88. Multitudes 88. Automne 2022
Majeure 88. Justice transformatrice

Semences de liberté
Préparer le terrain pour l’abolition à Durham, Caroline du Nord

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Et si abolir, ce n’était pas détruire, ni faire exploser, ni faire naufrage ? Et si abolir, c’était faire éclore quelque chose de nouveau aux commissures de tes yeux pleins de larmes, dans les crevasses de ta peau ? Et si c’était faire pousser quelque chose au creux de tes mains, dans le tremblement de ma bouche quand je m’apprête à te parler ? Et si l’abolition était quelque chose qui se cultive, comme un jardin ? Et si abolir le complexe industriel carcéral était le fruit d’un jardinage attentif, d’actes de constructions et d’approfondissements d’un mouvement qui cherche à répondre à la violence de l’État et à la violence dans nos communautés par des actes d’amour capables de transformation sur le long terme1 ? […]

À Durham, en Caroline du Nord, il y a un jardin qui pousse dans un quartier déchiré par le viol et par le silence des survivant·es. Il y a un jardin dans un quartier qui est tout autant déchiré par la police et la déshumanisation de celleux qui vivent, au quotidien, la menace d’être jeté·es en prison. Sur cet humus si particulier, si dur, si rouge, si gluant encore des survivances de l’esclavage et d’un système de suprématie blanche imposé par des formes de violence physiques et sexuelles contre d’innombrables gens, depuis bien des générations, dans ce terreau impossible, quelque chose pousse. Des chemins alternatifs se tissent dans le sous-sol ; des éclats de vérité prêts à fleurir à la surface. […] En ces temps dévastateurs et violents, les militant·es associatives et les artistes de Durham ont appris, par l’épreuve du feu, le rôle central que joue la violence sexuelle dans l’agencement de nos oppressions et le besoin urgent que nous avions de guérison et de justice dans nos communautés. Une coalition appelée UBUNTU, en hommage au concept africain selon lequel « je suis parce que nous sommes », est née à cette époque. […]

Dans cet article, je présente certaines des stratégies que nous avons employées pour répondre à la violence sans renforcer le complexe industriel carcéral. Notre lutte est un jardin et notre expérience jusqu’ici, bien que spécifique au terrain où nous travaillons, pourrait servir de modèle à celleux qui, ailleurs, luttent pour créer un monde sans violence sexuelle, et sans les violences de l’État. La séquence des actions de jardinage que nous décrivons n’est pas tout à fait arbitraire, mais ce que nous décrivons ne suit pas une ligne droite qui irait du travail du sol au partage des récoltes. Cultiver un jardin, c’est travailler par cycles d’efforts soutenus par la croyance que la vie est à la fois imprévisible et possible à tout instant.

1. Travailler le sol : exhumer les possibilités

Réfléchis à l’endroit où tu te trouves. Peut-être que le sol sur lequel tu te tiens est plein de cris, sa surface une croûte endurcie par les silences de celleux qui se sont résignées à la souffrance. Peut-être que le sol sur lequel tu te tiens a été forcé, pendant des siècles, à porter un produit qui ne peut nourrir personne, un terreau qui ne peut plus transitionner, maladivement, que du tabac au silence. Peut-être que le sol sur lequel tu te tiens a été dépouillé pour produire de l’individu. Ce qui pousse ici coupe le souffle à tout le monde, que ce soit les feuilles vert-clair du tabac ou les histoires rutilantes des héros et des personnalités du sport, des gagnant·es et des perdant·es, des étudiant·es auxquelles on apprend à se vendre sur le marché comme des personnes qui ne doivent rien dire de leurs souffrances ou de celles des autres.

Sylvia Wynter explique que ce qui distingue les plantations des autres formes de culture, c’est le fait que ce qui y pousse dépend d’un marché si éloigné qu’il n’a plus rien à voir avec les besoins de celleux qui mangent, vivent et respirent sur le même sol. Et puis de toute façon, on ne se nourrit pas de tabac. C’est pourquoi, à côté des plantations, on trouve aussi des jardins, des morceaux de terrain dont on prend soin dans les temps de pause, toujours menacés par le fait que la vie humaine y passe au second plan. Il y a toujours quelque chose qui pousse dans ces jardins, même s’il y a là à peine de quoi nous empêcher de mourir de faim.

Réfléchis à l’endroit où tu te trouves et à ce qui le rend stable. Ici, à Durham, c’est le sang et le silence. C’est l’extorsion de temps-de-vie entiers, encagés dans la survie et exploités par le travail. C’est le mantra selon lequel la seule manière de gagner est de dominer quelqu’un d’autre – par ton cerveau, ou ton corps, ou tes performances dans l’équipe de basketball. C’est le silence de ces pertes que nous avalons quand celleux que nous aimons sont volées et que nos corps deviennent la poussière sur laquelle nous marchons. […]

La boue est aussi forte que nous. Comme les cellules de nos peaux, elle est pleine d’histoires alternatives et de résistances oubliées. L’endroit où tu te tiens foisonne de potentiels obliques qui contredisent le marché qui n’a fait, tout ce temps, que les drainer de leur énergie. Dans notre cas, le paysage qu’on pouvait décrire nous obligeait à partir des relations qui lient une université d’élite [Duke University] et une classe ouvrière employée par cette communauté d’élite pour la servir. Ce que nous avons appris, c’est qu’aux côtés de ces relations cruelles, il y avait aussi quantités de petits lopins de terre où l’on cultive des semences bien différentes. Il y a Nia Wilson, qui travaille pour un magasin bio où elle ne peut pas faire ses propres courses elle-même, et qui décide de faire pousser, SpiritHouse, une association culturelle dirigée par des femmes noires. Il y a Malcolm Goff, professeur de dessin à l’école du quartier, qui réalise de gigantesques fresques murales sur les héritages empoisonnés de l’industrie du tabac. Il y a Afiya Carter qui fait le choix courageux d’abandonner son travail de cadre dans l’industrie biotech pour créer des événements culturels locaux qui nourrissent sa communauté. Il y a Mama Vimala qui crée une économie alternative fondée sur de délicieux dîners indiens faits maison. Il y a des étudiant·es qui volent des crédits pour faire des milliards de photocopies et publier des zines et des pamphlets. Il y a un groupe interracial de six lesbiennes qui a fondé une association pour lutter pour la libération queer et contre les lois iniques sur l’immigration. Il y a plus d’une professeure de danse africaine par mètre carré. Il y a une jeune palestinienne qui dirige le centre communautaire latino depuis des années avec amour et avec succès. Il y a, aussi silencieux qu’ils soient, tous les gens qui dirigent des associations, des agences d’État locales et des maisons d’édition qui sont des survivant·es et des co-survivant·es de la violence de genre. Et avec toutes ces personnes, nous découvrons l’échec de nos silences. Durham est un endroit bien moins convenable (et bien plus queer) qu’il n’y paraît au premier coup d’œil. Et je parie que l’endroit où tu vis aussi. Creuse.

Pour pouvoir répondre à la violence sans renforcer le complexe industriel carcéral, il est crucial de retourner le sol de nos communautés pour voir ce qui s’y cache, pour dénicher ce qui y pousse. Qu’est-ce qui a été réduit au silence en raison du danger ? Qu’est-ce que les représentations dominantes de notre ville oublient ? Voilà nos sources primaires. […]

2. Alimenter l’humus : soutenir la communauté

Des siècles de violence peuvent épuiser les ressources d’un lieu. Alimenter une alternative et des projets clairement orientés pour servir la communauté, tout en réprimant constamment l’impact de la violence genrée sur nos vies, cela peut aussi nous épuiser. Le trauma envahit nos rêves la nuit, nos relations, notre santé et nos imaginaires. Nous sommes desséché·es, mal-nourri·es, souvent à bout de souffle. UBUNTU veut dire « je suis parce que nous sommes », ce qui veut dire que nous sommes fatigué·es parce que nos communautés, en particulier nos communautés noires, latinx, queer et ouvrières, ici à Durham, sont épuisées, surmenées, sous-récompensées et maintenues éveillées toutes les nuits par la menace constante d’être jetées en prison. Notre tendance au burn-out, en tant que militant·es, est liée à l’appauvrissement de nos communautés à tous les niveaux.

Pour revitaliser les racines refoulées de la transformation dans nos communautés, nous avons besoin de nous alimenter les un·es les autres de toutes les manières possibles. Dans un récent entretien pour Revolution At Home, un zine dirigé par Leah Lakshmi Piepzna-Samarasinha à propos des violences entre partenaires au sein des communautés activistes2, UBUNTU expliquait l’importance de la présence sur le terrain, de la contribution aux activités de la communauté, même si elles ne sont pas liées à la prévention de la violence sexuelle :

« UBUNTU, en partenariat avec SpiritHouse et Southerners on New Ground, a commencé à organiser des dîners communautés au W. D. Hill (un centre communautaire où l’une de nos membres est employée) qui permettent aux gens de savoir que notre travail existe et qu’il peut être une ressource tangible. UBUNTU a été présent dans diverses fêtes communautaires, de la célébration de Kwanzaa3 à celle du « jour de la communauté » et au Martin Luther King Day, ce qui contribue à faire passer le message que, puisqu’il y a des gens dans cette communauté qui sont prêts à se réunir quand nous avons besoin de nourriture, d’art, de maquillage, des gens qui sont prêts à faire des choses, et puisque ces gens (nous !) se dédient spécifiquement, et ne font que parler de stratégies pour répondre à la violence, cela signifie qu’il y a une communauté de soutien disponible quand il est nécessaire de répondre à la violence. […]

« UBUNTU fonctionne également comme un site de pérennisation dans un autre sens. Le fait que nous avons construit des mécanismes informels pour offrir des garderies, échanger des massages, faire de l’aromathérapie, faire du sport ensemble, cuisiner les unes pour les autres, faire pousser notre propre nourriture, aider les enfants pour leurs devoirs, emprunter des voitures, offrir un canapé où dormir le soir au cas où, tout cela veut dire que nous prenons toustes le travail au sérieux de répondre à la violence dans nos communautés en tant qu’enseignantes, militantes associatives, militantes pour les droits des immigrés. Cela veut dire que nous avons le soutien d’un réseau qui nous aide, nous nourrit, nous embrasse, nous masse, huile et masse nos articulations, écrit des poèmes en nos noms, nous sert des tasses de thé quand nous en avons besoin. Et nous en avons souvent besoin. Nous en avons besoin presque tous les jours. »

Si nous pouvons nous nourrir et nous soutenir les un·es les autres, nous avons moins besoin de dépendre de l’État ou du statu quo. Savoir que nous avons des communautés qui nous soutiennent peut réveiller en nous le courage et allumer en nous les imaginaires d’un monde transformé.

3. Embrasser les chemins : stratégies de coalition

Sous le sol, il y a un ensemble complexe de connexions ; planter et faire pousser notre travail dans une communauté spécifique implique de reconnaître ces connexions. Durham est une communauté relativement petite ; aux côtés des populations temporaires d’étudiant·es, il existe des générations de relations qui lient les plus ancien·nes et les plus jeunes. Des grands-mères, des mères et leurs filles s’organisent ensemble. Des sœurs dirigent ensemble des associations. Des parrains et des tantes servent de rouages à des initiatives communautaires intergénérationnelles. Nous mangeons toustes dans le même plat commun ; et la taille et l’économie de notre ville fait qu’on ne peut pas l’ignorer. […]

Ici, à Durham, il a été crucial que notre réponse à la violence opère en coalition : non seulement parce que différentes organisations spécialisées avaient de l’expérience dans la confrontation à différentes manifestations de la violence et à ce qui soutient la culture du viol, mais aussi pour faire place, dans la direction de nos luttes, aux personnes directement impactées par ces problèmes, ainsi que parce que notre interconnexion nous permettait d’accéder à des ressources d’une manière qui ne nous contraignait pas à la chaîne de commande et au pipeline carcéral que l’État a structuré pour répondre à la violence. […]

4. Les mains dans la terre : complicité et responsabilité

C’est inévitable. Pour grandir, nous devons nous salir les mains, ou du moins nous devons comprendre à quel point elles sont déjà sales. Pour nous lier aux réseaux souterrains, pour creuser, pour planter et alimenter la vie et sa croissance, nous devons être réalistes quant à la complexité de nos propres actions. Cela signifie être précises dans nos relations avec l’État. Cela signifie reconnaître que nous sommes toustes capables de nous faire du mal les unes les autres, même quand ce n’est pas ce que nous voulons faire. Cela signifie nous souvenir, douloureusement, que si la plupart des personnes qui causent des violences sont elles-mêmes des survivant·es de violence, alors celleux d’entre nous qui nous identifions comme survivant·es avons probablement été à l’origine de diverses situations violentes à notre tour. Cela signifie reconnaître que les matières gratuites ou à bas coût auxquelles nous avons accès le sont au prix de l’exploitation du travail d’une autre personne. Cela signifie se souvenir, quand nous organisons nos rencontres sur Facebook, de l’impact que les ordinateurs ont sur l’environnement et sur les doigts des gens qui les assemblent.

Reconnaître que « je suis parce que nous sommes », ou que toutes nos actions s’impactent les unes les autres est fondamental pour créer une responsabilité collective. Quand nous déclarons que nous allons chercher les causes profondes d’un problème, que nous refusons la criminalisation des actions par lesquelles nous nous blessons quand ces actions sont liées à des structures plus vastes et qu’elles requièrent de s’inscrire dans des processus de croissance et d’apprentissage, nous pouvons nous autoriser les unes les autres à prendre la responsabilité du mal que nous faisons, plutôt que d’essayer de fabriquer une innocence impossible. « Je suis parce que nous sommes. » Cela signifie que nous sommes toustes nécessaires les unes aux autres, et que nous sommes toustes impliquées dans les actions les unes des autres, pour le meilleur et pour le pire.

Nous avons les mains sales, mais elles sont chaudes d’avoir été en lien avec la terre de notre contexte partagé. Nous sommes dans le bordel imparfait de notre quotidien partagé, nous ne pouvons pas rester propres, mais nous pouvons nous tenir responsables les un·es les autres, apprendre de nos erreurs et élever notre conscience. Nous pouvons être partenaires dans des formes radicales de guérison, ce qui veut dire que nous pouvons nous en prendre aux causes profondes des maux que nous nous infligeons les unes aux autres.

5. L’eau et la lumière : guérir et célébrer

Une définition possible de la communauté est celle d’un endroit où l’on donne tout et où l’on partage tout. Nous avons ouvert nos histoires de survie et de violence, et nous nous les sommes offertes les unes aux autres comme autant de cadeaux maladroits. Nos larmes arrosent les sols qui nous nourrissent.

Nous nous sommes soutenues les unes les autres, nous nous sommes raccompagnées le soir en dansant, nous nous sommes bercées de rires. Nos faces pleines d’éclats, brillantes d’espoir, ont réveillé la sève des feuilles de nos arbres.

Par le deuil, pas moins que par la fête, nous grandissons ensemble.

6. Désherber : créer un espace intentionnel

Jardiner est un acte expérimental. Nous voulons des insectes pollinisateurs, mais pas de ceux qui mangent et tuent les plantes. Nous voulons le soleil, mais pas au point de voir les feuilles s’assécher à son contact. Nous voulons la pluie, mais pas que nos graines s’y noient. Nous voulons que des plantes poussent, mais nous devons retirer les mauvaises herbes… qui sont aussi des plantes, parce qu’elles absorbent les ressources dont notre mouvement a besoin pour grandir. La nouvelle pratique d’UBUNTU, qui consiste à littéralement jardiner ensemble, se confronte au difficile processus qui consiste à se souvenir quelles valeurs partagées nous rassemblent après avoir survécu à nos conflits. Même si nous refusons de participer au programme criminalisant de l’État, même si nous refusons les divisions entre nous qui ne servent qu’à affaiblir nos mouvements, il nous faut rester vigilant·es quant à nos définitions. Je suis parce que nous sommes peut-être aussi partis à la dérive…

« Je suis parce que je suis la meilleure ! Je suis parce que je suis la plus maline ! Je suis parce que je veux bénéficier des ressources que cette communauté a accumulées, mais je ne veux pas être tenue responsable par elle. Je suis là parce que ça a l’air cool. »

Nous devons définir ce que nous voulons. Nous voulons faire pousser un jardin qui fonctionne et qui soit beau, ce qui veut dire que nous avons besoin d’être explicites quant à ce sur quoi nous nous alignons. Oui aux repas partagés et aux recettes qui évoluent. Puisque, pour la plupart d’entre nous, il s’agit d’un processus que nous n’avons jamais tenté, nous en sommes tout juste à apprendre la différence entre la graine que nous avons plantée au moment où elle pousse, et l’herbe folle qui menace de nous distraire et d’appauvrir notre vision. La possibilité d’obtenir un financement 501-C3 (pour l’association Ubuntu) est-elle une ressource ou une mauvaise herbe qui empêche la croissance de notre mouvement ? L’attention des médias est-elle un outil ou une source individualiste de satisfaction narcissique ? Comment mettre fin aux blessures que nous nous infligeons à l’intérieur de nos collectifs avant qu’elles ne mettent à mal les connexions qui nous lient ? […] Comment affirmer une structure qui est encore en train de se faire ? Comment faire croître l’impact de notre mouvement tout en restant claires sur nos valeurs communes ? Comment laisser la place à différents niveaux d’impact et d’implication ? Comment faire la différence entre les camarades et les allié·es ? Avons-nous des ennemi·es, ou simplement des relations différentes au pouvoir et aux ressources ?

Nous agissons et nous croissons ensemble ici à Durham, en conséquence de quoi, nous rencontrons de nombreuses questions. Beaucoup de choses grandissent, en toutes sortes de directions… qu’est-ce qui nous nourrit ?

7. Partager la récolte

En conclusion, et bien que nous en soyons encore à un stade précoce de notre croissance ici à Durham, nous savons que notre survie et notre guérison sont liées à la vôtre. Au début de ce processus (qui n’a pas commencé avec nous), nous nous sommes engagées à partager les leçons que nous en tirions, et à demander conseil bien au-delà de nos communautés immédiates. Les semences voyagent. Nos croissances sont connectées.

Le blog UBUNTU (www.iambecauseweare.wordpress.com) et les éditions BrokenBeautiful Press ont été une des manières pour nous de partager les leçons que nous apprenions aux côtés de la communauté plus large des survivant·es, des miliant·es et de leurs allié·es. Parmi nos zines, on trouve Comment soutenir un·e survivant·e de violence sexuelle, un autre sur la Révolution morale, et quantité de journaux interactifs et d’anthologies de poésie qui sont utilisées un peu partout dans le monde. Nous sommes honorées par nos camarades de guérison. […]

Le Day of Truthtelling, un événement national avec des soutiens et des participant·es venues de tout le pays, a introduit le modèle d’une réponse audible, visible, et cependant orientée vers la guérison et la communauté, qui a servi d’inspiration pour de nombreuses personnes qui luttent contre la violence genrée dans nos communautés4. Nous sommes honorées qu’en prenant inspiration du Day of Truthtelling des militantes new-yorkaises aient tenu une veillée en réponse au meurtre de Sanesha Stewart, une jeune femme trans et noire dont la mémoire a été continuellement bafouée par les médias après sa mort.

Nous croyons à un monde qui grandit communauté par communauté, ancré dans des contextes spécifiques mais capable de faire pousser une vision partagée et de faire éclore des alternatives aux violences de la police et de l’État carcéral, et nous croyons à la possibilité de nous nourrir des fruits de notre travail et de notre amour.

Traduit de l’anglais (États-Unis)
par Emma Bigé & Camille Noûs

1Cet article est constitué d’extraits tirés de « Freedom Seeds : Growing Abolition in Durham, North Carolina » in Abolition Now!: Ten Years of Strategy and Struggle Against the Prison Industrial Complex, Chico (CA), AK Press, 2008.

2NdT : Ce zine a donné lieu, dix ans plus tard, à la publication de la première anthologie sur la justice transformatrice : Ching-In Chen, Jai Dulani et Leah Lakshmi Piepzna-Samarasinha (dir.), The Revolution Starts at Home. Confronting Intimate Violence Within Activist Communities, AK Press, 2016.

3NdT : Kwanzaa est une fête créée en 1966 par l’activiste africain-américain Maulana Karenga pour célébrer le passage à la nouvelle année. Liée au syncrétisme du panafricanisme des années 1960, Kwanzaa (dont le titre est emprunté à l’expression swahili pour matunda ya kwanza, « premiers fruits ») reprend des éléments de cérémonies agraires d’Afrique sub-saharienne.

4NdT : Dans son poème unconditional (a love note with footnotes), paru dans Left Turn, en avril 2007, Alexis Pauline Gumbs précise que « le National Day of Truthtelling à Durham, North Carolina est une journée d’actions construites sur la croyance que briser le silence sur la violence sexuelle dans nos communautés est le premier pas vers la création d’un monde libéré de la violence sexuelle mais aussi des autres formes d’oppression. Les survivantes de violence sexuelle continuent d’être à la tête de ce mouvement. […] Après des mois de planification, le Day of Truthtelling a commencé avec une manifestation dans tout Durham, menée par des survivantes de violence sexuelle et leurs familles. […] Pendant l’essentiel de la manifestation, on pouvait voir les survivantes et leurs allié·es danser aux sons des tambours et de chants et de slogans tels que Tell the truth, stop the silence, WE CAN END SEXUAL VIOLENCE! […] La journée a culminé avec un teach-in adressé à la communauté, avec une série d’ateliers, de performances, de discussions, de projections de films. Ce teach-in mettait l’accent sur des activités faites pour les plus jeunes d’entre nous, dans un effort multi-générationnel de créer un monde libéré de la violence sexuelle. » http://leftturn.org/national-day-truthtelling-creating-world-free-sexual-violence