révolution ». La notion de progressive era dans les termes développés par Tronti va justement dans cette direction dont l’aboutissements est peut-être qu’il faut réaliser une profonde révision du concept de révolution et, justement, remettre au cœur de la réflexion aussi bien que de la lutte politique celui de démocratie. L’Afropessimisme est une tentative intéressante de traverser cette impasse : d’une part, renonçant à la recherche d’une solution, puisque « trouver des solutions » est une partie du problème ; mais d’autre part il retombe dans l’effort de vouloir réinventer un « dehors » que le concept moderne de révolution n’est plus à même de nous donner18.

No Future ou révolte contre le futur ?

En 2008, lors de la grande crise des subprimes, les économistes des grandes banques centrales ont montré qu’ils avaient bien appris la leçon de 1929 et ont immédiatement arrosé les marchés avec des milliards de dollars de liquidités. Lors du rebond de la crise au niveau des dettes souveraines, encore une fois ce sera l’intervention des banques centrales (avec l’assouplissement monétaire, le Quantitative Easing) qui fera la part du lion, selon le mot d’ordre prononcé par le président de la BCE, Mario Draghi : « Quoi qu’il en coûte ». Ces émissions monétaires colossales ont évité que la récession se transforme en dépression, mais elles n’ont pas empêché le grand cycle de mobilisations horizontales qui a commencé avec les printemps arabes (en 2011) et a atteint le point le plus haut lors de la « révolution de la dignité », lors des événements de la place Maidan à Kiev, en Ukraine, en 2014.

Ce cycle formidable est d’abord entré dans une série d’impasses pour ensuite se renverser en terrible processus de restauration19. La réaction s’est articulée autour de deux vecteurs : la guerre contre les mouvements démocratiques menée par la Russie (en Ukraine en 2014, puis en Syrie en 2015 et à nouveau en Ukraine en 2022) et le fascisme de type nouveau (parfois appelé « populisme »). L’élection de Donald Trump, en 2016, a été la convergence de ces deux vecteurs. Or, il est intéressant de se rappeler que, à gauche, les « mérites » de la victoire de Trump ont souvent été attribués aux « fautes » de la candidate démocrate. Hillary Clinton a été « accusée », d’une part, d’être le « bourreau » d’Assange et, d’autre part, d’être « néolibérale20 ». Cette faute était considérée encore plus grave puisqu’elle commence avec l’administration de son mari, Bill Clinton. Pour éviter le fascisme, il faudrait reprendre une partie des critiques au capitalisme « financier, globaliste et néolibéral21 ». Selon Nancy Fraser, la victoire électorale de Trump était « une réponse à la crise structurelle de cette forme de capitalisme22 ». Comme le souligne Pablo Stefanoni, Fraser rejette aussi le « néolibéralisme progressiste », à savoir la coalition entre les mouvements « identitaires » (féminisme, antiracisme, multiculturalisme et droits LGBTQ) et le capital lié aux activités de manipulation des symboles. Curieusement, un des anticipateurs de cette approche a été Richard Rorty23. Celui-ci, d’une part, critiquait justement la gauche universitaire qui établissait la séparation entre la gauche réformiste et la gauche marxiste et, d’autre part, critiquait le tournant identitaire de la gauche culturelle qui n’appréhendait pas les dangers de la globalisation en termes de prolétarisation des classes laborieuses24. Or, cette lecture est doublement problématique. Tout d’abord, il n’y a qu’un capitalisme : une « industrie qui transforme toutes les industries », qu’on l’appelle capitalisme cognitif 25 ou informatique26. Ensuite, l’interprétation des dynamiques électorales est bien plus contradictoire que cela.

Ce qui se passe est exactement le contraire des interprétations à la Fraser de la victoire de Trump : c’est la dogmatique gauchiste (anti-néolibérale, anti-globalisation, anti-impérialiste) qui entre en court-circuit. En général, on explique le succès électoral du trumpisme (et des populismes) par la séparation croissante des conditions de vie et de la perception du futur qui clivent les Américains entre les éduqués et les non-éduqués. Mais, en même temps, on attribue les performances des Républicains à un système électoral qui fonctionne comme un barrage contre le vote majoritaire (qui est démocrate). Il y aurait donc « deux Amériques » : une éduquée et l’autre non, composée par les travailleurs blancs suburbains et ruraux qui souffrent d’un haut niveau de mortalité par désespoir (suicides, homicides, overdoses de drogues et alcools et enfin troubles psychiques)27 : no future 28. Le vote Trump serait donc une révolte contre le Parti Démocrate en tant qu’alliance entre les minorités et les « éduqués » : les minorités sont perçues comme une menace directe au statut des travailleurs blancs et les « éduqués » comme étant les bénéficiaires de la globalisation29. Ces études semblent conforter l’approche de Fraser, mais en réalité elles n’expliquent pas grand-chose. Tout d’abord, le « déclin » de la classe ouvrière blanche est un processus qui naît dès les années 1970 et dont le moteur a au moins deux pistons : les luttes contre le travail et l’accouplement de l’économie américaine avec la chinoise. Ensuite, la dérive fasciste du Parti Républicain (le GOP) n’est pas la traduction électorale de ce déclassement des travailleurs industriels blancs. Au contraire, c’est leur déclin politico-électoral qui explique la radicalisation fasciste à la fois de ces couches sociales et du GOP : les Démocrates ont gagné le vote populaire dans 7 des 8 dernières élections présidentielles, mais le dispositif du collège électoral a permis aux Républicains de gagner la présidence deux fois. D’une certaine manière, le refus de la part de Trump de reconnaitre sa défaite en 2020 peut être vu comme une explicitation plus qu’une rupture de la politique du GOP30.

Le vote progressiste (« liberal ») se concentre dans les grandes régions métropolitaines et dans les grands États, comme la Californie. La déconnexion entre l’opinion publique et les résultats électoraux ne va pas dans le sens de sous-représenter les couches sociales qui se sentent pénalisées par les transformations contemporaines : c’est le contraire, ce sont ces couches qui sont sur-représentées au niveau du Parlement, de la présidence et de la Cour Suprême. Des millions de votes démocrates sont ainsi gaspillés : Biden a gagné en Californie avec un écart de 29 % de voix, 23 % à New York, 19 % en Illinois. Les grandes métropoles ont abandonné le GOP sans que cela n’ait eu aucun impact au niveau présidentiel, puisque le système électoral n’a pas été adapté aux changements structurels par lesquels le pays est passé : en 1770, le plus grand état (la Virginie) était 13 fois le plus petit (Delaware). En 2022, la population de la Californie est 68 fois celle du Wyoming, 53 fois celle de l’Alaska et 20 fois plus que 11 autres états. Le Collège Électoral a donc une structure non démocratique31. En 2020, les Démocrates ont eu 186 millions de voix contre 145 pour le GOP et la composition du Sénat est pratiquement de 50 %. Par la même dynamique, la Cour suprême est composée d’une majorité de 6 membres conservateurs32. Le GOP est donc minoritaire dans le pays, mais il utilise une structure institutionnelle biaisée pour la biaiser encore plus et de manière de plus en plus fasciste par : l’instrumentalisation du Sénat (chaque état a le même nombre de sénateurs, quelle que soit sa population) comme principale arme de déconstruction, le charcutage des zones électorales, la suppression de voix et la manipulation des nominations des magistrats. Une situation qui dérive des conséquences institutionnelles de la guerre de sécession : « L’Union a gagné la guerre civile mais […] les Confédérés ont gagné les termes de la paix33. » Plutôt que la révolte des « sans futur », la dynamique électorale et sociale du GOP est une révolte « contre le futur ». Lorsqu’on parle d’une dérive américaine vers une nouvelle guerre civile, on fait référence à cette impasse et aux deux modèles que Kenneth P. Miller décrit dans ces termes : « (le) californien : accès à la santé pour tous, progressivité de l’impôt, protection des immigrants, de l’environnement » et en face celui texan : « faible impôt, moins de règlementation, exploitation intensive des ressources naturelles.34 »

Le capitalisme contemporain n’est pas capable de capturer de manière automatique la subjectivité produite par les mouvements. Dans ce sens, le néolibéralisme est une production ambivalente de subjectivité, traversée par luttes et désirs : une immanence capitaliste qui investit intensivement et extensivement toute la planète et ne laisse aucun reste, aucun dehors. Le néolibéralisme progressiste – celui qui a fait une opposition déterminée à Trump ou à Bolsonaro – n’est pas un simple effet d’annonce, mais le fait de cette immanence, de la capture sans laquelle il n’y a pas de production de valeur.

Comment les démocraties résistent

Il est important ici de souligner que la dogmatique de l’anti-néolibéralisme avait vu la victoire de Biden aux primaires démocrates comme une catastrophe politique et, juste quelques mois après la mise en place de l’administration Biden, tout le monde se posait la question : « comment se fait-il que nous nous sommes tellement trompés en notre évaluation de Biden35 ? ». Bernie Sanders a ainsi reconnu que le plan d’investissements de Biden (1,9 trillions de dollars) constitue la plus importante politique pour la classe des travailleurs depuis les années 1960. Certains observateurs insistent et disent que Biden se serait trompé sur son mandat, croyant qu’il pouvait ouvrir un nouveau chapitre dans l’histoire de l’État providence aux États-Unis36. Mais la plupart des analyses affirment qu’aucun « président depuis Reagan n’a réussi à mettre en place un agenda législatif domestique aussi ambitieux que Biden au cours de sa première année de présidence » et concluent : « Si ce n’est pas la fin du néolibéralisme, c’est la fin du consensus bipartisan sur l’austérité37. » L’aspect écologique du plan d’investissements que Biden a réussi à faire approuver est une inflexion qu’on ne saurait sous-estimer : elle débloque ce qu’Obama a défini comme l’opposition des citoyens à « payer des impôts pour parer aux catastrophes avant qu’elles se produisent38 ».

Nous savons que la bifurcation menée par Biden s’est heurtée à l’opposition républicaine autant qu’aux lobbies internes au parti démocrate, puis au retour de l’inflation et, pour finir, aux conséquences économiques de la guerre déchaînée par Poutine au cœur de l’Europe39. Tout cela semblait se traduire par une vague électorale républicaine aux élections de mid term qui aurait définitivement annulé toute velléité de l’Administration démocrate. Mais cela n’a pas eu lieu : de la même manière que la résistance ukrainienne s’est transformée en une référence vibrante de la lutte en défense de la démocratie, les élections de mid term ont été le théâtre de la meilleure performance d’une administration démocrate depuis des décennies. Malgré l’inflation, la tendance est de maintenir une politique monétaire expansionniste afin de ne pas réduire les dépenses publiques qui vont être indispensables pour stabiliser les prix tout en utilisant une politique fiscale flexible (les impôts : le revenu des ménages et la taxation des profits) pour garder l’inflation sous contrôle.

Sommes-nous donc en train d’entrer réellement dans une nouvelle era ? Dans un livre récent dédié à la montée et à la chute de l’ordre néolibéral aux États-Unis, Gary Gerstle affirme que « la peur du communisme a rendu possible le compromis de classe entre le capital et le travail qui était le fondement du New Deal40 ». Malgré une longue et généreuse lecture du livre, Robert Kuttner pense que Gerstle exagère : « Le New Deal était surtout une question de surmonter la Grande Dépression. Le communisme soviétique était une menace distante […]41 ». Pour Kuttner, ce qui n’aurait pas été distant, c’était le néolibéralisme, notamment dans l’administration de Bill Clinton. Dans ce débat nous retrouvons trois questions qui nous intéressent : tout d’abord, l’idée que le New Deal rooseveltien aurait été un compromis entre classe ouvrière et capital ; ensuite, une divergence sur le déterminant : la menace de la révolution ou les politiques économiques menées contre les effets de la Grande Dépression ; pour finir, la sempiternelle affirmation que le « néolibéralisme était le problème » et qu’enfin il « serait fini ».

Reprenons ces trois affirmations, mais dans d’autres termes. Premièrement, le New Deal n’était pas un pacte entre le capital et le travail, mais entre le gouvernement et les syndicats pour que les luttes fonctionnent comme mécanisme de régulation. Cela signifie que pour savoir si Biden ouvre une nouvelle ère progressiste, il faut regarder du côté des luttes, justement celles que nous avons vues à l’œuvre en juin et juillet 2020. Deuxièmement, une nouvelle ère est celle qui nous projette au-delà de la notion de révolution, sur le terrain où les rapports entre les « nouvelles formes de luttes » et « la production d’une nouvelle subjectivité42 » sont traversés par des dynamiques constituantes et de capture. Enfin, encore une fois, cela implique que décréter la fin ou non du néolibéralisme ne nous dit rien : au contraire, ça nous conduit dans une impasse43.

Les réflexions sur les limites du welfare proposées par l’économiste nord-américain George F. De Martino peuvent nous aider à avancer. Le welfare tend à ramener toutes les menaces à un seul étalon de mesure, « il trivialise ce que ça signifie d’être dans le désarroi et en même temps ignore les différentes formes de précarité et modes par lesquels les gens peuvent être menacés44 ». En fait, beaucoup de biens, comme la santé ou la démocratie, « n’ont pas de prix45 ». De Martino propose donc une approche alternative aux analyses des politiques économiques standards, dites de decision-making under deep uncertainty (DMDU). Il s’agit de travailler avec des « dynamiques non linéaires et ruptures imprévisibles dans des tendances qui ne sont pas identifiables à l’avance ». Naturellement, le réchauffement climatique, la pandémie et la guerre de haute intensité déclenchée par la Russie sont des exemples de cette condition. Il faut donc multiplier les efforts de compréhension des scenarios futurs et nous préparer dès maintenant à augmenter la « résilience face aux risques associés aux inondations, sécheresse, feux sauvages et chaleurs extrêmes ». Dans ce sens, les politiques de Biden semblent adéquates, puisqu’elles prévoient un plan d’investissements publics pour la construction de routes et ponts, la mise en place d’un réseau de protection sociale pour les travailleurs du care et la réparation des dommages dûs au réchauffement climatique, la réforme de la planification urbaine raciste du passé etc. Le thème de la nouvelle ère progressiste se déplace du terrain de la planification (managed capitalism) sur celui de l’extrême incertitude et dans ce déplacement nous pouvons cerner l’importance non pas du dépassement du néolibéralisme, mais de la vitalité des dynamiques démocratiques. Comme le disaient Jean-Luc Nancy et Jean-François Bouthors, « seule la démocratie peut nous permettre de nous accommoder de la non maîtrise de notre histoire », dans une situation où « tous les régimes, quels qu’ils soient, sont menacés par l’effondrement de la machine mondiale46 ».

Il se peut que la nouveauté de l’Administration Biden soit telle qu’enfin le réformisme ait réussi à compter jusqu’à deux : reconnaître les luttes des jeunesses woke, mobilisées sur les questions stratégiques des minorités et de l’environnement, et en même temps recomposer les salaires et les services ; restreindre l’hubris impériale (la sortie de l’Afghanistan) et en même temps renforcer la résistance démocratique ukrainienne contre l’impérialisme russe. Fraser critique l’alliance entre les progressistes et le capital cognitif, mais en fait, ce dont il s’agit c’est la dynamique même de la constitution, entre production et capture. L’enjeu n’est pas de rompre cette dynamique (par la révolution ou la contrerévolution), mais de la pousser au-delà d’elle-même, Biden au-delà de Biden. Il n’y a pas un régime démocratique, mais une tendance démocratique dans un régime. Le nouveau pacte capable d’ouvrir une nouvelle ère progressiste dépend de cette dynamique toujours ouverte.

1« Les États-Unis sont peut-être à l’aube d’une nouvelle coalition entre Noirs et Blanc Libéraux », Le Monde, 7 juin 2020.

2Meg Kinnard, Bill Barrow, « Joe Biden endorsed by Rep. Jim Clyburn, House majority whip », Abc4News, 26 février 2020, https://abcnews4.com/news/local/joe-biden-endorsed-by-rep-jim-clyburn-house-majority-whip-from-south-carolina

3Le prix Nobel d’économie, Angus Deaton, indiquait Elizabeth Warren comme la candidate du Parti Démocrate américain à même de changer la politique du parti. « Quand l’État produit une élite prédatrice », Le Monde, 30 décembre 2019.

4Luke Savage, Joe Biden, and the New Progressive Era, Atlantic, 14 Avril 2021. L’économiste Paul Krugman a fait une analyse très positive des Bidenomics juste après le succès démocrate aux élections de mid term, « Two Cheers For Biden Economy », New York Times, 10 novembre 2022. Pour avoir une idée de la crainte que les élections de mid term suscitaient auprès des progressites américains, voir Mark Danner, « We’re in an Emergency – Act Like It ! », in The New York Review, 21 juillet 2022.

5Cf. Branko Marcetic, « Joe Biden’s Rooseveltian Ambitions are Officially Dead », Jacobin, 26 janvier 2023. Disponibile in https://jacobin.com/2023/01/jeff-zients-biden-administration-cost-cutting-corporate-rooseveltian-ambitions. Apparément Marcetic defend les theses publiées avant que Biden gagne les primaires et les élections : Yesterday’s Man : The Case Against Biden, Janvier 2020. Sur les conflits internes au Parti Démocrate et le résultat des élections de 2020, voir aussi Tim Alberta, « Elissa Slotkin Braces for a Democratic Civil War », Politico, 13 novembre 2020. Disponible in www.politico.com/news/magazine/2020/11/13/elissa-slotkin-braces-for-a-democratic-civil-war-436301

6Rappelons le manifesto le plus radical de la Progressive Era : Herbert Croly, The Promise of American Life, 1909.

7Achieving Our Country : Leftist Thought in Twentieth Century America, Harvard,1999.

8Pour éviter tout malentendu nous soulignons dès le départ que cet article n’est pas dédié à l’opéraisme italien et il n’est pas opéraiste non plus. L’actualité de l’invention de Tronti – dans les années 1960 – n’a rien à voir avec l’énigme que Tronti est devenu : cf. Marcello Tarì, « L’esprit libre de Mario Tronti  Per speculum in aegimate », Lundimatin, 14 novembre 2019, disponible in https://lundi.am/L-Esprit-Libre-de-Mario-Tronti-par-Marcello-Tari. Dans une autre perspective, voir David Broder, « The Autumn and Fall of Italian Workerism », Catalyst Journal, vol. 3, issue 4, hiver 2020.

9Fabio Frosini et Vittorio Morfino, « Althusser e Gramsci, Gramsci e Althusser : intervista à Étienne Balibar », Décalage, volume 2, issue 1, juillet 2016.

10Foucault, 1986, p. 47.

11Operai e Capitale, Einaudi, 1970.

12Feltrinelli, Milano, 1971.

13« The Progressive Era », in Mario Tronti, Operai e Capitale, Einaudi, 1970.

14Wolfgang Schivelbusch a bien saisi cette proximité entre les différentes trajectoires, mais seulement pour les mettre toutes sur le même plan. Cf. Three New Deals, Picador, 2006.

15Une version récente de la polémique apparait dans Antonio Negri, « L’autonomie du politique de Mario Tronti », in Étienne Balibar, Antonio Negri et Mario Tronti (dirigé par Jamila M. H. Mascat), Le démon de la politique, Amsterdam, 2011.

16Dans cette tonalité nostalgique, Enzo Traverso, Rivoluzione : 1789, 1989, Un’altra storia, Feltrinelli, 2022,

17« C’est peut-être la fin de la contre-révolution américaine », Le Monde, 10 juin 2020.

18Sur la spécificité ontologique da la condition des noirs américains dans la perspective de l’Afropessimisme, voir Frank B. Wilderson III, As Free as Blackness Will Make, 20 août 2020, disponible in https://illwill.com/as-free-as-blackness-will-make-them

19Sur la défaite voir le dossier organisé par Giacomo Mantovan et Michèle Baussant, « One Thousand and One Defeats : Na Anthropology of Vanquished », Condition Humaine – Condition Politique, EHESS, 4/ 2022.

20Par exemple, dans um blog luliste brésilien : Patricia Cornils, « É tudo culpa dos russos : Wikileaks revela ligações de Hillary Clinton com indústria armamentista, oligarquia financeira, velha mídia, petroleiras », Outras Palavras, 20 octobre 2016, https://outraspalavras.net/tecnologiaemdisputa/e-tudo-culpa-dos-russos/. C’est cette même « accusation » typiquement stalinienne qui a été mobilisée par le lulisme pour détruire la figure publique de Marina Silva en 2014 (quitte à la réintégrer aujourd’hui comme ministre de l’environnement du nouveau gouvernement Lula).

21La victoire de Trump est aussi analysée comme affirmation politique du reality show, cf. Kira Hall, Donna M. Goldstein, Mathew B. Ingram, « The hands of Donald Trump. Entertainment, gesture, spectacle », Journal of Ethnography Theory, HAU, n. 6 (2), 2016.

22Nancy Fraser, « The End of Progressive Neoliberalism », Dissent, January 2, 2017, www.dissentmagazine.org/online_articles/progressive-neoliberalism-reactionary-populism-nancy-fraser. Voir aussi l’article de Pablo Stefanoni dans cette majeure.

23Les comparaisons entre Rorty et Fraser sont anciennes, notamment dans le débat américain sur le rôle « progressiste des intellectuels : voir Leon Fink, Progressive Intellectuals and the Dilemmas of Democratic Commitment, Harvard, 1997, pp. 285-6. À la perte de voix démocrates chez les travailleurs blancs non-éduqués il faut rajouter les premiers signaux d’une progression du vote républicain chez les « latinos ».

24Déjà en 1999, en analysant le phénomène Patrick Buchanan, Rorty parlait du danger d’une révolte « populiste ». Cf. Achieving Our Country : Leftist Thought in Twentieth Century America, cit.

25Voir Yann Moulier Boutang, Le Capitalisme Cognitif, Amsterdam, 2007.

26Gerard Berry, L’hyperpuissance informatique, Odile Jacob, 2017.

27Carol Graham, The Erosion of Economic and Social Status for White Without College Degree, Brooking, 2021.

28Ce débat en réalité est bien plus ancien et on le retrouve chez Robert Putnam, Bowling Alone : The Collapse and Revival of American Community, 2001.

29Anne Case et Angus Deaton, The Great Divide : Education, Despair and Death, Working Paper 29241, National Bureau Of Economic Research, www.nber.org/papers/w29241

30Sur cette tendance, le livre de référence est John Judis et Ruy Teixeira, The emerging Democratic Majority, Simon and Schuster, 2002.

31Steve L. Taylor, « Why the US House of Representatives Has 435 seats and how it could change », The Conversation, octobre 2022, https://theconversation.com/why-the-us-house-of-representatives-has-435-seats-and-how-that-could-change-191629

32Les critiques du Sénat et du Collège électoral parlent d’une « minority rule ».

33« Jill Lepore : Réélire Donald Trump serait un changement du cours de l’histoire », propos recueillis par Valentine Faure, Le Monde, 19 octobre 2020. Steve Simon et Jonathan Stevenson, « This Disunited States », The New York Review of Books, n. 14, 2 septembre 2022. Un débat plus profond renvoie ces limites des institutions démocratiques aux conditions de la reconstruction après la guerre de Sécession. Cf. Eric Foner, Reconstruction. America’s Unfinished Revolution, 1863-1877. Harper and Row, 1988.

34Kenneth P. Miller, Texas vs. California. A history of Their Struggle for the Future of America, Oxford, 2020. Sur le scenario d’une guerre civile, voir Valentine Faure, « Les États désunis d’Amérique hantés par la guerre civile », Le Monde, 30 octobre 2020. Voir David Leonhardt, « A Crisis is Coming : the Twin Threats to American Democracy », New York Times, 18 septembre 2022.

35Corey Corin, « Welcome to the New Progressive Era », The Atlantic, 14 avril 2021.

36Mike Konczal,« A New Era ? », Dissent, Winter 2022.

37Tim Baker et J. W. Mason, « Is there an Alternative ? The macroeconomics of the Biden Administration », Dissent, Winter 2022, « Has Bideconomics Been Good for Workers ?, The New York Times, 5 de setembro de 2002. Disponível in www.nytimes.com/2022/09/05/opinion/has-bidenomics-been-good-for-workers.html et Paul Krugman, « Two Cheers for the Biden Economy », The New York Times, 10 novembre 2022. Disponible in www.nytimes.com/2022/11/10/opinion/biden-economy-midterms.html

38Cf. Corine Lesnes, « Barack Obama ou la possibilité d’une autre Amérique », Le Monde, 24 novembre 2020.

39Il faut se rappeler que l’administration Biden a appuyé l’accord pour l’impôt Mondial, cf. Julien Bouissou et Anne Michel, « 130 pays approuvent l’impôt mondial », Le Monde, 3 juillet 2021.

40Gary Gerstle, The Rise and Fall of the Neoliberal Order : America and the World in the Free Market Era, Oxford University Press, 2022.

41« Free markets, Besieged Citizens », The New York Review of Books, July 21, 2022.

42Deleuze, cit., p. 123.

43Intéressante la réponse de Robert Shapiro (ancien sous-secrétaire au commerce de l’Administration de Bill Clinton) dans la section « Letters » de la NYR, cit., p. 85.

44Cass R. Sunstein, « Accounting for the Human Cost », New York Review of Books, 24 Novembre 2022. George F. DeMartino, The Tragic Science : How Economists Cause Harm (Even as They Aspire to Do Good), Chicago, 2022. W. Hip Viscusi, Pricing Lives ; Guideposts for a Safer Society, Princeton, 2018. Willliam D. Nordiaus, Robert S. Pindyck and Martin L. Weitzman, « Symposium : Fat Tails and the Economics of Climate Change », Review of Environmental Economics and Policy, vol. 6, no 2, Summer 2021. Cass R. Sunstein, Averting Catastrophe : Decision Theory for Covid-19, Climate Change, and Potential Disasters of All Kinds, NUY Press, 2021). Matthew F. Adler and Ole F. Norheim (eds), Prioritarianism in Practica, Cambridge Presso, 2022.

45Voir Jean-Pierre Dupuy, « Le prix de la vie », in La catastrophe ou la vie, Seuil, 2021.

46« Coronavirus : Seule la démocratie peut nous permettre de nous accomoder collectivement de la non-maîtrise de notre histoire », Le Monde, 18 mai 2020.