95. Multitudes 95. Eté 2024
A chaud 95.

Mon droit à ma vie

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Si l’on peut s’honorer que la France vienne de constitutionnaliser le droit à l’avortement, à la suite des longues luttes des femmes, la France n’est par contre pas du tout pionnière dans le domaine de la question de l’aide à la fin de vie. Elle est encore loin de pouvoir rejoindre des pays pourtant voisins comme la Belgique, les Pays Bas ou la Suisse qui, depuis plus de vingt ans déjà, assurent un droit à l’euthanasie librement choisie par tout·e citoyen·ne. Les débats continuent pour une énième révision de la loi sur « la fin de vie » dite Léonetti de 2005 qui s’est arrêtée en chemin.

Depuis toujours c’était la famille qui avait principalement en charge la fin de vie de ses membres, tout particulièrement lorsqu’elle jugeait qu’il était temps. Trop de souffrances ou plus simplement de gâtisme conduisaient les proches à prendre le soir autour de la table l’ultime décision. C’est sans doute pourquoi on utilisait communément l’expression du « bouillon de onze heures », celui que l’on portait à l’aïeul, sans doute un peu cérémonieusement, pour qu’il parte entouré des siens.

La plupart des gens meurent maintenant le plus souvent seuls et dans une institution quelconque, Ehpad ou hôpital. Les soignants préviennent le plus souvent discrètement ceux qui visitent le mourant en phase terminale puisque ce sont bien les médecins qui décident presque toujours de débrancher volontairement le système d’aide à la fin de vie. Mais les proches refusent le plus souvent absolument de comprendre ce qu’on tente de leur suggérer tant la fin définitive de celui qui est toujours là dans son lit est incompréhensible. Car on ne peut comprendre, cumprehendere-prendre avec soi, la mort. Seulement la subir, du mieux que l’on peut.

Pour cette raison, tous les sondages depuis 20 ans montrent que l’immense majorité des gens (85 % en France) veulent pouvoir maitriser autant que possible la façon dont leur propre fin de vie doit se dérouler, y compris les croyants.

Et pourtant, tous les pouvoirs institués sans exception s’y opposent absolument.

Les religions, force totalement prééminente en la matière, s’entendent toutes pour proclamer « sacrée » la vie, comme si tout le monde n’était pas d’accord, du moins en Occident ! Le problème est que c’est à la nôtre de vie qu’ils s’intéressent pour que la proclamation quasi incessante de cette quasi banalité ne vise qu’à interdire précisément notre libre choix, alors que nous ne leur avons rien demandé. De quel droit ?

Les médecins s’accordent aussi sur leurs compétences exclusives à décider de qu’il faut faire pour prolonger au mieux notre vie. De quel droit aussi ? Et notamment pour les gens de plus en plus nombreux qui confient à leur médecin – pour les heureux qui en ont un encore – ce qu’il doit advenir en cas de problèmes graves de santé ou rédigent des « directives anticipées » dans un registre à présent officiel repris dans la loi Leonetti qui inscrit à la manière libre de chacun tous ceux qui ne veulent pas d’« acharnement thérapeutique ». Mais qui connaît cette possibilité restée trop confidentielle ?

Comment un professionnel, fût-il « des hôpitaux », pourrait-il savoir mieux que vous ce qu’il convient de faire dans ces instants critiques si vous les avez expressément anticipés ?

La résistance au changement vient d’un pouvoir médical imbu de son monopole à pouvoir à décider lui-même de ce qui est bon pour vous. Hypocrisie d’un corps médical confronté à la mort quotidiennement qui débranche définitivement ou entame une sédation, mais refuse éthiquement le rôle officiel d’une aide à mourir qui le déchargerait pourtant de la responsabilité pénale. Les intenses débats des différentes conventions citoyennes comme celui sur la bio-éthique sont là pour toujours retarder une évolution de la loi en multipliant de faux enjeux sur « laisser mourir ou faire mourir ». Oui, souvent on laisse mourir dans des conditions épouvantables, seulement dénoncées par des associations comme Le droit de mourir dans la dignité, ou Le Choix, citoyens pour une mort choisie.

Ce pouvoir médical oppose la fausse alternative des soins palliatifs contre le libre choix de sa fin de vie. Il nous faut les deux et, aujourd’hui, les soignants pratiquant les soins à une meilleure fin de vie possible dans le respect du choix de la personne augmentent.

Mais l’État, encore et toujours, s’obstine, même devenu laïc, à faire respecter dans ses lois l’interdit absolu promulgué par les trois religions monothéistes d’un quelconque contrôle sur la fin de vie, exactement comme elles luttent toujours contre nôtre maitrise à la donner. L’État qui ne cesse d’entretenir la confusion en annonçant fort justement vouloir séparer enfin la question des soins palliatifs de celle de l’aide à mourir, mais se donne une politique d’investissement jugée totalement incomplète par tous les soignants, qui ne fera que maintenir l’existant.

En ne laissant aucune possibilité aux gens de soins palliatifs suffisants ni de libre choix, il en oblige beaucoup à partir seuls dans des suicides nécessairement horribles, ou à l’étranger en Belgique, Hollande ou Suisse.

Pourtant, certaines institutions comme l’Académie nationale de médecine, ou le Comité consultatif national d’éthique ont fait des rapports sur cette double nécessité et d’une vraie politique de soins palliatifs et d’une aide à mourir.

La seule issue est donc maintenant de suivre les femmes qui viennent de faire inscrire dans la constitution même le droit d’être libre et maitre de leur corps. Nous aussi, citoyennes et citoyens dans notre communauté, l’exigeons pour ce qui en est de notre droit de vivre, ou pas. Lois et constitution doivent nous garantir de la même façon une maitrise du droit sur notre vie.