Les faits : Alexéï Navalny a été assassiné le vendredi 16 février 2024 par le régime de Poutine. Assassiné. Le communiqué officiel de l’administration pénitentiaire russe explique qu’il s’est senti mal pendant une promenade et serait décédé d’une thrombose. La phrase comporte deux mensonges flagrants :
1. Navalny était au cachot (il en était sorti le 11 février dernier, et y avait été replacé le 14). Le cachot se caractérise par le fait que les promenades sont interdites (mais il n’avait droit à aucune communication, il n’avait pas de linge de lit (avec des températures polaires dehors), dormait, ou essayait de dormir sur une planche. Donc, il n’a pas pu se sentir mal pendant une promenade, parce que, de promenade, il n’y en avait pas.
2. Pour savoir que tu es mort d’une thrombose, il faut faire une autopsie. Et il n’y a pas eu aucune autopsie, – du moins au moment où j’écris. Donc, l’explication de sa mort est de l’ordre de celles qui étaient données sous le régime de Staline, – elle est donnée pour montrer qu’elle n’existe pas, et que l’assassin se fiche de la vérité : il a tué, – un point, c’est tout.
Cela, c’est simplement clair et net, indiscutable.
A-t-il été réellement assassiné dans son cachot, empoisonné, ou est-il mort d’épuisement ? Ce qui est sûr, c’est que, la veille, pendant une séance vidéo d’un des multiples procès qu’il avait en cours contre l’administration pénitentiaire, il avait l’air en forme, on le voyait même rigoler. Il plaisantait de l’absurdité des sentences. Il est, hélas, plus que vraisemblable qu’il ait été assassiné physiquement. Mais quoiqu’il en soit, ça n’a pas d’importance. Il a été assassiné.
Par qui ?
Evidemment par Poutine, parce que Navalny a mis en lumière la nature mafieuse de son régime, à sa nature mafieuse à lui personnellement, et son goût du luxe (un goût, littéralement, de chiottes, – je dis ça parce que même les brosses des WC de Poutine sont plaquées or… sérieusement). C’est-à-dire qu’il a mis en lumière non seulement le fait que le dictateur de la Russie est un mafieux et un assassin, mais qu’il est fondamentalement, intimement, ridicule, obscène. Et donc, Poutine l’a fait assassiner.
Mais Poutine est-il le seul assassin ? Non.
*
Le premier assassin de Navalny, rappelons-le, encore et encore, c’est la firme française – non, il faut dire « bretonne » – Yves Rocher, qui a porté plainte contre Navalny et son frère pour escroquerie, permettant à Poutine de condamner l’opposant russe à une peine de prison avec sursis avec obligation de contrôle judiciaire. « Yves Rocher » (la firme) a depuis assuré que l’entreprise n’avait subi aucun dommage de la part des frères Navalny, mais, après sa tentative d’assassinat au novitchok, quand Navalny est rentré à Moscou, la raison formelle de son arrestation a été le fait qu’il était soustrait à son contrôle judiciaire. Les autres condamnations, qui se sont accumulées, sont venues ensuite… – J’ai consacré à ce sujet une longue chronique écrite avec Françoise Morvan, elle est en premier commentaire. Je n’y reviendrai pas ici. Sauf pour dire ceci : la firme Yves Rocher est, aujourd’hui, présente en Biélorussie, en Ukraine et aussi en Russie. Elle possède, à ce jour, 407 « boutik » (c’est le barbarisme russe inventé par la firme pour désigner ses points de vente) et 12 spa-centers (une grande opération publicitaire est d’ailleurs lancée en Russie en février : les consommatrices ont droit à 30% de réduction dès qu’elles achètent je ne ne sais plus quoi). C’est-à-dire que, depuis 2021, Yves Rocher s’est développé très tranquillement, et a continué de faire ses affaires en Russie, malgré tous les embargos. Pendant que Poutine détruit l’Ukraine, bombarde et torture ses habitants, et impose la terreur dans l’ensemble de la Russie. Yves Rocher est donc, il faut appeler les choses par leur nom, le premier assassin d’Alexéï Navalny. Quelqu’un le rappelle-t-il, cela ? Et qui demande des comptes à cette entreprise, l’un des piliers du lobby patronal de Bretagne ?
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