91. Multitudes 91. Eté 2023
A chaud 91.

Ukraine, Taïwan, le moment chinois. Vraiment ?

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La guerre dUkraine devait être dans la tête du dernier petit Tsar de toutes les Russies une simple opération de maintien de lordre et de restauration de lEmpire russo-soviétique humilié dans la première dissolution de 1991. Le complément logique à la « récupération » de la Crimée de 2014. Puis une annexion des provinces de lEst, marges de la Russie à défaut de la prise manquée de Kyiv. Devenue interminable, cette vraie guerre (le premier conflit formellement international qui frappe lEurope depuis 1945) a probablement ouvert la phase de décolonisation radicale de la dernière puissance européenne. Le retour à la démocratie intérieure, comme le dernier élargissement de lUnion Européenne (Russie, Biélo-Russie) devra en passer par là. Nous y reviendrons après lété.

Mais, entre autres bouleversements pressentis dont les détestables guerres sont porteuses nolens volens (comme l’accélération du fédéralisme européen, le retour de l’OTAN ou l’économie militaro-industrielle), il en est un qui a les faveurs de tous ceux qui veulent réduire à une simple péripétie le moment ukrainien : il s’agit du glissement irrémédiable vers la zone Pacifique de l’économie-monde et de la montée politique de la Chine qui ne serait plus une perspective à moyen terme, mais une tendance déjà réalisée.

La Chine de Xi Jinping serait devenue le véritable arbitre de ce conflit finalement secondaire et s’esquisserait d’ores et déjà un monde alternatif à la domination américaine réaffirmée en apparence, mais en apparence seulement, après les débâcles syrienne et afghane.

Nous serions entrés dans le moment chinois. Les chefs d’État de tous les pays ne se pressent-ils pas à Pékin depuis un an ? Et quel contraste saisissant avec l’isolement de la petite Russie, sorte de satrapie gazière et pétrolière, bien que pays le plus étendu du monde aux 150 millions d’habitants et dont le PIB ne dépasse pourtant pas celui de l’Espagne (47 millions d’habitants) ? Une cinquantaine de pays ne se sont-ils pas déclarés pour une zone utilisant le renminbi ou Yuan comme monnaie de réserve au lieu du dollar ? La puissance montante de la Chine ne détiendrait-elle pas la paix du monde entre ses mains face aux provocations américaines qui remettraient en cause l’appartenance de Taïwan à la République Populaire ?

Cette échappatoire commode pour toutes les générations qui ont vécu la Guerre Froide, avec l’Oncle Sam comme Grand Satan en dernier ressort, repose sur une vision largement exagérée de la puissance chinoise et par la même occasion, sur une surestimation du danger chinois du côté des faucons américains du Grand Old Party.

Commençons par examiner ce qui s’est passé en Chine avant de fantasmer sur le moment chinois à l’extérieur vu par les anti-impérialistes et son danger de troisième guerre mondiale vu tant par les pacifistes qualunquistes que les va-t-en guerre d’une nouvelle croisade contre l’Empire du Milieu. La situation est dominée par un paradoxe entre le triomphe du Parti (et de son leader suprême) et une situation très fragile.

Le triomphe sans partage du Parti Communiste Chinois et de son leader

Le XXe congrès du Parti Communiste Chinois (16-22 octobre 2022) était une échéance redoutée depuis longtemps par ses dirigeants. La chute spectaculaire du régime soviétique en 1991 avait frappé le régime chinois et la critique du culte de la personnalité au 20e Congrès du PC soviétique en 1956 et la déstalinisation amorcée par Nikita Khrouchtchev avait suscité les réserves de Mao et le début de la grande brouille consommée en 1961. En 2022, le PCC fêtait ses 73 ans de pouvoir depuis 1949. Presque autant que la durée totale du régime soviétique (74 ans) sans compter qu’en termes de longévité et de santé, le grand frère soviétique avait été dépassé en ancienneté et en nombre : à l’heure où le parti communiste soviétique n’existe plus, le petit frère chinois compte plus de cent millions de membres et plus de dix millions de cadres, dont deux à trois millions ont été renouvelés par la grande purge de la lutte contre la corruption.

Au Congrès précédent de 2017, le PCC avait vu la réélection pour la seconde fois de son Premier Secrétaire, mais ce dernier avait vu son dauphin écarté du Bureau Politique, et donc du secrétariat restreint des 9 membres, même s’il avait eu le lot de consolation des honneurs décernés à son œuvre théorique, à l’instar de Mao et de Deng Xiaoping. Mais enfin il avait dû composer avec l’opposition des réalistes menés par Li Kequiang devenu son Premier Ministre.

Or en 2022, Xi Jinping a mis KO toute opposition interne. Il a été réélu à l’unanimité et s’est empressé de nommer comme premier ministre Li Qiang, ancien Secrétaire du Parti de la Ville de Shanghai qui venait de s’illustrer par une main de fer dans la gestion des mesures anti-Covid. Cumulant la direction du Parti, de l’État, de l’armée, Xi Jingping a plus de pouvoirs que n’en a jamais eu Mao. Seul Staline en a eu autant. Les opposants à sa politique, devenus rares au sein des cadres du Parti, reconnaissent n’attendre que sa mort (il a 71 ans) pour que le jeu s’ouvre à nouveau. Le Président actuel, dont le gant de velours ne dissimule plus une poigne de fer, a accentué les aspects autoritaires du régime dans tous les domaines : mise au pas des chefs des entreprises géantes, de la hiérarchie du Parti, des minorités religieuses, des opposants et, sur le plan de la doctrine, de toute interprétation erronée (comprenez occidentale) de la démocratie, de la séparation des pouvoirs, des droits de l’Homme. La réhabilitation de l’autoritarisme éclairé de la dynastie des Qing (dite Mandchoue), d’un nationalisme affirmé, de mesures de cyber-surveillance de la population amplifiées au cours de la lutte contre la pandémie de Covid, et d’une fermeture du pays face au risque de contamination, tous ces éléments concourent à donner du pays une image tout à fait opposée à celle que le pays avait connu de Deng Xiaoping à Hu Jindao, ses prédécesseurs.

Tout va très bien, Madame la Marquise ?

Aux yeux de l’opinion publique (en tous cas celle qui est officiellement reconnue comme telle par les autorités), le régime a pu gérer avec patience la grave crise de Hong-Kong amorcée par la révolte des parapluies et reprendre en main cette région qui devait servir de modèle à l’adage : un seul pays deux systèmes. Il a fait le dos rond face aux deux questions du Tibet et du XinJiang, malgré les mises en causes récurrentes pour son traitement des minorités religieuses tant bouddhistes que musulmanes.

Cependant cette victoire politique écrasante signifie-t-elle pour autant que tout va bien dans l’Empire du Milieu ? Pas sûr du tout. La Chine fait en effet face à des problèmes structurels du modèle de développement amorcé en 1978, à des problèmes conjoncturels du système financier et aux risques sérieux de représailles essentiellement commerciales et stratégiques sur les technologies de pointe en cas d’aggravation de sa pression sur Taïwan. La bénédiction du ciel qui avait présidé à l’intronisation de Xi Jinping lors de son premier mandat tenait aux espoirs mis dans une inflexion vers davantage de liberté qui ne s’est vérifiée que dans un seul domaine : l’économie.

Le véritable échec des deux premiers mandats de Xi Jinping

Cette économie devait aller vers une croissance davantage auto-centrée et moins dépendante des exportations, vers une réduction de la pauvreté, donc vers plus d’égalité et de justice sociale, donc plus d’harmonie, tous mots d’ordre très confucéens (finalement assez hostiles à un management du consensus par la lutte des classes). Un premier pas avait été fait dans ce sens quand, face à la crise financière internationale de 2006-2008, et à ses répercussions catastrophiques (32 millions de chômeurs de plus à la suite de l’effondrement des exportations), le gouvernement avait relancé massivement les dépenses d’équipement notamment la construction en dix ans de 10 000 km de trains à grande vitesse, le désenclavement des régions rurales et surtout la mise en place d’un début d’État-Providence pour soutenir le revenu des régions touchées par une baisse de l’émigration de travail vers les villes. L’ idée promue activement par le Président Xi Jinping consistait à trouver des ressorts de croissance dans l’augmentation de la demande intérieure, elle-même boostée par les augmentations de rémunération et le dynamisme des petites entreprises.

Or ce pari du gouvernement chinois qui unissait Xi Jinping et son premier ministre Li Kequiang a été perdu : la croissance chinoise a progressivement perdu son dynamisme initial (plus de 10 % par an entre 1980 et 2010) et surtout le relai d’une croissance tirée par les exportations par celle d’une croissance interne ne s’est pas produit dans des proportions suffisantes, même s’il faut tenir compte du bond considérable par rapport à 1980. En 2016 la consommation des ménages, de 4 412 milliards de dollars, était 90 fois plus importante qu’en 1980 (49 milliards de dollars). Mais le ralentissement n’en est apparu que plus spectaculaire.

Au-delà de la première mondialisation
de la fin du XXe siècle

Pour quelles raisons ? Le plan de Deng Xiaoping et de ses successeurs avait été de profiter des caractéristiques de la mondialisation des années 1980-2000 en faisant de la Chine, forte d’une offre illimitée de travail peu qualifié mais très peu cher (les réformes du statut de la propriété paysanne libérèrent des centaines de millions de paysans vers les villes), l’usine du monde. Cette usine du monde accéléra la délocalisation industrielle en fournissant le reste du monde en biens industriels, à partir de zones économiques spéciales offrant aux multinationales des zones d’investissements faiblement taxées avec garantie de rapatriements des profits. Réussite totale dans un premier temps : la Chine devint le premier exportateur mondial et les excédents de sa balance commerciale financèrent l’équipement intérieur et sa politique sociale.

Toutefois ce modèle impliquait aussi que la production chinoise monte en qualité et en produits incorporant de plus en plus de technologie et de savoir qualifié. Ce à quoi s’attela le régime avec application. Le problème est que ce modèle de mondialisation heureuse se heurta à plusieurs limites : la résistance croissante, dans les pays déjà industrialisés, à la disparition de ce secteur stratégique (prise de conscience accélérée par la dépendance des produits sanitaires de la géolocalisation de la chimie fine); les obstacles à des transferts de technologie en particulier dans les secteurs de pointe (comme celui des semi-conducteurs avec les puces électroniques miniaturisées); une réglementation de plus en plus sensible à des impératifs écologiques qui fut moins favorable au libre-échange ; last but not least, la concurrence de pays en voie de développement aspirant à concurrencer la Chine dans le rôle d’usine du monde (Inde, Indonésie, Afrique du Sud, Pakistan, etc.).

Des facteurs intérieurs comme l’évolution démographique chinoise, le freinage de la mobilité ville-campagne, l’effort de rééquilibrage du développement vers l’Ouest du territoire, et pour finir une augmentation des salaires rapide pour compenser une inflation des prix de l’immobilier, jouèrent également leur rôle dans la baisse de compétitivité du modèle qui avait si bien réussi de 1978 à 2008. Les entreprises chinoises comme les multinationales implantées sur place commencèrent à délocaliser la production de pièces détachées. Par exemple Apple qui vient d’annoncer sa volonté de déménager son usine d’assemblage des iPhones en Thaïlande alors qu’elle importait déjà des pièces détachées fabriquées au Vietnam.

Pour faire évoluer le modèle de mondialisation dans un sens favorable à sa balance commerciale, la Chine devait augmenter le contenu en valeur de ses marchandises, délocaliser à son tour la production banale, s’attaquer à la valeur environnementale de ses produits et monter en gamme sa production. Les investissements en matière de technologie, d’éducation furent importants mais, et c’est une des difficultés majeures du régime, plus de la moitié des jeunes diplômés sont au chômage actuellement, preuve que la production demeure encore trop banale.

Dans ce contexte, la Chine continue à importer (en particulier d’Allemagne) des machines-outils et particulièrement celles qui fonctionnent de plus en plus avec des composants électroniques sophistiqués.

Dans un modèle libre échangiste, comme celui de l’Organisation Mondiale du Commerce que la Chine a fini par rejoindre avec quelque réticence due à la crainte de la perte de contrôle sur les grandes entreprises capitalistes y compris chinoises, cette montée en gamme aurait pu se produire plus facilement : on connaît le différend officiel qui existe avec les États-Unis. Ces derniers se plaignent que le réseau social TikTok puisse entrer librement sur leur sol tandis que Facebook est bloqué sur le territoire chinois. Mais il ne faut pas se faire d’illusions. Entre partenaires commerciaux, rivaux et ennemis, la frontière est poreuse chaque fois que des questions de défense sont en jeu. La guerre commerciale n’est pas que métaphorique même si elle prémunit, dans bien des occasions, de la guerre tout court.

La tenaille de la dépendance mercantiliste

La Chine vit aujourd’hui une difficulté particulièrement aiguë : elle n’a pas pu diminuer la dépendance, très mercantiliste, de sa balance commerciale malgré ses efforts pour développer ses investissements extérieurs et en recueillir les profits financiers. Elle suscite, de par son poids et son statut de challenger de la première puissance mondiale, des méfiances accrues dans le domaine des transferts de technologie stratégique. Si les États-Unis ne dépendent que pour 12 % de leur PIB de leurs exportations et importations, la Chine a une forte dépendance aux importations de produits énergétiques (même en matière de charbon) mais aussi à ses exportations de biens ouvrés à contenu moyen en connaissance. Avec une exception, l’industrie automobile fabriquant des voitures électriques. C’est son point faible et les Occidentaux (Europe, États-Unis, Canada, Australie, Nouvelle Zélande) entendent bien pouvoir user de l’arme des sanctions commerciales en cas de conflit majeur.

Cette dépendance commerciale n’est pas compensée par la place importante que pourraient occuper les pays du Sud et la Fédération de Russie. Car les crédits que la Chine offre à ces pays ne rapportent pas des intérêts mais consolident simplement un débouché pour ses exportations. Le solde positif de la balance commerciale chinoise provient essentiellement de son commerce avec le camp occidental.

Des difficultés supplémentaires

Or le restant du tableau immobilier, social, budgétaire et financier de la Chine rend plus crucial que jamais le rôle de la balance commerciale chinoise.

Un indice du caractère vital des performances du commerce extérieur et de la production en vue de l’exportation nous est fourni par la très récente priorité donnée par le gouvernement chinois à la production d’électricité pour alimenter les usines à plein temps par rapport aux impératifs écologiques d’électricité non carbonée. En 2022-23, pour atteindre l’objectif pourtant très médiocre de 5 % de croissance (on parle plutôt de 3,5 %), le pays, déjà champion du monde des émissions de gaz à effet de serre, ouvre en moyenne deux centrales électrique au charbon par semaine.

Le coût des mesures très strictes de lutte contre le Covid, comme la fermeture pure et simple des usines en cas d’un seul cas de maladie, a été considérable et les régions du Sud, les provinces du Guang Dong (Canton, Shenzhen), du Fujian, qui contribuent le plus aux exportations chinoises, ont dépensé plus de 700 milliards de renminbi, soit près de 100 milliards d’euros, alors que Pékin ou Shanghai ne dépensaient pas le dixième de ces sommes. L’ état des finances des villes chinoises n’est donc pas brillant. Elles ont annoncé des coupes dans les dépenses de santé pour les retraités, suscitant un mécontentement social non négligeable, d’autant que le gouvernement central vient d’annoncer le report de l’âge du départ à la retraite de 62 à 64 ans.

En 2021, les dépenses publiques de l’État central ont augmenté de plus de 6 % en moyenne tandis que les recettes fiscales diminuaient de plus de 7 %. Les émissions d’obligations par les gouvernements locaux pour soutenir l’activité n’ont cessé de progresser depuis 2018. La Banque centrale a veillé à ce que les principaux taux d’intérêt (long terme, moyen et court terme) diminuent. Entre 2015 et 2019, le déficit public était de 3,9 % du PIB ; il est monté à 8,9 % en 2022. Le FMI estime que les marges de manœuvre du gouvernement pourraient être moins bonnes qu’annoncées.

Il faut ajouter une crise immobilière profonde qui contribue à anémier durablement la demande intérieure des ménages en particulier en matière de biens immobiliers. Depuis la quasi-faillite d’Evergrande, qui n’est censé retrouver l’équilibre qu’à la fin 2023, le marché de l’immobilier est en profonde dépression. C’était l’un des plus puissants ressorts de la croissance intérieure. Il était stimulé paradoxalement par le déclin démographique rapide du pays. À la suite de la politique d’un seul enfant par couple, la traditionnelle préférence chinoise pour des garçons (pour assurer la survivance du nom de famille), dopée par les moyens d’investigation du sexe de l’enfant avant la naissance, ont abouti à un déséquilibre très lourd du sexe ratio hommes/femmes, si bien que les démographes estiment à plus de 50 millions le chiffre d’hommes en surnombre par rapport aux effectifs de femmes disponibles.

Le marché matrimonial s’est trouvé déséquilibré. Ce ne sont plus les parents des mariées qui dotent leur fille, mais les candidats au mariage qui doivent avoir un travail bien rémunéré, un logement dont ils sont propriétaires ou en phase d’acquisition, une ou deux voitures. La croissance chinoise tirée par l’immobilier et l’achat de voitures a dû beaucoup à ce facteur. La fin de la politique de l’enfant unique n’aura qu’un impact très lent sur cette situation, d’autant que les femmes des ménages des classes moyennes qui sont éduquées et travaillent ne sont pas très enthousiastes à l’idée de sacrifier leur carrière pour avoir deux enfants.

Le vieillissement de la population chinoise s’avère rapide et c’est évidemment un avantage comparatif de la Chine dans la division internationale du travail dans les pays du Sud qui disparaît.

La crise de l’immobilier est devenue structurelle ; elle a entraîné dans certaines provinces, en particulier celle du Henan, l’arrêt d’une part de la livraison d’appartements aux clients qui avaient acheté sur plan, sans suspension du paiement des remboursement de leurs emprunts. De véritables mouvements de refus d’acquitter ces traites, et de remboursement des sommes du prêt contracté, ont menacé des petits établissements. Un des organisateurs de ce mouvement de refus de payer les traites des emprunts aurait attrapé la Covid et aurait disparu…

La situation financière du pays est donc loin d’être florissante. Des agences de notation à Hong Kong ont souligné la fragilité de beaucoup de banques locales comme d’autres structures de défaisance, chargées d’accumuler des créances douteuses.

Dans un tel contexte assez morose dont le gouvernement n’ignore rien, le rôle du solde positif de la balance commerciale s’avère décisif et prioritaire.

La Chine ne peut pas actuellement se permettre d’entrer dans une guerre commerciale aiguë avec ses principaux partenaires occidentaux. Et encore moins faire face à des obligations qui deviendraient les siennes, si elle faisait du Yuan ou du renminbi la monnaie de référence d’une hypothétique zone concurrente du dollar. Surtout si celle-ci comprenait des pays aussi fragiles que le Brésil, le Mexique, l’Afrique du Sud, pour ne pas parler de la Russie.

Lancer une zone concurrente du dollar comme monnaie de réserve pour les paiements internationaux, alors que l’euro ne s’y risque même pas, serait autant déclarer la guerre aux États-Unis que d’envahir Taïwan.

À la différence de Vladimir Poutine qui ne rend de compte à personne, le Président chinois peut exciper d’un parti fort de cent millions de membres, de dix millions de cadres et n’a pas l’intention de se lancer dans un jeu de poker menteur. Il n’est ni isolé, ni fou.

Les déclarations de la Chine sur Taiwan, un invariant depuis 1949, sont là pour camper un décor et des apparences qui doivent être sauvées comme apparences, comme il est d’usage depuis les premières dynasties chinoises. Et la différence avec Hong-Kong d’un côté et avec l’Ukraine de l’autre sont éclatantes. Comme le disait l’empereur de Chine après la très tardive conquête de Formose (colonisée par les Portugais au XVIe siècle, où la présence chinoise de réfugiés partisans de la dynastie Ming chassés par les Qing ne remonte qu’à 1646 et son ralliement aux Qing en 1686) : Taïwan n’a pas d’importance. Elle ne représente rien d’essentiel pour la Chine continentale, ni sur le plan commercial, ni sur le plan culturel et historique. Tout au plus une position militaire d’escale pour la flotte dans la mer de Chine du Sud. Ce qui explique que la Chine l’ait cédé au Japon pendant près de 70 ans. Le contraste avec l’Ukraine, berceau de la Russ (ancêtre de la Russie et tardif petit Duché de Moscou au XVIe siècle) est saisissant.

La solidité politique du pouvoir que Xi Jinping a su consolider en deux mandats de cinq ans a tout pour le dissuader d’une aventure plus qu’incertaine sur le plan militaire. L’armée chinoise n’a pas combattu depuis 1979, et on la dit dans le même état que l’armée russe.

La situation délicate que traverse la Chine actuellement, si elle venait à s’aggraver sérieusement par des troubles, pourrait-elle dans un avenir proche constituer une sorte d’échappatoire ? On ne voit guère comment.

Car, tant que la Chine demeure une puissance mercantiliste, dépendante avant tout du solde positif de sa balance commerciale dans la division internationale du travail, la fuite en avant par une guerre de récupération de Taïwan par la force, l’exposerait cent fois plus que la Russie à être touchée durement par des sanctions commerciales de l’Occident.

Ne hurlons donc pas au danger d’une expansion impérialiste chinoise qui, via l’agression de Taïwan, conduirait à un conflit mondial. Regardons attentivement, comprenons la logique interne de l’Empire du Milieu, y compris celle de la nouvelle dynastie communiste, fondée par Mao, le nouveau Qin Shi HuangDi. Et ayons confiance dans ce qu’a ouvert l’événement Ukraine (guerre comprise) dans tous les régimes autoritaires de la terre : l’horizon de la démocratie.