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59. Multitudes 59. Été 2015

À chaud 59

La démocratie aujourd’hui est sauvage et constituante. L’exemple espagnol, par et

La démocratie aujourd’hui est sauvage et constituante
L’exemple espagnol

L’exemple espagnol de Podemos montre comment sortir positivement des limites de l’horizontalité du mouvement, à la fois si riche et infructueuse, et comment agencer un geste politique d’autoconstitution, d’organisation et de représentation. Ce passage de l’horizontalité à la verticalité, de l’agitation et de la résistance du mouvement vers le travail de gouvernement pose non seulement des questions de spatialité, mais surtout des questions de temporalité, de durée. L’important passe par la (re)création d’un flux de mouvement politique, un système ouvert de gouvernance depuis le bas qui maintient unis mouvement et gouvernement – par le débat constituant constant et par une extension de ce débat aux citoyens.

Today’s Democracy is Wild and Constituent
The Spanish Case

The Spanish example of Podemos shows how to escape from the limits of the horizontal politics of movement, however rich but too often fruitless, towards the vertical politics of government. This gesture of auto-constitution, organization and representation raises not only issues of spatiality, but also issues of temporality: how to make it strong and lasting? What really matters is the (re)creation of a flow of political movement, an open system of governance from below which maintains together movement and government—through constant constituent debates and through the extension of these debates to all citizens.

Hors-champ 59

Majeure 59. Décoloniser la laïcité ?

Penser après les événements parisiens de janvier 2015 suppose de comprendre ce qu’il y eut avant 2015. « Laïcité », « islam », ou même « religion » sont des constructions politiques qui ne font sens qu’en situation historique. C’est un renversement idéologique qui, de la fin des années 80 à aujourd’hui, a transporté de tels mots sur le devant de la scène médiatique. Les idéaux modernistes qui alimentaient encore l’antiracisme traditionnel servent une nouvelle forme de discrimination –un nouveau racisme ?– dont le stigmate se nomme non plus « classe » ou« race » mais bien « religion ». Ce dossier essaie de comprendre comment c’est en construisant le « problème musulman » qu’on a permis à la droite de se proclamer « laïque ». Il tente de penser « à chaud », à travers une démarche collective et transdisciplinaire.

1905 : quand l’islam était (déjà) la seconde religion de France, par

1905 : Quand l’islam était (déjà) la seconde religion de France

L’islam est souvent présenté comme la dernière religion implantée sur le territoire français. Elle aurait été de ce fait absente du paysage religieux français au moment de l’adoption de la loi sur la séparation des Églises et de l’État. Cet article entend battre en brèche ce récit et propose de montrer que la religion musulmane fut largement représentée en France, notamment à travers ses départements algériens, et que des débats eurent bien lieu dès 1905 à propos de l’application de la loi à cette religion. D’ailleurs, là où l’islam était la religion majoritaire dans les territoires de l’Empire colonial, l’État a soit opté pour la solution de l’inapplication de la loi, soit, lorsque la contrainte légale et la discipline républicaine étaient trop fortes, imaginé un régime d’exception exorbitant permettant la poursuite du contrôle de la religion musulmane.

1905: When Islam was (already) the Second Religion in France

Islam is often presented as a new religion in France. This article highlights the presence of Islam in 1905 France, notably in French Algeria, during the debates and the vote of this law. In the colonies where Islam was the dominant religion, the French colonial State decided to exclude it from the new legal framework. In Algeria, three French departments, an exception to French secularism (laïcité) was created in order to maintain state’s control of Islam.

« Doit-on réformer l’islam ? ». Brève histoire d’une injonction, par

Penser le sécularisme, par

Penser le sécularisme

Ce texte, écrit à la suite des attentats du 11 septembre 2001, tente de redéfinir les notions de laïcité et de sécularisme en marge des grands récits de sécularisation. La modernité laïque n’est ni la simple séparation du politique et du religieux, ni ce qui reste lorsque la religion décline ou s’efface. Dès lors que le concept de « religion » renvoie lui-même à une construction historique qui diffère selon les espaces politiques, l’on doit affirmer que la modernité laïque est la production d’un nouveau partage entre le religieux et le politique, d’une redéfinition de ce qu’est censé être la « religion » et, avec elle, l’éthique et la politique. Le texte discute ensuite le libéralisme politique de Charles Taylor de façon critique. L’unité de la modernité politique n’est pas factuelle, c’est l’unité d’un projet moderne : elle a un but politique dont l’hégémonie se lit dans le fait que les peuples extra-européens sont perpétuellement invités à s’y mesurer. Cette analyse dessine enfin la voie d’une anthropologie du sécularisme défini comme une doctrine qui cherche à émanciper la sphère publique d’un religieux oppressif, mais aussi et surtout comme une forme de vie laïque : un ensemble d’attitudes spécifiques, un certain rapport au corps et à la souffrance ainsi qu’un modèle de subjectivité.

Thinking about secularism

The text was written at the aftermath of 9/11. It tries to redefine secularism without presupposing any narrative of the decline of religion. Secular modernity is neither the mere separation of politics and religion nor what remains after religion has withered away. Insofar that the concept of “religion” is itself a historical construction, secularism can be seen as the production of a new binary division between the secular and the religious, as a redefinition of what religion, ethics and politics are supposed to be. The text critically engages with Charles Taylor’s political liberalism. It then asserts that modernity is a hegemonic political project forcing non-European people to measure themselves to it. It eventually paves the way for an anthropology of secularism defined as both a political doctrine and a form of life – a set of attitudes, a specific relationship to the body and pain, and a mode of subjectivity.

Après le 7 janvier 2015, quelle place pour le citoyen musulman en contexte libéral sécularisé ?, par

Après le 7 janvier 2015, quelle place pour le citoyen musulman en contexte libéral sécularisé ?

Pour mieux analyser les implications et conséquences des événements de janvier 2015, il faut parler du regard public sur l’islam et les musulmans, ce qui renvoie à l’idée d’une scène publique sur laquelle controverses, discussions polémiques et délibérations collectives se déploient, où émergent et se constituent des problèmes publics. L’irruption de la violence politique accélère potentiellement l’institutionnalisation de politiques du soupçon et de la méfiance vis-à-vis des populations musulmanes de France en convoquant des répertoires juridico-administratifs inadaptés. Les réactions politiques françaises, en particulier le choix de répondre aux attentats par une injection de laïcité dans l’école publique, sont préoccupantes en ce qu’elles contribuent à instituer un espace public dont le « monolinguisme » nationalo-laïque menace de s’avérer délétère.

After January 7, 2015, What Is the Place for Muslim Citizens in a Liberal Secular Context?

In order to understand the stakes and consequences of the Jan 2015 events in Paris, it is important to observe how public attention on Islam and Muslims generates a certain stage and a certain construction of public issues identified with religion. The irruption of political violence accelerates the institutionalization of suspicion towards Muslim populations in France. So far, political, legal and administrative reactions attempted to inject a more rigorous laicism in the French schools and public spaces have reinforced a tendency towards a mono-linguistic national-secularist public space, which doesn’t bode well for the future.

Une République du XXIe siècle, par et

Une République du XXIe siècle

La vision de la République que diffusent ses idéologues contemporains n’est plus celle qu’en donnait Durkheim à l’époque du combat contre l’Église. Une des grandes différences tient à ce qu’elle institue un droit d’entrée à la citoyenneté : ne peuvent prétendre au titre de « vrais » citoyens que ceux qui adoptent et se plient sincèrement aux valeurs de la « nation ». Au contraire de cette définition exclusionniste de la République, accomplir la démocratie, c’est avoir le courage de refuser de n’exclure aucune des multiples voix qui s’expriment – même les plus odieuses. Cela implique aussi de comprendre la nature des phénomènes de domination envers des « minorités », bien au-delà de la seule question « post-coloniale ».

A Republic for the 21st Century

What is currently promoted as the Republican ideal has only little left to do with what Durkheim had in mind when fighting against the grip of the Catholic Church. Today’s advocates of the Republic institute a right of entry to citizenship: the only “true” citizens are those who fully adopt the values of the “Republic”. Against this exclusionist conception of the Republic, democracy can be defined by the courage not to exclude any of the multiple voices expressed in society—even the most disturbing ones. More importantly, this requires us to understand the many forms of domination imposed upon “minorities” which cannot be reduced to mere “post-colonial” issues.

La laïcité répressive. Anthropologie et géopolitique de l’homo laïcus, par et

La laïcité répressive
Anthropologie et géopolitique de l’homo laïcus

Cet article interroge les conditions du renversement actuel des principes libéraux et anti-discriminatoires de la laïcité en leur application répressive : un « méta-laïcisme », au sens où l’on a pu parler d’un métaracisme, avec lequel il a partie liée. Plutôt que dans les instrumentalisations tactiques hétéroclites faites du discours de la laïcité – qui sont une dimension du problème plutôt que son explication –, on interroge ce renversement à partir des conditions historico-politiques d’une constitution matérielle laïque, du développement inégal qui marque sa synthèse historique, et des effets résultants de la crise de son hégémonie. L’issue qui s’en dessine n’est pas seulement hypothétique, mais doublement hyperbolique, appelant un surcroît de luttes émancipatrices égalitaires, mais sur fond d’un non moins nécessaire surcroît de libéralisme politique pour accepter de reconnaître dans les cultures de l’Islam les ressources de forces idéologiques ayant droit de cité dans le champ des affrontements idéologico-politiques.

Repressive Laicism
Anthropology and Geopolitics of Homo Laïcus

This text deals with conditions of the present reversal of the liberal and anti-discriminatory principles of laïcité into their repressive application in the French context : a “meta-laicism”, as one speaks of a meta-racism (they are linked together by the way). I ponder such a reversal, not from the heterogeneous tactical instrumentalizations of the laic discourse (which is more an aspect of the problem than an element of its explanation), but from the historico-political conditions of a laic material constitution, from the unequal development which characterizes its historical synthesis, and from the resulting effects of the crisis of its hegemony. The outcome I suggest here is not merely hypothetical, but doubly hyperbolical : it claims an increase of egalitarian and emancipatory struggles, but on the background of an increase of political liberalism until cultures of Islam would be to recognized as resources for ideological forces having a legitimate place in the field of ideological and political confrontations.

Mineure 59. Humanités numériques 3.0

On commence à parler beaucoup d’« humanités numériques » pour désigner la façon dont la recherche en lettres, langues, philosophie, arts, histoire et autres sciences humaines utilise les nouvelles technologies numériques et étudie leur impact social et culturel. Ce dossier rassemble quatre contributions qui tentent de replacer ces questions et ces pratiques dans un cadre médiapolitique plus large : en distinguant trois strates au sein des humanités numériques ; en proposant un manifeste qui appelle les humanités à jouer un rôle actif dans le design, la mise en œuvre, le questionnement et la subversion des nouvelles technologies ; en repensant l’université autour de pratiques critiques de nos subjectivités en passe de devenir computationnelles ; en s’inspirant de l’archéologie des media pour proposer de nouveaux croisements entre recherche, arts et politique.

Humanités numériques. Une médiapolitique des savoirs encore à inventer, par

Humanités numériques
Une médiapolitique des savoirs encore à inventer

Cet article essaie de distinguer trois strates au sein de ce qu’il est convenu d’appeler « humanités numériques » (hum num) ou « humanités digitales ». Les hum num 1.0 font le travail concret de numérisation, balisage, reformatage, design d’interfaces en reprenant le plus souvent des corpus déjà identifiés et circonscrits. Les hum num 2.0 tirent de ce travail de numérisation l’opportunité de constituer de nouveaux corpus et d’expérimenter de nouvelles procédures et de nouvelles formes de collaboration, qui débordent et érodent les frontières entre les disciplines, comme entre l’université et ses dehors. Les hum num 3.0 essaient de comprendre comment les pratiques et savoirs constitués depuis des siècles autour des humanités peuvent nous aider à comprendre et à nous repérer dans les façons dont le numérique informe de plus en plus profondément nos modes de subjectivation.

Digital Humanities
Three Strata of a Mediapolitical Approach

This article attempts to articulate a mediapolitical approach of Digital Humanities (DH), based on three different (but complementary) layers. DH1 digitalizes pre-defined corpuses inherited from the traditional disciplines. DH2 takes advantage of the digitalization to generate new corpuses, new forms of analysis and of collaborations which erode the borders between pre-existing disciplines, as well as between academia and the outside world. DH3 mobilizes the Humanities to better understand and reappropriate the computational subjectivations induced by the digital media.

Manifeste pour des humanités numériques 2.0, par

Manifeste pour des humanités numériques 2.0

Le but visé par ce manifeste, assemblé en 2008 par Jeffrey Schnapp, Todd Presner, Peter Lunenfeld et Johanna Drucker, est d’alimenter le débat sur ce que les humanités peuvent et doivent faire au XXIe siècle, en particulier dans le domaine des luttes culturelles qui sont aujourd’hui largement menées (et gagnées) par les intérêts capitalistes. C’est un appel à affirmer la pertinence et la nécessité des humanités en une époque de coupes budgétaires, alors qu’elles sont plus nécessaires que jamais pour orienter la migration de notre héritage culturel vers des supports numériques, tandis que notre relation aux savoirs et à l’information se transforme d’une façon profonde et imprévisible. Les humanités numériques étudient l’impact social et culturel des nouvelles technologies et jouent un rôle actif dans le design, la mise en œuvre, le questionnement et la subversion de ces technologies.

Digital Humanities Manifesto 2.0

The purpose of this manifesto, assembled by Jeffrey Schnapp, Todd Presner, Peter Lunenfeld and Johanna Drucker in 2008, is to arouse debate about what the Humanities can and should be doing in the 21st century, particularly concerning the digital culture wars, which are, by and large, being fought and won by corporate interests. It is also a call to assert the relevance and necessity of the Humanities in a time of downsizing and persistent requiems of their death. The Humanities are more necessary than ever as our cultural heritage as a species migrates to digital formats. Our relationship to knowledge and information is changing in profound and unpredictable ways. Digital Humanities studies the cultural and social impact of new technologies as well as takes an active role in the design, implementation, interrogation, and subversion of these technologies

Subjectivités computationnelles, par

Subjectivités computationnelles

Nous commençons à mesurer l’importance culturelle du numérique comme nouvelle idée unificatrice d’une université totalement redimensionnée. Au-delà d’une simple question de littéracie informatique ou informationnelle, les humanités numériques nous offrent l’occasion de développer une approche critique de l’écriture numérique conçue comme une forme d’alphabétisation et de littérature, de façon à développer une culture numérique partagée comme une nouvelle forme de Bildung. Tandis que les technologies numériques produisent de nouvelles formes de subjectivités computationnelles, les humanités numériques peuvent nous aider à aller au-delà d’un rapport consumériste aux nouveaux gadgets et à casser ces boîtes noires qui, à la fois comme objets techniques et comme métaphores, absorbent aujourd’hui une si grande partie de notre attention.

Computational Subjectivities

We are beginning to see the cultural importance of the digital as the unifying idea of a redesigned and reconfigured university. Beyond a mere issue of “information literacy” or “digital literacy”, the digital humanities provide us with an opportunity to develop a critical understanding of the literature of the digital, and through that develop a shared digital culture through a form of digital Bildung. As the digital technologies are producing new forms of computational subjectivities, the digital humanities can help us move beyond the commodity layer and open these so-called black boxes, as both technologies and metaphors, that so demand our attention today.

Multitudes en images

Cristina RibasProjet collectif - Cartografia InsurgenteBorderland - Consulter les œuvres de Melik OhanianOù allons-nous vivre maintenant ?De Téhéran et d’Ivry