Jeudi 17 février 2011
L’ancien régime a été l’ennemi numéro un des libertés. Parmi tant d’autres, la liberté de création, et en particulier au cinéma, a été mise à sec. Cette mise à sec a opéré tant au niveau créatif qu’au niveau socioprofessionnel des travailleurs du cinéma qui ont été au fil des ans marginalisés, diabolisés, précarisés, censurés, démunis de leurs droits, etc. Le dernier gouvernement du régime déchu «célèbre» l’année 2010 qu’il a proclamé «année de la jeunesse et du cinéma» par une série de mesures régissant le secteur du cinéma et verrouillant encore plus le système inique édifié au fil des ans, spécialement en défaveur des nouveaux venus dans le métier.
A la grande affluence des étudiants sur les écoles et les branches cinématographiques et audiovisuelles, un «cahier des charges» assez souple est instauré pour la création d’une société de production. Mais ces derniers mois, les autorités durcissent la loi qui se transforme en un système «d’agrément» avec des conditions drastiques qui constituent une entrave à la liberté d’entreprendre et au désir des centaines de diplômés en cinéma de créer leur propre structure de production. Ceux-ci sont désormais tributaires de l’arbitraire de l’administration et de la bureaucratie. Ainsi, plusieurs dossiers de demande pour la création de sociétés de productions sont gelés depuis des mois laissant dans l’inactivité ceux qui les ont déposés.
La loi régulant l’obtention de la Carte Professionnelle date de 1966 et a été amendée la dernière fois en 1983. Au début des années 2000, la Carte Professionnelle a totalement cessé d’être délivrée. Elle refait surface soudainement en 2010. Cette loi est aujourd’hui totalement dépassée par les réalités du cinéma en Tunisie et dans le monde et constitue un frein considérable, pour ne pas dire un frein total, pour les nouveaux venus dans le métier. De plus, la Commission destinée à étudier les demandes des professionnels fonctionne dans un manque de transparence et de justice patents et est seule habilitée à enfreindre ou pas une loi inapplicable en l’espèce.
Non seulement les Cartes Professionnelles sont délivrées de façon arbitraire et hermétique mais de plus, elles deviennent de façon absurde absolument nécessaires pour l’obtention d’une Autorisation de Tournage. Il devient de fait interdit pour quelqu’un qui n’a pas de Carte Professionnelle de faire un film. Ce mécanisme sournois est l’un des plus liberticides que la culture ait connu en Tunisie. Il impose un processus professionnel datant des années soixante et empêche tout simplement les citoyens de filmer, expérimenter, créer, s’exercer, etc.
Ces mesures prises les derniers mois avant la chute de la dictature viennent s’ajouter à nombre de mesures et de mécanismes existant rendant le secteur du cinéma l’un des systèmes les plus verrouillé du pays : inexistence de mécanismes de financement des films sauf les subventions de l’état (ce qui induit une grande perversité du système qui rend ces subventions des moyens de pression et d’uniformisation), une commission de censure qui siège au Ministère de l’Intérieur et non au Ministère de la Culture (ce qui met de facto le cinéma et la création sous la botte de la police), des infractions répétées à certaines lois protégeant en principe le cinéma sans que l’état ne prenne des mesures pour les empêcher ou les punir (comme la loi qui interdit la transformation d’une salle de cinéma en un autre commerce et qui a été bafouée des dizaines de fois).
Nos revendications s’articulent donc essentiellement sur deux aspects fondamentaux : une libération créative et une revalorisation socioprofessionnelle des travailleurs du cinéma en Tunisie.
Les signataires de la présente pétition «Cinéma libre» demandent expressément :
1. Le retour à un cahier des charges souple pour la création d’une société de production.
2. La refonte totale, progressiste et démocratique de la loi concernant la Carte Professionnelle.
3. La séparation entre les Autorisations de Tournage et les Cartes Professionnelles.
4. L’annulation de l’obligation de l’Autorisation de Tournage pour tout tournage effectué par une équipe de moins de quatre personnes ou en intérieur ou sans la fixation de l’appareil de prise de vue sur un trépied (si en extérieur).
5. La réforme du système des subventions et la diversification des moyens de financements des films par la création de législations adéquates (Tax Shelter, Caisses Régionales d’Aides à la Production, etc.).
6. La dissolution de la commission de censure et la création d’un simple comité de classification des films qui dépend uniquement du Ministère de la Culture (en film tout public, film pour public jeune et adulte, film pour public adulte seulement).
7. Le lancement d’un plan d’urgence de sauvetage des salles de cinémas (encouragements législatifs et fiscaux à la réouverture des salles fermées et à la création de nouvelles salles, régularisations des commerces qui se sont installés illégalement dans d’anciennes salles par des mesures de substitutions, etc.).
8. La refonte et la réactivation des mécanismes de Propriétés Intellectuelles et des Droits d’Auteurs.
9. La création d’un système de protection sociale de type «intermittents du spectacle» pour les travailleurs du cinéma et de toutes les autres disciplines artistiques.
10. Le lancement des États Généraux du Cinéma.
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