La Ville qui nexistait pas est une fiction en trois épisodes produits entre 2023 et 2025 dans le cadre de la manifestation Un été au Havre. Elle fait dialoguer cette ville, reconstruite après la Seconde Guerre mondiale, avec l’espace latent de sa version contrefactuelle nourri par les archives municipales. Chaque année devient un moment historique qui aurait pu avoir lieu, dessinant un autre destin de la ville et de ses habitants en trois périodes : 1895-1970, 1971-2024, 2025-2612.

Le premier épisode explore la révolution industrielle et la modernité de la reconstruction par vingt-cinq fresques pérennes sur les façades des logements d’Alcéane, le bailleur social du Havre, réparties dans plusieurs quartiers. On y voit une autre industrialisation où l’infrastructure, les déchets et les révolutions sont intriqués. 25 000 images uniques configurent cet autre monde, fruit d’une exploration sans but dans l’espace latent, où une fiction se constitue : des formes de couleur violette sont ramenées de l’océan et deviennent le cœur d’une vie sociale à mi-chemin entre le communisme et le psychédélisme.

La seconde période extrait ces formes de l’espace latent pour les matérialiser par des impressions en béton de très grand format réalisées par Spie Batignolles. Elles donnent accès à une dérive fragmentaire dans la mémoire des habitants où se mêlent témoignages factuels et clonages de voix par l’IA. Ce montage de voix permet de se perdre dans une ville possible où la réalité et la fiction ne se distinguent pas. Les sculptures en béton sont les réceptacles ou les data centers de ces mémoires indéterminées. 25 000 nouvelles images montrent le Havre saturé d’œuvres d’art monumentales mimant l’époque de la mondialisation financière et la multiplication gazeuse des biennales, fondations et événements artistiques. Un film et une installation approfondissent la fiction du Havre plongé dans l’espace latent.

Grégory Chatonsky, La Ville qui n’existait pas, 2023

Le futur, qui verra la submersion de la ville, est une autre mémoire : c’est une maison sur pilotis, sans toits ni murs, sans séparation, qui diffuse le soliloque d’une machine solitaire rêvant la voix des habitants du Havre et hallucinant. Elle imagine une ville qui n’a jamais existé, rendant le possible à l’avenir incalculable. Sa mémoire est interminable, car elle génère sans cesse de nouveaux souvenirs, elle est sans origine, elle met le présent hors de ses gonds jusqu’à subvertir la réalité.

Une ville est analogue à l’espace latent d’une imagination artificielle. Elle est l’espace possible des singularités anonymes, là où nous sommes émus et à vif du fait de la proximité de tant d’existences inconnues. Elle est un espace infini parce qu’elle est le projet inachevé d’un autre lieu, d’une autre nature, d’une autre Terre. Elle est un artifice qui disloque le présent et replace le possible au cœur de tout ce qui pourrait (encore) avoir lieu en relançant le passé.