Le terme d’écoféminisme apparaît dans les années 1970, à peu près en même temps en France, où Françoise d’Eaubonne l’introduit en 1974 dans Le Féminisme ou la mort et aux États-Unis. Dans les pays anglophones, il s’est mis à désigner un mouvement qui a fait se rencontrer deux traditions militantes, féministe et écologique1. Un peu partout dans le monde (principalement aux États-Unis et en Amérique du Nord, mais également en Amérique du Sud, en Afrique, en Inde et dans le Sud-Est asiatique), se sont ainsi développés, depuis les années 1980, des mouvements militants qui réunissent trois caractéristiques : ils partent de la base (« grassroots »), ils concernent des questions environnementales ou écologiques (des pollutions diverses à la défense de formes traditionnelles d’agriculture)… et ils sont principalement composés de femmes. Né de la rencontre entre aspirations féministes et luttes écologiques, l’écoféminisme tend à les dépasser, ne serait-ce que parce qu’il se trouve, d’emblée, en porte-à-faux avec les traditions dont il procède. En liant domination de la nature et domination des femmes, les écoféministes vont à l’encontre d’une tradition féministe qui voit dans la nature un piège dont il faut se méfier. Mais la nature dont se réclament les écoféministes n’a pas grand-chose à voir avec celle que les environnementalistes, notamment américains, entendent préserver : c’est ce que les mouvements américains pour la justice environnementale, apparus dans les années 1980 autour de problèmes de pollutions, ont fait apparaître.
Comment comprendre alors la vitalité de l’écoféminisme si aucune des deux traditions auxquelles il se réfère ne suffit à l’expliquer ? En essayant de saisir comment ces femmes, mobilisées dans une grande diversité de mouvements, font de la politique. Il s’agit donc d’étudier des textes écoféministes, tels que ceux qu’Émilie Hache a réunis dans une anthologie qui fait passer la diversité des pratiques avant l’éventuelle unité d’une doctrine2, pour suivre ces femmes dans leurs luttes. Ce qui se dégage de la rencontre entre féminisme et écologie, n’est-ce pas cette façon de faire de la politique autrement dont se réclament souvent les écologistes sans que l’on sache bien de quoi il s’agit ? Suivre les récits politiques des écoféministes, c’est voir à l’œuvre une politique plus féministe, plus écologiste, plus démocratique aussi.
Un autre féminisme
« On ne naît pas femme, on le devient » : depuis Simone de Beauvoir – au moins – la nature a mauvaise presse dans le discours féministe. C’est au nom de leur prétendue nature que l’on cantonne les femmes dans un rôle d’épouse et de mère. Dans la nature, les féministes voient traditionnellement un piège, un moyen de pérenniser et de justifier la domination patriarcale. À cela, des femmes – souvent des historiennes des sciences comme Carolyn Merchant – ont proposé une explication. C’est au cours du développement de la science moderne – et en lien avec les transformations économiques, politiques et sociales qui l’ont accompagné – que s’est mis en place un dualisme qui, séparant humanité et nature et mettant celle-ci au service de celle-là, a tendu à faire des femmes ce « deuxième sexe » dominé et associé à la nature. Cette connexion entre oppression des femmes et domination de la nature est la référence commune des écoféministes. Pour libérer les femmes de la domination qui pèse sur elles, il ne suffit pas de déconstruire leur naturalisation pour les rapatrier du côté de la culture – celui des hommes. Ce serait, aux yeux des écoféministes, ne faire le travail qu’à moitié, et laisser la nature en plan. La cause de la nature y perdrait, mais tout autant celle des femmes. Comme l’écrit Ynestra King, « en essayant de sortir du piège de l’identification avec la nature dans une culture définie en opposition à la nature3 », on risque de tomber dans un autre piège, celui de l’antinaturalisme. La seule issue à la naturalisation et à la dévalorisation des femmes n’est donc pas de tourner le dos à la nature, de n’y voir qu’une invention des dominants pour mieux asseoir leur pouvoir sur les femmes et sur la nature. La naturalisation n’est pas la nature, critiquer la première, ce n’est pas rejeter la seconde, c’est au contraire montrer leur différence.
Le féminisme passe-t-il nécessairement par le refus de la condition imposée par le pouvoir patriarcal aux femmes : le foyer, la maison, les enfants ? Dans La Femme mystifiée, en 1963, Betty Friedan avait dénoncé ce qu’elle appelait « le problème sans nom » : celui dont souffraient les femmes d’après-guerre qui essayaient de se persuader que vivre en banlieue, s’occuper de leurs enfants, c’était cela la vraie vie. Je veux rentrer à la maison, le livre de Christiane Collange (1978), résonna, à l’inverse, comme un adieu au féminisme et un retour à la féminité. Les féministes écologistes s’y mettraient-elles à leur tour, au nom de la recherche d’un mode de vie plus sain, de l’allaitement maternel et de la nourriture préparée chez soi avec des légumes poussés sur place ? « Les green féministes rentrent à la maison » a titré le magazine Elle en juin 2010 (avec une certaine satisfaction)4. Tout rentre-t-il dans l’ordre ?
Pas vraiment. Les femmes qui se mobilisent contre l’implantation d’une décharge ou d’un incinérateur à l’endroit où elles habitent, les femmes du mouvement Chipko (« embrasser les arbres ») dont parle la militante indienne Vandana Shiva, comme celles de mouvements semblables en Afrique ou en Amérique du Sud, n’ont pas choisi de revenir à la maison. C’est là qu’elles vivent, comme la majorité des femmes de par le monde, et c’est la façon dont elles vivent quotidiennement leur environnement, à la maison, qui les amène à se mobiliser. Pour ces mouvements populaires, le langage de la protestation est celui des mots de la féminité ordinaire : la grossesse, les enfants, la famille, le logement… Lorsque les militantes anti-pollution se font traiter de « femmes au foyer hystériques », elles ne rejettent pas l’accusation. Elles l’assument : elles sont des femmes au foyer et il y a de quoi être hystérique quand la vie de votre famille est en danger5. Il y a de quoi faire de la vie privée, quotidienne, ordinaire, une affaire publique.
Les féministes radicales des années 1970, en se démarquant de la mobilisation libérale pour l’égalité des droits, ont remis en cause la distinction entre vie publique et vie privée qui est conjointement l’un des pivots de la conception libérale de la société et l’un des piliers de la domination patriarcale. La vie privée – l’intimité familiale – est certes soustraite à l’inspection publique, mais elle est livrée à l’autorité du chef de famille. Pour donner à voir la domination qui s’exerce à l’abri de la distinction entre la vie privée et la vie publique, les féministes ont fait entrer la politique dans la chambre à coucher. Les mobilisations écoféministes effacent également la frontière entre le public et le privé. Mais elles le font en sens inverse : il s’agit de porter la vie privée sur la scène publique. Que « la peine privée des femmes fasse irruption dans l’espace public6 », exige Ynestra King.
« Ramener l’écologie à la maison », le titre (en traduction française) d’un article de Giovanna di Chiro, une spécialiste des questions de justice environnementale, a des accents provocateurs7. Mais l’objectif est de réinsérer la production dans la reproduction, et cela constitue, comme le dit Émilie Hache, le « fil rouge qui se dessine à travers ces différentes mobilisations environnementales8 ». Les femmes, en entrant dans les luttes, reconnectent ce que le développement de la société moderne avait séparé : la reproduction sociale, biologique et environnementale. Dans leur souci pour la vie de leurs communautés, pour les conditions sociales, biologiques, affectives qui en assurent la continuité, ces écoféministes mettent en œuvre la politique du care, telle que la définissent Fisher et Tronto : « Au niveau le plus général, nous suggérons que le care soit considéré comme une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre «monde», de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en soutien à la vie9. »
Féministes ? Les militantes le sont certainement. Mais alors que l’écoféminisme s’est construit à partir des théories féministes existantes, principalement occidentales et urbaines, ces dernières sont à leur tour « mises au défi de prendre en compte la crise écologique et la biocolonisation10 ». L’apport des femmes issues de cultures « périphériques » devient saillant du point de vue de la critique politique comme du rapport à l’environnementalisme.
Un autre environnementalisme
Y a-t-il quelque chose de commun entre les objectifs des mouvements de justice environnementale, tels qu’ils se sont développés aux États-Unis, dans les années 1980, autour de problèmes de pollution qui frappaient prioritairement des populations socialement défavorisées et ethniquement discriminées11, et la défense, classique aux États-Unis, de la wilderness, ces espaces de nature maintenus hors de l’intervention humaine ? Apparemment pas. Dans les années 1980, les habitant.e.s d’un quartier défavorisé de Los Angeles se sont mobilisé.e.s pour s’opposer au projet d’implantation d’un incinérateur de déchets qui menaçait de les empoisonner. À la recherche de soutiens, les femmes qui dirigeaient ce mouvement sont allées voir des représentants du Sierra Club (la très ancienne et très puissante ONG environnementale américaine). Celui-ci les a poliment éconduites : ces questions, leur a-t-on expliqué, étaient certes préoccupantes, mais il s’agissait de questions de santé publique, pas de problèmes environnementaux. Les problèmes environnementaux, ce sont ceux de la protection de la nature12.
On aurait tort d’en rester à cette séparation entre une écologie sociale (santé) et une écologie environnementale (protection de la nature). D’une part, la réponse du Sierra Club a fait réfléchir les environnementalistes, et les a conduits à s’interroger sur la place que la justice environnementale pouvait avoir dans leurs mouvements13. D’autre part, les mouvements qui réclamaient la justice pour un environnement sain n’ont pas non plus rejeté la nature comme une invention de WASP14, de bourgeois en quête d’affrontements virils avec une nature sauvage. Les mouvements qui se sont réunis, en octobre 1991 à Washington, en un premier Sommet national des peuples de couleur pour la justice environnementale, n’ont pas tourné le dos à la nature, ils se sont réclamés d’une autre nature, une nature dont ils avaient été chassés par le colonialisme, une nature vue comme une « communauté15 ». Ce que ces mouvements et l’écoféminisme apportent à l’environnementalisme, c’est une expérience de la nature, qui a une dimension collective, plutôt qu’individuelle.
Concevoir la nature comme une communauté, c’est inclure les collectifs humains dans la nature, engager un rapport tout différent à la nature, qui fait appel à une autre éthique. L’éthique de la wilderness est une éthique de la non-intervention. Il s’agit de laisser, autant que possible, les processus naturels s’effectuer d’eux-mêmes, sans être « entravés » (untrammeled). Carolyn Merchant, elle, propose une « éthique du partenariat » (partnership ethic) qui, ne s’en tenant pas à la seule règle de l’abstention, pose que nous pouvons avoir, avec la nature, des relations positives comme nous en avons entre partenaires humains (ce qui n’exclut pas que l’on réserve des plages de liberté au partenaire)16.
Les mouvements écoféministes sont des mouvements politiques mais ils ne le sont pas de la même façon que l’environnementalisme du Sierra Club. Telle que Roderick Nash l’a retracée, l’histoire de la wilderness est celle de mobilisations politiques pour obtenir que de vastes portions du sol américain soient soustraites au développement économique et technique17. Mais, si l’action est politique, l’objectif ne l’est pas : le rapport à la wilderness n’est pas un rapport politique, parce qu’il est individuel et que la nature est voulue extérieure à la société. Aussi la demande s’adresse-t-elle à l’État : il s’agit d’obtenir des pouvoirs politiques la possibilité de laisser la nature en dehors du social, et d’avoir avec elle des rapports individuels qui ne la troublent pas. Les mouvements écoféministes n’instrumentalisent pas la politique au service d’objectifs non politiques, ils sont directement politiques. Il ne s’agit pas de faire appel à l’État, mais de vivre politiquement l’expérience d’un rapport collectif à la nature. De même qu’il ne s’agit pas de la même nature, il ne s’agit pas de la même politique.
Faire de la politique autrement :
une démocratie à l’œuvre
Les femmes qui furent à l’initiative de la Conference for Women and Life on Earth, tenue à l’université du Massachussetts en 1980 et qui marque le début de la mobilisation écoféministe, furent surprises par le succès de l’entreprise18. Cette conférence conduisit à la réunion pour la paix de Washington qui fut un franc succès et se fédéra autour de thèmes pacifistes et antinucléaires. Les mobilisations pour la justice environnementale, qui réunissent surtout des femmes appartenant à des minorités ethniques, sont portées par le mouvement pour les droits civiques. On déborde donc rapidement les frontières du féminisme ou de l’écologie.
Si l’on juge que tout ce qui est politique vise l’État ou en provient, ces mouvements ne sont pas politiques. À la différence de l’environnementalisme pratiqué par le Sierra Club, qui fait pression sur le gouvernement, ou des partis verts européens qui participent à la compétition électorale pour entrer au gouvernement et mettre en œuvre la politique qu’ils préconisent, ces mouvements écoféministes se tiennent à l’écart du pouvoir organisé. On les voit intervenir là où l’État fait défaut. C’est ainsi que Starhawk présente la Nouvelle-Orléans après Katrina, dans une situation marquée par la défaillance du pouvoir central qui ne s’est occupé que du terrorisme. La mobilisation militante autour des victimes de l’ouragan parle d’une autre sécurité que celle que promettait Bush19.
Celene Krauss, dans l’étude qu’elle consacre à la justice environnementale, montre que les femmes se mobilisent d’autant plus qu’elles font moins confiance aux mécanismes de la démocratie représentative. Alors que les femmes blanches doivent faire l’expérience de la désillusion vis-à-vis d’un gouvernement qui ne les protège pas, les Afro-Américaines et les Natives-Américaines ne se font aucune illusion quant au soutien et à la protection que peut leur apporter le gouvernement et voient dans l’installation de décharges une forme de racisme environnemental.
On peut dire que ces mouvements proviennent de la société civile et pratiquent, à l’écart de l’État, des formes de démocratie capables d’apporter aux populations ce que l’État leur promet mais ne leur donne pas : la sécurité. En même temps, ces mobilisations féministes expérimentent de nouvelles formes de vie. C’est en cela qu’elles sont écologistes : la situation environnementale est telle qu’on n’y fera pas face uniquement par des changements économiques et techniques, mais que cela demande une modification des modes de consommation et, plus généralement, des modes de vie.
Est en cours actuellement un peu partout dans le monde une transformation des styles de vie et des pratiques politiques, à laquelle participent ces mobilisations écoféministes. La désaffection et la désillusion à l’égard des gouvernements représentatifs conduisent un nombre croissant de militant.e.s et de citoyen.ne.s à expérimenter de « nouvelles formes du politique », à se réclamer d’une « démocratie réelle » loin de l’État20. En même temps se développent des formes de vie alternative, expériences collectives dans lesquelles s’inventent à la fois de nouveaux rapports sociaux et un nouveau rapport à la nature21.
Mouvement inventif, capable de s’adapter souplement à des situations différentes, cet écoféminisme rencontre les traditions anarchistes, celles des mouvements antibureaucratiques, de la désobéissance civile, « refusant de respecter la logique du système de “canaux appropriés”, résistant avec les corps autant qu’avec les mots22 ». Il s’agit bien en effet d’une politique qui, loin de conjoindre démocratie et État dans le gouvernement représentatif, pratique la démocratie à l’écart de l’État.
Que la démocratie se pense hors de l’État ou contre celui-ci est en effet une proposition anarchiste. Selon David Graeber, la démocratie, loin d’être une tradition centrale de la civilisation occidentale (inventée à Athènes et transmise aux gouvernements représentatifs actuels par l’intermédiaire des États de droit mis en place par les monarchies européennes), n’a jamais surgi qu’aux marges des « civilisations », ou à leur point de rencontre : s’il y a une démocratie en Amérique, elle provient plus des contacts des nouveaux arrivants avec la Ligue des nations iroquoises qu’elle n’est héritée d’Athènes ou de Rome23. Les mouvements écoféministes s’inscrivent bien dans cette analyse. À commencer par le fait qu’il s’agit de mouvements de femmes, dont le rôle politique, dans nos gouvernements représentatifs, a tardé à être accepté et dépasse difficilement la reconnaissance formelle de l’égalité des droits ou de la parité. Ce n’est pas un hasard si, dans les mouvements de justice environnementale étudiés par Celene Krauss, ce sont les Natives-Américaines, à qui leurs traditions reconnaissent une importance, qui aident à résister au mépris que ces « femelles hystériques » provoquent chez leurs opposants masculins.
On retrouve ainsi la dimension « interstitielle » de ces mouvements démocratiques qui, loin de mettre en avant les revendications d’un groupe homogène, font se rencontrer la diversité des conditions et des identités. Il en est ainsi de Terre commune, le mouvement d’aide aux victimes de Katrina : « les personnes rassemblées là sont noires, blanches, homosexuel.le.s, hétérosexuel.le.s, un mélange hétéroclite d’artistes, de saltimbanques et de vieux Cajuns, tou.te.s parlant frénétiquement, se saluant les uns les autres et buvant de la bière24 », explique Starhawk. Toute la force du mouvement Chipko vient de sa capacité à réunir luttes écologiques, luttes de femmes, luttes contre l’exploitation, qu’elle vienne des pays du Nord ou des entrepreneurs locaux (pour qui les arbres sont sources de profit et non de vie)25.
Les collectifs ainsi réunis font l’expérience d’un auto-gouvernement dont les pratiques sont en rupture avec celles de la compétition électorale et des assemblées représentatives. Pas de politique des chefs ou des leaders ; pas de règle de la majorité non plus parce que, pour que celle-ci s’impose, il faut qu’existe un pouvoir capable d’imposer à la minorité – s’il le faut par la violence – la règle acceptée par la majorité.
Ce qui caractérise ces pratiques politiques, c’est qu’elles sont à elles-mêmes leur propre fin. Elles se soucient moins d’objectifs stratégiques qu’elles n’aspirent à réaliser, ici et maintenant, une autre façon de faire de la politique, en rupture avec les formes dominantes. Cela peut expliquer que ces pratiques soient non-violentes. Qu’il s’agisse de Chipko, du mouvement pour la paix, des mouvements de justice environnementale, des communautés de l’Oregon26 etc., tous ces mouvements sont non-violents, et pratiquent la désobéissance civile plutôt que l’affrontement violent ou la lutte armée.
La désobéissance civile fait appel à la distinction entre le légitime et le légal pour s’opposer à des décisions qui, tout inscrites dans le cadre de la légalité qu’elles soient, sont jugées injustes. Elle combine ainsi, dans un rapport de forces souvent défavorable, action directe et refus de la violence pour rallier la majorité à ses vues, et maintenir le contact avec l’adversaire. La non-violence convient à des actions qui, même nombreuses, restent minoritaires mais aspirent à gagner l’assentiment, comme c’est le cas des mouvements écoféministes.
La question de la violence se pose d’autant plus qu’il y a affrontement direct à l’État. La violence des manifestant.e.s leur est alors imposée par l’État, qui tient à son monopole, mais elle montre aussi à quel point elles et ils se sont placé.e.s dans l’orbite de l’État. Recourir à la violence dans la lutte contre l’État, c’est manifester qu’on est entré dans la compétition pour le pouvoir en place, qu’on aspire à l’occuper plutôt qu’à le subvertir. Ce qui fait la force de certains mouvements non-violents, comme ceux des écoféministes, c’est que, en se prenant eux-mêmes comme fin, ils n’entrent pas dans la compétition pour le pouvoir. Ils s’emploient à montrer qu’une autre forme de vie politique est possible et que, si la non-violence n’est pas un principe, la violence n’est pas non plus un destin. Une façon d’ouvrir les possibles. Une façon de faire de la politique autrement.
1 Voir Catherine Larrère, « La nature a-t-elle un genre ? Variétés d’écoféminisme », in Genre et environnement, Cahiers du genre, 59, 2015, p. 103-126.
2 Reclaim. Recueil de textes écoféministes, choisis et présentés par Émilie Hache, Paris, Éditions Cambourakis, 2016.
3 Ynestra King, « Si je ne peux pas danser, je ne veux pas prendre part à votre révolution », in Reclaim, ouvr. cité, p. 112.
4 Elle, 25 juin 2010, cité par Mona Chollet, Beauté fatale, les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Paris, La Découverte/Zones, 2012.
5 Celene Krauss, « Des bonnes femmes hystériques : mobilisations environnementales populaires féminines », Reclaim, ouvr. cité, p. 211-238.
6 Ynestra King, « Si je ne peux pas danser… », art. cité, p. 117.
7 Giovanna di Chiro, « Ramener l’écologie à la maison », in De l’Univers clos au monde infini, textes réunis et présentés par Émilie Hache, Paris, éditions Dehors, 2014, p. 191-220.
8 Émilie Hache, Introduction, Reclaim, ouvr. cité, p. 25.
9 Berenice Fisher et Joan Tronto, « Toward a Feminist Theory of Caring », in Emily Abel et Margaret Nelson (éd.), Circles of Care. Work and Identity in Women’s Lives,Albany, N. Y., SUNY Press, 1990, p. 142.
10 Ariel Salleh, « Pour un écoféminisme international », in Reclaim, ouvr. cité, p. 344.
11 Carolyn Merchant, Earthcare. Women and the Environment, New York, Routledge, 1996, p. 160-166.
12 Giovanna Di Chiro, in William Cronon (éd.), Uncommon Ground. Rethinking the Human Place in Nature, Londres, Norton & Compagny, 1996, p. 298-320 (traduction française dans Émilie Hache (éd.), Écologie politique, Paris, éditions Amsterdam, 2010, p. 121-154).
13 Ronald Sandler et Phaedra C. Pezzullo (éd.), Environmental Justice and Environmentalism,The Social Justice Challenge to Environmental Movement, MIT Press, 2007.
14 White Anglo Saxon Protestants.
15 First National People of Color Environmental Leadership Summit. Voir Di Chiro, in Cronon, ouvr. cité, p. 304-317.
16 Carolyn Merchant, Earthcare, ouvr. cité, p. 211-217.
17 Roderick Frazier Nash, Wilderness and the American Mind (1967), 4e édition, Yale University Press, 2010.
18 Comme le rapporte Ynestra King dans « Si je ne peux pas danser… », art. cité.
19 Starhawk, « Une réponse néopaïenne après le passage de l’ouragan Katrina », in Reclaim, ouvr. cité, p. 269-284.
20 Albert Ogien et Sandra Laugier, Le Principe démocratie. Enquête sur les nouvelles formes du politique, Paris, La Découverte, 2014.
21 Éric Dupin, Les Défricheurs. Voyage dans la France qui innove vraiment, Paris, La Découverte, 2014.
22 Ynestra King, « Si je ne peux pas danser… », art. cité, p. 122.
23 David Graeber, La Démocratie aux marges, Lormont, Le bord de l’eau, 2014.
24 Starhawk, « Une réponse néopaïenne… », art. cité.
25 Vandana Shiva, « Étreindre les arbres », in Reclaim, ouvr. cité, p. 183-210.
26 Catriona Sandilands, « Women’s Lands : communautés séparatistes lesbiennes rurales dans l’Oregon », in Reclaim, ouvr. cité, p. 243-268.