Violences urbaines

Les actes de violence sont de plus en plus filmés et diffusés par leurs auteurs ou des complices

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LE MONDE | 28.04.06 |Les émeutiers qui incendient une voiture et se prennent en photo ou se filment avec leur téléphone portable devant l’épave en feu, pendant la crise des banlieues, en novembre 2005. Des casseurs qui lancent des projectiles sur les forces de l’ordre, filmés par leurs camarades, pendant les manifestations anti-CPE (contrat première embauche) de mars. Des jeunes qui enregistrent des agressions et font circuler les images par Internet ou par téléphone, comme dans l’affaire de l’enseignante de Porcheville (Yvelines), frappée par un élève pendant qu’un autre filmait la scène, lundi 24 avril.Des auteurs de violence n’hésitent pas à se mettre en scène, avec leur propre mobile ou devant l’objectif d’un camarade, au moment où ils commettent des délits. Les plus prudents se contentent de montrer ces images à leurs copains, dans les cours de récréation ou en petit comité. Une partie de ces fichiers circulent ensuite par MMS (messages multimédias, permettant l’envoi de photos ou de vidéos par téléphone portable) ou sont publiés sur des blogs.

Ces actes sont spectaculaires et s’intègrent dans l’utilisation croissante des téléphones mobiles pour filmer ou prendre des photos. Mais l’ampleur du phénomène concernant les actes de violence reste difficile à estimer. D’un point de vue judiciaire, quelques affaires seulement ont été identifiées. A Nice, fin 2005, les images du viol d’une collégienne ont été montrées par l’agresseur, mineur, sur son portable, au sein de l’établissement. La jeune fille était montrée en train de faire une fellation sous la contrainte. “C’est affreux pour la victime, qui a appris qu’une photo circulait”, raconte Michel Redon, vice-procureur de Nice. L’instruction est en cours.

“NARCISSISME EFFRÉNÉ”

Lors des manifestations anti-CPE, des casseurs ont filmé des scènes de violence à de nombreuses reprises. Lorsque la Sorbonne était assiégée, ils immortalisaient les jets de projectiles ou les charges policières. Sur l’esplanade des Invalides, le 23 mars, au moment où de jeunes manifestants étaient agressés par des bandes venues de banlieue, quelques-uns ont filmé les violences qu’ils commettaient. Aucune personne n’a, toutefois, été interpellée suite à des vidéos diffusées sur le Net, alors que certaines l’ont été sur la base de photos publiées par la presse, selon la direction générale de la police nationale (DGPN). Le parquet de Paris n’est saisi d’aucune affaire de violence filmée sur téléphone portable.

Lorsqu’elles sont découvertes, les photos et les vidéos peuvent être utilisées par la justice, comme le seraient, par exemple, des images d’un système de vidéosurveillance. Lors des émeutes de l’automne 2005, deux jeunes ont ainsi été condamnés à neuf mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Bobigny pour leur participation à des violences urbaines à Clichy-sous-Bois et Montfermeil (Seine-Saint-Denis), le 31 octobre. Ils avaient été interpellés pour avoir lancé des projectiles sur les forces de l’ordre. Les policiers avaient extrait plusieurs fichiers vidéo du téléphone portable de l’un d’entre eux. Une séquence montrait un des prévenus dansant autour d’un véhicule en feu. Une autre comprenait les commentaires d’un second émeutier criant : “On va leur niquer leurs mères à ces fils de pute (les forces de l’ordre) !” Un troisième prévenu, interpellé au même moment mais qui n’apparaissait pas sur les vidéos, a été relaxé.

Le vice-procureur de Nice voit dans ce phénomène l’expression d’un ” narcissisme effréné”. “Dans l’esprit de ceux qui font ça, l’objectif d’autovalorisation prime tout, même la notion de risque. Avant, ils se contentaient de se vanter. Là, ils peuvent avoir la preuve de ce qu’ils ont fait. Ils sont aussi dans la négation de la victime, en la transformant en objet”, note Michel Redon.

Même analyse de la part de l’universitaire Pascal Lardellier, auteur du Pouce et la souris, enquête sur la culture numérique des ados (Fayard) : “Leurs actes n’ont de valeur que s’ils sont filmés ou photographiés. Certains jeunes sont très marqués par des jeux vidéo très violents et une culture de l’image trash : comme ils ont grandi le téléphone portable à la main, ils l’utilisent naturellement.” Le chercheur relève que des phénomènes équivalents ont été signalés au Royaume-Uni. A Londres, la police doit faire face à un phénomène à la mode parmi les jeunes : le happy slapping (“joyeuse claque”). L’adolescent choisit une victime au hasard, l’agresse tout en filmant la scène sur un téléphone et diffuse les images sur Internet. La police a recensé deux cents cas en six mois.