« En sa qualité de capital porteur d’intérêt, toute richesse qui puisse jamais être produite appartient au capital et tout ce que celui-ci a reçu jusqu’à présent n’est qu’un paiement par acompte à son appétit all-engrossing [qui ramène tout à lui]. D’après ses lois naturelles, tout le surtravail que le genre humain pourra jamais fournir lui appartient. Moloch.1 »

Pipeline, interruption et  reproduction

Constitué de deux péninsules qui s’étendent dans certaines des plus grandes étendues d’eau douce de la planète, le Michigan est certes connu sous le nom de « l’État des Grands Lacs », mais il est également un État de Grands Pipelines. De nombreux conduits de pompage de gaz et de pétrole prolifèrent dans tout l’État à la manière de veines se propageant à travers un corps. Mais, alors que les veines maintiennent en vie, les oléoducs promettent la mort. Parallèlement à la lente progression vers le chaos climatique que ce flux de pétrole implique, le pétrole par lui-même exprime une forme de terreur : en 2010, un oléoduc a déversé 3,7  millions de litres de pétrole venant de sables bitumineux dans la rivière Kalamazoo, dans le sud-est du Michigan.

L’État des Grand Pipelines (carte)

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D’autres pipelines du Michigan empoisonnent peut-être plus subtilement, mais pas moins mortellement. Les conduites d’eau de la ville de Flint, censées acheminer l’eau dans les foyers prolétariens de la ville, acheminent également du plomb2. La dégradation des infrastructures et la dissimulation par l’État de cette situation ont fait que l’eau, qui aurait dû être potable, est devenue la garantie d’une mort prématurée3. Au-delà du pétrole et du plomb, le Michigan est également le site d’un autre type de pipeline, pour un genre de flux différent : ses ports et ses ponts constituent un point nodal dans la circulation mondiale des marchandises. 90 % du minerai de fer du monde passe par les écluses du Sault, dans la péninsule supérieure du Michigan, et la frontière entre Détroit et Windsor, une frontière internationale avec le Canada délimitée par la rivière Détroit, est la plus riche du monde.

À partir de là deviennent compréhensibles les trois crises de pipelines qui affectent le Michigan, trois crises générées par les coprésences suivantes : l’eau et le pétrole ; l’eau et le plomb ; l’eau et le fer. Trois pipelines différents, mais unis dans une histoire commune. À la suite de décennies de désindustrialisation, de fuite de capitaux et d’automatisation, l’État continue de distribuer ses « solutions » : infrastructures défaillantes, pollution, poison et incarcération. Michigan, zone de sacrifice : Moloch. Enfants prolétariens empoisonnés tandis que les flux de marchandises sont sécurisés.

Nous avons désormais le diagnostic, quoique sommaire, d’une maladie. Tous les pipelines sont construits pour assurer un débit ; certains pour reproduire le capital (les lignes pétrolières d’Enbridge), d’autres sont supposés reproduire la vie (les lignes d’eau de Flint). Pourtant, chaque flux peut s’arrêter, ou peut être arrêté. L’introduction générale de ce dossier a déjà posé cette question : comment pourrions-nous interrompre ces flux ? Mais une simple interruption ne suffit pas : une interruption implique également que le flux va reprendre, et les interruptions elles-mêmes ne peuvent pas résoudre la crise de Flint. Alors, il nous faut aller plus loin et se demander :  comment ces interruptions peuvent-elles aussi devenir un site de reproduction ?

Eau et pétrole

L’entreprise du secteur énergétique Enbridge est propriétaire et exploitant de la « Ligne 6B », un oléoduc qui s’étend d’ouest en est à travers le Michigan, transportant le bitume dilué extrait des sables bitumineux de l’Alberta vers les raffineries de Sarnia, en Ontario. La ligne 6B n’est qu’une petite portion du pipeline d’Enbridge, qui couvre près de 27  387 kilomètres, un réseau qui nous assure une collision frontale avec la crise mondiale du changement climatique4. L’existence des pipelines d’Enbridge implique également leur éventuelle défaillance – tout oléoduc finit en marée noire.

En juillet  2010, la canalisation 6B s’est rompue à Marshall, dans le Michigan. À travers le trou de 182 centimètres, presque 4  millions de litres de pétrole de sables bitumineux se sont déversés dans un petit affluent, puis dans la rivière Kalamazoo. Cette catastrophe est l’une des plus importantes marées noires de l’histoire. Bon nombre de ceux qui vivaient le plus près de la rivière mourront de divers cancers au cours des prochaines années. Et le lit de la rivière Kalamazoo ne sera jamais totalement propre.

À la suite de cette marée noire, Enbridge a annoncé qu’elle procéderait à la reconstruction de la ligne pour augmenter le volume de pétrole qui traverse la canalisation. En réponse, des habitants du Michigan ont organisé au moins cinq blocus qui ont temporairement interrompu la construction du pipeline5. L’un de ces blocus, qui n’a duré que deux heures, aurait causé une perte immédiate de près de 40  000  dollars à l’entreprise de construction engagée par Enbridge. L’entreprise a prétendu que cette perte était due au fait qu’ils payaient des ouvriers qui ne pouvaient pas travailler pendant que le blocus était en cours, la valeur d’utilisation de la force de travail achetée pour ces deux heures ayant été empêchée de se réaliser6. Financièrement, une goutte d’eau pour cette entreprise ; mais aussi un signe révélateur.

En plus de ces blocus, les militants anti-pipelines ont déployé des tactiques différentes de l’autre côté de la rivière Détroit. Un tronçon du réseau de canalisations d’Enbridge (la « Ligne 9 ») a été coupé à plusieurs reprises en tournant simplement une roue dans une station de pompage. Ces stations sont situées au-dessus du sol le long du tracé du pipeline à intervalles réguliers7. La tactique consistant à « tourner la soupape » a depuis été répétée à plusieurs reprises ailleurs8. Nous avons donc ici un ensemble d’outils de contestation à l’imposition des pipelines. Ce sont des interruptions, certes, et malgré le caractère temporaire de telles actions, elles arrêtent – littéralement – le flux.

Par conséquent, nous pouvons désormais reformuler notre question initiale : comment pourrions-nous utiliser cet ensemble de tactiques, tirées du monde de l’action « éco-directe », pour réfléchir et agir sur notre crise actuelle, cette « prise d’otage mondiale » que nous appelons le capitalisme ? Dans quelle mesure ces luttes relatives aux conduites de combustibles fossiles peuvent-elles se généraliser en défi contre le capital et l’État ? En d’autres termes, comment pouvons-nous dépasser les limites de l’éco-blocus ? Pour commencer à répondre à ces questions, nous avons besoin d’une analyse des changements radicaux que le capital a connus au cours des cinquante dernières années et de la crise qui a redessiné le Rust Belt du Midwest américain.

Eau et plomb

Dans Riot. Strike. Riot (Emeute. Grève. Emeute), Joshua Clover caractérise notre conjecture historique actuelle, depuis le début des années 1970, comme une « phase de circulation » qui « se définit par l’effondrement de la production de valeur au cœur du système mondial » et le déplacement du capital vers la sphère de la circulation9. Cela conduit à deux tendances qui doivent retenir notre attention : 1) le déplacement du capital de l’industrie manufacturière vers les industries de circulation, comme les transports, et 2) l’exclusion de larges segments de la population de la sphère de production, et donc, la production d’une population excédentaire (racialisée).

Depuis les années 1950, le prolétariat de Flint, dans le Michigan, a été confronté aux processus imbriqués de fermetures d’usines et d’automatisation, et au remplacement continu du travail vivant par le travail mort. La fermeture des usines a marqué une crise de l’assiette fiscale de la ville ainsi que son abandon général par l’État comme par le capital. En avril  2014, un directeur nommé par l’État pour prendre des mesures d’urgence a changé la source d’eau potable de la ville, du lac Huron à la rivière Flint, afin de réduire les coûts. Suite à la négligence des opérations effectuées au cours de ce changement, les conduites désuètes et mal entretenues ont provoqué une pénétration de plomb dans l’approvisionnement en eau et ont lâché des bactéries conduisant à une épidémie de légionellose10. Toute quantité de plomb consommée est toxique, elle conduit à des problèmes de santé à long terme et intergénérationnels, tels que des fausses couches, des difficultés de reproduction, un retard de croissance et un comportement agressif accru chez les enfants. Moloch.

Flint est une ville majoritairement noire. La contamination de l’approvisionnement en eau de Flint peut être comprise comme une attaque racialisée contre les pauvres urbains noirs et bruns. Dans leur analyse de la crise de Flint, les camarades de The Third Coast Conspiracy décrivent le processus en cours de constitution d’« une population excédentaire croissante, en direction de laquelle l’État doit déployer de nouvelles formes de contrôle. Cela a entraîné, de toute évidence, l’expansion massive du maintien de l’ordre et de l’incarcération depuis les années 1970. Mais un second processus, qui a reçu beaucoup moins d’attention, s’est également produit parallèlement à celui-ci : la suppression, la rétention ou le contrôle des systèmes et services d’infrastructure – tels que l’éducation, la santé et, bien sûr, l’eau – qui sont nécessaires à la reproduction des communautés11 ». La punition infligée aux résidents de Flint a pris l’une de ses formes les plus extrêmes lorsque les détenus de la prison du comté de Genesee se sont vus refuser l’accès à l’eau en bouteille et ont été obligés de boire l’eau contaminée par le plomb12.

Nous tenons ici notre deuxième pipeline et notre deuxième série de contradictions. Si la lutte contre les oléoducs pouvait être menée uniquement par l’interruption, la crise de Flint pose un autre problème : comment se reproduire, soi-même et sa communauté, face à l’abandon délibéré de l’État ? Face à ce que Jackie Wang a qualifié de « gouvernance parasitaire… une modalité du nouveau capitalisme racial », la crise de Flint ne peut être résolue que par des infrastructures de reproduction autonomes13. Mais alors que les conduites d’eau de Flint se désintègrent, d’autres pipelines à travers l’état augmentent leur capacité et protègent leurs flux ininterrompus.

Eau et fer

L’investissement en capital dans l’industrie manufacturière et l’exploitation de la force de travail dont elle dépend ont en général déserté les villes du Michigan. Pourtant, le capital n’a pas totalement disparu14. Parallèlement au changement mondial du « centre de gravité » du capital dans la sphère de la circulation, le rôle du Michigan en tant que pipeline pour les flux de matières premières a pris une importance relative croissante. La moitié des échanges commerciaux entre les États-Unis et le Canada, qui s’élèvent à 1,5  milliard de dollars par jour, transitent par le Michigan15. Et le pont Ambassadeur, qui relie Détroit (États-Unis) à Windsor (Canada), est un pipeline essentiel pour ce transport de marchandises. Ce pont, passage frontalier terrestre le plus achalandé en Amérique du Nord, est tellement surchargé de trafic que des propositions pour un deuxième pont sont en cours, « afin d’accélérer le flux de marchandises et de services » à la frontière16. Et à 450  km au nord de Detroit, les écluses de Soo assurent l’écoulement du minerai de fer après son extraction des mines du Minnesota. L’État des Grands Lacs apparaît désormais comme un nœud essentiel dans la circulation des marchandises dans le Midwest américain17.

Mais, chaque pipeline est aussi un point d’étranglement potentiel. Avec la translation des profits tirés de l’exploitation de la main-d’œuvre dans la production à la concurrence dans le domaine de la circulation, les entreprises ont de plus en plus recours à des chaînes d’approvisionnement mondiales complexes, gérées par la « logistique ». Jasper Bernes les a décrits comme des tentatives d’« harmonisation des rythmes de production et de consommation », mais Bernes souligne aussi que ce changement « multiplie le pouvoir du blocus. En l’absence de stocks permanents, un blocus de quelques jours pourrait effectivement paralyser de nombreux fabricants et détaillants18 ».

Ces flux de produits sont souvent directement proches des populations disponibles surexploitées par le capital. Dans son livre de 2018, L’Arrière-pays: le nouveau paysage de classe et de conflit en Amérique, Phil Neel définit l’arrière-pays comme des zones « dissociées, distribuées et coupées de l’ensemble des services… de la ville centrale », composées de quartiers « en prise directe avec les espaces de la logistique globale, de sorte que la vie quotidienne dans l’arrière-pays proche est façonnée par l’infrastructure de l’économie mondiale d’une manière directe, ce dont la ville centrale n’a pas l’expérience19 ».

En 2013, le même groupe de militants anti-pipeline, dont les actions ont été décrites ci-dessus, a organisé le blocus d’un quai à Détroit où des camions tentaient de livrer du coke de pétrole, un sous-produit du raffinage du pétrole des sables bitumineux. Les camions ont fini par faire demi-tour, la livraison ayant été considérée comme un échec. À certains égards, le mouvement d’action éco-directe a depuis longtemps accepté la prémisse de la logique capitaliste des flux décrite ci-dessus – en accord avec l’une des suppositions fondamentales du Mad Marx : « Par conséquent, le [capital] peut être saisi comme un mouvement et non comme une chose statique.20 » L’action éco-directe vise précisément ceci : arrêter les processus.

Mais il ne faut pas oublier que, comme le dit Joshua Clover, « une fois que la valeur temporelle du travail vivant vient se poser dans la marchandise, elle devient objectivée, spatialisée21 ». Et l’action éco-directe est également apte à traiter des questions d’espace. L’extraction et la destruction de la terre se produisent souvent sur des sites spécifiques, où la logique de mort du capital se fait plus apparente, plus tangible, plus matérielle. Nous pouvons alors visualiser cette logique, la montrer sur une carte – on peut littéralement toucher le métal froid d’un oléoduc, localiser la roue, assécher le flux. Et après une enquête, une planification intelligente et un peu de chance en direction d’une perspective communiste, de brefs blocages peuvent dépasser leurs limites temporelles. Un exemple récent dans la région Nord-Ouest du Pacifique est à noter : des militants à Olympia, dans l’État de Washington, ont bloqué des voies ferrées à quelques rues du centre-ville en construisant une barricade. Assez vite, la barricade s’est transformée en camp. Pendant des semaines, le camp a empêché les trains transportant les matériaux nécessaires à la fracturation des schistes bitumeux d’atteindre le port d’Olympia. Un camp, un blocus, une (brève) Commune.

De l’action éco-directe à  la  Commune

« Alors que le soleil se couche sur un ciel pâle, vous pouvez entendre des centaines de tambours. Autour du feu, vous et vos amis déchargez vos sacs à dos, des coupe-boulons, du fil de poulet, et des tuyaux en PVC. Des étrangers jusqu’alors deviennent co-conspirateurs. De tout le continent, peut-être du monde entier, des gens affluent dans le camp. Les  tribus ravivent des alliances qui étaient en sommeil depuis des décennies. Par le feu et les phares à piles, vous aidez à envelopper les tuyaux en PVC avec du fil de fer et d’autres détritus, en construisant les coffres destinés à la confrontation avec les instruments de coupe de la police. Vous ne savez même pas dans quelle action future l’équipement que vous fabriquez sera utilisé. Pourtant, vous savez qu’ils seront utilisés. Comme la création des outils pour le blocus se poursuit autour du feu de camp, vous vous rendez compte que vous êtes au milieu d’une construction parallèle, d’une négation de la construction du pipeline à proximité. Étrange retournement de ce vieil adage : «L’envie de créer est également une envie destructrice.» De nouveaux amis partagent leurs histoires, leurs peurs. L’émeute de la prairie est encore à venir ».

Dans son essai sur l’industrie logistique et les perspectives d’une « contre-logistique » communiste, Jasper Bernes soutient que « le capital n’est rien de moins que le commandant des flux, brisant et conjuguant divers courants pour créer une vaste irrigation et un drainage du pouvoir social. La logistique transforme les solides en liquides – ou à l’extrême, en champs électriques – s’emparant du mouvement propre aux éléments discrets, et les traitant comme s’ils étaient du pétrole dans un pipeline, circulant continuellement à des pressions ajustables avec précision22 ». Notre premier oléoduc concernait le flux de pétrole à travers le Michigan. Et nous avons suivi ses bloqueurs, agents de brèves interruptions dans la construction, de brèves interruptions dans la circulation des combustibles fossiles. L’action éco-directe est transparente. On sait où le pipeline est censé être construit ; on sait donc où le blocus doit avoir lieu. Sa simplicité devient à la fois son génie et sa limite.

Puis, à partir de notre deuxième série de pipelines, nous avons saisi cette contradiction : une simple interruption ne peut pas résoudre la crise de Flint. Ici, la question dont nous sommes saisis est posée différemment : comment organiser la reproduction sociale au-delà du capital et de l’État ?

Là encore, le mouvement d’action éco-directe offre une réponse, même si elle est inachevée. Le camp sur la voie ferrée Olympia représente une tentative, comme celle de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, celle du no-TAV (non au TGV Lyon-Turin), et celle de Standing Rock, l’opposition à l’oléoduc dans le Dakota du Nord qui s’est transformée en un campement massif, de la taille d’une petite ville. Le camp était situé en bordure de la réserve de Sioux Standing Rock, dans le Dakota du Nord, et a déclenché une émeute d’un mois dans la prairie, mettant en péril la construction du pipeline et le pouvoir de la police. Une récente action en justice intentée par Energy Transfer Partners, l’exploitant du pipeline, à l’encontre des participants du camp, permet de mesurer la menace provoquée par le campement. Les plaignants allèguent en effet que le campement anti-pipeline était une « attaque coordonnée contre les projets d’infrastructure d’Energy Transfer qui a causé d’énormes dommages aux activités commerciales d’Energy Transfer. L’entreprise a subi des dommages financiers directs, y compris des coûts associés aux équipements endommagés, aux chantiers de construction et au pipeline lui-même ; à l’augmentation des coûts de sécurité ; et aux coûts associés aux retards dans la construction du pipeline… L’attaque a également porté atteinte à la réputation des plaignants et à leur accès aux marchés financiers, restreignant leur accès au financement et augmentant les coûts de capital, ce qui a nui à la capacité de l’entreprise à financer de futurs projets d’infrastructure à des taux avantageux23 ».

À partir de ces camps, l’infrastructure du capital pourrait être bloquée et les relations sociales pourraient commencer à être ré imaginées. L’antagonisme et la communauté peuvent être reproduits. À la théorisation de Joshua Clover sur « la place et la rue » comme lieux clés de lutte, nous proposons d’ajouter « les bois » et « la prairie ».

Nous pouvons pour finir revenir aux crises du Michigan, qui consistent à abandonner certaines infrastructures et à réinvestir dans d’autres. Mais, la contradiction inhérente à la restructuration du capital est que les points névralgiques des chaînes d’approvisionnement et de l’infrastructure des combustibles fossiles sont souvent proches des populations que le capital a rendues excédentaires, jetables, comme celles qui peuplent les ghettos de Flint ou les réserves du Dakota du Nord. Populations dont la survie implique une opposition ou une autonomie vis-à-vis de l’État et du capital. Le monde de l’action éco-directe, quelles que soient ses limites, contient des modèles à la fois d’interruption et de reproduction sociale. Au fur et à mesure que la crise climatique et capitaliste se creusera dans les années à venir, des possibilités de blocus continueront d’émerger. Et chaque blocus a le potentiel d’étendre et d’approfondir ses racines. Chaque pipeline finira par se rompre.

Traduit de l’anglais (USA) par Frédéric Neyrat

1 Marx, Le Capital, Livre III, Montréal, Nouvelle Frontière, 1976, p.  367.

2 Nous utilisons ici le terme de prolétariat non pas comme synonyme d’ouvrier industriel ou même de « classe ouvrière », mais plutôt pour décrire une population qui, sous le règne du capital, est dépossédée des moyens de se reproduire. Dans notre conjecture historique et notre géographie actuelles, le prolétariat est souvent même privé de la vente de sa force de travail sur le marché.

3 Ceci est tiré de la définition du racisme, souvent répétée, de Ruth Wilson Gilmore : « Le racisme, en particulier, est la production et l’exploitation de la vulnérabilité différenciée à la mort prématurée, sanctionnées par l’État ou extra-légales. »

4« Enbridge : Our Company », Enbridge.com. www.enbridge.com/about-us/our-company

5 Un aperçu de ces actions peut être trouvé sur Michigancats.org.

6 « Companies Fight Back Against Protesters With Financial Pressure », NPR, 2  juin 2015. www.npr.org/2015/06/02/411186666/companies-fight-back-against-protesters-with-financial-pressure

7 « Protest at valve site disrupts operations on Line 9 pipeline in Sarnia” », CTVS News, 21  décembre 2015. www.ctvnews.ca/business/protest-at-valve-site-disrupts-operations-on-line-9-pipeline-in-sarnia-1.2709076

8 « I’m Just More Afraid of Climate Change Than I Am of Prison », The New York Times, 13  février 2018. www.nytimes.com/2018/02/13/magazine/afraid-climate-change-prison-valve-turners-global-warming.html?mtrref=www.google.com

9 Joshua Clover, Riot. Strike. Riot. The New Era of Uprisings,London, Verso Books, 2016, p.  23.

10 « Flint water switch led to most “Legionnaires” cases », The Detroit News, 5  février 2018. www.detroitnews.com/story/news/michigan/flint-water-crisis/2018/02/05/study-legionnaires-disease-outbreak/110127358

11 « Democracy, Disposability, and the Flint Water Crisis », Third Coast Conspiracy, 18 janvier2016. https://thirdcoastconspiracy.wordpress.com/2016/01/18/democracy-disposability-and-the-flint-water-crisis

12 « Lawsuit : Flint water crisis hit jail inmates especially hard », Detroit Free Press, 26 juin 2018. www.freep.com/story/news/local/michigan/flint-water-crisis/2018/06/26/flint-water-jail-inmates-genesee/733683002

13 Jackie Wang, Carceral Capitalism, South Pasadena, Californie: Semiotexte, 2018, p.  72. Wang décrit les cinq caractéristiques de cette modalité comme « 1) états financiers d’exception, 2) traitement automatisé, 3) extraction et pillage, 4) confinement et 5) violence gratuite ».

14 Michigan Economic Development Corporation, « Amazon, Penske investments affirm state’s superior supply chain assets », 29 juin 2018. www.michiganbusiness.org/news/2018/05/amazons-giant-leap-into-grand-rapids-region

15 Detroit Regional Chamber of Commerce, « Global Logistics ». www.detroitchamber.com/destinationdetroit/global-logistics-2

16Windsor Detroit Bridge Authority, « Project Overview – Gordie Howe International Bridge Project », www.wdbridge.com/en/project-overview-gordie-howe-international-bridge-project

17 Taking Umbrage, « Taking Umbrage Episode 4 », 26 mars 2018. https://archive.org/details/takingumbrageepisode4 « Soo Locks – a Wonder of Engineering and Human Ingenuity », Saultstemarie.com www.saultstemarie.com/attractions/soo-locks

18Jasper Bernes, « Logistics, Counterlogistics and the Communist Prospect », septembre 2013. Endnotes 3 : Gender, Race, Class and Other Misfortunes, p.  178.

19 Phil Neel, Hinterland: America’s New Landscape of Class and Conflict,London, Reaktion Books Ltd, 2018. p.  17 et 103.

20 Karl Marx, Capital : Volume 2, Londres, Penguin Classics, 1992, p.  185 (ma traduction).

21 Joshua Clover, Riot. Strike. Riot, op.  cit., p.  138-139.

22Jasper Bernes, « Logistics, Counterlogistics and the Communist Prospect », consulté sur le site suivant : https://endnotes.org.uk/issues/3/en/jasper-bernes-logistics-counterlogistics-and-the-communist-prospect Bernes s’appuie sur Fernand Braudel, The Wheels of Commerce, University of California Press, 1992, p.  22.

23 « Energy Transfer Equity, L.P., and Energy Transfer Partners, L.P., vs. Greenpeace International (aka « Stichting Greenpeace Council »); Greenpeace, Inc.; Greenpeace Fund, Inc.; Banktrack (aka « Stichting Banktrack ») ; Earth First!; Cody Hall; Krystal Two Bulls; Jessica Reznicek; Ruby Montoya; Charles Brown; and John and Jane Does 1-20 », 6 août 2018, consulté en ligne ici en août 2018 : https://ccrjustice.org/sites/default/files/attach/2018/08/95%20Amended%20Complaint.pdf